Le Sénat autorise la prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu et adopte le calendrier des matières de la session de mars 

Le Sénat a voté, ce vendredi 21 mars en plénière, la prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Sur les 78 sénateurs qui ont pris part au vote, 75 ont voté pour, aucun non et 3 Abstentions.

Cette énième Prorogation de l’état de Siège dans les deux provinces de l’Est intervient dans un contexte où la RDC est agressée par l’armée rwandaise avec ses supplétifs du M23/AFC. Ce projet de loi ainsi adopté sera transmis au Président de la République pour promulgation.

Devant les honorables sénateurs, l’économie de ce texte a été présentée par le vice-ministre de la Justice, Samuel Kabuya.

Dans son mot introductif, le Speaker de la chambre haute du Parlement a souligné le caractère spécial que revêt cette session de Mars qui, du reste, est essentiellement sécuritaire. Dans cette optique, même les travaux en commission devront focaliser leurs matières sur les stratégies et questions urgentes de sécurité, en fonction des matières retenues dans le calendrier de la session.




Avec Luanda et Doha, Félix Tshisekedi face à 3 dialogues incontournables !

La priorité, toutefois, est à réserver au Dialogue interne, celui de la Cohésion nationale ! Puisse les déclarations rassurantes de Mgrs Fulgence Muteba et André Bakundowa sur RFI le jeudi 20 mars 2025 convaincre les radicaux qui gravitent autour de Félix Tshisekedi du bien-fondé du Dialogue comme unique voie de solution aux crises multiformes et multisectorielles actuelles. Surtout quand leurs causes et conséquences ressemblent à celles des fora précédents. Le prélat protestant déclare à ce sujet : « … demander le départ de quelqu’un qui a un mandat, nous croyons que ce n’est pas une bonne chose».

Il refaisait le vase mal façonné

En effet, à quelques exceptions près, ce qui arrive aujourd’hui ressemble à ce qui s’était passé entre 1999 et 2003 avec, précisément les Accords de Lusaka entre belligérants, les Accords de Luanda entre la RDC respectivement avec le Rwanda et l’Ouganda ainsi que le Dialogue intercongolais. Il y en avait eu trois à l’époque et, comme par coïncidence, il y en a trois aujourd’hui, à savoir :

-le Dialogue avec les groupes armés congolais. C’est le Processus de Nairobi ;

-le Dialogue avec les États soutenant ces groupes armés. C’est le Processus de Luanda intégrant désormais Doha, et

-le Dialogue avec les forces politiques et sociales rdcongolaises. C’est l’initiative de la synergie CENCO-ECC dénommée Pacte Social.

Si l’on y revient, c’est qu’à l’époque tout n’avait pas été dit, tout n’a pas été fait.

En d’autres termes – sans nécessairement se livrer à la prophétie de malheur – rater le coche aujourd’hui avec une solution bâclée revient à condamner la RDC à vivre le fameux «Jamais deux sans trois». Quand ? Dans 20 ans ? 30 ans ?

Pour l’instant, il y a lieu de s’inspirer de l’exemple du potier de la Bible. Il refaisait chaque vase «mal façonné». C’était de sa part un acte de responsabilité.

C’est à pareil acte que le peuple est appelé dès lors que l’objectif est de façonner le «Congo du Centenaire de l’Indépendance». Dans 35 ans à dater de cette année.

Poser les bases d’une paix durable

Pour l’heure, retenons de la même interview du 20 mars 2025 à RFI les propos tout aussi rassurants de Mgr Fulgence Muteba. Du rendez-vous du 18 mars 2025 à Luanda pour lequel il a salué la bonne volonté manifestée par le Chef de État, il déclare : « …ça fait des semaines que nous demandons qu’il y ait ce dialogue parce que nous ne croyons pas du tout à une solution militaire à notre problème. Vous savez, la violence engendre la violence, comme on dit. Et pour nous, il faut que les Congolais puissent se retrouver autour d’une table, qu’ils puissent retrouver le consensus national, la cohésion nationale. Et ça, ça demande que chacun puisse se dépasser. C’est pourquoi nous saluons la décision du président Félix Tshisekedi et il s’est dépassé, même si autour de lui, il y a des gens qui ne sont pas d’accord. Mais là, il a pris ses responsabilités et nous l’encourageons à aller plus loin».

Le prélat poursuit sur la même lancée : «le dialogue ne doit pas seulement se limiter entre une délégation du gouvernement et ceux qui ont pris les armes, mais il faut que ça soit, comme le révérend l’a dit tout à l’heure, un dialogue entre les Congolais, qui soit le plus inclusif possible, le plus transparent, et qu’on puisse aborder tous les problèmes qui fâchent de telle manière que, fort de cette cohésion au plan interne, nous puissions aller au niveau de la sous-région pour poser les problèmes qui nous divisent avec les pays de la sous-région». Et il conclut : «De cette manière, nous pensons qu’on peut poser les bases d’une paix durable».

Ceci après l’audience accordée à la synergie le 19 mars 2025 par Emmanuel Macron à Paris.

Le 20 mars, cette fois à Bruxelles, après le même exercice, le ministre belge des Affaires étrangères Prevot Maxime s’exprime sur son compte X.com : «Après leur rencontre avec le Président @EmmanuelMacron, j’ai reçu ce matin une délégation des églises engagées pour la paix en RDC et dans la région. C’est une initiative de dialogue à saisir pour renforcer la cohésion et aborder les causes profondes du conflit dans l’Est de la RDC. Je leur souhaite plein succès dans leurs démarches ouvertes et inclusives qui s’inscrivent dans l’ordre constitutionnel». Londres et Washington probablement pour bientôt.

