La politique monétaire et les marchés du logement

Une connaissance approfondie et propre à chaque pays des marchés de l’immobilier résidentiel et du crédit hypothécaire peut aider à calibrer la politique monétaire.

Fin 2021, les banques centrales ont lancé la série de hausses de taux d’intérêt la plus forte et la mieux coordonnée des 40 dernières années afin de juguler la poussée inflationniste qui a suivi la pandémie (graphique 1). Bien des économistes s’attendaient à un ralentissement mondial marqué, mais au contraire, nombre de pays ont relativement bien résisté, et seuls quelques-uns ont connu une décélération importante.

Pourquoi certains pays pâtissent-ils des taux élevés, et d’autres pas ? Il est d’autant plus opportun d’expliquer ce phénomène que beaucoup de banques centrales réduisent actuellement leurs taux d’intérêt. Les caractéristiques des logements et des prêts hypothécaires, qui varient considérablement d’un pays à l’autre et ont évolué ces dernières années, en sont l’une des raisons clés, comme le font observer nos travaux de recherche présentés dans un chapitre de l’édition d’avril 2024 des Perspectives de l’économie mondiale.

L’immobilier résidentiel a été un moteur important des chocs économiques, en grande partie en raison de son rôle central dans les bilans du secteur privé. Les prêts hypothécaires sont souvent le principal engagement financier des ménages et le logement constitue l’essentiel de leur patrimoine. L’immobilier représente aussi une grande part de la consommation, de l’investissement, de l’emploi et des prix à la consommation dans la plupart des pays. Les banques et les intermédiaires financiers sont par ailleurs souvent fortement exposés au secteur de l’immobilier résidentiel, ce qui en fait un élément important de la transmission de la politique monétaire.

Le canal du logement

Depuis la crise financière mondiale, les économistes ont nettement amélioré leur compréhension du fonctionnement de la politique monétaire dans le cadre des marchés du logement, en particulier en ce qui concerne la détermination des canaux de transmission qui passent par les marchés du logement et des prêts hypothécaires. Nous présentons brièvement ci-dessous quelques-uns de ces canaux, en mettant l’accent sur ceux qui sont liés à la demande des ménages.

Premièrement, les variations des taux directeurs ont une incidence directe sur les versements hypothécaires mensuels des propriétaires ayant contracté des prêts immobiliers à taux variable. Les versements augmentent également en cas de hausse des taux directeurs, d’où une baisse du revenu disponible et parfois de la consommation, à travers ce que l’on appelle communément le « canal de la trésorerie », selon les recherches de Marco Di Maggio et al.

Deuxièmement, les prix de l’immobilier résidentiel sont très sensibles aux variations des taux d’intérêt, par le jeu de la modification des taux d’actualisation et des anticipations concernant les rendements futurs. Ce canal des anticipations, également appelé « canal de primes de risque », peut influer sur le montant que les acheteurs sont disposés à emprunter et sur l’échéance de leurs prêts, ce qui se répercute sur les prix de l’immobilier et les conditions de crédit.

Troisièmement, lorsque les prix du logement fluctuent en fonction de l’évolution des taux d’intérêt, les effets de richesse peuvent avoir une incidence sur la consommation des propriétaires. En outre, dans nombre de pays, les propriétaires peuvent se servir de leur logement comme garantie pour contracter des emprunts et financer leur consommation. La fluctuation des prix du logement entraîne celle du volume des crédits garantis, et la consommation suit, comme le montrent les travaux d’Atif Mian et Amir Sufi.

Puissance de la transmission

Ces canaux de transmission dépendent des principales caractéristiques des marchés du logement et des prêts hypothécaires. Par exemple, la force relative du canal de la trésorerie est déterminée par la part des prêts hypothécaires à taux fixe — qui, par définition, ne s’ajustent pas aux variations des taux directeurs — parmi tous les prêts hypothécaires en cours. Un plus grand nombre de prêts à taux fixe signifie que moins d’emprunteurs ressentent les effets de la hausse des taux directeurs ou profitent de leur baisse.

Nos recherches montrent que certaines caractéristiques clés varient considérablement d’un pays à l’autre. Ainsi, la part des prêts hypothécaires à taux fixe en cours peut varier de près de zéro en Afrique du Sud à plus de 95 % au Mexique et aux États-Unis (graphique 2).

