Crise à l’Udps : Augustin Kabuya appelle à l’apaisement 

Le secrétaire général du parti présidentiel a tenu à apaiser les tensions observées ces derniers temps au sein de l’Udps. En sa qualité du président national intérimaire du parti de sphinx de Limete, Augustin Kabuya a dans un communiqué invité toutes les structures du parti au calme.

“En exécution de la Résolution n°01/UDPS/CON-EXTRA/23 du Congrès Extraordinaire du 26 août 2023, spécialement sur la mission conférée au Secrétaire Général faisant fonction du Président intérimaire du Parti, d’assurer le bon fonctionnement et la bonne organisation du Parti, la hiérarchie du Parti invite tous les membres au calme, à la sérénité et à l’unité”, a-t-on lu dans le communiqué.

 

Pour Kabuya, l’heure est à l’unité pour accompagner le chef de l’État à trouver des solutions aux problèmes de l’insécurité dans l’Est du Congo.

 

“En cette période cruciale de l’histoire de notre pays, le Secrétaire Général faisant fonction du Président intérimaire du Parti exhorte toute la base du Parti, à rester unie et à apporter l’appui nécessaire au Chef de l’Etat dans sa lutte notamment contre l’agression et l’occupation d’une partie de l’Est de notre patrie par l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23”, a-t-il déclaré, tout en recommandant aux uns et aux autres le respect des textes du Parti.

 

“Le Secrétaire Général faisant fonction du Président intérimaire du Parti en appelle à la vigilance de toutes les combattantes et tous les combattants car l’ennemi compte déstabiliser le Parti, et par ricochet le régime”, exhorte Kabuya.

 

Depuis un certain temps, l’Union pour la démocratie et le progrès social de Tshisekedi connait des tensions. Plusieurs d’entre les militants ne jurent que sur la démission de l’actuel secrétaire général. Ils dénoncent la mauvaise gestion du parti par Augustin Kabuya. Plusieurs structures et organes de l’Udps Tshisekedi ont désavoué le SG et se désolidarisent de sa gestion. Le go de ces vives tensions a été donné par Eteni Longondo, député national et ancien secrétaire général adjoint du parti. Ce mouvement s’est répandu à l’intérieur, tout comme à l’extérieur du pays.

 

 

 

 

Mboshi




Le temps des demi-mesures est révolu

Le projet d’amélioration du fonctionnement du FMI s’articule autour de quatre éléments essentiels

La décision de créer le Fonds monétaire international (FMI), qui a été prise il y a 80 ans à Bretton Woods, dans le New Hampshire, témoignait de détermination plus que d’un sentiment d’optimisme. Les pays représentés à cette conférence qui a fait date voulaient que le monde de l’après-guerre qu’ils imaginaient soit tout à fait différent de celui qui avait précédé la catastrophe.

Cela contrastait fortement avec les aspirations de 1918, lorsque le principal objectif, comme l’a relevé John Maynard Keynes dans une lettre rédigée en 1942, était de revenir en 1914. En 1944, personne ne souhaitait retourner en 1939. Chacun convenait que la période à venir devait être assez différente, ce qui fut le cas. Le monde a accompli des progrès notables ces 80 dernières années, et le FMI a joué un rôle très positif.

Cependant, le monde dans lequel le FMI œuvre aujourd’hui n’a sans doute jamais été aussi difficile depuis que ce dernier a vu le jour. Dans un article publié dans Finances & Développement en 2019, à l’occasion du 75e anniversaire du FMI, j’ai mentionné huit caractéristiques essentielles de ce monde en mutation : un transfert impressionnant du pouvoir économique et politique relatif de pays à haut revenu établis de longue date vers les pays émergents, en particulier la Chine ; une rivalité grandissante entre les États-Unis et une Chine en plein essor ; une montée du populisme, y compris dans les démocraties bien implantées ; un retour de bâton de la mondialisation ; de nouvelles technologies porteuses de transformations, surtout Internet et, plus récemment, l’intelligence artificielle ; une fragilité financière généralisée, notamment une hausse du ratio de la dette publique au PIB dans bon nombre de pays ; une longue période de stagnation séculaire, marquée par des politiques monétaires très accommodantes et une faible inflation ; enfin, l’importance croissante du changement climatique.

Les fissures dans l’édifice de la coopération mondiale sont plus profondes, les pressions sur les institutions internationales sont plus fortes et les résultats économiques à long terme se sont dégradés.

Depuis la publication de cet article il y a cinq ans, le monde a subi une série de chocs, notamment la pandémie, la guerre menée par la Russie en Ukraine et la guerre entre Israël et le Hamas. La stagnation séculaire est la seule tendance qui semble s’être améliorée, en partie grâce à ces chocs. Elle a toutefois été remplacée par les flambées d’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Les fissures dans l’édifice de la coopération mondiale sont plus profondes, les pressions sur les institutions internationales sont plus fortes et les résultats économiques à long terme se sont dégradés.

La gestion des crises a fatalement été au centre d’une grande partie de l’attention du FMI ces cinq dernières années, comme lors de la décennie précédente. D’après Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, « depuis le début de la pandémie, nous avons fourni environ 1 000 milliards de dollars de liquidités et de financement aux 190 pays membres du FMI ». De nouvelles facilités de prêt ont été mises en place, notamment le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité. Opérationnel depuis octobre 2022, il est financé par des prêts à long terme spontanés de pays membres ayant une position extérieure solide, dont ceux qui souhaitent transférer une partie de leurs droits de tirage spéciaux au profit d’États membres à faible revenu ou à revenu intermédiaire plus vulnérables.

La surveillance par le FMI des différents pays et de l’économie mondiale est tout aussi importante. Un événement marquant a été une proposition de Ruchir Agarwal et Gita Gopinath pour mettre fin à la pandémie de COVID-19, publiée en mai 2021. Un autre a été la décision de mettre en avant les conséquences économiques du retour de bâton de la mondialisation. Un autre encore a été le scepticisme à l’égard de la précipitation à adopter des politiques industrielles actives. Le FMI a aussi, à juste titre, attiré l’attention sur les dangers de politiques budgétaires trop accommodantes.

Cependant, si judicieux soient-ils, aucun de ces travaux n’a été suffisant. Bretton Woods visait à engager le monde sur la voie de la coopération, de l’intégration économique et de l’accélération du développement économique. Après l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, cela semblait être la trajectoire que le monde suivrait. Ce n’est plus le cas. De profonds changements s’imposent afin de faire renaître l’espoir d’un monde meilleur. La faute dans ce cas n’incombe pas au FMI, ni d’ailleurs aux autres institutions financières internationales (IFI), mais à leurs maîtres, en particulier les pays à revenu élevé qui les dominent depuis longtemps.

Comme Lawrence Summers de l’Université Harvard et N. K. Singh, ancien président de la 15e Commission des finances de l’Inde, l’observent dans un article d’avril 2024 pour Project Syndicate, « du fait de la hausse des taux d’intérêt, les pays en développement sont écrasés sous le poids de l’endettement, et la moitié des pays les plus pauvres n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la pandémie. La croissance est faible dans de vastes régions du monde, et l’inflation reste durablement élevée. Et en arrière-plan, le thermomètre ne cesse de grimper. »

Le projet d’améliorer le fonctionnement du FMI et, plus généralement, de l’univers des IFI s’articule autour de quatre éléments essentiels. Il sera difficile de les réunir. Mais le temps des demi-mesures est révolu.

Premièrement, il faut améliorer sensiblement la prise en charge des dettes excessives non remboursables. La nécessité d’assurer une coordination entre les prêteurs officiels traditionnels organisés au sein du Club de Paris, les institutions chinoises et les prêteurs privés se heurte à des difficultés inédites. Il est communément admis que le cadre commun du Groupe des Vingt pour l’allégement de la dette n’en fait pas assez pour venir en aide aux pays pauvres. Comment cela se peut-il sachant que, comme L. Summers et N. K. Singh le font remarquer, « compte tenu de la hausse des taux d’intérêt et des remboursements d’obligations et de prêts, près de 200 milliards de dollars sont sortis des pays en développement au profit de créanciers privés en 2023, ce qui fait paraître totalement dérisoire l’augmentation des financements des IFI » ? Les pays pauvres ne sont pas en mesure de faire face aux risques induits par la hausse des taux d’intérêt dans les pays à revenu élevé. Comme Anne O. Krueger, alors première directrice générale adjointe du FMI, l’a fait valoir à juste titre en 2002, le monde a besoin d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine. C’était le cas à l’époque. Ce besoin se fait sentir encore plus aujourd’hui.

Deuxièmement, des ressources nettement plus abondantes sont nécessaires. C’est à cette condition que le FMI et les autres IFI pourront apporter des garanties qui font cruellement défaut contre les chocs et jouer leur rôle indispensable de catalyseur pour financer le développement et procurer des biens publics mondiaux essentiels, notamment un climat stable. Le FMI a pour mission, avant tout, d’accorder des financements d’assistance, mais, pour pouvoir la remplir, il a besoin de beaucoup plus de ressources.

Troisièmement, les droits de vote doivent illustrer l’ampleur des changements dans l’équilibre du pouvoir économique international survenus ces quarante dernières années, faute de quoi le FMI et les autres IFI ne seront pas les institutions internationales dont le monde a besoin. Actuellement, la quote-part relative du Japon au FMI est plus importante que celle de la Chine, et celle du Royaume-Uni dépasse celle de l’Inde. On peut affirmer que le fait de posséder une monnaie convertible justifie la surreprésentation des pays à revenu élevé. Cependant, ce niveau de déséquilibre réduit à néant la légitimité de l’institution.

Enfin, l’usage ancien de désigner un directeur général du FMI venant d’Europe et un président de la Banque mondiale originaire des États-Unis doit cesser pour laisser place à la recherche du meilleur candidat possible, quelle que soit sa nationalité.

Aucun observateur du monde actuel ne peut mettre en doute l’ampleur des défis à relever. Il sera extrêmement difficile de conserver des institutions internationales efficaces. Dans un contexte marqué par l’aggravation des tensions mondiales, relancer la coopération nécessaire pourrait même sembler être un espoir vain. C’est toutefois le seul moyen d’éviter que le monde ne se dégrade encore davantage dans les cinq années à venir.

Martin Wolf est éditorialiste économique en chef au Financial Times.




Repenser les droits de tirage spéciaux

Les pays seraient plus aptes à affronter les problèmes économiques mondiaux avec le concours des actifs de réserve internationaux du FMI

Félicitations aux États membres, aux services et aux dirigeants du FMI à l’occasion du 80e anniversaire de la création de l’institution à Bretton Woods, dans le New Hampshire. Fleuron de l’architecture financière internationale de l’après-guerre, le FMI a été conçu par des idéalistes, résolus à mettre en place un ensemble d’institutions susceptibles de décourager l’agression entre les grandes puissances et d’empêcher la résurgence de l’unilatéralisme économique et financier qui prévalait entre les deux guerres.

Conformément à ses Statuts, le but principal du FMI est de promouvoir la coopération monétaire internationale au moyen « d’un mécanisme de consultation et de collaboration en ce qui concerne les problèmes monétaires internationaux ». Pendant la période mouvementée qui a suivi la fin de la convertibilité or du dollar américain, en août 1971, les pays membres ont appliqué ce principe et rapidement mis au point l’accord du Smithsonian en décembre de la même année. Cependant, les nouvelles valeurs nominales prévues par l’accord pour la fixation des autres monnaies sur le dollar n’ont pas tenu. En l’espace de deux ans, le régime de change de Bretton Woods a été remplacé par des taux de change flottants gérés. Les pays membres ont toutefois fait preuve de coopération lors de la transition vers ce système et maintenu le principe selon lequel les politiques de change devaient être au cœur des préoccupations mutuelles, principe qui sous-tend aujourd’hui la surveillance du FMI.

En plus d’assurer cette surveillance des taux de change et d’autres politiques des pays membres, le FMI a un rôle central dans la gestion des crises, en s’appuyant sur l’expérience et l’expertise de ses services. Le stock de réserves prépositionnées du FMI est indispensable à cet effet. Ainsi, lorsqu’un pays membre requiert une aide financière, cette aide peut être apportée sans avoir à faire la quête.

 

L’évolution constante du FMI est la clé de sa réussite au cours de ses 80 premières années d’existence. Harry Dexter White et John Maynard Keynes ne reconnaîtraient pas l’institution aujourd’hui. Ses dirigeants et ses États membres ont apporté leur soutien à l’innovation pour relever les nouveaux défis, mais ils ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers ; il faudra que l’institution évolue constamment pour continuer à être performante. Sa gouvernance constitue l’enjeu le plus important. Les actifs de réserve internationaux que sont les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI offrent l’opportunité la plus attrayante.

