Le Sahel et la République centrafricaine font face à des défis complexes qui entravent leurs efforts de développement durable
Les conflits et les chocs extérieurs exacerbent les obstacles au développement économique
Les pays du Sahel (qui comprend le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad), ainsi que la République centrafricaine voisine, sont confrontés à une multitude de difficultés compliquant leur développement. L’insécurité croissante, l’instabilité politique, avec notamment des prises de pouvoir par l’armée, le changement climatique et l’accumulation de chocs économiques, rendent encore plus difficiles les efforts favorisant un développement durable et inclusif dans l’une des régions les plus pauvres du monde.
En 2022, les décès liés aux conflits dans ces pays ont augmenté de plus de 40 %. La détérioration de la situation sécuritaire au cours de la dernière décennie a provoqué une crise humanitaire et plus de 3 millions de personnes ont fui les violences au Burkina Faso, au Mali et au Niger, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Les épisodes météorologiques extrêmes qui affectent le Sahel de plus en plus fréquemment, notamment des inondations et sécheresses extraordinaires, diminuent la productivité agricole, entraînant une perte de revenus et d’actifs, mais exacerbent également l’insécurité alimentaire et consolident un cercle vicieux entre fragilité et conflit.
Dans un entretien avec la rédaction des Focus-Pays, Abebe Selassie et Vitaliy Kramarenko, du département Afrique du FMI, traitent des ramifications économiques de ces défis et de la manière dont ces pays peuvent répondre au mieux à leurs besoins prioritaires.
Quelles sont les implications de ces défis pour les pays du Sahel et pour la République centrafricaine ?
Abebe Selassie : Ces États (à l’exception de la Mauritanie) sont confrontés à des contraintes de financement plus dures, qui sont exacerbées par l’escalade des coûts liés à la sécurité et l’augmentation de la dette. Les dépenses de sécurité ont inévitablement imposé une charge de plus en plus importante sur les budgets, représentant 3,9 % du PIB en 2022 et absorbant en moyenne 25 % des recettes fiscales hors dons. L’augmentation des dépenses de sécurité est une nécessité pour garantir la stabilité, mais elle évince d’autres dépenses prioritaires, notamment la fourniture de services publics de base.
Pour les pays du Sahel, la dette publique en pourcentage du PIB augmente régulièrement depuis 2011 et devrait atteindre près de 51 % du PIB en 2023. Les conditions financières risquant probablement de rester tendues à court terme, la marge de manœuvre des États pour emprunter davantage est limitée. Pour répondre à leurs besoins prioritaires, les pays du Sahel doivent donc compter principalement sur les dons, les financements hautement concessionnels, la mobilisation des recettes intérieures et les efforts du secteur privé en faveur du développement.
Quelles sont les perspectives économiques de la région et comment le Sahel peut-il rattraper son retard par rapport aux autres pays ?
Vitaliy Kramarenko : La croissance économique de la région devrait se stabiliser à environ 4,7 % à moyen terme. Mais cela ne devrait pas suffire à réduire les écarts croissants de revenus entre la région du Sahel et les pays avancés. Ces écarts pourraient encore se creuser si les termes de l’échange venaient à se détériorer par rapport au scénario de référence.
Les estimations du FMI indiquent que des investissements supplémentaires d’environ 28,3 milliards de dollars seraient nécessaires sur la période 2023–2026 pour relancer pleinement le processus qui permettrait à la région de rattraper son retard en matière de développement.
De quel type de soutien supplémentaire la région a-t-elle besoin pour stimuler le développement durable ?
Vitaliy Kramarenko : Des efforts supplémentaires de la part des États et des partenaires pour le développement seront nécessaires pour relever les multiples défis auxquels sont confrontés les cinq pays du Sahel et la République centrafricaine. Des réformes ambitieuses, soutenues par un financement hautement concessionnel, sont indispensables pour relancer la convergence des revenus et s’attaquer aux principaux facteurs responsables de la hausse de l’insécurité.