Ces différences pourraient-elles expliquer pourquoi le degré de transmission de la politique monétaire diffère d’un pays à l’autre ? Nous constatons que la politique monétaire a des effets plus importants sur l’activité économique dans les pays où la part des prêts hypothécaires à taux fixe est faible. Dans les pays où la part de ce type de prêts est importante, les modifications des taux directeurs influent sur les paiements mensuels d’un plus petit nombre de ménages, la consommation globale ayant tendance à être moins touchée.

De même, nous observons des effets plus marqués de la politique monétaire dans les pays où un plus grand nombre de ménages sont endettés et empruntent davantage, car beaucoup plus de ménages sont ainsi exposés aux variations des taux hypothécaires.

Les caractéristiques du marché du logement sont aussi un facteur important : la transmission de la politique monétaire est plus forte lorsque l’offre de logements est plus restreinte. À titre d’exemple, des taux plus bas se traduisent par des coûts d’emprunt plus faibles pour les acheteurs et accroissent la demande. La réduction de l’offre fait grimper les prix. Les propriétaires existants deviennent plus riches et consomment davantage, notamment en contractant des emprunts garantis par leurs logements.

Il en va de même lorsque les prix de l’immobilier résidentiel connaissent une surévaluation. Les fortes hausses de prix tiennent souvent à un optimisme excessif quant à l’appréciation des prix. Elles s’accompagnent d’ordinaire d’emprunts excessifs qui, en cas de hausse des taux d’intérêt, peuvent conduire à des saisies et à une chute des prix, et par conséquent à une baisse du revenu et de la consommation.

Transmission plus faible

Qui plus est, les marchés du logement et des prêts hypothécaires ont changé depuis la crise financière mondiale et la pandémie. Au début du cycle de relèvement des taux directeurs après la pandémie, les taux hypothécaires effectifs avaient baissé dans bien des pays pour atteindre leur niveau le plus bas depuis plusieurs décennies, les ménages ayant profité de la faiblesse des taux d’intérêt pour obtenir des prêts à faible coût dans les années 2010 et au début des années 2020. En outre, l’échéance moyenne des prêts hypothécaires avait augmenté durant cette période, car la part des prêts hypothécaires à taux fixe s’était accrue dans beaucoup de pays.

Dans le même temps, nombre d’autorités de surveillance financière ont durci leurs politiques macroprudentielles en matière de financement des logements après la crise financière mondiale. Ces politiques visaient à restreindre les prêts à risque qui ont amplifié les cycles d’expansion–récession dans un grand nombre de pays au milieu de la première décennie 2000. En 2020, ces mesures avaient porté leurs fruits : la solvabilité s’était améliorée et le niveau d’endettement avait diminué. Par ailleurs, la pandémie a incité les populations à quitter les centres-villes pour s’installer dans des zones où l’offre est plus abondante.

Il ressort de nos recherches que ces changements ont contribué à affaiblir ou au moins à retarder certains canaux de transmission de la politique monétaire dans plusieurs pays. La transmission s’est intensifiée dans certains pays, comme ceux où les prêts hypothécaires à taux fixe sont moins nombreux, où les niveaux d’endettement sont plus élevés et où l’offre de logements est limitée. Mais elle s’est amoindrie dans d’autres, où ces facteurs ont évolué en sens inverse.

Nos constatations laissent penser que pour calibrer la politique monétaire, il est important de posséder pour chaque pays une connaissance approfondie des marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires. Dans les pays où la transmission par le canal du logement est forte, le suivi de l’évolution du marché de l’immobilier résidentiel et des changements dans les ratios du service de la dette des ménages peut contribuer à la détection des premiers signes d’un resserrement excessif. Dans les situations où la transmission de la politique monétaire est plus faible, des mesures précoces plus vigoureuses peuvent être prises dès l’apparition des premiers signes de pressions inflationnistes ou déflationnistes.

Cycles d’assouplissement

Étant donné que bon nombre de banques centrales assouplissent actuellement leur politique à mesure que recule l’inflation, il est naturel de se demander comment les caractéristiques des marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires influeront sur la transmission pendant un cycle d’assouplissement. Le canal du logement que nous décrivons est actif dans les phases tant de resserrement que d’assouplissement, aussi la transmission dépend-elle des caractéristiques des marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires propres à chaque pays lorsque la politique évolue aussi dans l’autre sens. À l’instar de ce qui s’est passé pendant le cycle de resserrement après la pandémie, on peut s’attendre à ce qu’un cycle d’assouplissement mondial influe différemment sur chaque économie — et se caractérise par des asymétries importantes.