L’axe Bruxelles-Paris, on le sait, pèse sérieusement dans les enjeux des Grands Lacs aux côtés de l’axe Washington-Londres.

Jouer le jeu de l’ennemi consiste justement à rejeter tout face-à-face

A ceux qui s’inquiètent du sort de Félix Tshisekedi, Mgr André Bakundowa donne la réponse espérée : «Je crois que nos bien- aimés vont revenir dans le bon sens de voir comment nous pouvons aller jusqu’à la fin de son mandat et organiser des bonnes élections pour l’avenir de notre pays».

A ce propos, il est indiqué de rappeler à la conscience collective les faits suivants :

1.à l’avènement de la Transition en 1990, le discours d’Étienne Tshisekedi était la démission à tout pris du maréchal ;

2.à l’enclenchement de sa guerre en 1996, l’Afdl avait pour discours la démission à tout prix du maréchal ;

3.à l’enclenchement de leur guerre en 1998, le Rcd et le Mlc avaient pour discours la démission à tout prix de L-D. Kabila ;

4.à l’avènement de Joseph Kabila en 2001 jusqu’à son départ en 2019, le discours de l’opposition armée et de l’opposition politique était sa démission à tout prix.

Finalement, à l’exception de Laurent-Désiré Kabila assassiné en pleine fonction, seuls les prédécesseurs de Félix Tshisekedi à se montrer coopératifs ont survécu à l’ouragan.

C’est pour dire que la volonté du chef de l’État l’emporte sur toutes autres considérations.

Le Congo étant alors à l’heure de la vérité, jouer le jeu de l’ennemi pourrait consister aussi à rejeter tout face-à-face jusqu’à indisposer même les Etats voisins qui veulent du bien du Congo.

Ne le perdons pas de vue : quelle que soit la nature des sanctions infligées et à infliger au Rwanda, ce pays continuera de jouir du soutien de la communauté internationale, Occident en particulier, du fait que la sous-région stratégique des Grands Lacs n’est pas utile rapport à l’accès à l’océan Atlantique. Elle l’est par rapport à l’accès à l’ océan Indien. Océan de tous les enjeux. Américains, Européens et Asiatiques qui s’intéressent aux richesses minières de la RDC concentrées à l’Est et qui doivent absolument être présentes dans cet océan ont pour passage obligé le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Burundi et, bien entendu, le Rwanda, pays tampons avec le Kenya maritime !

Ceux qui rêvent d’écraser le Rwanda doivent avoir une lecture pragmatique de la géopolitique.

Voilà pourquoi, s’il y a un ordre de priorité à établir pour les 3 Dialogues s’avérant inéluctables, Kinshasa gagnerait plus à privilégier le Dialogue Intercongolais. Ce qui lui permettrait de consolider l’unité nationale au travers de la Cohésion nationale. C’est la condition sine qua non pour affronter le Rwanda certes, mais aussi le Soudan du Sud, l’Ouganda et le Burundi.

Faut-il encore disposer du plan B !

Encore 3 ans, Félix Tshisekedi consomme son second et dernier mandat. Va-t-il les passer dans les tiraillements allant crescendo ?

Lee Iacocca le lui rappelle : “Toute bonne décision prise trop tard devient une mauvaise décision».

Omer Nsongo die Lema




Le PCC adresse ses félicitations au LPRP pour son 70e anniversaire

Le Comité central du Parti communiste chinois (PCC) a adressé samedi un message de félicitations au Comité central du Parti révolutionnaire populaire lao (LPRP) à l’occasion du 70e anniversaire de la fondation de ce dernier.

Au cours des 70 dernières années, le LPRP a uni et guidé le peuple lao dans l’accomplissement de réalisations remarquables dans la construction et la rénovation socialistes. En particulier, depuis le 11e Congrès national du LPRP, le pays a connu une stabilité politique et sociale, un développement économique durbale et une amélioration constante des moyens de subsistance, indique le message.

Sous la direction forte du Comité central du LPRP dirigé par le secrétaire général Thongloun Sisoulith, le LPRP et le peuple lao seront capables de faire avancer vigoureusement la cause de la construction et de la rénovation socialistes et d’accueillir le 12e Congrès national du LPRP, avec des réalisations exceptionnelles, ajoute le message.

En tant que camarades et frères socialistes, le PCC, le gouvernement et le peuple chinois ont toujours considéré le LPRP, le gouvernement et le peuple laotiens comme des amis et des partenaires fiables. Sous la direction stratégique des dirigeants suprêmes des deux partis et des deux pays, la construction d’une communauté de destin sino-laotienne s’est approfondie, a connu des progrès solides et une série de nouvelles réalisations, apportant des avantages tangibles aux deux peuples, poursuit le message.

Le PCC est prêt à travailler avec le LPRP pour concrétiser l’important consensus auquel sont parvenus les dirigeants suprêmes des deux partis et pays, et porter la communauté de destin sino-laotienne vers des standards plus élevés, une meilleure qualité et un niveau plus élevé, conclut le message.




Crise à l’est de la RDC: un représentant américain se rend à Kinshasa puis à Kigali

Après une visite à Kinshasa, la tournée africaine du représentant du Congrès américain Dr Ronny Jackson s’est poursuivie ces derniers jours à la capitale rwandaise Kigali, après un passage à Brazzaville. Ancien médecin du président Donald Trump sous son premier mandat et élu républicain de l’État du Texas, la question du conflit à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) était au centre de sa visite.

