Emerse Faé : “Mon objectif est de créer la génération la plus douée de l’histoire du pays”
Emerse Faé s’est entretenu avec Cafonline.com. Le sélectionneur ivoirien revient sur le sacre de la Côte d’Ivoire à la CAN 2023. Le patron des Éléphants évoque également ses ambitions pour la prochaine Coupe d’Afrique des Nations TotalEnergies.
Il y a aura incontestablement un avant et un après 11 février 2024, pour Emerse Faé. Ce jour, où l’ancien milieu de terrain ivoirien a fait chavirer dans l’ivresse, toute une nation grâce à son approche tactique.
Sacré champion d’Afrique sur ses terres, Faé se tourne désormais vers un avenir qu’il veut tout aussi glorieux pour les siens. En marge du symposium technique des Entraîneurs de la CAF, il a accordé un entretien à Cafonline.com où il se livre en toute sincérité.
Cafonline.com : Que vous est-il passé par la tête en reprenant la Côte d’Ivoire lors de la Coupe d’Afrique des Nations CAF TotalEnergies ?
Emerse Faé : Au début, je n’ai pas réfléchi. J’ai dit oui directement parce que c’est mon pays et que j’aime mon pays. Je n’ai pas peur des missions, je n’ai pas peur des objectifs, et je n’ai pas peur de prendre des risques. Donc je n’ai pas hésité à dire oui. Comme je connaissais aussi le groupe depuis un an et demi, je savais déjà ce qu’on devait, et pouvait apporter pour changer l’état d’esprit de l’équipe.
Grâce à Dieu, on a eu de la réussite. Je suis un jeune entraîneur. Personne ne me connaissait avant en tant qu’entraîneur, donc si j’avais échoué à la CAN ça aurait été difficile pour moi de trouver une autre opportunité d’exercer mon métier en Côte d’Ivoire et en Afrique.
En quoi la victoire à la Coupe d’Afrique des Nations a-t-elle modifié votre quotidien ?
Actuellement, il est compliqué de sortir à Abidjan, voire de sortir tout court et ce même en Afrique. Lors de ma dernière visite au Cameroun, à l’hôtel, j’ai remarqué qu’il y avait de nombreux supporters ivoiriens qui désiraient prendre des photos et échanger avec moi. Cela témoigne d’un grand changement.
Ma notoriété a considérablement crû. Néanmoins, je demeure une personne approchable, qui aime les échanges et le partage. Parfois, il est difficile de refuser une demande de photo ou d’engager une discussion sur le football. Bien que les choses aient évolué, cela reste une composante essentielle de mon travail. J’essaie d’en retirer des éléments positifs, car si la situation avait été différente, cela aurait pu être bien plus complexe.
Je suis ravi de pouvoir vivre ces instants avec les Ivoiriens et les Africains qui apprécient le travail que j’ai accompli.
Selon vous, quels ajustements ont été effectués dans l’équipe pour réaliser ces résultats positifs ?
Nous avons modifié l’état d’esprit au sein de l’équipe, en renforçant le fighting spirit. Cette équipe avait besoin de confiance, elle possédait un énorme potentiel, mais manquait de cette assurance.
Elle nécessitait, on peut dire, d’un grand frère capable de lui faire des compliments dans les moments difficiles, mais également de lui dire ce qui ne va pas.
Dieu nous a offert une deuxième chance, et il était impensable de la laisser passer. Ainsi, nous avons modifié notre mentalité, sommes devenus solidaires et avons appris à nous battre. Remporter une coupe à domicile est un véritable défi, et il faut remonter à 2006 pour voir la dernière équipe, l’Égypte, réussir cet exploit.
Nous savions qu’il nous fallait des combattants pour remporter cette compétition. Cependant, nous avons réussi à instiller un esprit de guerrier chez nos joueurs. Nous avons des ressources à notre disposition.
Pourquoi est-il essentiel pour les jeunes entraîneurs africains d’avoir la chance de diriger leurs sélections ?
C’est une grande fierté, car pour les jeunes entraîneurs africains en Europe, la situation est particulièrement difficile. Prendre la tête d’une sélection représente une lourde responsabilité. Trop souvent, on nous confie des rôles d’assistant ou des équipes de jeunes, mais lorsque des postes à responsabilité se présentent, cela devient très complexe.
Avoir eu la chance d’occuper ce poste avec la Côte d’Ivoire est une source de fierté pour moi, surtout que mon adjoint est lui aussi un jeune entraîneur sans beaucoup d’expérience avant cette compétition. Cependant, on nous a offert notre chance et nous l’avons saisie. Je suis heureux de pouvoir démontrer aux jeunes entraîneurs et joueurs africains que lorsqu’on a un rêve, il faut y croire du début à la fin.
Peu importe les obstacles, il ne faut jamais abandonner et il faut poursuivre ses rêves.
Comment qualifieriez-vous votre collaboration avec votre adjoint, Guy Demel ? Y avait-il une distribution précise des tâches entre vous deux ?