D’après une étude menée par Silvana Tenreyro et Gregory Thwaites, les données historiques montrent que les épisodes de resserrement freinent en général l’essor économique plus fortement que les épisodes d’assouplissement de même ampleur ne stimulent la demande. Pourtant, les derniers cycles d’assouplissement importants et coordonnés ont été suivis de récessions mondiales. Selon Atif Mian, Kamalesh Rao et Amir Sufi, durant ces périodes, l’affaiblissement des bilans du secteur privé a prolongé le marasme économique en dépit de l’assouplissement monétaire.

 

Le cycle d’assouplissement actuel survient dans un contexte où les finances des ménages des pays avancés sont plus solides que pendant les années ayant suivi la crise financière mondiale, et parfois même par rapport à la période d’avant la pandémie. De même, aucune hausse importante des taux de défaillance des ménages n’a été enregistrée. Les conditions existant avant ce cycle d’assouplissement diffèrent considérablement des caractéristiques déjà observées par le passé, tant et si bien que les effets de ce cycle pourraient aussi différer de ce qu’ils sont habituellement.

Une autre différence essentielle est la part historiquement élevée des prêts hypothécaires à taux fixe par rapport à l’encours de la dette. D’ordinaire, une part élevée de prêts hypothécaires à taux fixe atténue la transmission de la politique monétaire durant un cycle de resserrement, car les propriétaires ayant contracté ces prêts sont à l’abri d’une hausse des taux d’intérêt. Dans un cycle d’assouplissement, les hypothèques à taux fixe nuisent moins à la transmission, puisque les ménages ayant contracté ces prêts peuvent vouloir les refinancer à des taux encore plus bas, et activent ce que l’on appelle le canal du refinancement de la politique monétaire, comme le montrent Martin Eichenbaum, Sergio Rebelo et Arlene Wong.

La situation pourrait toutefois être différente cette fois-ci. Beaucoup d’emprunteurs des pays avancés ont opté pour des taux fixes historiquement bas durant les années 2010 et la pandémie. Ces prêts hypothécaires pourraient rester bien en deçà des taux actuels malgré l’assouplissement monétaire, ce qui n’inciterait guère un grand nombre de ménages à recourir au refinancement.

Aux États-Unis, par exemple, le taux moyen de tous les prêts hypothécaires en cours s’élevait à 3,9 % fin 2024, selon les données des pouvoirs publics, soit un taux nettement inférieur à la moyenne de 6,7 % pour les nouveaux prêts à taux fixe sur 30 ans. Il faudrait donc que les taux hypothécaires baissent d’environ 3 points de pourcentage pour que l’emprunteur moyen ayant un prêt à taux fixe soit incité à le refinancer. Les propriétaires ayant des taux fixes sont donc susceptibles de maintenir leurs taux immobilisés en dépit de la baisse des coûts d’emprunt, ce qui a des conséquences importantes à la fois sur les dépenses et sur les prix des logements.

Bien entendu, la politique monétaire agit à travers bien d’autres canaux que les marchés de l’immobilier. En définitive, le degré de transmission d’un cycle d’assouplissement à l’économie réelle dépend d’un grand nombre de facteurs, notamment la vitesse relative et la force de l’impulsion de l’assouplissement, la répercussion de la politique monétaire sur les taux d’intérêt et l’orientation budgétaire du pays, ainsi que les facteurs liés à l’offre, comme le coût des matériaux, dont beaucoup échappent à l’influence directe des banques centrales.

Cependant, nos résultats soulignent que les marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires constituent un élément clé du mécanisme de transmission. Les banques centrales devraient donc surveiller de près les marchés du logement afin de calibrer au mieux leur politique.

MEHDI BENATIYA ANDALOUSSI est économiste au département des études du FMI.

NINA BILJANOVSKA est économiste principale au département Europe du FMI.

ALESSIA DE STEFANI est économiste au département des études du FMI.




Comment détecter les bulles immobilières

Détection et correction précoces peuvent prévenir l’éclatement des bulles d’actifs.

