Depuis un certain temps, les femmes africaines se fraient de plus en plus un chemin en politique. Dans cette optique, Madame Jeanine Mabunda, Présidente honoraire de l’Assemblée nationale et ex-ministre du portefeuille de la République démocratique du Congo, s’est penchée essentiellement sur la problématique de la représentation politique des femmes africaines. Dans une tribune, cette femme politique congolaise, experte et consultante en Affaires publiques, est revenue sur le parcours de la femme africaine de l’époque coloniale jusqu’à son émancipation.
En Afrique subsaharienne, la croissance de l’accession des femmes aux postes de responsabilités politiques est l’une des plus rapides au monde. Alors qu’en 1960, les femmes ne représentaient que 1% des parlementaires, la moyenne y est aujourd’hui de 23,8% (avec cependant des variations nationales importantes), et talonne les 27,5% des pays européens.
Il est peu dire que les femmes africaines reviennent de loin. Reléguées au second rang, voire pire, pendant la période coloniale, elles ont dû conquérir pied à pied les instruments de leur liberté et de leur émancipation, y compris lors de la construction des Etats post-coloniaux. En effet, force est de constater qu’après avoir été partie intégrante comme actrices des luttes pour l’indépendance aux côtés de leurs collègues hommes, les femmes ont souvent été effacées de l’histoire en dépit de leur travail de mobilisation et de sensibilisation auprès de leur compatriote, ou d’avoir fait les frais d’emprisonnement et de violences. Cette logique d’invisibilisation s’est poursuivie après les indépendances, où sans le courage remarquable de pionnières, beaucoup d’entre nous seraient encore en marge des champs politiques, économiques et intellectuels.
J’ai moi-même pu constater les talents de diplomatie, de patience et de résilience qu’une femme doit déployer pour persévérer dans des institutions publiques et au service de ses compatriotes. Ayant fait le choix de quitter la banque privée, secteur dans lequel la performance compte plus que le genre, pour rejoindre la Banque Centrale de mon pays, la République Démocratique du Congo en qualité de Conseillère du Gouverneur à la fin des années 90, ma surprise fut totale lorsque j’assistais à ma première réunion de direction entourée de dix-neuf directeurs et une seule directrice, Mme Mukoie, responsable du change.
Un vrai phénomène dans cette impressionnante salle de réunion, où elle détonait seule femme aussi rare que l’okapi congolais. Dans pareille enclave masculine, il fallait beaucoup de courage intellectuel face au sexisme amusé et assumé de nos collègues masculins, plein de sous-entendus vous assimilant à une secrétaire surclassée, supposément dernière bénéficiaire de la «promotion canapé». Depuis deux décennies cependant, le volontarisme et le goût de réforme de quelques femmes accompagnées d’hommes ont fait de cette institution un lieu où la parité est aujourd’hui assumée.
Plus tard, élue Présidente de l’Assemblée Nationale, j’ai dû affronter des attaques personnelles publiques, notamment sur des critères physiques, qu’aucun homme dans ma position n’avait connu avant moi ni n’a plus connu depuis lors. En tant que femmes, nous sommes tenues à un combat permanent d’affirmation de notre légitimité. Il en résulte une grande solitude dans l’exercice des responsabilités et une barrière à notre accession et à notre action en politique.
Au rythme actuel d’inclusion des femmes dans les représentations nationales de nos Etats, il faudra encore au moins trente ans avant d’atteindre une forme de parité politique et une égalité de fait devant la loi. Pire encore sur certains enjeux critiques, notamment dans les processus de paix, comme ceux qu’a connu la RDC.
Même au sein des nouvelles générations de dirigeants, cette problématique est insuffisamment prise en compte. Les débats actuels au Sénégal en sont la parfaite illustration. Aussi, s’il y a lieu de reconnaître les progrès indéniables qui ont été fait ces dernières décennies, est-il également indispensable de s’interroger sur les mesures à prendre afin d’accélérer la progression de la représentation effective des femmes en politique, et par effet d’entraînement dans les autres secteurs sociaux, économiques et familiaux.
En effet, la recherche sociologique a démontré une corrélation nette entre le niveau de représentation des femmes en politique, l’amélioration des conditions de vie des populations et l’augmentation de la performance économique d’un pays, notamment par leur apport législatif, l’approche plus inclusive qu’elles ont des enjeux de société et la source d’inspiration qu’elles véhiculent pour les jeunes filles dans tous les domaines. Ces mêmes recherches constatent que les meilleures pratiques résultent de l’introduction de quotas paritaires dans les fonctions électives.