Pendant sa visite de deux jours à Kigali, le républicain et membre du Congrès Dr Ronny Jackson s’est entretenu avec le chef d’État Paul Kagame pour discuter de la « coopération en cours pour promouvoir la paix dans la région », selon un message de la présidence. À la tête du Sous-comité de la Chambre des représentants sur le renseignement et les opérations spéciales, l’ancien médecin de la Maison Blanche et contre-amiral de la Marine à la retraite a également rencontré deux figures de l’appareil sécuritaire rwandais : le ministre de la Défense Juvénal Marizamunda, et le secrétaire général des services de renseignements Aimable Havugiyaremye.

La visite se déroule quelques jours seulement après un premier déplacement à Kinshasa, où le conflit à l’est de la RDC était au cœur des discussions. Ronny Jackson s’est entretenu avec les leaders religieux, mais aussi le chef d’État Félix Tshisekedi, où il a affirmé vouloir travailler pour que la paix revienne dans le pays, selon la présidence, et que les entreprises américaines puissent venir investir en RDC.

Un message émis alors qu’un partenariat minier est actuellement en discussion avec les États-Unis.

Avec notre correspondante à Kigali, Lucie Mouillaud




Les USA bloquent un financement climatique de 2,6 milliards $ pour l’Afrique du Sud

L’Afrique du Sud fait face à un nouvel obstacle dans ses efforts pour transformer son secteur énergétique. Alors que des engagements financiers avaient été pris pour soutenir cette transition, des incertitudes pèsent désormais sur la concrétisation de certains d’entre eux, dans un contexte diplomatique tendu.

L’Afrique du Sud, qui dépend encore largement du charbon pour sa production d’électricité, voit son programme de transition énergétique fragilisé par le blocage d’un financement climatique de 2,6 milliards USD par les États-Unis. C’est ce qu’a rapporté Bloomberg, citant des sources anonymes proches du dossier.

Selon lesdites sources, des représentants américains ont empêché plus tôt ce mois-ci les Fonds d’investissement climatiques (CIF), une structure liée à la Banque mondiale, d’approuver un premier décaissement de 500 millions USD. CIF devait débloquer 2,1 milliards USD supplémentaires issus de banques multilatérales de développement et d’autres sources.

Cette suspension s’inscrit dans la continuité de la dégradation des relations diplomatiques entre les USA et l’Afrique du Sud. Washington a déclaré ce mois Ebrahim Rasool, l’ambassadeur sud-africain aux USA, « persona non grata », l’accusant d’alimenter les tensions raciales et d’être hostile à Donald Trump. Pretoria a qualifié cette expulsion de « regrettable » tout en affirmant son engagement à maintenir des relations bilatérales constructives.

Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a intensifié sa politique de rupture avec Pretoria, coupant des aides américaines et accusant l’Afrique du Sud de discrimination envers les descendants de colons européens. L’entrepreneur Elon Musk, influent soutien du président américain, a également relayé ces accusations.

Si ces tensions persistent, elles pourraient remettre en question d’autres formes de coopération économique et énergétique entre les deux pays. La prochaine réunion des CIF en juin permettra de savoir si ces fonds seront finalement débloqués ou s’ils seront définitivement annulés.

Abdoullah Diop




NRGI lance une formation sur la gouvernance extractive en Afrique et dans le monde

Le Natural Resource Governance Institute œuvre pour améliorer la gouvernance des ressources naturelles, en particulier dans les pays riches en hydrocarbures et en minerais. Avec la transition énergétique, les défis liés à la bonne gestion du secteur extractif sont exacerbés en Afrique.

Natural Resource Governance Institute (NRGI) a annoncé vendredi 21 mars l’ouverture des inscriptions pour une nouvelle formation sur la gouvernance des industries extractives. Prévue du 21 au 26 septembre 2025 à Oxford au Royaume-Uni, elle vise à renforcer les compétences des décideurs publics et privés en matière de gestion des ressources naturelles, en mettant l’accent sur la gouvernance responsable et les défis de la transition bas-carbone.

Cette formation est réservée aux décideurs de haut niveau, notamment les ministres, chefs de cabinet, directeurs d’entreprises publiques extractives, hauts fonctionnaires en charge des politiques minières, pétrolières et gazières, ainsi que leurs conseillers. Des dirigeants d’entreprises privées, des consultants spécialisés, des responsables d’agences multilatérales comme le FMI et la Banque mondiale, et des experts de think tank sont également éligibles.

Intitulée « Managing Mining, Oil and Gas for National Development », le cours est proposé par l’organisation à but non lucratif NRGI, en partenariat avec la Blavatnik School of Government. Les participants bénéficieront d’une formation couvrant divers aspects techniques et stratégiques du secteur extractif.

Les modules aborderont notamment l’attribution des licences minières, la fiscalité des entreprises extractives, la gestion des entreprises publiques du secteur, la protection des communautés locales et de l’environnement, ainsi que l’utilisation des revenus pour favoriser le développement industriel.

Les frais d’inscription s’élèvent à 8 000 livres sterling (10 300 dollars), couvrant l’enseignement, l’hébergement pendant six nuits et la plupart des repas. Les frais de transport et les visas restent à la charge des participants. NRGI propose toutefois des bourses, attribuées sur critères de mérite, aux candidats du secteur public issus de pays riches en ressources naturelles comme le Ghana, la Guinée, le Sénégal, la Sierra Leone et la Zambie. Certaines bourses pourront prendre en charge les frais de formation et, exceptionnellement, les coûts de transport.

Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 4 avril 2025.

Emiliano Tossou




Est de la RDC: la situation reste tendue à Walikale-Centre après la prise de la ville par l’AFC/M23

Après une relative accalmie observée dans la matinée, la tension est remontée d’un cran, dans l’après-midi du vendredi 21 mars, à Walikale-Centre, une localité du Nord-Kivu située à environ 400 kilomètres à l’est de Kisangani tombée entre les mains du groupe armé AFC/M23 jeudi 20 mars. Alors qu’aucune activité n’y a repris, ses habitants restent terrés chez eux.

La situation restait tendue à Walikale-Centre, dans la soirée du vendredi 21 mars. Si les combattants de l’AFC/M23 contrôlent toujours la cité, sur le terrain, l’armée congolaise tente de reprendre la main. Dans le courant de la journée, celle-ci a notamment lancé une contre-offensive avec l’appui de moyens aériens. Des sources sécuritaires affirment qu’au moins deux frappes de drones ont ainsi été conduites dans l’après-midi, provoquant des dégâts près de la base d’une organisation humanitaire alors que la veille déjà, des véhicules de Médecins sans frontières (MSF) utilisés pour le transport de malades avaient été touchés. L’attaque avait alors contraint l’ONG à suspendre ses activités dans l’attente d’un retour à des conditions de sécurité suffisantes.

Certains n’hésitent pas à fuir en direction de Kisangani, à 400 kilomètres de là

Face à cette situation, les habitants de Walikale-Centre mais aussi de Mubi, une localité voisine où des pillages ont été signalés, continuent eux de fuir à pied ou à moto, certains n’hésitant pas à se réfugier à Lubutu, située à plus de 200 kilomètres de là. D’autres encore vont même jusqu’à prendre la route de Kisangani, à plus de 400 kilomètres.

Sur le plan humanitaire, la situation est catastrophique.

Pour les organisations humanitaires qui poursuivent leurs opérations, la priorité est aujourd’hui de maintenir un accès aux soins et de garantir la continuité des services de l’hôpital de Walikale-Centre. Celles-ci tentent aussi d’évaluer les besoins dans les régions situées un peu plus au nord où des mouvements de populations ont été observés.




Talent mondial et réussite économique: L’accès aux meilleurs éléments forge l’horizon des aspirations d’un pays.

L’accès aux meilleurs éléments forge l’horizon des aspirations d’un pays.

Les pays qui attirent les plus grands talents de la planète seront les mieux à même de surmonter les pressions économiques croissantes dues au vieillissement de la population et au déclin de la productivité. Pourtant, l’immigration suscite parfois des réticences. Les flux de talents internationaux — que je qualifie de « don » dans mon livre — vont-ils prendre fin ? Certainement pas. Mais les décideurs devront s’appuyer sur de nouveaux cadres.

Pourquoi cet optimisme ? Malgré les pénuries de main-d’œuvre qui menacent dans de nombreux pays, hormis en Afrique et dans certains autres marchés émergents, l’adhésion du public à l’immigration a récemment faibli aux États-Unis, en Australie, au Canada, au Royaume-Uni, dans la plupart des pays d’Europe et ailleurs encore. Ce recul a néanmoins souvent été enregistré à partir de niveaux de soutien historiquement élevés. Les sondages Gallup menés depuis les années 60 montrent que le soutien global à l’immigration aux États-Unis a culminé au début des années 2020. S’il a depuis très nettement décliné, son niveau reste cependant analogue à celui de 2010 — et supérieur à celui des décennies précédentes.

Qui plus est, les sondages récents continuent de montrer un large soutien à la migration professionnelle ou économique. Un sondage mené par Echelon Insights en 2024 a révélé l’existence d’un large soutien bipartisan en faveur de l’immigration des travailleurs hautement qualifiés aux États-Unis. D’importants débats s’annoncent sur la migration liée à l’emploi, qui nécessiteront une réflexion novatrice pour un plus vaste partage des retombées positives des talents internationaux dans les pays d’accueil, mais la tendance générale de l’opinion publique reste plutôt favorable.

Le talent en vedette

Quelques données de base mettent en exergue les liens entre migration et talent. Premièrement, les personnes exceptionnellement talentueuses émigrent à des taux plus élevés que le reste de la population. Quelque 5,4 % des travailleurs ayant fait des études supérieures vivent en dehors de leur pays d’origine, contre 1,8 % des diplômés de l’enseignement secondaire. Quant aux inventeurs et aux lauréats du prix Nobel, ils migrent respectivement deux et six fois plus que les travailleurs ayant suivi une formation universitaire. Ainsi, dans de nombreux pays d’accueil, la part des travailleurs qualifiés nés à l’étranger est notable et en hausse, surtout dans les domaines qui touchent aux sciences et à l’ingénierie.

De plus, les lieux ciblés par les immigrants qualifiés sont souvent des lieux particuliers. On assiste depuis les années 70 à une explosion du travail axé sur le savoir, qui a entraîné des modifications dans la géographie de l’innovation. Les travaux que j’ai menés avec Brad Chattergoon quantifient cette évolution pour les brevets déposés aux États-Unis, l’analyse établissant que six centres technologiques ont triplé leur part de brevets, passant de 11,3 % durant la période 1975–79 à 34,2 % pour 2015–19 (sur plus de 300 zones métropolitaines). Des pôles de ce type existent également dans les industries créatives, le secteur des médias, la finance et l’entrepreneuriat de forte croissance.