La crise financière mondiale de 2008–09 avait pour contexte l’éclatement d’une bulle de l’immobilier résidentiel que peu avaient vu venir. À l’heure actuelle, les bulles immobilières restent mal comprises, même si leurs effets sur la stabilité financière et la transmission de la politique monétaire leur valent une attention croissante. Cependant, avec des outils de suivi en temps réel, les décideurs peuvent contribuer à atténuer les expansions intenables.

Au premier rang de ces outils figurent de meilleures méthodes de repérage des bulles des prix des actifs. Les modèles standards d’évaluation des actifs montrent que les prix sont influencés par les rendements courants et les anticipations de valeur à la revente. Une bulle se forme lorsque le prix d’un actif dépasse sa valeur intrinsèque parce que les acteurs anticipent une poursuite de son appréciation. Le marché de l’immobilier résidentiel, caractérisé par une offre obstinément inélastique, illustre cette dynamique, souvent nourrie par la peur de manquer une occasion ou par un comportement spéculatif.

Les méthodes de détection précédemment utilisées reposaient sur la modélisation de la valeur intrinsèque, qui s’est souvent révélée insatisfaisante parce qu’il est difficile de connaître les véritables valeurs intrinsèques. Cela fausse les estimations et retarde la détection des bulles — comme on l’a constaté à l’occasion de la crise financière mondiale.

Les progrès récents en matière de techniques de séries chronologiques et de panel — conçues pour analyser les données dans le temps et dans l’espace (groupes, lieux) — permettent de détecter les bulles en temps réel en se concentrant sur les tendances statistiques révélatrices d’une bulle, sans qu’il soit nécessaire de modéliser la valeur intrinsèque.

Une de ces tendances est la dynamique explosive des prix — ce que nous entendons par « exubérance ». Ce modèle s’appuie sur des symptômes observables pour identifier les bulles, un peu comme on se sert de la pression artérielle comme indicateur précoce en matière de santé.

La méthodologie de détection de l’exubérance, que Peter Phillips et ses coauteurs ont été les premiers à formaliser, est la pierre angulaire de l’indice d’exubérance produit chaque trimestre par la Banque de réserve fédérale de Dallas à partir de sa base de données International House Price Database, qui contient des données trimestrielles sur les prix de l’immobilier résidentiel et sur le revenu disponible pour 26 pays depuis 1975 (Mack, Martínez García et Grossman, 2019). La base de données sert de support au travail de suivi mené par l’International Housing Observatory.

Ces deux initiatives, qui ont bénéficié de nouvelles avancées dans les méthodes de détection (Phillips, Shi et Yu 2015 ; Pavlidis et al., 2016), visent à sensibiliser davantage aux bulles immobilières et à fournir des codes faciles d’emploi permettant de gérer en temps réel les risques pour la stabilité financière.

Mesures de l’exubérance

La détection des bulles sur les marchés de l’immobilier résidentiel commence par un suivi attentif de l’évolution des prix réels des logements, car l’exubérance des prix nominaux de ces biens peut résulter d’une poussée de l’inflation plutôt que d’une bulle. Exprimer les prix de l’immobilier en termes réels permet d’éviter toute confusion en période d’hyperinflation, comme cela s’est produit en Croatie, en Israël et en Slovénie à la fin du 20ᵉ siècle.

L’accessibilité financière du logement, c’est-à-dire l’adéquation entre les prix de l’immobilier et le pouvoir d’achat des acheteurs, est tout aussi importante. Les prêteurs se réfèrent souvent au ratio dette/revenu, qui mesure la part du revenu disponible affectée au remboursement de la dette. Un bon indicateur indirect de cette mesure est le ratio prix/revenu (en supposant des ratios prêt/valeur stables).

Lorsque le ratio prix/revenu augmente, le financement devient plus difficile à obtenir, ce qui réduit la demande et fait baisser les prix. Ce ratio est essentiel pour faire la distinction entre les bulles résultant des anticipations et les autres dynamiques de marché, car son exubérance signale la gravité d’une bulle déconnectée des fondamentaux de manière plus fiable que la seule exubérance des prix réels de l’immobilier.

Le graphique 1 compare les épisodes d’exubérance pour les prix réels des logements et pour les ratios prix/revenu. Il permet de dégager trois enseignements importants.

Premièrement, l’exubérance immobilière est plus généralisée et plus synchrone dans l’ère post-Bretton Woods caractérisée par la flexibilité des taux de change et la libéralisation des comptes de capital. Le graphique montre aussi une vague mondiale d’exubérance des prix réels de l’immobilier formée avant la pandémie et accélérée par celle-ci. En revanche, l’exubérance du ratio prix/revenu a été circonscrite à quatre pays (Portugal, Pays-Bas, Luxembourg et Allemagne) grâce à un durcissement des critères d’octroi de prêts et des règles prudentielles.