L’enjeu de la gouvernance

Les États-Unis et l’Europe ont progressivement renoncé à la convention selon laquelle le directeur général du FMI devait être un homme européen, le premier directeur général adjoint, un homme américain et le président de la Banque mondiale, un homme américain. Cette transformation ne suffit pas. Un enjeu plus crucial réside dans la capacité tenace de certains pays (les États-Unis) ou groupes de pays (l’Europe) à bloquer les décisions capitales du FMI et le souhait d’autres pays (la Chine) de s’y associer.

Pendant plus de 10 ans, j’ai plaidé au sein du gouvernement américain pour que nous ne nous servions pas du droit de veto des États-Unis sur les grandes décisions du FMI comme argument principal au moment de demander au Congrès américain d’approuver une augmentation de notre quote-part au FMI ou un engagement dans le cadre des nouveaux accords d’emprunt. L’expansion de l’économie mondiale a été plus rapide que celle de l’économie américaine. Ainsi, la domination des États-Unis est de moins en moins justifiable, tant sur le plan technique que sur le plan politique. J’ai également rappelé à mes collègues du Trésor américain que si nous ne parvenons pas à persuader quelques pays de soutenir notre position, c’est que celle-ci est probablement erronée. Charles Dallara, administrateur américain au FMI dans les années 80, exprime un point de vue similaire : « J’ai rapidement appris que trouver un consensus entre des administrateurs partageant les mêmes idées est indispensable pour représenter efficacement les intérêts des États-Unis. »

La réponse à cet épineux problème passe par une grande négociation entre les États-Unis, l’Europe, la Chine et le Japon. Les dirigeants actuels du FMI et de ses principaux pays membres doivent faire preuve d’ambition et d’imagination pour mettre en place une telle négociation.

L’opportunité offerte par les DTS

Il y a plus de 50 ans, les pays membres ont approuvé le premier amendement aux Statuts autorisant le FMI à allouer des DTS. Les négociations ont été menées pendant pratiquement toute la décennie 1960. Un compromis complexe a été trouvé entre des opinions très tranchées sur la meilleure façon de maintenir le système de Bretton Woods.

Les DTS sont alloués au prorata des quotes-parts des pays membres du FMI. Chaque État membre reçoit un actif de réserve productif d’intérêts et un passif à long terme correspondant sur lequel il paie le même taux. La valeur du DTS est basée sur un panier de monnaies dont les pondérations sont ajustées périodiquement par le conseil d’administration du FMI. Son taux d’intérêt équivaut à la moyenne pondérée des taux d’intérêt publics à court terme des monnaies qui le composent. Une allocation de DTS ajoute à la liquidité inconditionnelle d’un pays membre. Contrairement à la liquidité inconditionnelle dérivée de l’emprunt ou des excédents des transactions courantes, cette liquidité a un coût nul jusqu’à ce que les DTS soient transférés à un autre détenteur.

La première allocation annuelle de DTS, sur une période de trois ans à partir de 1969, a été insuffisante et trop tardive pour sauver le régime de change de Bretton Woods. Elle constitue cependant un exemple précurseur et historique de coopération monétaire internationale. Le deuxième amendement des Statuts, en 1978, a non seulement préservé l’autorité du FMI en matière d’allocation de DTS, mais a également établi une double obligation pour les États membres de collaborer à « une meilleure surveillance internationale des liquidités internationales » et à « faire du droit de tirage spécial le principal instrument de réserve du système monétaire international ». Ces deux volets sont restés davantage de l’ordre de l’idéal que de l’opérationnel.

Une deuxième allocation de DTS a été autorisée pour une période de trois ans (1979–81) après l’amendement des Statuts du FMI et le début du régime de change flottant. Pendant 30 ans, les DTS sont restés dans les placards du FMI, jusqu’en 2009, année d’une nouvelle allocation de DTS de 250 milliards de dollars pendant la crise financière mondiale. La dernière allocation remonte à 2021, lorsque le FMI a émis des DTS d’une valeur de 650 milliards de dollars pour aider ses pays membres à surmonter les répercussions économiques et financières de la pandémie de COVID.

Le DTS a démontré sa valeur en tant qu’instrument de gestion des crises. Le FMI devrait maintenant s’appuyer sur ces résultats et renforcer le rôle du DTS dans le système monétaire international.

Premièrement, le FMI devrait reprendre les allocations annuelles pour maintenir et augmenter progressivement la part des DTS dans les réserves de DTS et de monnaies des pays membres, part qui est actuellement d’environ 7 %. Sur la base des tendances récentes, une allocation annuelle de DTS équivalente à 100 à 200 milliards de dollars devrait permettre d’atteindre cet objectif. Des allocations annuelles et régulières de DTS garantiraient une croissance soutenue des liquidités mondiales, comme envisagé lors de la création de l’instrument et dans les amendements des Statuts, sans conséquences radicales pour le système monétaire international. Les DTS offrent un moyen efficace, peu coûteux et sans distorsion d’augmenter les réserves de change des pays et présentent l’avantage supplémentaire de figurer en permanence dans le stock mondial de réserves internationales.

 

Deuxièmement, le taux d’intérêt sur les DTS devrait être relevé par une combinaison de taux d’intérêt à long terme et de taux d’intérêt à court terme sur les obligations d’État libellées dans les monnaies du panier de détermination du taux d’intérêt du DTS. Cette réforme réduirait quelque peu la subvention sur ce qui constitue en réalité des prêts perpétuels aux pays qui mobilisent leurs DTS. Elle permettrait aussi de compenser les pays qui facilitent la mobilisation par une réduction de leurs réserves de devises et une augmentation de leurs avoirs en DTS.

Troisièmement, le FMI devrait inciter les pays membres qui détiennent des excédents de DTS à en faire usage dans la riposte aux problèmes mondiaux, tels que le changement climatique et les pandémies, par exemple en les prêtant à la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance ou à la facilité pour la résilience et la durabilité du FMI, aux banques multilatérales de développement ou à d’autres détenteurs prescrits de DTS, en achetant des obligations libellées en DTS émises par ces entités ou en recourant à des mécanismes similaires. Les pays membres ne devraient pas imposer de restrictions à leurs politiques d’utilisation des DTS en exigeant que les créances libellées en DTS demeurent liquides. Les réserves excédentaires ne doivent pas nécessairement être liquides si elles dépassent effectivement les besoins. De plus, ces DTS sont maintenus dans le système et contribuent de manière permanente aux liquidités mondiales.

Grâce à des allocations annuelles régulières de DTS, les pays membres du FMI seraient en mesure d’avancer dans la réalisation d’objectifs économiques à l’échelle nationale et mondiale, tels que l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets. En outre, les DTS, parce qu’ils réduisent le niveau de risque et le coût des crises financières, abaissent le coût des emprunts sur le marché, redonnent confiance aux dirigeants et permettent d’alléger les contraintes extérieures qui pèsent sur les politiques de croissance économique.

Les DTS ne sont pas la solution miracle qui permettra à elle seule de résoudre les problèmes économiques et financiers urgents qui se posent aujourd’hui au niveau mondial, mais ils font partie des nombreux instruments qui peuvent y contribuer. La réforme de la gouvernance du FMI n’est pas le seul enjeu structurel. Une réforme constante et l’évolution sur le plan institutionnel sont indispensables pour permettre au FMI de continuer à jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la coopération monétaire internationale.

Dans 20 ans, lorsque le FMI fêtera son 100e anniversaire, espérons que les observateurs félicitent les dirigeants du milieu des années 2020 pour la vision et l’imagination dont ils firent preuve afin de maintenir l’institution dans le rôle qui lui avait été assigné à Bretton Woods.

 

Edwin M. Truman est chercheur au centre Mossavar-Rahmani pour les entreprises et le gouvernement de la Harvard Kennedy School et ancien haut fonctionnaire du Trésor américain et de la Réserve fédérale.




Réformer ou courir le risque de devenir inutile

Quatre-vingts ans après Bretton Woods, le FMI doit professionnaliser et dépolitiser sa prise de décision

Si le FMI n’existait pas, il faudrait l’inventer. Après avoir subi coup sur coup deux désastres qui ne se produisent qu’une fois par siècle (une pandémie et une crise financière mondiale), certains pays ont dû recourir à des emprunts massifs pour assurer la survie de leur population et de leurs institutions. Le réchauffement de la planète et l’apparition de nouveaux agents pathogènes laissent présager d’autres bouleversements. En parallèle, la multiplication des obstacles au commerce et à l’investissement entrave les dispositifs habituels destinés à lutter contre les inégalités des chances entre les pays industriels vieillissants et les pays en développement où la population est jeune. Ce fossé grandissant pousse des millions de migrants à braver les jungles inhospitalières et les océans pour tenter de s’établir dans les pays développés, un phénomène qui suscite une opposition de plus en plus forte à l’intégration mondiale.

Face à ces défis, le FMI se doit d’être une institution qui aide les pays à adopter des politiques propices à des échanges internationaux équitables des biens, des services et des capitaux, et qui accompagne l’Organisation mondiale du commerce dans sa mission en mettant en exergue les méfaits d’une approche opposée. Le FMI devrait aussi être un interlocuteur indépendant en matière de politiques nationales, en particulier celles qui menacent la stabilité macroéconomique d’un pays, et servir de prêteur en dernier ressort auprès des pays qui ne jouissent plus de la confiance des marchés. Malheureusement, même si le FMI existe bel et bien, sa structure anachronique ne lui permet pas de remplir toutes ces fonctions.

Légitimité

Le FMI a besoin de légitimité pour être en mesure de répondre aux besoins de ses pays membres. Au moment de la création de l’institution, les États-Unis étaient la seule grande puissance économique, ce qui leur permettait de rester largement au-dessus de la mêlée et de jouer un rôle fiable, et en grande partie impartial, dans l’application des règles commerciales. Les autres pays ne contestaient ni leur pouvoir de veto sur les grandes décisions ni le contrôle qu’ils exerçaient, avec leurs alliés, le Canada et les pays d’Europe occidentale, sur les nominations aux postes de direction et sur les décisions opérationnelles. Personne n’avait véritablement remis en question cette alliance de l’Ouest jusqu’à une période récente. À l’apogée de la guerre froide, l’Union soviétique (et ses pays satellites), bien que grande puissance militaire, ne pesait pas lourd sur le plan économique et se tenait largement à l’écart du système commercial mondial. Le Japon, à son apogée économique à la fin des années 80, était trop dépendant des États-Unis pour contester leur hégémonie. Le Japon est d’ailleurs aujourd’hui un membre à part entière de l’alliance occidentale. Cette domination de l’Occident n’a été remise en cause que récemment par la montée en puissance de la Chine, qui se hisse au rang de superpuissance économique et militaire.

Les griefs relatifs à la sous-représentation des pays n’appartenant pas à l’alliance occidentale se multiplient depuis un certain temps déjà. Les quotes-parts au FMI des pays membres correspondent à leurs droits de vote et au montant de leur contribution financière à l’institution. En outre, le montant maximal qu’un pays peut emprunter au FMI dans diverses circonstances est proportionnel à sa quote-part. La quote-part du Japon (6,47 %) dépasse celle de la Chine (6,40 %), bien que le poids de l’économie chinoise soit désormais plus de quatre fois plus important. La quote-part de l’Inde est inférieure à celles du Royaume-Uni et de la France, bien que l’Inde ait aujourd’hui doublé ces deux pays sur le plan économique. La logique d’une telle sous-représentation est difficile à comprendre, si ce n’est par le souci de l’alliance occidentale de s’accrocher au pouvoir.

Arguments en faveur d’une redistribution

Le FMI doit être considéré comme une institution légitime et de bonne gouvernance, non seulement pour faciliter la négociation des règles et les faire appliquer de manière impartiale, mais aussi pour être en mesure de décider de la bonne allocation de ses ressources. L’alliance occidentale n’est plus adaptée à ses objectifs, et ce pour plusieurs raisons.

Malheureusement, en raison de la crainte des États-Unis de se voir supplantés sur le plan économique et, à terme, militaire, et de la réduction de leur marge de manœuvre budgétaire, l’isolationnisme a pris le dessus au niveau de la politique intérieure. Les États-Unis ont progressivement délaissé leur rôle d’arbitre, motivé le plus souvent par le principe que l’ouverture profite à tous, pour devenir un acteur soucieux d’une ouverture à sa mesure. Le pays veut néanmoins conserver son rôle d’arbitre au sein d’organisations telles que le FMI. Sur le plan politique, il est également très difficile pour un gouvernement américain ou européen de renoncer aux pouvoirs dont il dispose, même si le maintien de ces pouvoirs affaiblit le FMI.