Les talents internationaux sont déterminants, voire indispensables, pour le développement de ces pôles d’excellence. Les nouveaux arrivants en provenance de l’étranger, s’ils sont libres de choisir où étudier ou travailler, tendent à rechercher les opportunités les plus intéressantes. En contribuant à l’expansion d’un pôle ainsi qu’au renforcement de sa productivité, les talents internationaux augmentent sa valeur, ce qui le rend encore plus attractif auprès des prochains arrivants. Et parce qu’il effectue un travail axé sur le savoir au service des marchés mondiaux, un pôle peut concentrer une grande quantité de talents en un seul lieu. (On ne regrouperait pas de la sorte des dentistes dans une seule ville.)

Il y a beaucoup de raisons de se féliciter de ce processus, et les gains de productivité et de prospérité ne sont pas une équation à somme nulle. De nombreux décideurs encouragent activement les pôles d’excellence dans leur pays, et les talents internationaux apportent une contribution déterminante. Pourtant, les décideurs doivent s’attaquer aux points de vulnérabilité.

Points de vulnérabilité

Le mécontentement peut surgir au sein même des pôles de talents. La croissance est positive, jusqu’à ce qu’elle devienne excessive. C’est ce qu’ont clairement montré la colère suscitée par la flambée des prix de l’immobilier et le recul du soutien à l’immigration, notamment au Canada (même si ledit soutien reste relativement élevé d’un point de vue historique). L’exaspération se fait également sentir face aux écoles et aux hôpitaux surchargés. La réalité est ici nuancée.

Bien souvent, les talents internationaux sont accusés de provoquer une crise qui, de fait, existait déjà. Par exemple, la présence des migrants est rarement la cause première du manque de logements, lequel découle plutôt de réglementations strictes qui entravent la construction de nouvelles structures.

Quoi qu’il en soit, les décideurs doivent tenir compte de ces tensions. Les chefs d’entreprise encouragent souvent la migration professionnelle, car ils souhaitent recruter les travailleurs qu’elle procure. Leur plaidoyer est révélateur de leur capacité à employer les talents internationaux, ainsi que de leur aptitude à étendre la production. Les inventions conçues à Helsinki ou dans la Silicon Valley, peuvent être mises en œuvre par les chaînes d’approvisionnement mondiales. Il est en revanche possible que d’autres ressources locales — comme les logements ou les écoles — aient une capacité plus restreinte, dont l’expansion exige davantage de temps. Les décideurs doivent gérer ces tensions en contrôlant le rythme des arrivées en provenance de l’étranger et en desserrant les goulets d’étranglement connexes. Les pays qui excellent dans ces activités complémentaires peuvent faire un usage optimal des talents internationaux.

Les tensions entre ceux qui se trouvent à l’extérieur des pôles d’excellence et ceux qui se trouvent à l’intérieur constituent une autre source de mécontentement. Même dans le cas des migrations professionnelles, les enjeux politiques pèsent plus lourd que les considérations économiques. Lorsqu’une partie de la population est encline à se méfier des personnes hautement qualifiées rattachées aux pôles d’excellence (« l’élite ») — voire à les critiquer ouvertement — elle peut adopter une attitude encore plus sceptique à l’égard des talents internationaux (« l’élite étrangère »).

Les décideurs avisés qui apaisent ces tensions bénéficieront d’une plus grande marge de manœuvre auprès du public en ce qui concerne l’immigration de travailleurs hautement qualifiés. Aux États-Unis, par exemple, on observe un intérêt croissant pour les visas Heartland (régions centrales), qui répartissent les talents internationaux de manière plus homogène sur l’ensemble du territoire. Placer des talents internationaux en zone rurale ne mène pas nécessairement au même élan de productivité que dans un pôle d’excellence — mais l’établissement d’un plus vaste soutien et le partage des avantages à l’échelle nationale sont politiquement indispensables.

Savoir-faire sa cour

Dans un monde où l’on rivalisera pour séduire les talents internationaux, les pays vont rapidement se rendre compte qu’il faudra courtiser les migrants, et non simplement leur ouvrir la porte. Les flux de talents internationaux sont essentiels pour attirer les meilleurs profils dans les domaines émergents, telle l’intelligence artificielle. Même si l’immigration suscite actuellement un certain scepticisme, les décideurs avisés éviteront de faire à court terme des choix qui entraînent des répercussions négatives durables. Quels sont certains des éléments clés à prendre en compte pour attirer les talents internationaux ?

Premièrement, la « voie de l’éducation » appelle l’attention. La migration professionnelle est étroitement liée aux décisions concernant l’éducation. De nombreux employeurs recourent aux visas de travail pour recruter les jeunes talents fraîchement diplômés de l’université, et les travaux de Takao Kato et Chad Sparber montrent que les étudiants les plus brillants sélectionnent les établissements en fonction des futurs débouchés professionnels. Les politiques relatives aux mondes académique et professionnel sont souvent mal coordonnées, avec pour résultat des transitions difficiles, qui forcent même parfois le départ des talents que le pays souhaiterait précisément le plus conserver, et dans l’éducation desquels il a souvent investi des fonds publics. Il importe que les décideurs veillent au bon équilibre des différentes étapes du parcours d’immigration — visas scolaires, visas de travail, résidences permanentes, etc.