Cette situation contraste avec les bulles généralisées qui se sont formées avant la crise financière mondiale et qui ont touché plus largement les ratios prix/revenu. Quoiqu’intense, la hausse des prix des logements induite par la pandémie n’a pas duré longtemps : les politiques macroprudentielles ont freiné le crédit, dégonflé la bulle rapidement et préservé la stabilité bancaire et financière.

Deuxièmement, la croissance du crédit et la volatilité des marchés boursiers sont les principaux moteurs de l’exubérance immobilière. L’expansion rapide du crédit alimente les achats spéculatifs financés par endettement, poussant les prix de l’immobilier au-delà des fondamentaux. Cette exubérance induite par le crédit peut vite s’effondrer si les conditions se détériorent ou si le crédit se resserre.

De même, la volatilité des marchés boursiers incite les investisseurs à rechercher dans l’immobilier des rendements perçus comme plus sûrs ou plus élevés, ce qui gonfle encore les prix. En période d’incertitude, l’immobilier résidentiel sert souvent de refuge, attirant les investisseurs et faisant grimper les prix, même en l’absence de soutien des fondamentaux.

Les flux de capitaux internationaux synchronisent les cycles immobiliers, propageant l’exubérance et augmentant la vulnérabilité face aux ralentissements simultanés de l’immobilier, comme Efthymios Pavlidis, Valerie Grossman et moi-même l’avons souligné dans un article de 2019. La compréhension de ces facteurs aide à détecter des schémas de contagion entre pays et de distinguer des cycles mondiaux d’expansion–récession de l’immobilier.

Troisièmement, les retombées financières provenant d’autres catégories d’actifs, telles que la croissance réelle du marché boursier, et une pentification de la courbe des rendements (l’écart entre les taux à long et à court termes) augmentent elles aussi la probabilité d’une exubérance immobilière, qui persiste souvent une fois qu’elle a été déclenchée. Lors d’un emballement de la Bourse ou lorsque la courbe des rendements se raidit dans des conditions d’expansion, les investisseurs peuvent se ruer sur l’immobilier, réallouant leurs portefeuilles à la recherche de rendements et faisant grimper les prix, comme Grossman et moi-même l’avons noté dans un article de 2020.

Ce comportement d’autorenforcement, où la hausse des prix semble valider les attentes de rendements plus élevés qui ont attiré les investisseurs en premier lieu, entretient les bulles, parfois sur de longues périodes. Il montre à quel point il est important de surveiller les variations de la courbe des rendements et les bulles naissantes dans d’autres catégories d’actifs afin de détecter une contagion financière.

Les leçons de la pandémie

Le ratio prix du logement/loyer, semblable au ratio cours/bénéfice pour les actions, traduit le montant que les investisseurs sont prêts à payer pour chaque dollar de loyer généré par un bien immobilier. Lorsque les prix des logements dépassent largement les loyers — ce qui est souvent exacerbé par la lenteur de l’ajustement des loyers du fait des contrats de bail à durée déterminée — certains acheteurs potentiels vont préférer la location, ce qui peut réduire la demande d’achat et provoquer une correction des prix.

Ce ratio sert d’ancrage à long terme pour la rentabilité du marché du logement. Mais s’il continue d’augmenter à un rythme explosif, cela peut indiquer que les prix des logements sont déterminés par des attentes spéculatives plutôt que par les fondamentaux sous-jacents.

Ce comportement d’autorenforcement, où la hausse des prix semble valider les attentes de rendements plus élevés qui ont attiré les investisseurs en premier lieu, entretient les bulles, parfois sur de longues périodes.

L’International Housing Observatory décompose le ratio prix/loyer en rendement attendu des logements et en croissance projetée des loyers, le reste intégrant la contribution des bulles lorsqu’elles apparaissent. Ces méthodes élaborées montrent que les pressions spéculatives pendant la pandémie ont été limitées, des signes importants n’ayant été détectés qu’en Allemagne et aux États-Unis après correction des taux d’intérêt et des loyers.