Face aux restrictions budgétaires observées à l’échelle mondiale, le FMI se trouve de plus en plus souvent dans l’obligation de prêter à des pays en difficulté, sans aide supplémentaire de la part de l’alliance occidentale. Les pertes potentielles liées aux prêts du FMI ne figurent pas dans les comptes publics à court terme, et l’alliance occidentale ne supporte qu’une fraction des pertes éventuelles (proportionnellement à sa quote-part) ; il est donc tentant pour elle d’utiliser les ressources du FMI pour aider des pays amis ou voisins en difficulté, même si le prêt n’est pas économiquement viable. Bien que les crédits du FMI aient toujours eu une dimension politique, l’institution a pu plus facilement mettre en place un programme de sauvetage efficace et recouvrer ses prêts grâce à l’aide extérieure de l’alliance occidentale. Les États-Unis ont, par exemple, apporté une part importante dans le plan de sauvetage du Mexique lancé en 1994. Le FMI sera sans doute amené à faire plus souvent cavalier seul, car l’alliance occidentale exerce un contrôle alors que sa part en contribution est bien moindre.

Les États-Unis ont progressivement délaissé leur rôle d’arbitre pour devenir un acteur soucieux d’une ouverture à sa mesure.

Enfin, l’alliance elle-même s’effrite. Le gouvernement de Donald Trump affichait de profondes divergences sur le plan commercial avec le Canada et l’Europe occidentale. Il n’est pas exclu que les changements de couleur politique dans les différents gouvernements affaiblissent le consensus au sein de l’alliance en matière d’orientation économique. Si l’alliance maintient son contrôle sur le FMI, le processus décisionnel risque d’être imprévisible.

Quotes-parts et contrôle

Si l’alliance occidentale n’est pas en mesure de garantir la bonne gouvernance, un redéploiement des quotes-parts du FMI en fonction du poids économique de chaque pays devient encore plus pertinent. Mais celui-ci peut aussi entraîner des conséquences imprévues. Sur fond de fragmentation géopolitique du monde, une hypothétique alliance centrée sur la Chine pourrait-elle, par exemple, bloquer des prêts en faveur de pays étroitement liés à l’alliance occidentale ou vice-versa ? Un mode dysfonctionnel de gouvernance ne vaut-il pas mieux que la paralysie totale ?

Peut-être, et c’est pourquoi une réforme des quotes-parts devrait être assortie d’une modification de la gouvernance du FMI : le conseil d’administration ne devrait plus voter pour chaque décision opérationnelle, notamment pour chaque programme de prêt. Ce serait plutôt à des dirigeants professionnels et indépendants de prendre ces décisions opérationnelles, dans l’intérêt de l’économie mondiale. Les administrateurs devraient définir des objectifs généraux et vérifier périodiquement s’ils sont atteints, éventuellement avec l’aide du bureau indépendant d’évaluation. En d’autres termes, les administrateurs devraient se consacrer à la gouvernance, à l’instar des membres de conseils d’administration d’entreprises, définir les mandats opérationnels, nommer et modifier les dirigeants, et contrôler la performance globale. Les décisions courantes seraient du ressort de la direction.

En résumé, pour éviter la paralysie, il faudrait professionnaliser et dépolitiser la prise de décision. Lors de la création du FMI, John Maynard Keynes, qui redoutait une influence démesurée des États-Unis, souhaitait que le conseil d’administration soit non-résident. Au lendemain de la guerre, lorsque les communications longue distance coûtaient cher et que les voyages, essentiellement en bateau à vapeur, prenaient du temps, cela signifiait avoir un conseil d’administration non exécutif et une direction dotée de pouvoirs étendus. La proposition de Keynes avait été écartée par Harry Dexter White, le négociateur américain à Bretton Woods. Il est temps de reconsidérer l’idée de Keynes, mais étant donné le progrès des communications et des transports, il faudrait exiger de façon explicite que le conseil d’administration non résident ne prenne absolument pas de décision opérationnelle.

Le conseil d’administration sélectionnerait les hauts responsables du FMI en se fondant sur les candidatures réunissant le plus large consensus, plutôt que de conférer à certains pays ou à certaines régions le droit de nomination. La dimension politique de cette procédure est inévitable, mais si le conseil d’administration établit un certain nombre de qualifications fondamentales, le jeu politique permettra de dégager un consensus autour des candidats et de s’assurer de leur efficacité.

Le nouveau et l’ancien

Une réforme radicale du FMI se heurtera à des obstacles politiques considérables, notamment la réticence des pays membres dominants à céder le pouvoir s’ils considèrent que cela risque d’être interprété sur le plan national comme un signe de faiblesse politique. Il est bien plus facile pour les pays membres de procéder par étapes, comme la récente révision des quotes-parts, et de se convaincre qu’il s’agit là d’une avancée. Les décisions difficiles peuvent être renvoyées au prochain gouvernement et inévitablement reportées. Dans cette perspective, l’organisation continuera d’exister, mais elle sera moins légitime et moins pertinente par rapport aux besoins du monde. Le FMI restera utile aux pays en développement, mais il aura beaucoup moins d’influence lorsqu’il s’agira de contribuer à l’adaptation de l’économie mondiale.

Si les quotes-parts étaient redéployées pour refléter le poids économique, sans autre changement dans la gouvernance, la Chine pourrait se retrouver avec la plus grande quote-part. Dans ce cas, conformément aux Statuts du FMI, le siège de l’institution devrait être transféré à Beijing. La politisation redoutée par Keynes se poursuivrait, mais probablement avec un nouvel ensemble d’acteurs et de règles politiques, et un nouveau groupe de pays insatisfaits et désengagés.

En revanche, si les pays membres procédaient à une réforme simultanée des quotes-parts et de la gouvernance, un FMI indépendant pourrait rapprocher les parties d’un monde fragmenté sur des sujets essentiels. Ces réformes en profondeur devraient intervenir rapidement pour être acceptées par les autres pays, faute de quoi ces derniers pourraient croire qu’il s’agit d’une tentative de l’alliance occidentale de conserver de l’influence au moment même où le pouvoir change enfin de mains.

Un FMI réformé pourrait contribuer à définir de nouvelles règles concernant les échanges internationaux, par exemple en établissant une liste préliminaire de points à négocier et en tenant compte de l’évolution de l’économie mondiale. Face à la complexité des enjeux, il pourrait réunir un petit groupe de pays pour mener les premières négociations dans le cadre de ses consultations multilatérales. Si le FMI obtenait un niveau de confiance suffisant, il pourrait définir ces nouvelles règles et veiller à leur application. Il pourrait aussi affiner ses analyses et offrir de meilleurs conseils aux pays en matière de viabilité macroéconomique et extérieure, et accorder plus efficacement des prêts à des fins de redressement.

Quatre-vingts ans après Bretton Woods, le monde doit décider s’il faut procéder à une réforme du FMI pour améliorer la collaboration avec les pays membres et surmonter les difficultés qu’ils rencontrent, ou s’il ne faut rien faire et laisser le FMI s’étioler.

Raghuram Rajan est professeur à la Booth School de l’Université de Chicago. Il a été gouverneur de la Banque de réserve de l’Inde et conseiller économique au FMI.




L’Amérique latine et le FMI

Un système multilatéral solide est indispensable pour renforcer la prospérité économique de la région

Lors de la Conférence de Bretton Woods, 19 des 44 délégations venaient d’Amérique latine et des Caraïbes. Aux débuts du FMI, en 1947, une immense majorité de pays latino-américains, qui représentaient plus de 40 % des premiers États membres du FMI, avaient signé ses Statuts. Cela souligne l’attachement de l’Amérique latine à un système postérieur à la Seconde Guerre mondiale tourné vers la croissance et la stabilité ainsi que le rôle essentiel joué par la région pour qu’il se concrétise.

Quatre-vingts ans plus tard, les progrès accomplis dans certains pans de l’économie mondiale ont été nettement plus grands que ce qu’auraient pu rêver les États membres fondateurs du FMI. Dans d’autres, les résultats ont en revanche été décevants. Cela vaut aussi pour l’Amérique latine. D’une part, les pays latino-américains apprécient globalement les avantages liés au système international fondé sur des règles. Des sociétés civiles dynamiques et un esprit d’entreprise innovant se développent à de nombreux endroits de la région. L’inflation et le gaspillage des finances publiques, qui ont été le fléau de la région pendant des décennies, ont été significativement contenus dans tous les cas sauf quelques exceptions.

D’autre part, de fortes inégalités de revenu et des chances subsistent. Cela crée d’énormes problèmes de sécurité, de criminalité et de société. Les tensions liées à la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique ont débordé sur la politique intérieure, ce qui a laissé des séquelles encore douloureuses. Cela a empêché tout consensus national autour des moyens pour parvenir à une croissance inclusive. Il faut vaincre l’inflation de manière totale et permanente dans toute la région.

Depuis les années 80, les programmes appuyés par le FMI, qui bénéficient d’une forte prise en charge par les pays, se sont révélés efficaces dans bon nombre d’entre eux, du Chili et du Mexique au Brésil et à la Jamaïque. Cela démontre que les programmes qui portent leurs fruits sont indispensables pour empêcher l’utilisation répétée des ressources du FMI et les réactions défavorables qui vont de pair. Les enseignements tirés des réussites et échecs passés devraient nourrir les programmes actuels et futurs afin d’éviter les relations parfois orageuses entre le FMI et certains pays de la région.

L’importance du multilatéralisme

L’avenir de l’Amérique latine continuera à dépendre du multilatéralisme et de l’accomplissement des missions principales du FMI, telles que définies à l’article I. Le FMI doit persévérer pour atteindre ces objectifs, sans les perdre de vue. Il s’agit de la seule solution pour que l’Amérique latine affiche une croissance soutenue et parvienne à la stabilité économique. Le profil de l’économie mondiale a bien sûr beaucoup changé par rapport à 1944. Cela fait naître des risques et des possibilités de nature assez différente pour les 80 prochaines années. Le FMI doit continuer à s’adapter pour répondre aux besoins de l’Amérique latine.

Au début de ce siècle, l’essor des économies asiatiques, combiné avec un système monétaire international axé sur le dollar, a profité aux pays latino-américains qui avaient mis en place des systèmes monétaires et budgétaires crédibles ainsi que des règles claires pour une saine gestion macroéconomique intérieure. Ils ont ainsi pu parvenir à la croissance et à la stabilité en s’ouvrant davantage aux échanges commerciaux et aux flux financiers. La croissance décevante enregistrée ces 10 dernières années n’a pas mis un frein aux progrès en matière de stabilité des prix et des finances. Les banques centrales de plusieurs pays latino-américains sont bien engagées sur la voie d’un assouplissement de la politique monétaire après avoir surmonté des chocs internationaux de grande ampleur.

Cependant, les futurs risques mondiaux sont très préoccupants. La fragmentation géoéconomique menace de réduire à néant les progrès durement acquis en lien avec un monde intégré. Alors que les grands pays et zones économiques (qui possèdent de vastes marchés intérieurs et des structures de production diversifiées) font preuve d’une certaine résilience face à un possible éclatement mondial, les pays latino-américains sont nettement plus exposés, compte tenu de leur taille relativement petite et de leur forte spécialisation dans les ressources naturelles. Leur avantage comparatif réside toujours dans l’abondance de ressources naturelles, et, si l’intégration régionale pourrait en théorie permettre une certaine diversification, les déficits d’infrastructures à l’échelle intérieure et régionale restent des obstacles majeurs.

Une nouvelle guerre froide

Une profonde rupture géopolitique de nature à perturber les échanges commerciaux et les flux financiers entre les principales zones économiques du monde serait catastrophique pour l’immense majorité des pays latino-américains. Même si le pire ne s’est pas produit, les tensions politiques internationales découlant d’une seconde guerre froide pourraient à nouveau se propager et désorganiser la politique intérieure et le corps social en Amérique latine.

Tenir un discours de vérité face à l’autorité, notamment en ce qui concerne les risques que fait peser une démondialisation source de perturbations, doit rester un principe directeur pour le FMI.

Cela ne sera toutefois pas forcément le cas. Contrairement à 1947, au début de la guerre froide, le degré d’intégration économique est tel aujourd’hui que les inconvénients d’un retour à l’autarcie sont bien connus de l’ensemble des principaux partenaires internationaux et de leur corps social. La raison d’être de l’architecture financière internationale est précisément d’empêcher les bouleversements qui ont fait de l’autarcie et de la guerre d’agression des objectifs politiques réalistes dans les années 20 et 30. Tant que la gouvernance du FMI continuera à s’adapter au nouveau contexte mondial, le FMI restera le principal espace de coopération économique internationale.

Tenir un discours de vérité face à l’autorité, notamment en ce qui concerne les risques que fait peser une démondialisation source de perturbations sur les pays de taille petite ou moyenne, doit rester un principe directeur pour le FMI dans l’optique d’atténuer les risques et les répercussions de la fragmentation sur l’Amérique latine.