Deuxièmement, la quête de talents internationaux est un complément à l’investissement local. Le choix d’un lieu où étudier ou lancer une carrière s’apparente souvent à un investissement, au même titre que l’achat d’une maison. Cette optique à long terme signifie que les talents internationaux ont les mêmes priorités que la population locale — de bonnes écoles, des infrastructures de qualité et des lieux de vie sûrs. Qui plus est, les entreprises créées par les entrepreneurs immigrés s’appuient sur la main-d’œuvre locale. La quête de talents internationaux ne supplante donc pas l’investissement local dans les écoles et les biens publics.

Troisièmement, l’incertitude politique décourage l’investissement à long terme. L’incertitude nous retient lorsqu’il s’agit de prendre de grandes décisions assorties d’effets à long terme — que ce soit implanter une usine chimique, se marier, ou émigrer à la recherche d’opportunités académiques et professionnelles. Nombreux sont les systèmes d’immigration, dont celui des États-Unis, qui fonctionnent sans pour autant être nécessairement conviviaux. Cela ne posait pas de problème tant que les migrants avaient l’assurance que leur investissement finirait par être reconnu et récompensé à sa juste valeur. Lorsque les immigrants perdent confiance dans la pérennité du système et sa capacité à honorer ses engagements, l’attrait du pays diminue fortement. Des fondements politiques stables sont donc essentiels pour attirer les meilleurs talents.

Quatrièmement, les politiques d’immigration doivent être conçues de manière à être flexibles. Certains pays, comme le Canada, sont à même de pratiquer l’« ingénierie de l’immigration » — une formule qui désigne la capacité à expérimenter, à ajuster les politiques en fonction des résultats observés, à les recalibrer à mesure que de nouvelles informations se dégagent de l’expérience acquise, et ainsi de suite. Inversement, les États-Unis effectuent, à plusieurs décennies d’intervalle, des changements de grande ampleur. Les décideurs qui interviennent dans un cadre politique rigide devraient prévoir dans leurs mesures une certaine flexibilité, telle que l’ajustement automatique des plafonds de visas à partir de données pouvant être aisément actualisées, comme la croissance démographique.

Enfin, les politiques d’immigration doivent allouer des quotas limités de manière efficiente. Les pays diffèrent dans leurs priorités relatives à l’immigration ainsi que dans leurs mécanismes de sélection. S’agissant de l’immigration économique et professionnelle, nombreux sont les systèmes qui utilisent la loterie ou la règle du « premier arrivé, premier servi », lesquelles n’accordent aucune priorité aux compétences d’une grande rareté. Les décideurs devraient revoir leurs procédures de manière à garantir que les meilleurs candidats seront sélectionnés. Cela maximisera l’impact économique de l’apport de talents et renforcera le soutien politique à l’immigration.

Et pour ce qui est de savoir faire sa cour — oui, les femmes devraient être plus fortement représentées que les hommes dans les flux de talents internationaux. En 2010, les femmes étaient plus nombreuses que les hommes au sein du vivier d’immigrants hautement qualifiés dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. L’écart pourrait se creuser encore davantage, car les taux d’inscription des femmes aux facultés et universités continuent de dépasser ceux des hommes. Les décideurs auront tout intérêt à ce que leur vision des flux de talents internationaux reflète cette réalité et tienne compte des paramètres auxquels les femmes accorderont de l’importance dans leurs possibles lieux de destination.

Des équipes compétitives et gagnantes

Les dirigeants prévoyants souhaitent que leurs pays relèvent avec succès les défis de demain, qu’il s’agisse du vieillissement de la population, du déclin de la productivité, de la dégradation du climat ou de l’escalade des tensions politiques mondiales. La constitution d’une équipe compétitive et gagnante est essentielle au dynamisme et à la réussite des pays, tout comme elle l’est pour les entreprises. Face à cette transition vers un travail axé sur le savoir, les entreprises ont progressivement renforcé les fonctions axées sur les personnes, qui ne sont plus limitées au soutien administratif au recrutement ni à la conformité en ressources humaines, mais sont désormais prises en compte dans les discussions stratégiques. L’accès aux talents détermine souvent la stratégie qu’une entreprise peut appliquer ; il importe donc que ces deux éléments soient développés conjointement. Ceci vaut également pour les pays.

Et qu’en est-il de la prospérité des pays d’origine ? Certains pays sont en situation de désavantage, en raison du départ de leurs talents, tandis que d’autres ont gagné au change (ce phénomène est parfois plus crûment qualifié de « fuite de cerveaux » et « gain de cerveaux »). Tout dépend de la force des réseaux entre les pays et de la volonté des entreprises des pays d’accueil de nouer ou non des liens économiques avec les pays d’origine des talents migrants. Certains pays d’origine ont mis en place des politiques visant à renforcer ces interactions, ainsi que décrit dans mon livre. Étonnamment, le plus grand bénéfice des flux de talents pour les pays d’origine pourrait être le renforcement du niveau d’instruction des jeunes qui espèrent émigrer, car en fin de compte, beaucoup d’entre eux restent dans leur pays.

À mesure que l’on passe de l’ensemble des travailleurs aux universitaires, puis aux inventeurs et aux lauréats du prix Nobel, la part des talents internationaux dans la main-d’œuvre croît progressivement. Si les stratégies nationales relatives aux technologies de pointe sont façonnées par de nombreux paramètres nationaux et internationaux, l’accès au vivier mondial de talents détermine l’horizon des ambitions qu’un pays peut se fixer.