Un soutien supplémentaire de la part des bailleurs de fonds, de préférence sous forme de dons, sera essentiel. L’aide accordée à ces pays par les bailleurs de fonds a diminué de près de 20 % au cours des 10 dernières années pour s’établir à environ 4 % du PIB. Il est frappant de constater que l’aide budgétaire sous forme de dons a représenté moins de 0,5 % du PIB en 2022, alors que ces dons sont essentiels pour traiter avec flexibilité les priorités en matière de financement.
L’instabilité politique et la transition délicate vers un régime civil au Burkina Faso, au Mali et au Niger rendent plus difficile la mobilisation des ressources concessionnelles nécessaires pour financer les dépenses prioritaires. Les préoccupations liées à la transparence des dépenses publiques constituent également une question importante en République centrafricaine.
La réduction prolongée de l’aide budgétaire accordée à la région engendre des risques importants pour les fonctions essentielles de l’État et ne fera qu’aggraver des conditions sociales et humanitaires déjà désastreuses. Par conséquent, la communauté internationale doit trouver des moyens d’impliquer les pays du Sahel dans le financement de programmes sociaux essentiels, et ce en dépit des situations difficiles qu’ils traversent, afin de contribuer à jeter les bases de la paix et du développement durable dans la région et au-delà.
Quelles autres mesures les autorités de ces pays peuvent-elles prendre ?
Abebe Selassie : Les autorités ont aussi un rôle à jouer pour inciter les bailleurs de fonds à contribuer davantage. Les mesures qui renforcent la transparence et la responsabilité budgétaires ou encore les cadres de gouvernance et de lutte contre la corruption seront utiles, et notamment les efforts visant à améliorer la gestion des dépenses de sécurité et les contrôles internes.
Même si l’augmentation du soutien financier est indispensable à court terme, les efforts des pouvoirs publics pour stimuler la mobilisation des recettes intérieures sont également essentiels pour financer les dépenses de manière durable.
Les pays devraient également améliorer la fourniture de services publics dans les zones fragiles et mettre en œuvre des mesures donnant aux jeunes des débouchés économiques. Compte tenu de la prépondérance des moyens de subsistance agricoles et du fait que le changement climatique restera probablement un facteur important des conflits, ces initiatives doivent aller de pair avec l’adoption de politiques visant à favoriser la résilience et les investissements prenant en considération la question climatique, y compris dans le secteur agricole.
Comment le FMI aide-t-il les pays du Sahel à améliorer leur économie ?
Abebe Selassie : Actuellement, cinq de ces six pays disposent d’un accord de financement appuyé par le FMI. Ces accords les aident à renforcer leurs cadres macroéconomiques et à mettre en œuvre des réformes. De plus, la Mauritanie a demandé à accéder à la facilité pour la résilience et la durabilité et un programme du FMI visant à introduire des réformes climatiques fondamentales sur le plan macroéconomique est en préparation. En outre, le FMI continue de proposer un vaste ensemble d’activités de développement des capacités à tous les pays de la région.
De manière plus générale, la stratégie du FMI en faveur des pays fragiles ou touchés par un conflit privilégie la fourniture d’un soutien plus solide, adapté aux caractéristiques de chaque pays. Cela comprend la mise en place de stratégies de collaboration avec les pays pour mieux évaluer les situations spécifiques de fragilité et de conflit, l’envoi de plus de personnel sur le terrain, l’augmentation des activités de développement des capacités et le renforcement des partenariats avec les acteurs de l’aide humanitaire, du développement et de la paix. Le FMI est déterminé à aider les pays du Sahel à revenir sur la voie du développement, en dépit des tensions importantes qui affectent la région.
Abebe Aemro Selassie est le directeur du département Afrique du FMI et Vitaliy Kramarenko en est le directeur adjoint.