L’autre grand risque international tient aux conséquences dramatiques du changement climatique. Les bouleversements causés par le réchauffement de la planète ont un impact négatif net direct et visible à l’échelle mondiale. Cependant, en Amérique latine, la réalité est plus complexe et diverse. Dans les pays qui sont fortement tributaires de l’exploitation de combustibles fossiles pour assurer leurs recettes budgétaires, la transition vers des énergies propres sera extrêmement douloureuse. Elle sera beaucoup plus facile dans les pays qui possèdent des ressources naturelles comme le lithium et le cuivre, et des avantages comparatifs dans les énergies renouvelables nécessaires à la transition. Ces pays peuvent s’attendre à des circonstances favorables dans les années à venir. Mais le scénario n’est pas clairement établi. Des institutions solides sont indispensables afin de ne pas gâcher les occasions et de gérer comme il se doit le financement de l’action climatique, mais aussi pour faire face à d’autres problèmes épineux, comme la pénurie d’eau, les migrations climatiques et la sécurité énergétique. Le FMI sera sollicité pour appuyer les initiatives nationales menées dans la région au moyen d’une assistance technique et de financements avec d’autres institutions partenaires.

Pour éviter une fragmentation économique et faire face aux risques liés au changement climatique, des institutions multilatérales opérationnelles comme le FMI sont indispensables. La réussite de cet ordre mondial depuis 1945 est patente. Elle montre que, en matière de coopération internationale, le tout est bel et bien supérieur à la somme des parties. Mais chacun doit jouer un rôle constructif.

D’une part, les États-Unis, principaux artisans de l’après-Seconde Guerre mondiale, ont une énorme responsabilité s’agissant du bon fonctionnement de l’architecture financière internationale et de la prospérité pacifique dans l’Hémisphère occidental. Si les États-Unis se détournaient de l’internationalisme, cela ferait disparaître un rouage essentiel du processus de mondialisation. Ne pas apprécier l’Amérique latine à sa juste valeur pourrait rendre encore plus visibles les maux du passé, ce qui alimenterait un sentiment anti-états-unien dans la région.

D’autre part, après avoir accompli des progrès économiques considérables, la Chine est devenue un acteur économique de premier plan dans le commerce international et les affaires mondiales, y compris en Amérique latine. Une démarche positive de la part des États-Unis comme de la Chine pour tendre vers un multilatéralisme pacifique au cours des prochaines décennies est un ingrédient nécessaire alors que le FMI continue à défendre l’avenir de l’Amérique latine.

Pablo Garcia-Silva est professeur à l’école de commerce de l’Université Adolfo Ibañez. Il préside actuellement un comité qui procède à une évaluation externe du Bureau indépendant d’évaluation du FMI. Il a été vice-gouverneur de la Banque centrale du Chili et membre du conseil d’administration du FMI.




Un consensus émerge sur le besoin d’une réforme du FMI

Le FMI doit se montrer à l’écoute des besoins de ses États membres et s’adapter à de nouveaux défis

Depuis plus de 80 ans, le FMI fait figure de pilier de la stabilité macroéconomique et financière à l’échelle mondiale. Créé lors de la Conférence de Bretton Woods à laquelle ont participé 44 délégations, le FMI compte aujourd’hui 190 États membres, les 54 pays membres d’Afrique formant le principal groupe régional. Ce développement témoigne d’une évolution majeure par rapport au système initial qui visait à défendre l’étalon-or et des taux de change fixes. L’effondrement de ce système, il y a 50 ans, a modifié le rôle joué par le FMI, qui a cessé de garantir des taux de change fixes pour promouvoir des taux de change flexibles.

Pour réagir à ces mutations, le FMI est devenu une institution de financement du développement. Son portefeuille actuel s’établit à 112 milliards de dollars répartis entre 90 pays, ce qui correspond à un peu plus de 1,2 milliard de dollars par emprunteur. En excluant l’Argentine (32 milliards de dollars), ce chiffre tombe à 900 millions de dollars par emprunteur, et même à un peu moins de 700 millions de dollars si l’on exclut les trois premiers emprunteurs (Argentine, Égypte et Ukraine), qui représentent 46 % du portefeuille.

Si une conférence analogue à celle de Bretton Woods se tenait aujourd’hui, elle porterait probablement sur les enjeux interdépendants que sont le développement et le changement climatique. Les récentes conférences mondiales, dont le Sommet des Nations Unies sur les objectifs de développement durable et la Conférence des parties sur le climat (COP28), ont mis en évidence notre incapacité à relever ces défis, essentiellement en raison de financements insuffisants et de dysfonctionnements du système financier.

Un moteur indispensable

Les pays du Sud seront le moteur indispensable de la future croissance de l’économie mondiale. La part de l’Afrique subsaharienne dans la population active mondiale devrait doubler, pour passer de quelque 13 % aujourd’hui à 25 % d’ici à 2050. L’exploitation de ce potentiel repose sur une réforme du système financier multilatéral dans l’optique de mieux répondre aux réalités du moment, par exemple la vulnérabilité face au changement climatique et la fragilité économique amplifiées par les chocs mondiaux.

Les pays d’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique commencent seulement à se remettre de quatre saisons de sécheresse, soit la pire situation en un demi-siècle, qui s’est traduite par la perte de 9,5 millions de têtes de bétail selon des estimations, dont 2,4 millions au seul Kenya. Actuellement, nous subissons des inondations catastrophiques, les pires depuis le phénomène El Niño de 1997. Le déluge a déjà causé la mort de plus de 250 personnes au Kenya, en Tanzanie et au Burundi, déplacé des milliers d’autres et provoqué des dégâts considérables sur les biens, les cultures et les infrastructures.

Lors de mes entretiens récents avec des responsables internationaux, un consensus est apparu sur quatre volets essentiels d’une réforme du FMI : les instruments de prêt, l’émission de droits de tirage spéciaux (DTS), la lutte contre le surendettement et la gouvernance.

Instruments de prêt : Un consensus général s’est formé sur la nécessité de décorréler les prêts des systèmes de quotes-parts. L’actuelle « politique en matière d’accès exceptionnel » est non seulement restrictive, mais elle applique aussi des commissions additionnelles dissuasives qui témoignent d’un système archaïque. Les difficultés économiques actuelles, par exemple les catastrophes provoquées par le changement climatique et les pandémies, exigent de recalibrer les instruments financiers pour remédier à ces crises avec plus de souplesse. Je préconise de dissocier les instruments de prêt afin que chacun soit régi par ses propres critères d’octroi et adapté aux interventions des pouvoirs publics qui répondent à des besoins précis, contrairement à la situation actuelle dans laquelle tous les instruments sont liés au programme macroéconomique officiel du FMI.

Prenons l’exemple de la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD). La FRD est une innovation bienvenue qui considère la vulnérabilité face au changement climatique comme une cause de la fragilité économique. Cependant, pour y accéder, un pays doit déjà bénéficier d’un programme du FMI. Cela est problématique pour les pays exposés aux effets du changement climatique qui ont une bonne gestion économique et peuvent souhaiter accéder à la facilité pour renforcer leur résilience.

Droits de tirage spéciaux : L’émission de DTS demeure un instrument de gestion des crises indispensable. Cependant, les allocations récentes mettent en évidence la nécessité de réformer : les pays à faible revenu, qui ont particulièrement besoin d’un dispositif de sécurité financière, ont reçu seulement 2,4 % de l’allocation de 2021. L’ensemble du continent africain n’en a perçu que 5,2 %. En revanche, les pays développés, qui n’ont pas besoin d’une aide financière, en ont reçu 64 %. Les pays plus riches se sont engagés à réaffecter 100 milliards de dollars de DTS pour venir en aide aux pays vulnérables. Si ces promesses ont augmenté la capacité du FMI et apporté un capital de départ pour la FRD, la lente mobilisation de ces fonds souligne l’inefficience des pratiques actuelles.

Les droits de vote actuels dans les institutions financières internationales ne sont pas le reflet des réalités économiques et démographiques actuelles.

Surendettement : Les pays en développement sont confrontés à une crise de la dette qui rappelle la situation ayant abouti à la naissance de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés de la Banque mondiale et du FMI au milieu des années 90. Le dernier rapport sur la dette internationale de la Banque mondiale confirme ce diagnostic : il indique que le nombre de faillites souveraines dans 10 pays ces trois dernières années dépasse le total des 20 années précédentes. En outre, le nombre de pays émergents qui affichent des écarts de rendement des obligations révélateurs d’une situation critique (1 000 points de base ou plus au-dessus des obligations du Trésor américain comparables) a été multiplié par 10, passant de 2 à 20 depuis 2020. Comme la hausse des taux d’intérêt aggrave les problèmes de service de la dette, il faut sans tarder mettre sur pied de vastes programmes de refinancement de la dette, similaires au plan Brady de riposte à la crise de la dette en Amérique latine des années 80, afin d’apporter un soutien et de favoriser un développement durable.

Réformes de la gouvernance : La gouvernance de l’économie mondiale a pris du retard par rapport à l’essor économique des pays du Sud et à d’autres évolutions géopolitiques. Les droits de vote actuels dans les institutions financières internationales ne sont pas le reflet des réalités économiques et démographiques actuelles, notamment de la forte contribution des pays du Sud, qui représentent déjà la moitié du PIB mondial et 80 % de la population mondiale. Les principes de gouvernance d’entreprise donnent à penser qu’une représentation plus équitable et une indépendance dans les processus décisionnels s’imposent.

La raison d’être du FMI à l’avenir dépendra de sa capacité à s’adapter à ces nouveaux défis et à se montrer à l’écoute des besoins de ses États membres. L’avenir passe par une réforme de grande ampleur, mais, grâce à un esprit de coopération et de concertation, nous pouvons garantir que le FMI restera une pièce maîtresse de la stabilité mondiale pour les futures générations.

William Ruto est le président du Kenya.




Le FMI doit montrer l’exemple en matière de viabilité de la dette

La réforme de ses accords de prêt pour les pays à revenu intermédiaire n’a que trop tardé

Lorsqu’ils se penchent sur les problèmes économiques et de développement que rencontrent les pays en développement dans le contexte de la crise climatique, la plupart des observateurs ont tendance à considérer la dette comme un facteur de complication, au mieux, et comme l’origine de bon nombre de nos maux, dans le pire des cas. Il y a de bonnes raisons à cela. L’accroissement de la dette publique dans l’ensemble des pays en développement, et l’alourdissement de la facture des intérêts qui va de pair, détournent des fonds publics de programmes de santé et d’éducation déjà sous-financés. Ils risquent de plonger davantage de pays dans de véritables difficultés et de précipiter à nouveau dans la pauvreté un plus grand nombre de personnes.

Pour autant, force est de constater que la dette demeurera une composante essentielle des financements nécessaires aux pays en développement pour atteindre leurs objectifs de développement durable, en particulier la résilience face au changement climatique, et pour réaliser leur potentiel de développement économique d’une manière plus générale. L’enjeu est donc de « mieux » prêter et emprunter. Qu’est-ce que cela implique ?

Une chose est sûre, cela suppose de veiller à ce que les emprunts publics s’inscrivent dans une discipline budgétaire durable. Toutefois, cela implique aussi d’éviter tout endettement qui risque fort d’être non viable. Si la viabilité globale de la dette est définie par de multiples facteurs, le passé nous a montré que le taux de croissance économique est le moteur le plus important de la dynamique de la dette. Il existe une règle simple pour déterminer à quel moment les modalités de nouveaux emprunts risquent d’être non viables dans le temps, du moins pour ce qui est du coût : en résumé, les taux d’intérêt qui sont susceptibles de dépasser le taux de la future croissance nominale ne sauraient être jugés viables. Plus de tels taux apparaissent dans un portefeuille de dette publique, plus grande sera la probabilité d’un surendettement souverain à l’avenir.

Un dispositif imparfait

Même si les taux d’intérêt très élevés payés par certains pays en développement sur leurs émissions d’euro-obligations ont suscité une grande attention depuis le début de 2024, le problème des coûts d’emprunt trop élevés est aussi visible dans les prêts accordés par le secteur officiel. En réalité, la récente hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale a mis en évidence l’imperfection du dispositif de prêts du FMI pour les pays à revenu intermédiaire, qui ne favorise plus la viabilité de la dette. Celui-ci a grand besoin d’être réformé.

Commençons par la question centrale du coût. Au début du millénaire, des commissions additionnelles ont été appliquées sur l’ensemble des prêts du FMI aux pays à revenu intermédiaire via le compte des ressources générales (CRG), qui englobe les accords de confirmation, les mécanismes élargis de crédit (MEDC) et les instruments de financement rapide (IFR). La structure des commissions additionnelles comprend une commission additionnelle proportionnelle à l’encours des crédits de 2 % sur les emprunts au titre du CRG qui dépassent 187,5 % de la quote-part et une autre commission additionnelle, proportionnelle à la durée des crédits, de 1 % sur la part des crédits du CRG dépassant ce seuil qui est à rembourser pendant plus de 36 mois (ou 51 mois dans le cas des MEDC).