 

WILLIAM KERR est professeur titulaire de la chaire D’Arbeloff en administration des affaires à la Harvard Business School et auteur de The Gift of Global Talent: How Migration Shapes Business, Economy & Society.




La place du talent humain à l’ère de l’IA: Dans certains rôles, l’intelligence artificielle rendra l’humain superflu, mais elle pourrait aussi mettre à la portée de certains des rôles autrefois inaccessibles.

La marche de l’intelligence artificielle (IA) est inexorable et elle élargira l’éventail des possibilités pour l’humanité, même si elle colonisera de nombreux territoires jusqu’à tout récemment réservés aux humains et à leur ingéniosité. Quant à savoir si l’IA accroît ou réduit l’espace où peut s’exprimer le talent humain, tout dépendra du taux de pénétration des outils d’IA ainsi que du degré d’éthique et d’équité qui encadre leur usage. Le défi pour les décideurs est de parvenir à créer les conditions qui permettront à l’IA de valoriser le potentiel des humains.

Pensez à une partie d’échecs. Les machines maîtrisent ce jeu mieux que les humains depuis des dizaines d’années déjà. En 1997, l’ordinateur Deep Blue d’IBM a en effet battu celui qui était alors le champion mondial d’échecs, Garry Kasparov, et les moteurs d’analyse programmés pour jouer aux échecs sont aujourd’hui beaucoup plus puissants. Les humains n’ont pas arrêté de jouer aux échecs pour autant. En fait, bien des gens font valoir que ce jeu est plus populaire que jamais pour de nombreuses raisons, dont l’accès facilité grâce aux téléphones intelligents, à Internet et aux médias sociaux ; les confinements décrétés pendant la pandémie et la popularité de la minisérie « Le Jeu de la dame » diffusée sur Netflix. Certains estiment même que les ordinateurs et Internet ont fait des humains de meilleurs joueurs d’échecs.

L’IA pourrait avoir un effet similaire (pour le meilleur ou pour le pire) sur le travail, l’éducation, voire les sports et les arts.

Un talent prisé

Les inconvénients potentiels de l’IA sur le marché du travail sont bien connus. Plus la complexité des tâches dont s’acquittent les systèmes d’IA s’accroît, plus le rôle du talent humain est menacé. La main-d’œuvre humaine pourrait être peu à peu reléguée à un ensemble de tâches de plus en plus mince, tandis que des talents autrefois prisés (comme la capacité de mémoriser des quantités importantes d’information, de parler plusieurs langues ou de reconnaître des schémas complexes) perdent leur valeur puisque les machines sont nettement supérieures aux humains dans ces domaines.

Environ 40 % des emplois dans un large éventail de professions pourraient être touchés par l’IA selon une étude du FMI. Cette estimation est fondée sur la proportion de tâches liées à ces professions que l’IA peut déjà effectuer, notamment la traduction, la synthétisation de l’information et le codage. Ces tâches (dites « cognitives » parce qu’elles exigent de résoudre des problèmes et de communiquer) étaient traditionnellement considérées comme des chasses gardées où les humains détenaient un net avantage. Elles sont fort différentes des tâches routinières et répétitives frappées par les vagues précédentes d’automatisation.

Ainsi, les outils d’IA aident désormais les avocats à effectuer leurs recherches juridiques, à analyser des textes et à rédiger des documents, ce qui atténue d’autant la pertinence des assistants juridiques. De même, les logiciels de traduction s’appuyant sur l’IA réduisent la demande de traducteurs humains dans les entreprises, et dans certains domaines des soins de santé, les outils d’IA arrivent mieux que les humains à détecter précocement les cancers par l’analyse d’images et les dépistages sanguins.

Et même dans les tâches encore effectuées par des humains, sans cesse moins nombreuses, l’IA redéfinit les critères d’excellence. S’il est vrai que les outils d’IA accroissent la productivité pratiquement partout, Erik Brynjolfsson, Danielle Li et Lindsey Raymond (2023), du Massachusetts Institute of Technology, montrent que les avantages de l’IA ne se matérialisent pas uniformément partout. L’IA améliore la productivité des travailleurs moins expérimentés et moins performants, et réduit donc considérablement l’écart entre les travailleurs ordinaires et les plus talentueux. Prenons par exemple le codage. Grâce à l’IA, le rendement des travailleurs moins compétents peut se rapprocher de celui des développeurs plus doués. Cet effet de nivellement pourrait réduire la valeur du talent humain, puisque l’écart de rendement entre les talents exceptionnels et les talents moyens s’estompera. Au fil des avancées de l’IA, celle-ci pourrait dépasser les experts humains dans certains domaines, ce qui laissera de moins en moins d’espace pour l’excellence exclusivement humaine.

Créativité humaine

La perte de la créativité humaine et du sentiment d’appartenance est une autre conséquence possible des conquêtes de l’IA. La multiplication des tâches assistées par l’IA (codage, création de contenu, diagnostic des maladies et composition d’œuvres musicales) aura comme corollaire une tendance à s’en remettre excessivement à elle. Cette dépendance pourrait avoir des conséquences non souhaitées sur le plan de l’innovation. Ainsi, dans leur étude, Fabrizio Dell’Acqua et ses collègues chercheurs (2023) ont comparé le travail de consultants ayant utilisé des outils d’IA à celui d’autres qui n’y avaient pas eu recours et ont constaté que le travail des premiers était moins original. Le résultat est en général de meilleure qualité, mais beaucoup plus monotone, parce que les outils d’IA poussent les consultants vers des solutions uniformisées.