Quelle que soit la méthode d’implémentation de ces quotas choisie par les pays, le résultat est sans équivoque. En Tanzanie, la Constitution stipule que les femmes ne doivent pas représenter moins de 30% des membres de l’Assemblée nationale. Les sièges spéciaux réservés aux femmes sont répartis entre les partis politiques au prorata du nombre de sièges qui leur sont attribués à l’issue des élections. En Ouganda, la Constitution implique que le Parlement comporte une femme représentante de chaque district et qu’un tiers des sièges de chaque conseil local soient réservés aux femmes. En Angola enfin, c’est la charte fondatrice des partis politiques qui prévoit une représentation des femmes à hauteur de 30% au moins de tous les échelons des organes directeurs des partis et sur les listes de candidatures.
Il n’y a en effet pas d’institutions ayant un plus grand impact sur la participation politique des femmes que les partis. Ce sont eux qui se chargent du recrutement et de la sélection des candidats et qui décident des questions qui figureront dans leur programme. Les perspectives d’autonomie politique des femmes sont donc largement dépendantes de leur présence au sein des partis politiques ou de la façon dont ces derniers encouragent et renforcent leur participation. C’est pourquoi l’African National Congress d’Afrique du Sud notamment a fait le choix d’inclure comme règle n°6 de sa charte qu’en vue d’arriver à une pleine représentation des femmes dans toutes les instances dirigeantes, le parti mettra en place un plan de discrimination positive, avec un quota d’un minimum de 50% de femmes dans toutes les structures électives.
Par ailleurs, l’Afrique a la plus forte représentation féminine au niveau des conseils d’administration de toutes les régions du monde, avec 25% contre une moyenne mondiale de 17%, selon un rapport en 2019 du cabinet McKinsey. En revanche, le nombre de femmes africaines occupant des postes de direction – y compris les postes de cadres supérieurs et intermédiaires – est notoirement plus faible que la moyenne mondiale. Dans ce domaine, sans réformes additionnelles, il faudrait ainsi à l’Afrique plus de 140 ans pour atteindre la parité entre les sexes !
Cette situation paradoxale découle de la mise en œuvre de deux types de stratégies efficaces pour les conseils d’administration sur notre continent : l’une contraignante à l’image de la législation kenyane qui a introduit une exigence selon laquelle aucun sexe ne doit occuper plus de deux tiers des sièges des conseils d’administration des entreprises publiques ; l’autre incitative comme en Afrique du Sud où les exigences de cotation de la Bourse de Johannesburg stipulent que le conseil d’administration doit avoir mis en place une politique efficiente en matière de diversité. Cependant, elles ne suffisent pas à endiguer les logiques de nominations, recrutements et promotions des cadres et équipes de direction qui se font selon un processus informel, s’appuyant sur des réseaux d’influence traditionnellement réservés aux hommes et excluant ainsi mécaniquement les femmes.
C’est pourquoi face à ce constat, alors Ministre du Portefeuille de la République Démocratique du Congo, j’avais fait le choix d’introduire pour les entreprises publiques le recrutement sur concours pour les mandataires publics. Les femmes eurent alors le courage de briguer les concours et d’accéder en plus grand nombre aux positions de haute direction car aucune censure de genre n’était opérée en amont. Certaines femmes y ont brillé pour avoir redressé des établissements publics en faillite là où leurs prédécesseurs avaient échoué.
Il n’y a évidemment pas de recette unique. Chaque pays doit choisir la démarche qui s’inscrit le mieux dans son contexte économique social et culturel national. Il ne s’agit pas non plus uniquement d’une question de justice et d’équité mais aussi de rationalité économique: de nombreuses études soulignent les bénéfices d’une présence accrue des femmes au sein des entreprises notamment en matière de gestion des risques, d’innovations et de retour sur investissement.
Cet effort que nous demandons ne se limite pas à notre continent. Les institutions internationales peuvent dans cette optique jouer un rôle symbolique majeur d’entrainement. En presque 80 ans d’existence, l’ONU a été dirigée par neuf Secrétaires Généraux – tous des hommes. Seules quatre des 78 Assemblées Générales ont été présidées par des femmes. Peut-être est-il temps que le prochain Secrétaire Général soit une femme ! En 2023 à quoi rêvent les jeunes files africaines face à l’exceptionnalité de modèles de leadership féminin ? Car s’il faut reconnaitre que celui-ci en Afrique s’incarne de façon très variée selon les espaces géographiques, les figures de réussite politique, économique, sociale sont désormais globalement concurrencées par des personnalités qui cherchent la réussite par le physique et la popularité médiatique factice.
Jeanine Mabunda est une femme politique congolaise, experte et consultante en Affaires publiques, et présidente honoraire de l’Assemblée nationale. En plus de ses fonctions, elle s’est engagée dans la «promotion des droits des femmes et la lutte contre les violences sexuelles».