Le FMI a mis en place ces commissions additionnelles au moment où il tentait d’éteindre l’incendie des premières crises de la dette dans les pays émergents, y compris en dilapidant ses propres fonds. L’objectif fondamental des nouvelles commissions additionnelles était d’empêcher des emprunts massifs et durables d’épuiser les ressources du FMI, notamment parmi les emprunteurs souverains des pays émergents mieux notés. Les commissions additionnelles se sont révélées efficaces, et ces pays ont rapidement réintégré la catégorie des emprunteurs qui représentent un bon placement après la crise. Des années plus tard, la méthode a de nouveau porté ses fruits : des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui avaient été contraints d’emprunter au FMI pendant la crise financière mondiale ont pu rembourser de manière anticipée leurs dettes envers lui une fois passé le pire des problèmes d’instabilité, grâce à des marchés de capitaux intérieurs actifs.

Cependant, le monde a profondément changé au cours des 25 dernières années. Pour commencer, les encaisses de précaution du FMI sont passées de 6,2 milliards de dollars en avril 1999 à environ 33 milliards de dollars en avril 2024. Ensuite, le FMI est parvenu à opérer un virage indispensable, en étoffant progressivement son rôle de prêteur en dernier ressort pour devenir un partenaire de certains des pays les plus pauvres et les plus fragiles au monde à un moment où leur accès à la liquidité a été fortement réduit.

 

Le volume des prêts du FMI a aussi augmenté. Concrètement, un montant équivalent à 187,5 % de la quote-part n’a plus rien d’exceptionnel : en avril 2024, 21 pays à revenu intermédiaire avaient emprunté au FMI des sommes supérieures à ce niveau. Par rapport à il y a 10 ans, le revenu moyen par habitant des pays ayant un accord en cours au titre du MEDC a été divisé par quatre.

Toutefois, le régime de commissions additionnelles du FMI demeure inchangé et a exposé de plein fouet des emprunteurs souverains fragiles à la hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale, alors même que le FMI est à présent bien capitalisé et n’a pas besoin d’emprunter sur les marchés pour financer ses accords de prêt.

Régime de commissions additionnelles

En juin de cette année, le taux d’intérêt global minimum à payer sur les décaissements du CRG (ce qui recouvre les accords de confirmation, le MEDC et l’IFR) s’était envolé pour atteindre 5,1 % par an, les États payant 7,1 % sur la part de leurs tirages qui dépasse 187,5 % de la quote-part. L’encours des engagements du CRG depuis trois ans ou plus (ou quatre dans le cas du MEDC, soit à peine à mi-parcours de l’échéance finale) affiche aujourd’hui un taux d’intérêt record de 8,1 %. Le FMI ne saurait prétendre que ses programmes de prêts ont à cœur d’assurer la viabilité de la dette sachant que ses propres prêts aux pays à revenu intermédiaire ne peuvent être jugés viables.

Le FMI doit s’attaquer à ce problème. Encourager les emprunteurs souverains à le rembourser n’est pas une mauvaise idée en soi, mais cela est inapproprié dans un monde où la plupart des emprunteurs au titre du CRG n’ont pas un accès fiable à d’autres sources de financement durable. Le régime de commissions additionnelles du FMI doit être réformé sans tarder : il faut soit procéder à une refonte radicale, ce qui passe par des plafonds tenant compte du cycle des taux d’intérêt, soit, de préférence, le supprimer purement et simplement.

La hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale a mis en évidence l’imperfection du dispositif de prêts du FMI pour les pays à revenu intermédiaire, qui ne favorise plus la viabilité de la dette.

Mais le coût n’est pas le seul aspect des prêts du FMI qui doit être réformé sans délai. La durée de remboursement des prêts compte aussi. Prenons l’exemple du MEDC, qui vise à remédier aux déséquilibres de la balance des paiements provoqués par des carences structurelles dans l’économie. Il est communément admis qu’une réforme structurelle est une opération complexe dont la mise en œuvre prend du temps et qui porte ses fruits au bout de plusieurs années. Or le MEDC est un instrument de prêt qui effectue des décaissements pendant une durée de seulement trois ou quatre ans et qui doit être remboursé en sept ans (sur la base de la moyenne pondérée). Un dispositif qui impose de telles contraintes n’est tout simplement pas en mesure de financer une réforme structurelle face à une « polycrise » et aux conséquences de plus en plus catastrophiques de la crise climatique.

Des programmes perpétuels

Il n’est donc guère surprenant que tant de pays à revenu intermédiaire soient bloqués par des programmes perpétuels et empruntent au FMI uniquement dans le but de le rembourser. Cela n’est une bonne chose ni pour les emprunteurs souverains, ni pour le FMI, ni pour les populations que le FMI est censé aider.

Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis la dernière réforme du MEDC, en 1979. Des idées neuves sur le soutien du FMI aux pays à revenu intermédiaire s’imposent depuis longtemps de la part de dirigeants et de partenaires que nous savons dévoués et compétents.

Par conséquent, il est heureux que le FMI, sous sa direction actuelle, ait déjà fait montre d’une capacité à produire des idées neuves et innovantes ces dernières années, souvent en devançant les autres. En témoignent le lancement rapide de l’IFR et de la facilité de crédit rapide peu de temps après le début de la pandémie et, par la suite, l’allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) représentant l’équivalent d’un montant record de 650 milliards de dollars. Plus récemment, la facilité pour la résilience et la durabilité a été mise en place. Financée en transférant une partie des nouveaux DTS, elle sert à financer la résilience et l’adaptation au changement climatique dans les pays qui ont déjà conclu un accord avec le FMI assorti d’un prêt dans la tranche supérieure de crédit. Fait essentiel, cette nouvelle facilité se caractérise par une échéance finale de 20 ans et par l’absence de commissions additionnelles.

Face aux multiples crises du début du XXIe siècle, les pays à revenu intermédiaire ont besoin d’accords de prêt adaptés à leurs objectifs. L’heure est venue pour le FMI de porter son attention sur une réforme fondamentale de ses accords de prêt actuels pour les pays à revenu intermédiaire.

Mia Amor Mottley est la Première ministre de la Barbade.




De nouveaux critères de surveillance

Le suivi par le FMI de la santé économique de ses pays membres se trouve face à un défi inédit et générationnel

De l’intelligence artificielle au changement climatique en passant par les évolutions démographiques et la multiplication des politiques industrielles, le monde devra composer avec de profondes transformations structurelles dans les décennies à venir. La mission de surveillance du FMI, à savoir ses diagnostics indispensables de l’état de santé économique des États membres, peut jouer le rôle d’une carte et d’une boussole. Son analyse de ces évolutions importantes peut servir de base à des cadres d’action plus solides afin d’aider les pays à surmonter les chocs et à saisir de nouvelles possibilités de croissance. Cependant, à l’instar des pays, la surveillance du FMI se doit d’évoluer et de s’adapter.

Le FMI a été confronté à des difficultés dans le passé et a démontré sa capacité à changer. Il a parfois été critiqué, à juste titre, pour ses recommandations ou pour s’être intéressé de près à certains ajustements de la politique économique au détriment des autres. Il en a toutefois tiré des enseignements et encouragé l’apprentissage par les pairs pour garantir la dispense de bons conseils, avec plus de réussite à certains moments qu’à d’autres.

Fondamentalement, le FMI est une institution d’apprentissage.

Un premier tournant majeur dans la surveillance économique du FMI a eu lieu après l’effondrement du système de taux de change fixes de Bretton Woods. Cela a conduit à des modifications des Statuts du FMI en 1978, qui ont élargi sa mission de surveillance des politiques de change pour y inclure les politiques monétaires, budgétaires et financières. Le FMI a pris conscience que ces politiques avaient une incidence sur la stabilité intérieure et extérieure du nouveau système de régimes de taux de change flottants.

Un deuxième moment charnière a coïncidé avec une série de crises du compte de capital dans les années 90 et au début de la première décennie 2000. La dévaluation au Mexique en 1994 a été suivie de crises en Asie de l’Est (1997–98), en Russie (1998), au Brésil (1999), en Türkiye (2001), en Argentine (2002) et en Uruguay (2003). Elles ont poussé le FMI à renforcer sa surveillance des taux de change et du secteur financier, à élaborer des modèles d’alerte avancée et à privilégier l’analyse de la viabilité de la dette et des bilans sectoriels.

Les crises du compte de capital ont démontré que les marchés ne disposaient pas d’informations suffisantes, en matière de données, mais aussi concernant les intentions des autorités, pour décider en connaissance de cause de quand et où investir. Les marchés ont donc eu tendance à surréagir aux éventuelles mauvaises nouvelles, ce qui a provoqué une ruée vers la sortie et une crise monétaire autoréalisatrice. En conséquence, le FMI a insisté sur le fait que, en plus de communiquer des données ponctuelles pour permettre une surveillance efficace par ses services, les pays membres devraient diffuser publiquement certaines données (notamment sur les réserves de change de la banque centrale) et respecter les règles de transparence concernant les politiques monétaires et budgétaires.

Le FMI a aussi cherché à approfondir sa connaissance de la dynamique des crises, en considérant qu’elles se produisent lorsque sont réunis un facteur de vulnérabilité sous-jacent (en général un déséquilibre entre les monnaies, une asymétrie des échéances ou un déséquilibre entre les dettes et les fonds propres) et un élément déclencheur précis, qui peut être intérieur ou extérieur et de nature économique, financière ou politique. En 2001, le FMI a mis au point l’exercice de vulnérabilité afin d’identifier les risques macroéconomiques à court terme propres à un pays. Cet exercice, qui a été mis à jour régulièrement, concerne la majorité des États membres de différentes catégories de revenu.

Durant les années 2000, le FMI a modernisé et élargi ses activités de surveillance face à l’accentuation des déséquilibres macroéconomiques mondiaux, au moment où les excédents courants en Asie (pour l’essentiel) contrebalançaient le déficit courant des États-Unis. Le FMI a perfectionné ses outils d’analyse pour la surveillance des taux de change, notamment en élaborant un modèle pour examiner la valeur des monnaies dans un contexte ouvertement multilatéral.

D’importantes lacunes

Malgré ces progrès considérables, la crise financière mondiale de 2008–09 a mis en évidence d’importantes lacunes dans la surveillance du FMI. Comme ce dernier l’a reconnu en 2009, « la surveillance a fortement sous-estimé le risque global dans tous les secteurs, et l’importance des effets de rétroaction et de contagion dans le secteur financier ». En réaction, le FMI a mis en place des études de contagion dans les cinq pays dits d’importance systémique (la Chine, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et les pays de la zone euro), qui ont ensuite laissé place à une approche plus thématique axée sur les principales retombées. Le FMI a aussi instauré une obligation d’examen en bonne et due forme des risques lors des consultations au titre de l’article IV. Compte tenu de la vitesse à laquelle les évolutions dans le secteur financier pourraient déclencher et propager des crises, l’analyse de la stabilité financière a été intégrée de manière plus systématique dans la surveillance. En 2010, les bilans réguliers effectués dans le cadre du programme d’évaluation du secteur financier sont devenus obligatoires pour les pays dotés d’un secteur financier d’importance systémique. Par conséquent, le périmètre de la surveillance du FMI s’est élargi pour englober les politiques liées à la stabilité intérieure et à celle de la balance des paiements des États membres ainsi qu’à la stabilité mondiale à travers les effets de contagion.

La surveillance économique du FMI en quelques mots

Le FMI réalise des bilans de santé périodiques de l’économie de ses États membres à travers les « consultations au titre de l’article IV » ou la surveillance bilatérale. Dans le cadre de ce processus, qui se déroule aussi aux échelons mondial et régional, le FMI cherche à recenser les risques éventuels et recommande des ajustements souhaitables afin de préserver le bien-être économique, dans l’optique de pérenniser la croissance économique et de favoriser la stabilité financière.

Au cours d’un processus classique de consultations au titre de l’article IV, les services du FMI évaluent les principales évolutions économiques, examinent les ripostes prévues par les autorités nationales (et les possibles retombées) et font rapport au conseil d’administration. Ils mettent donc à profit les indications, l’expérience et les recommandations collectives de la communauté internationale afin qu’un pays membre puisse relever les défis économiques et financiers auxquels il fait face. Par le biais de sa surveillance bilatérale, le FMI s’efforce de compléter les positions des dirigeants nationaux et d’apporter une contribution spécifique avec un point de vue technique extérieur, éclairé par l’expérience internationale.