Nous sommes très liés. Nous avons joué ensemble en équipe nationale et partagions souvent la même chambre. C’est lui qui m’a également présenté ma femme, car ils ont grandi ensemble. Aujourd’hui, nous n’avons même plus besoin de nous parler pour nous comprendre.
Nous parvenons à analyser les choses simultanément sans en discuter. Et lorsque l’un d’entre nous se sent un peu épuisé ou n’est pas dans une bonne disposition, l’autre prend le relais. Il fait beaucoup pour moi en essayant toujours de réduire ma charge de travail afin que je puisse me concentrer pleinement sur le terrain.
Je me réjouis de travailler aux côtés de mon grand frère. Bien qu’on aurait supposé qu’il serait le principal responsable et moi le second en raison de son âge, la réalité est différente. Il n’a jamais reproché cette inversion de rôle et a toujours agi avec le plus grand sérieux, ce qui me permet de rester calme et serein lors de mes choix.
En tant qu’entraîneur local, bénéficiez-vous du respect qui vous est dû ?
Oui ! C’est une première dans le monde du sport : un entraîneur parvient à prendre en main une équipe en pleine compétition et à la conduire vers la victoire. Cet entraîneur a récupéré une équipe qui risquait l’élimination après une déroute de quatre à zéro et a réussi à éliminer le Sénégal.
Après une performance impressionnante durant tout le tournoi, le champion en titre a également triomphé contre le Nigeria en finale, l’équipe qui les avait battus lors des phases de groupes. Je remarque qu’il y a beaucoup de considération à mon égard de la part de mes collègues entraîneurs, qui ne manquent pas de me féliciter lors de leurs visites.
Quand ils en ont l’occasion, ils n’hésitent pas à me mettre en avant aussi. Cela me rend heureux de voir la solidarité qui règne entre nous, entraîneurs africains, et j’espère sincèrement que mon parcours pourra motiver d’autres entraîneurs locaux à réaliser leurs ambitions.
Quelles sont vos aspirations du moment ? Quels objectifs souhaitez-vous atteindre ?
J’ai de grandes ambitions. D’abord, il est essentiel de se qualifier pour la prochaine CAN, puis de remporter le tournoi. Beaucoup pensent que notre précédente victoire était le résultat de la chance, car il suffisait de gagner quatre matchs pour être couronné. De plus, le fait que cela se soit passé à domicile a rendu la tâche plus facile. C’est pourquoi nous tenons vraiment à nous qualifier pour la prochaine édition et à la gagner, afin de démontrer que ce succès n’était pas simplement dû à la chance.
La Coupe du Monde vise également à permettre à la Côte d’Ivoire de retrouver sa place sur la scène internationale. Depuis 2014, notre pays est absent de cet événement. Nous aspirons donc à nous qualifier et à représenter l’Afrique, à l’image du Maroc qui a réussi en 2022, ce qui nous motive énormément.
Je souhaite partager avec vous mon dernier objectif, même si je préfère garder une certaine réserve. J’ai eu l’honneur de faire partie de l’une des générations les plus remarquables de l’équipe nationale ivoirienne. Bien que nous n’ayons pas remporté de titres, notre équipe a toujours été considérée comme l’une des plus talentueuses. Mon rêve aujourd’hui est de créer une génération encore plus douée que la nôtre.
Je suis persuadé que notre équipe regorge de joueurs au potentiel exceptionnel. Mon objectif est donc de former un groupe redoutable qui inspirera la crainte, comme ce fut le cas en 2006, et qui rapportera des titres pour la Côte d’Ivoire. Je souhaite que l’on se souvienne de ce jeune entraîneur, surprenant au départ, qui a réussi à transformer la situation, à revitaliser un pays et à redonner le sourire à sa population. Nous travaillerons sans relâche pour assurer la pérennité de cet héritage pour la Côte d’Ivoire.
À quelle fréquence êtes-vous identifié lors de vos déplacements ? Avez-vous besoin d’une protection ou d’un garde du corps ?
(Il rit.) En fait, il y a toujours la possibilité que des bénévoles soient présents. Actuellement, étant dans mon pays, je n’ai pas besoin de sécurité. J’espère que cela continuera ainsi, car j’apprécie de passer du temps avec mon peuple. C’est quelque chose que j’aime vraiment. Et ce n’est pas fait dans un mauvais état d’esprit, donc pour le moment, je n’éprouve pas le besoin de sécurité.
Je souhaite que cela dure, que les gens continuent à me traiter avec respect et à me solliciter pour des photos, tout en étant courtois, surtout en présence de ma femme et de mes filles. C’est également très important pour elles. Pour le moment, je ne ressens pas le besoin ni l’envie de m’entourer de gardes du corps.
Un mot sur votre début de campagne dans ces éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 ?
Nous avons bien débuté, car l’objectif était de remporter nos deux matchs lors des deux premières journées. Avant notre départ, j’avais expliqué aux joueurs qu’en octobre, notre but serait de nous qualifier pour la CAN, afin que nous puissions éventuellement tester d’autres joueurs en novembre et faire tourner l’équipe. Cependant, l’objectif pour le prochain stage reste le même.