 

En Allemagne, le marché du logement a connu un boom prolongé, qui s’est aggravé pendant la pandémie, suivi d’une forte surcorrection lorsque le ratio prix/loyer est tombé en dessous des niveaux fondamentaux. Les États-Unis ont, pour l’essentiel, échappé à l’exubérance du ratio prix/revenu, mais pas à celle du ratio prix/loyer. Le pays s’est donc trouvé aux prises avec des pressions inflationnistes persistantes lorsque les loyers ont commencé à combler l’écart, ce qui a mené à une politique monétaire plus agressive.

Bien qu’une sévère correction des prix réels de l’immobilier ait jusqu’à présent été évitée aux États-Unis, l’accessibilité financière du logement s’y est érodée pendant la pandémie et reste un défi à long terme.

Considérations en matière de politique

Avant la crise de 2008–09, la stabilité financière reposait sur la réglementation prudentielle des différentes institutions et sur le recours à des outils macroprudentiels limités pour contrer les risques systémiques. En réaction aux défaillances révélées par la crise, les pouvoirs publics ont renforcé les cadres pour freiner la croissance du crédit, l’inflation des prix des actifs et l’endettement, en particulier dans l’immobilier.

Les inquiétudes n’ont pas été entièrement levées par les nouvelles règles prudentielles, dont la capacité à traiter pleinement les risques liés aux bulles immobilières est mise en doute. Des outils macroprudentiels anticycliques mieux adaptés aux cycles immobiliers — plutôt qu’aux cycles économiques — et une coordination internationale renforcée sont nécessaires, et il faut également accorder une plus grande attention à la contagion, aux flux de capitaux mondiaux, au système bancaire parallèle et au financement hors bilan.

En outre, une communication claire de la banque centrale, y compris des cadrages prospectifs, est indispensable pour gérer les anticipations et renforcer la résilience du système financier. Pour préserver la stabilité financière, il est essentiel de mettre en œuvre une approche globale de la gestion des risques — utilisant des outils de détection précoce pour repérer et suivre les bulles immobilières, évaluer les conséquences et mettre en œuvre des stratégies d’atténuation (y compris des orientations financières) — associée à des politiques monétaire et prudentielle intégrées.

Les bulles des prix des actifs, en particulier dans le secteur du logement, requièrent une attention particulière, car elles constituent une source importante de vulnérabilités et de risques financiers. L’intégration d’outils innovants pour surveiller les exubérances et analyser les bulles résultant d’anticipations permet aux décideurs de mieux gérer les risques générés par ces bulles pour le système financier et pour l’économie dans son ensemble.

ENRIQUE MARTINEZ GARCIA est vice-président adjoint et chef du groupe international au sein du département de la recherche de la Banque de réserve fédérale de Dallas.




Afrique : loger une population croissante

Une compréhension plus fine de l’informalité et une meilleure utilisation des technologies peuvent créer des marchés du logement plus viables.

Les villes africaines sont dominées par l’économie informelle. Plaques tournantes inventives et bouillonnantes pour toute une population de demandeurs d’emploi, de migrants et de jeunes, royaume absolu des embouteillages, des vendeurs à la sauvette et des logements de fortune, les villes africaines n’en sont pas moins des centres d’activité dynamiques, déterminants dans la capacité du continent à atteindre ses objectifs de croissance économique.

Le logement est un élément central des villes. Des habitations convenables et abordables sont un levier de croissance majeur pour les villes, car, au-delà de leur construction proprement dite, ils conditionnent directement où et comment les gens vivent, travaillent et accèdent aux services. Lorsque le logement est soigneusement planifié et intégré à l’infrastructure de la ville, il peut soutenir un aménagement urbain efficace, déterminer et exploiter les possibilités offertes par la densification démographique et stimuler la croissance de l’économie locale.

Mais dans les villes africaines, la construction de logements se fait le plus souvent de manière informelle. La majorité des prêts au logement et des investissements dans l’immobilier résidentiel se font par voie informelle — que ce soit de la main à la main, par l’intermédiaire de tontines et de coopératives d’épargne et de crédit, ou par envois de fonds — et non par le biais de canaux réglementés. Bien que les procédés informels soient en définitive inefficaces, coûteux, opaques et usuriers, ils sont également souples et réactifs et présentent peu de barrières à l’entrée. Surtout, ils sont révélateurs des priorités, des besoins et des moyens de la majorité des habitants du continent.