Le FMI contribue aussi à la stabilité économique et financière à l’échelle mondiale grâce à sa surveillance multilatérale. Il suit les évolutions du système économique et financier international, analyse les retombées transnationales dans les pays d’importance systémique, encourage les échanges d’informations et prodigue des conseils.

Durant la dernière partie de la décennie écoulée, le FMI a encore un peu plus ajusté sa surveillance en réponse aux critiques selon lesquelles il n’adaptait pas suffisamment ses conseils aux divers pays membres. En 2020, le FMI a mis en place le cadre stratégique intégré, qui examine conjointement les politiques monétaires, de change, macroprudentielles et de gestion des flux de capitaux ainsi que leurs liens mutuels et avec d’autres politiques. Ce cadre sert à évaluer les politiques mises en œuvre par les pays et à calibrer les conseils du FMI en conséquence. Ce faisant, le FMI a davantage mis l’accent sur la formulation de recommandations sur mesure et détaillées dans l’analyse bilatérale, sous-tendue par une analyse de la situation de chaque pays. Des rapports phares multilatéraux livrent aussi à présent une analyse et des recommandations différenciées pour les pays de différentes catégories de revenu, complétées par des perspectives économiques régionales qui prodiguent des conseils ciblés sur les principaux enjeux pour chaque région géographique.

Une plus grande résilience

Plus récemment, la surveillance du FMI a dû faire face à une pandémie qui ne sévit qu’une fois par siècle, à la montée des tensions géopolitiques, à de nouvelles guerres, à la fragmentation géoéconomique et à une envolée de l’inflation et des taux d’intérêt ainsi qu’à un ralentissement des perspectives de croissance à moyen terme, surtout pour les pays émergents et pays en développement. Ces chocs ont entraîné des conséquences néfastes excessives sur les vies et les moyens de subsistance, les pays et les populations les plus vulnérables ayant été les plus durement touchés.

Pour la plupart, les pays émergents ont bien mieux résisté à ces turbulences récentes qu’à la crise financière mondiale. Des politiques macroéconomiques et financières avisées et des institutions solides, conformément aux recommandations du FMI, contribuent fortement à cette résilience.

Pour la suite, les priorités immédiates de la surveillance du FMI sont d’aider tous les pays membres à parvenir à une désinflation durable, à procéder à un rééquilibrage budgétaire approprié, à préserver la stabilité monétaire et à s’attaquer au surendettement et à la vulnérabilité du secteur financier après la pandémie. Compte tenu de la faible productivité et de la dégradation des perspectives de croissance à moyen terme, le FMI élabore grâce à la surveillance des recommandations pour relancer la croissance tout en préservant les progrès durement acquis après des décennies d’intégration de l’économie mondiale.

Il faut toutefois aller plus loin pour que la surveillance du FMI aide réellement les pays membres à composer avec de nouvelles transitions. Une analyse macroéconomique et des recommandations ciblées s’imposent, en étroite collaboration avec d’autres institutions internationales concernées.

Dans le domaine du climat, le FMI a adopté une stratégie en 2021, ce qui témoigne d’une prise de conscience grandissante de la menace que le changement climatique fait planer sur la croissance et la stabilité financière. Depuis, le FMI a accompli de grands progrès pour intégrer les questions climatiques dans son analyse multilatérale et sa surveillance bilatérale.

Parallèlement, l’intelligence artificielle ouvre une possibilité prometteuse de coopération internationale afin d’en optimiser les avantages et de gérer les risques qui vont de pair. Une série de principes internationaux régissant l’utilisation responsable de l’intelligence artificielle pourrait aboutir à ce résultat. Dans ce cas aussi, la surveillance du FMI peut contribuer à anticiper les conséquences macroéconomiques, à déterminer les retombées et à favoriser des mesures prudentes des pouvoirs publics.

Alors que davantage de pays mènent des politiques industrielles pour rehausser leur compétitivité dans un monde plus éclaté, les activités de surveillance du FMI ont permis d’évaluer les conséquences économiques de ces politiques et d’analyser leurs retombées internationales. Ces politiques font souvent plus de mal que de bien sur le plan économique, déclenchent des mesures de rétorsion qui réduisent les avantages nets et peuvent être accaparées par des intérêts particuliers (Ilyina, Pazarbasioglu et Ruta, 2024). Dans le domaine de la surveillance comme dans tous les autres, le FMI doit continuer à tenir un discours de vérité sans concession.

Bien sûr, les pays peineront à relever tous ces défis en l’absence de stratégies de croissance inclusive. Dans un contexte marqué par le creusement des écarts de revenu entre les pays et à l’intérieur de leurs frontières, il faut sans tarder mettre fin au recul de la productivité et inverser la tendance en matière de croissance. Nous avons proposé un cadre pour hiérarchiser et échelonner les réformes macrostructurelles afin d’accélérer la croissance, de réduire les arbitrages des pouvoirs publics et de faciliter la transition écologique dans les pays émergents et pays en développement (Budina et al., 2023). Il fait apparaître que privilégier la levée des obstacles les plus contraignants à l’activité économique pourrait accroître la production mondiale de quelque 4 % en seulement deux ans. Nos travaux qui intègrent les considérations d’égalité femme–homme dans la surveillance montrent que réduire les disparités entre les genres sur les marchés du travail et en matière d’accès aux services financiers s’avère très payant pour la croissance et la stabilité.

En quête de prospérité

Les 80 années d’activités de surveillance du FMI fournissent de précieuses indications. Une évaluation rigoureuse des politiques économiques est indispensable pour acquérir une crédibilité et susciter l’adhésion des dirigeants. La surveillance doit conserver une longueur d’avance et anticiper les problèmes qui menacent la stabilité intérieure ou extérieure, y compris les répercussions des politiques menées par les pays d’importance systémique. En effet, il faut du temps pour que les bonnes politiques soient définies, puis mises en œuvre et qu’elles produisent leurs effets. Par essence, la surveillance est souple et capable de s’adapter à la diversité des profils des États membres du FMI.

Dans un monde de plus en plus fragmenté et incertain, la mission de surveillance du FMI revêt une importance encore plus grande. Il n’est pas simplement question de protéger l’économie, il s’agit de nous unir tous dans la quête d’un avenir prospère au cœur d’une économie mondiale dynamique mais stable. La surveillance du FMI demeurera ainsi un bien public mondial essentiel et prisé.

Ceyla Pazarbasioglu dirige le département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI.




Mission Fondamentale

Devant l’intensification des divisions géopolitiques, le FMI doit faire valoir son optique particulière pour affirmer son indépendance

À l’aube de la 80e année d’existence du FMI, le bien-fondé et le caractère prioritaire de sa mission macroéconomique fondamentale demeurent. La dégradation de la mondialisation (qui renforce la fragmentation géopolitique et vice versa) accroît la vulnérabilité de tous les pays (à l’exception des principales puissances économiques) face aux chocs économiques extérieurs, aux fluctuations arbitraires du solde des transactions courantes, à l’accès intermittent aux liquidités en dollars et à un endettement excessif. La politisation croissante de la finance internationale et du commerce par la Chine, l’Union européenne et les États-Unis compromet cependant la capacité du FMI d’aider les pays membres et de limiter les comportements abusifs des trois plus grandes puissances économiques mondiales. Pour le salut de la stabilité économique mondiale, le FMI doit braver tous ces dangers.

Il serait cependant vain de croire que la stabilité peut être maintenue simplement en élargissant le mandat du FMI pour qu’il puisse mieux se plier aux humeurs changeantes de ses plus importants actionnaires, même si ce choix pourrait être compréhensible dans une perspective politique à court terme. Le FMI doit plutôt mettre l’accent sur son rôle unique de prêteur conditionnel multilatéral et sur sa capacité de parler vrai à propos de la dette internationale et des questions monétaires. Ce rôle exige une plus grande indépendance opérationnelle, un peu comme celle dont jouissent les banques centrales.

Premièrement, plus le programme de base du FMI sera étendu et discrétionnaire, plus les pays membres seront vulnérables face aux manœuvres géopolitiques des gouvernements des grandes puissances économiques et aux flux du marché sur lesquels elles exercent leur influence, or c’est précisément la menace qui commence à se faire jour.

Deuxièmement, il est essentiel que le FMI assure la cohérence globale du fond et de la forme de ses propres rapports avec les pays membres, car ce n’est qu’à ce prix qu’il pourra maintenir la légitimité de son processus décisionnel, surtout lorsque les pays membres sont particulièrement vulnérables. L’impartialité technocratique est essentielle pour obtenir l’adhésion à long terme de tous les pays membres, même si, dans l’immédiat, elle entraîne la perte de certains appuis locaux. Des incohérences du genre de celles induites par les États-Unis dans le cadre des programmes successivement déployés en Argentine ou par la « troïka » de l’Union européenne pendant la crise de la zone euro sont susceptibles de se multiplier avec le temps.

Troisièmement, et même si d’autres tribunes internationales conviennent sans doute mieux à la lutte contre l’inégalité, le changement climatique et d’autres enjeux mondiaux, seul le FMI peut jouer le rôle de quasi-prêteur en dernier ressort et de diseur de vérités économiques auprès des dirigeants en matière monétaire et d’endettement. Le FMI ne possède pas comme d’autres acteurs la capacité de réunir des sommes considérables pour financer le développement à long terme et les biens publics mondiaux, ni celle de mobiliser en continu du financement privé. Il devrait donc être disposé à céder sa place dans les instances qui décident de ces questions afin d’accroître son indépendance institutionnelle (au-delà de son indépendance de fait) dans l’exécution de sa mission fondamentale.

Il est probable que l’on assiste en ce moment au début d’un cycle marqué par la méfiance entre les trois grandes puissances économiques, d’où la volonté actuelle d’autonomie de celles-ci et leur propension à exiger des plus petits pays qu’ils choisissent leur camp. Le FMI ne dispose peut-être que d’un court laps de temps pour se doter de la force institutionnelle requise pour résister aux pressions récurrentes qui s’exerceront sur lui pour le contraindre à se ranger dans le camp de l’un ou l’autre de ses principaux actionnaires.

Une mission plus centrale que jamais

La mission macroéconomique fondamentale du FMI consiste à contrebalancer les sources de vulnérabilité des pays membres induites par les échanges et les flux financiers transfrontaliers, et à gérer le système monétaire international sous-jacent à ces flux. Dans une analyse récente intitulée Floating Exchange Rates at Fifty, Douglas Irwin et Maurice Obstfeld soulignent que le FMI et les accords de Bretton Woods ont été créés pour régler des problèmes qui, pour la plupart, sont inhérents à la finance internationale. Ces problèmes persistent à ce jour, même si l’on a depuis délaissé la fixité des taux de change de l’après-guerre au profit du « non-système » actuel.

La flexibilité des taux de change favorise l’indépendance monétaire et de faibles niveaux d’inflation, mais n’empêche toujours pas les soubresauts économiques ni les crises financières.

Des chocs économiques extérieurs continuent de se produire et ont souvent des effets dévastateurs sur les pays plus petits et à faible revenu.

Les flux de capitaux causent souvent des fluctuations rapides et importantes du déficit du compte courant.

L’intermittence de l’accès des pays membres aux liquidités en dollars entraîne des répercussions considérables, et provoque parfois des crises financières.

Les efforts déployés par les pays dont l’économie est fortement excédentaire pour s’autoassurer (que ce soit par des manipulations monétaires ou par le remplacement, à coup de subventions et de tarifs douaniers, des importations par des produits locaux) freinent la croissance mondiale et imposent des ajustements aux autres pays lors de récessions.

Devant la méfiance croissante entre les États-Unis, l’Union européenne et la Chine, il faut trouver un moyen de s’entendre sur la nécessaire protection de la liberté opérationnelle du FMI.

On ne saurait donc se passer des prêts conditionnels en période de crise, lorsque des pays membres perdent leur accès aux marchés financiers ou sont victimes d’une fuite des capitaux. Par conséquent, la capacité du FMI de financer les ajustements de manière crédible et conditionnelle, de protéger l’économie de certains pays contre les chocs communs et de rétablir leur accès aux liquidités du marché tout en restructurant leur dette étrangère est plus essentielle que jamais.

Seul le FMI peut offrir ce genre d’aide multilatérale et quasi universelle. Si le financement d’urgence aux pays en difficulté était versé par une autre institution ou en vertu d’un quelconque accord bilatéral entre États, le prêteur pourrait alors exercer une influence préjudiciable sur ces pays emprunteurs.

Bienfaits de la surveillance

La surveillance des effets de contagion des politiques d’autoassurance inconsidérées et excessives des puissances économiques, si elle est constante, a de bonnes chances de profiter à l’économie mondiale. De petits changements facilement applicables aux politiques de ces pays pourraient considérablement en aider de nombreux autres, rehausser la crédibilité du FMI et réduire le niveau de risque. De même, en s’efforçant de coordonner le règlement des enjeux liés à la dette transfrontalière et des questions monétaires, le FMI peut provoquer de petits changements avantageux dans le comportement des prêteurs et des émetteurs de monnaies de réserve. Plus le FMI est indépendant, plus ses interactions avec les pays membres gagnent en légitimité.

Le FMI doit aussi exhorter la Chine, l’Union européenne et les États-Unis à rendre des comptes, en exerçant une surveillance sur la limitation croissante de l’accès à leurs marchés respectifs par l’intimidation et différents moyens politiques, et sur les retombées planétaires de ce contrôle. Lorsque la Chine ou les États-Unis assujettissent l’accès à leurs systèmes de paiement ou à leurs exportations de combustibles fossiles à leurs objectifs de sécurité nationale, l’incertitude se répand à l’échelle mondiale. Les perspectives de croissance des pays émergents fluctuent à la hausse et à la baisse au gré des choix arbitraires effectués par les trois puissances économiques mondiales sur la provenance de leurs importations.

Les autres institutions économiques et financières internationales comme la Banque mondiale, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Groupe des Vingt, etc. peuvent procéder à toutes les négociations pertinentes pour accroître leurs financements. Le FMI est la seule institution multilatérale qui traite directement les retombées transfrontalières et la volatilité macroéconomique. Le FMI est aussi la seule institution multilatérale capable d’offrir de manière légitime un financement macroéconomique conditionnel avec un quelconque espoir de faire changer les politiques des prêteurs. Le FMI est la seule entité internationale capable d’imposer aux investisseurs privés la négociation, à défaut de leur imposer une restructuration rapide. Enfin, le FMI est aussi la seule organisation internationale capable de réprimander explicitement les trois grandes puissances économiques à propos de leurs politiques plutôt que de simplement solliciter de leur part une plus grande contribution aux biens publics.

En matière de surveillance, de même que pour les prêts ou autres décisions stratégiques, il est dans l’intérêt commun de l’Union européenne, des États-Unis et de la Chine que chaque puissance soit critiquée en fonction des mêmes critères, à la même fréquence et par l’entremise des mêmes canaux publics. Le FMI devrait prendre le parti de s’exprimer franchement et en toute indépendance plutôt que d’éviter la confrontation sur des questions comme les déficits budgétaires américains, le régime de change chinois et l’austérité inopportune de l’Union européenne, autant de décisions qui ont bien mal servi le monde dans les deux premières décennies du millénaire.

Faire face aux nouveaux défis

Pour mieux s’acquitter des objectifs de son mandat et raffermir sa légitimité, le FMI devrait chercher à acquérir une indépendance opérationnelle semblable à celle de la plupart des banques centrales, tout en continuant de soumettre ses compétences à l’examen des pays membres et en laissant à ces derniers le soin de fixer ses objectifs globaux. Dans une certaine mesure, c’est déjà le cas en ce qui concerne, par exemple, l’approbation par le Conseil d’administration des décisions particulières relatives à un programme. Pour continuer d’avancer, le FMI devra probablement accepter que son mandat soit ramené à ses fonctions essentielles et obtenir en contrepartie plus d’autonomie dans la prise de certaines décisions. Le FMI doit céder un peu de terrain sur le plan de la gouvernance sans pour autant compromettre le traitement équitable des pays membres.

Devant la méfiance croissante entre les États-Unis, l’Union européenne et la Chine, il faut trouver un moyen de s’entendre sur la nécessaire protection de la liberté opérationnelle du FMI. La conclusion d’un tel accord, qui limiterait clairement les questions relevant du FMI, procurerait à chacune des trois grandes puissances économiques l’assurance que les deux autres n’exerceront aucun contrôle sur des situations primordiales pour elle. Toutes les institutions macroéconomiques dépendent de la reconnaissance mutuelle du fait qu’il est préférable de céder un peu de contrôle en contrepartie de l’assurance que nul n’abusera de son propre pouvoir. En l’absence d’une liberté opérationnelle suffisante pour le FMI, le dispositif de protection financière mondial volera probablement en éclats et cédera sa place à une conditionnalité politisée et divergente ; à une répartition inégale, voire injuste, des financements ; et à une déstabilisation du système monétaire international.

En se concentrant sur sa mission fondamentale, le FMI peut s’adapter aux nouveaux défis économiques mondiaux engendrés par la fragmentation géopolitique et la dégradation de la mondialisation. La propension croissante des plus grandes puissances économiques à conditionner l’accès à leurs marchés à différentes épreuves de loyauté politique ou à des paiements accessoires est particulièrement préoccupante. L’accès sous toutes ses formes est visé : exportations, emplois et connaissances techniques dans les secteurs de haute technologie et autres secteurs jugés « critiques », services financiers et liquidités, investissement direct étranger entrant et sortant, et aide et crédit transfrontaliers. Intentionnelle ou non, une fragmentation de ce genre liée à la sécurité nationale est justement ce que les accords de Bretton Woods cherchaient à empêcher au moment de leur signature il y a 80 ans.

Il y a évidemment d’autres grands défis mondiaux imminents : d’abord et avant tout, le changement climatique, mais aussi les pandémies, la sécurité alimentaire, la concurrence technologique, les guerres commerciales, les conflits armés et les migrations de masse que tous ces problèmes provoquent. Pour les pays membres qui n’appartiennent pas au groupe des trois grands, ces défis se traduiront probablement par des chocs macroéconomiques de plus en plus fréquents. Dans la mesure où ces chocs frappent simultanément de nombreux pays membres, le FMI devrait mettre à la disposition de ces pays des facilités spéciales ou des prêts à des conditions communes, et insister pour que les trois grandes puissances économiques du monde changent leur comportement ou compensent ces chocs.

Appliquer les meilleures pratiques

Pour la majorité des pays membres, il est donc essentiel que les conseils du FMI sur les politiques macroéconomiques à mettre en place pour gérer les chocs et les facteurs de vulnérabilité soient conformes aux meilleures pratiques et cohérents pour tous les pays membres, quelle que soit la source du choc. Il en va aussi de l’intérêt à long terme des trois grandes puissances économiques. Pourtant, pour les autorités de ces puissances, la tentation est de plus en plus forte de faire jouer leurs préférences géopolitiques sur les décisions du FMI ou de placer leurs manœuvres protectionnistes à l’abri de la surveillance, malgré les lourdes conséquences pour les autres.

Le FMI peut donc mieux servir ses membres (y compris les trois grandes puissances économiques) et devenir le rempart du multilatéralisme technocratique contre le chantage politique pour l’accès aux marchés, notamment au marché financier. En accordant au Conseil d’administration du FMI le pouvoir de prendre des décisions par un vote à la majorité qualifiée (c’est-à-dire en restreignant la capacité des plus gros actionnaires d’exercer un droit de veto) sur toutes les questions sauf celles à long terme ou quasi constitutionnelles, un pas important serait franchi dans cette direction. Cette limitation du mandat du FMI en contrepartie d’une plus grande indépendance opérationnelle serait utile parce que le FMI n’aurait plus ainsi à exposer l’argent des contribuables américains à ce qui est perçu comme un risque ni à mettre ces fonds au service de ce qui serait considéré comme une dérive de sa mission.

Les institutions nées des accords de Bretton Woods devront être plus fiables si les trois puissances économiques mondiales continuent de s’éloigner du concept d’une mondialisation encadrée par des règles.

Des règles plus strictes et plus cohérentes pourraient aussi être adoptées pour limiter la capacité du FMI de prêter de l’argent à des pays en guerre, comme Israël, la Cisjordanie et Gaza, et l’Ukraine actuellement. Une aide est bien sûr nécessaire de même qu’une assistance éventuelle à la reconstruction, mais si le FMI est perçu comme prenant parti dans des conflits armés, la fragmentation en cours de l’économie mondiale pourrait s’accentuer. Pour la première fois depuis les années 80, des conflits armés qui ont toutes les chances de perdurer opposent directement des alliés des grandes puissances. Le FMI doit donc à tout prix éviter de tomber dans ce piège.

Au-delà de la Chine, des États-Unis et des pays surreprésentés de l’Union européenne, les pays membres du FMI, et plus particulièrement ceux à faible revenu ou à revenu intermédiaire, devraient voir dans la situation actuelle une possibilité de se faire entendre sur les questions qui les touchent profondément. Une plus grande indépendance opérationnelle pour le FMI irait de pair avec une obligation de rendre compte devant son Conseil d’administration de l’exécution des politiques et de la fixation des objectifs. Les institutions nées des accords de Bretton Woods devront être plus fiables au cours des prochaines années si les trois puissances économiques mondiales continuent de s’éloigner du concept d’une mondialisation encadrée par des règles au profit d’une politique économique d’exclusion du « pour nous ou contre nous ». Quelles que soient les pressions (bien intentionnées ou non) qui s’exercent actuellement sur le FMI pour qu’il donne satisfaction à ses plus gros actionnaires sur tous les sujets possibles, l’institution serait bien avisée de se mettre à l’abri des divisions de plus en plus profondes qui fragmentent l’espace géopolitique. La capacité du FMI de s’attaquer aux autres défis économiques mondiaux dans un contexte géopolitique défavorable à la mondialisation passe obligatoirement par une plus grande liberté opérationnelle.

 

 

Adam S. Posen est président du Peterson Institute for International Economics.




Vers une gestion des risques plus complexe

Alors que le FMI fête ses 80 ans, son histoire est riche d’enseignements pour la gestion future des risques internationaux

La Conférence monétaire et financière des Nations Unies, qui s’est tenue en juillet 1944 à Bretton Woods, dans le New Hampshire, nourrit un puissant récit sur la manière dont les pays peuvent s’attaquer à des problèmes communs à l’échelle mondiale. Elle a inauguré une période inédite dans l’histoire de l’humanité, une ère de reprise durable, de prospérité généralisée, de croissance dynamique, de développement sans crise et de stabilité politique. Bretton Woods demeure une source d’inspiration. Des dirigeants comme des universitaires tentent régulièrement de le faire renaître, de le réinventer ou de le remanier.

La conférence a d’abord été sous-tendue par une grande vision politique selon laquelle prospérité et paix sont indivisibles, pour reprendre la formule du secrétaire au Trésor des États-Unis Henry Morgenthau Jr. Ainsi, il n’était pas possible de les gérer indépendamment l’une de l’autre. Ce message est intervenu à un moment où le monde entier était consumé par la guerre : la Deuxième Guerre mondiale a été nettement plus internationale dans les faits que la Première. L’initiative pour faire advenir un nouvel ordre mondial a tiré les enseignements de la guerre : la manière dont un conflit meurtrier avait été le produit de l’effondrement de l’économie mondiale, la crise économique des années 30 ; la radicalisation politique qui a suivi ; enfin, la désintégration de l’ordre mondial en blocs concurrents.

Ensuite, un mécanisme économique précis a été prévu pour gérer les affaires monétaires à l’échelle mondiale. Les pays étaient tenus de se plier à une règle relative au taux de change et, si le taux était menacé, ils seraient aidés par un FMI conçu pour opérer comme une coopérative de crédit ou un dispositif d’assurance. Le fondement intellectuel résidait dans une lecture de la crise économique des années 30, considérée comme découlant de mouvements de capitaux sans entraves, des flux de capitaux dits fébriles. Les fondateurs des institutions de Bretton Woods étaient convaincus qu’une telle déstabilisation ne devait pas se reproduire, et les Statuts ont prévu de maintenir les contrôles des mouvements de capitaux dans la durée, même pendant la transition vers la libéralisation du commerce.

De la vision à la réalité

Ces fondements, de nature politique et économique, se sont écroulés, et la vision d’ensemble de Bretton Woods ne s’est pas concrétisée comme l’entendaient ses fondateurs. Le système avait été imaginé comme réellement international, mais l’Union soviétique, qui était fortement représentée à la conférence, a décidé de ne pas ratifier les Statuts. Le FMI a été exclu du grand programme états-unien de reconstruction de l’Europe, le plan Marshall. Le monde était divisé par le rideau de fer. Durant ses premières années, le FMI a même semblé dépérir. Il n’a réellement vu le jour qu’à la suite d’une double crise sécuritaire et financière en 1956, lorsque les États-Unis ont été atterrés par l’intervention de la Grande-Bretagne et de la France dans la crise de Suez et que les grands pays européens ont subi de fortes tensions financières.

Un débat s’est ouvert presque immédiatement pour savoir si les réserves et les liquidités étaient suffisantes. Les responsables économiques ont trouvé des solutions provisoires. Dans les années 60, alors que les pays bataillaient sur des projets de réforme du système monétaire international, d’aucuns se sont plaints de ne pas voir les forêts de Bretton (littéralement Bretton Woods en anglais) en raison des arbres de Bretton.