Les technologies offrent de précieuses possibilités pour soutenir le logement dans cet environnement informel. En tirant parti des plateformes numériques, de la technologie mobile, de l’analyse des données et des systèmes de ville intelligente, les municipalités et les personnes qui y travaillent peuvent jeter un pont entre la souplesse d’adaptation de l’économie informelle et les processus de gouvernance structurés nécessaires pour permettre une croissance durable. Pour les décideurs, les législateurs et le secteur privé, il ne s’agit pas de faire barrage à l’informalité en instaurant une confiance aveugle envers les dispositifs formels, mais plutôt d’en tirer parti grâce à une meilleure compréhension de ce qui amène, encourage et appelle l’informel. Cela aidera les investisseurs — qu’ils soient publics ou privés, institutionnels ou particuliers — à bien orienter leurs investissements dans le logement en ciblant le marché idoine, et conduira par ailleurs à la création d’un marché viable, accessible et utile à l’ensemble des citadins.

Perspectives technologiques

La technologie des chaînes de blocs peut être mise à profit pour créer des registres de propriété foncière décentralisés ou des titres numériques exécutoires qui s’affranchissent des lourdeurs administratives. Les établissements de crédit hypothécaire de plusieurs pays y ont recours pour l’inscription de privilèges sur les biens immobiliers hors du système cadastral officiel, qui inspire moins confiance. Cette solution a également été testée dans des quartiers informels, notamment à Kumasi, au Ghana, où un registre unique des propriétés foncières a été établi et où les titres physiques ont été numérisés.

En 2013, le Rwanda a mis en œuvre un programme de régularisation des régimes fonciers qui comprenait le bornage, l’attribution et cadastrage numérique de toutes les parcelles. En 2023, le pays a totalement dématérialisé la délivrance de titres fonciers, avec le système de certificat électronique e-Title, grâce auquel les propriétaires fonciers peuvent accéder rapidement et à moindre coût à leurs titres de propriété sur le site officiel de l’Autorité foncière nationale.

La souscription de crédit est un domaine où la technologie peut aider à mieux quantifier le risque et donc à établir les possibilités de rendement. Dans une optique d’encouragement de l’accès à la propriété, les autorités de Djibouti ont mis en place un guichet hypothécaire qui garantit les prêts d’un montant maximal de 10 millions de francs Djibouti (56 000 dollars) pour les ménages vulnérables, qui sont définis comme étant les ménages au revenu mensuel compris entre 80 000 et 270 000 francs Djibouti (450–1 518 dollars).

Dans certains pays, dont le Nigéria, des applications mobiles permettent aux constructeurs informels et aux petits promoteurs immobiliers d’accéder à des marchés plus vastes. Ces plateformes facilitent une participation rapide et intuitive au marché tout en permettant à leurs utilisateurs de s’intégrer dans des réseaux formalisés de commerce et de distribution. Les antécédents des utilisateurs servent de base aux décisions des prêteurs en matière d’octroi de crédit, ce qui favorise la croissance et le développement des petites entreprises.

Les systèmes d’information géographique, les drones et l’imagerie satellite peuvent aider à cartographier l’économie informelle et, en fournissant des données en temps réel sur les habitats, activités économiques et marchés informels, permettre aux urbanistes de comprendre la dynamique informelle et d’y réagir efficacement. Au cours de l’année à venir, le Centre pour le financement du logement abordable en Afrique, de conserve avec le Lincoln Institute of Land Policy, va explorer ces politiques et pratiques au Kenya.

Le prêt électronique peut favoriser des formules de location avec option d’achat. La chaîne de blocs réduit le coût des transactions, notamment pour ce qui est de la validation de la véracité des informations. Cette technologie a déjà eu des effets notables tant sur l’abordabilité des logements pour les ménages, que sur la taille du marché et les possibilités qu’il offre pour les promoteurs. Un promoteur immobilier au Mozambique a ainsi constaté que, avec l’utilisation de cette technologie, les logements qu’il construit étaient dès lors accessibles à 80 % de la population — tandis qu’auparavant, ils n’étaient accessibles qu’à 3 % de la population selon le modèle hypothécaire existant.

KECIA RUST est administratrice du Centre pour le financement du logement abordable en Afrique (Centre for Affordable Housing Finance in Africa, CAHF). Cet article et études de cas s’appuient sur la 15e édition de l’Annuaire du CAHF, Financement du logement en Afrique — une revue des marchés africains du financement du logement.