La refonte de Bretton Woods, dans les années 70, a aussi résulté de la conjugaison d’un problème de sécurité et de difficultés économiques et financières. L’échec de la règle fondamentale de Bretton Woods, le système des parités (qui fixait un taux de change), est intervenu au début d’une initiative de producteurs de pétrole visant à augmenter les prix ainsi qu’à exercer une influence plus politique. Les pays se sont sentis vulnérables et les démocraties étaient sous pression. Le FMI a réagi avec de nouvelles procédures, les mécanismes pétroliers, qui consistaient à utiliser des ressources empruntées pour venir en aide aux pays en développement pénalisés par la hausse des prix de l’énergie.

Les mouvements de capitaux ont été à l’origine de nouveaux facteurs de vulnérabilité. En 1982, une crise de la dette, particulièrement aiguë en Amérique latine, a menacé de provoquer l’effondrement du système financier international. C’est à ce moment que le FMI a commencé à œuvrer différemment, en jouant un nouveau rôle de prêteur en dernier ressort et de coordinateur de programmes de sauvetage dans lesquels les pays s’adapteraient et les banques seraient mises à contribution, contraintes de débloquer de nouveaux fonds.

Prêteur en dernier ressort

Cinquante ans après la Conférence de Bretton Woods, Michel Camdessus, directeur général du FMI, a qualifié la crise du peso mexicain de « première crise financière du XXIe siècle ». Elle faisait suite à un afflux sans précédent de capitaux dans les pays à revenu intermédiaire. La crise de 1994 était assez différente du choc latino-américain de 1982, qui avait aussi commencé par un problème au Mexique. Les détenteurs étrangers de titres mexicains présentaient alors des profils très divers, et ne se limitaient pas à un nombre de banques relativement restreint. Ils ont réagi rapidement à l’accumulation de craintes à l’égard d’une surchauffe de l’économie et d’une instabilité politique, après une insurrection de grande ampleur et l’assassinat d’une personnalité politique de premier plan au cours d’une année d’élection présidentielle. Il n’était pas possible de convaincre la multitude de créanciers de mettre de nouveaux fonds sur la table. La solution évidente, à savoir un mécanisme de faillite souveraine, possiblement coordonné et mis en œuvre par le FMI, demeurait irréalisable. Seule subsistait une méthode de second choix, à savoir apporter de l’argent frais en grandes quantités. Elle s’est imposée dans la durée pour riposter aux crises déclenchées par la volatilité des flux de capitaux.

Cette crise a été en partie résolue par un programme du FMI. Cependant, le FMI ne disposait pas, à lui seul, de ressources suffisantes pour jouer simplement le rôle de prêteur en dernier ressort. Le Mexique a aussi eu besoin d’un vaste programme bilatéral des États-Unis, sous la forme de 20 milliards de dollars du fonds de stabilisation des changes, dispositif en grande partie tombé dans l’oubli datant de l’époque de la crise économique des années 30, qui présentait l’avantage de dispenser le gouvernement des États-Unis d’obtenir l’approbation d’un Congrès hostile. Le sauvetage a suscité une controverse, et certains dirigeants ont fait valoir qu’il n’était pas acceptable que le FMI prête des fonds à un pays pour éviter des conséquences négatives sur un autre.

Le milieu des années 90 a été marqué par une prise de conscience du fait que, compte tenu de la taille des marchés de capitaux, les mécanismes de sauvetage traditionnels risquaient d’être inadaptés. Elle a été renforcée par la crise asiatique de 1997–98, lorsque tous les programmes ont nécessité des financements du FMI et des financements bilatéraux.

Les conclusions politiques ont été tirées lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement du Groupe des Sept en juin 1995 à Halifax, au Canada. Celui-ci a tenté de redéfinir les missions du FMI à l’aune d’un phénomène qui, d’une manière générale, ne tarderait pas à être appelé mondialisation. Le communiqué du sommet a exhorté le FMI à définir des critères et des procédures en vue de la publication rapide de données économiques et financières essentielles. En réaction, le FMI a créé le département des marchés monétaires et de capitaux en 2001, lequel est destiné à « jouer un rôle central dans les travaux théoriques du FMI », et lancé la publication semestrielle du nouveau Rapport sur la stabilité financière dans le monde, issu de la fusion de deux précédentes publications, Emerging Market Financing et International Capital Markets Report.

À partir des années 90, il n’existait plus de règle claire et simple, et une seule institution n’était plus chargée de gérer les risques internationaux. La surveillance comme la gestion de crise relevaient de multiples institutions, avec des responsabilités qui se chevauchent et de nombreuses sources d’argent frais. Dans sa surveillance du secteur financier, le FMI a appliqué les méthodes élaborées par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, groupe qui au départ représentait uniquement des pays industriels. En Asie, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est a mis au point un mécanisme de surveillance complémentaire en parallèle. Les échanges bilatéraux de devises dans le cadre de l’initiative de Chiang Mai de 2000 avaient pour but de compléter les activités du FMI.

Les besoins en matière de coordination étaient de plus en plus grands. La riposte à la crise asiatique a consisté à créer le Forum de stabilité financière. En 2009, ce groupe a été renforcé et rebaptisé Conseil de stabilité financière. Le mécanisme de sauvetage est devenu le Global Financial Stability Net, divers prestataires travaillant sur des accords régionaux de financement. Le sommet du Groupe des Vingt organisé à Londres en 2009 a reproduit une initiative essentielle de Bretton Woods, en transférant le pouvoir des banques centrales qui avaient piloté le Forum de stabilité financière à un groupe plus large d’États dans le nouveau Conseil de stabilité financière.

Les enseignements à tirer pour la gestion des risques

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette complexification de la gestion des risques financiers à l’échelle mondiale.

Premièrement, les menaces pour la stabilité peuvent venir de partout. Après la crise mexicaine de 1994–95 et la crise financière asiatique de 1997, qui s’est ensuite propagée au Brésil et à la Russie en 1998, il a été généralement supposé que les chocs seraient provoqués par des pays émergents qui s’ouvrent aux flux de capitaux. Aucun programme d’évaluation du secteur financier du FMI n’existait pour les États-Unis et le Royaume-Uni, deux pays qui se trouvaient à l’épicentre de la crise financière lorsque celle-ci a éclaté après 2007. Le FMI était capable de déceler des menaces périphériques qui planaient sur un pays. Par exemple, à la fin de 2006, ses services avaient préparé une simulation de possibles crises sur les marchés de capitaux en Europe centrale et orientale. Rétrospectivement, cette simulation semble être une version étrangement précise de l’attaque spéculative qui, en 2008, a brièvement placé la Hongrie à l’épicentre d’une nouvelle contagion mondiale. L’anticipation permet d’expliquer la rapidité d’action et l’ampleur considérable du programme convenu avec la Hongrie en 2008. Toutefois, la capacité de prévision du FMI était limitée : le FMI est passé à côté du choc sans commune mesure qui a débuté avec le marché des prêts hypothécaires et le système financier des États-Unis.

Deuxièmement, l’ampleur de la menace dépend des liens, qui peuvent être difficiles à établir à l’avance avec précision. Les retombées de la crise financière mondiale de 2008 ont suscité des critiques au vitriol, y compris de la part du Bureau indépendant d’évaluation du FMI, selon lesquelles le FMI avait « échoué à atteindre » son principal objectif en raison de « l’idée répandue, captive d’un même postulat intellectuel et d’un certain état d’esprit, qu’une crise majeure dans les grands pays avancés était peu probable ». La réaction a consisté, avec la décision sur la surveillance intégrée de 2012, à coordonner les pratiques antérieures de surveillance bilatérale et multilatérale. Les études de contagion notamment, qui au départ s’intéressaient à l’impact d’évolutions dans les grands pays, sont ensuite passées à une réflexion sur les liens systémiques.

Troisièmement, la nature exacte des liens est souvent obscure. Gérer la complexité d’un système dans lequel œuvrent de multiples institutions n’est pas chose aisée. Qui observe la forêt et qui mesure les arbres ? La relation entre le microprudentiel et le macroprudentiel est restée un grand facteur de vulnérabilité. Que contiennent précisément les bilans des banques pendant les vagues de mondialisation financière ? Quels sont les liens avec les institutions hors bilan ? Il s’agit de questions que les différentes autorités de contrôle bancaire pouvaient analyser, mais qui n’étaient pas, et ne pouvaient pas être, régulièrement transmises à une institution internationale comme le FMI. (Les Statuts déchargent en réalité les États de la responsabilité de communiquer des données sur certaines sociétés.)

Par conséquent, une tension s’exerçait en permanence. Les autorités de contrôle qui se sont retrouvées au Comité de Bâle sur le contrôle bancaire en savaient plus d’une certaine façon : elles pouvaient très clairement distinguer chaque arbre de la forêt. L’approche générale et mondiale voyait la forêt, mais ne pouvait pas véritablement étudier les arbres.

Quatrièmement, les difficultés à long terme peuvent être une menace immédiate pour la stabilité, d’où la nécessité d’y remédier. Le changement climatique, ou plus généralement peut-être les dégâts causés par l’Anthropocène, constituent un enjeu majeur et de plus en plus délicat, ce qui impose d’agir sans tarder. La déception éprouvée face aux efforts déployés jusqu’à présent est justifiée, et nombreuses sont les personnes qui estiment peu satisfaisante la récente Conférence des parties sur le climat (COP28). Une leçon d’histoire trop souvent négligée est pertinente ici. Les phénomènes resteront dans le domaine de l’analyse abstraite, des soucis ou des inquiétudes tant qu’ils ne pourront pas être mesurés précisément. Il est capital de fournir des données sur les coûts pour parvenir à un consensus sur les solutions à trouver.

Les problèmes sécuritaires ou politiques doivent être résolus de concert avec les difficultés économiques et financières.

À l’époque de Bretton Woods, la Banque mondiale et le FMI pouvaient nourrir une réflexion différente sur le développement en raison d’un système de comptabilité du revenu national qui avait été en grande partie élaboré dans les pays industriels pour relever le défi de mobiliser des ressources destinées à la guerre. Aujourd’hui, lorsque des journaux rendent compte des réunions semestrielles du FMI et de la Banque mondiale, ils privilégient l’analyse de l’évolution du PIB. Ils estiment que le PIB est important parce que le FMI place toujours cet indicateur au centre. En revanche, lorsqu’il s’agit de réfléchir à la biosphère, le PIB est une charge, et non pas un atout : il amoindrit la richesse à long terme des nations plutôt que de l’accroître.

Cinquièmement, les problèmes de sécurité peuvent aussi conduire à une déstabilisation financière. Nous vivons actuellement dans un monde où les problèmes de sécurité, souvent qualifiés simplement de « géopolitique en mutation », dominent l’actualité économique, que le débat à l’extrémité occidentale de la masse terrestre eurasienne porte sur les livraisons et le prix du gaz de la Russie ou sur l’exacerbation des tensions autour de la province chinoise de Taiwan et en mer de Chine méridionale à l’extrémité orientale. Une caractéristique méconnue de l’accord de Bretton Woods est le parallélisme entre la Banque mondiale et le FMI d’un côté et l’Organisation des Nations Unies de l’autre. Les cinq principaux membres des institutions de Bretton Woods en termes de quote-part étaient identiques aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité : les États-Unis, l’Union soviétique, la Chine, le Royaume-Uni et la France. La symétrie s’est rompue lorsque l’Union soviétique n’a pas rejoint la Banque mondiale et le FMI.

La longue guerre qui a suivi l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, en 2022, a donné naissance à un nouveau type de programme du FMI : un accord avec un pays en guerre. Le programme d’assurances de financement devait être modifié pour tenir compte des spécificités des pays en proie à une « incertitude extrêmement élevée ». Le programme exigeait aussi des mesures de sauvegarde sous la forme de garanties de la part des créanciers bilatéraux, selon lesquelles ils allégeraient la dette une fois que le problème de l’incertitude exceptionnelle serait résolu. Les souffrances de l’Ukraine apportent un nouvel éclairage sur les enseignements de 1944, à savoir que les problèmes sécuritaires ou politiques et militaires doivent être résolus de concert avec les difficultés économiques et financières. Comme la guerre entre la Russie et l’Ukraine s’étend à présent au monde entier — de manière très spectaculaire au Soudan —, c’est le conflit, et non la prospérité, qui est mondialisé. Trouver les bonnes réponses aux incertitudes créées par le conflit est une étape essentielle pour rompre avec la pensée à somme nulle qui a conduit le monde à la catastrophe par le passé.

Harold James est professeur d’histoire et d’affaires internationales à l’Université de Princeton et historien du FMI.