L’IA ne menace pas seulement la capacité humaine d’innover, elle pourrait aussi s’approprier les fruits de la créativité des humains. Les outils d’IA sont en effet entraînés au moyen de données et de textes extraits de corpus massifs de contenus créés par des humains. Or, les développeurs n’attribuent pas toujours le mérite aux créateurs, et indemnisent encore moins les personnes à l’origine des données exploitées. Cette pratique donne lieu à de nombreuses poursuites lancées par des créateurs de contenu qui allèguent que leurs œuvres protégées par des droits d’auteur ont été utilisées illégalement. Par exemple, le New York Times a engagé des poursuites contre OpenAI pour utilisation inappropriée de ses archives protégées par des droits d’auteur, et d’autres éditeurs se sont récemment joints au média dans cette affaire. Suivant le même principe, Universal Music Group, Warner Music Group et Sony Music Entertainment ont engagé des poursuites contre Suno et Udio, de jeunes pousses spécialisées dans l’IA, à propos d’outils de création de musique assistée par IA.

Les sociétés spécialisées en IA font souvent valoir que l’utilisation de données massives pour entraîner leurs outils est protégée par la doctrine de « l’usage équitable », qui permet d’utiliser une œuvre assujettie à des droits d’auteur à des fins d’éducation, de recherche ou de commentaires. Les créateurs de contenu répliquent que l’échelle et la portée de l’utilisation qui est faite par l’IA de leurs œuvres dépassent de loin la définition conventionnelle d’un « usage équitable » et ont aussitôt lancé aux autorités un appel à adopter de nouvelles lois et de nouveaux règlements visant à garantir une utilisation équitable et éthique de leurs œuvres originales.

Et même dans les tâches encore effectuées par des humains, sans cesse moins nombreuses, l’IA redéfinit les critères d’excellence.

Créateurs de contenu

Ce différend reflète d’une certaine manière les frictions de longue date entre les créateurs de contenu et les sociétés technologiques. Les organes de presse traditionnels, par exemple, connaissent un déclin depuis la montée des médias sociaux et des moteurs de recherche qui cannibalisent leurs revenus publicitaires. De même, les plateformes de diffusion en continu ont transformé le modèle d’affaires de l’industrie musicale en détournant les revenus générés par les ventes d’albums et en faisant exploser la valeur des spectacles sur scène. L’émergence des outils d’IA n’est que le plus récent chapitre d’une histoire connue. Contrairement aux technologies qui ont causé des perturbations par le passé, les outils d’IA sont capables de générer des œuvres nouvelles, mais qui reproduisent le style d’un artiste sans son consentement et sans lui devoir quoi que ce soit. Les créateurs n’exercent plus qu’un contrôle limité sur l’utilisation de leur œuvre, ce qui soulève des questions complexes sur les droits de propriété et les droits d’auteur. Une telle appropriation de contenu créé par des humains risque de déprécier les œuvres originales et d’étouffer la créativité.

Si l’IA ne fait que tuer l’emploi et étouffer la créativité — et miner l’excellence —, en quoi profite-t-elle au talent humain ? Le fond de l’histoire est un peu plus complexe. Sur les lieux de travail, l’IA peut libérer les employés de leurs tâches routinières et leur permettre de s’acquitter de tâches plus complexes faisant appel à des compétences plus grandes. Elle peut aussi permettre au talent humain de mieux s’exprimer en élargissant l’accès à une éducation personnalisée de qualité supérieure. L’IA peut aussi stimuler les découvertes scientifiques et mener à des résultats plus prometteurs, plus rapidement.

Apprentissage et travail

Le processus est déjà en cours. En abattant les obstacles traditionnels à l’éducation, les outils d’IA permettent à une foule d’étudiants d’accéder à des cours personnalisés autrefois limités pour cause de contraintes géographiques ou systémiques, ou par manque de ressources. Par exemple, des plateformes d’IA aident les parents d’enfants sourds ou malentendants à apprendre la langue des signes, ce qui facilite la communication au sein des familles. De plus, des outils pédagogiques personnalisés, comme des tuteurs de lecture et de mathématiques animés par l’IA aident les enseignants, les étudiants et les parents à comprendre les lacunes de chaque apprenant et à adapter l’enseignement à leurs besoins.

Ces outils d’apprentissage fondés sur l’IA sont très prometteurs dans les pays en développement où sévissent d’importantes pénuries d’enseignants qualifiés. En Afrique subsaharienne, les plateformes en ligne appuient l’éducation depuis plus d’une décennie. De même, les plateformes d’IA sont de plus en plus populaires en Chine. Ce virage vers un apprentissage personnalisé assisté par l’IA est susceptible d’aider des étudiants d’horizons divers et sensibles à différentes méthodes d’apprentissage à exceller en comblant leurs lacunes et en leur permettant de briller dans leurs domaines de prédilection.

Au travail, l’IA peut prendre en charge les tâches répétitives et monotones, et simplifier les tâches administratives, permettant ainsi aux travailleurs de se concentrer sur des responsabilités plus complexes, plus créatives et plus gratifiantes qui exigent une touche humaine. Cette évolution pourrait être à l’avantage des travailleurs, surtout dans les professions qui exigent un haut volume d’interactions humaines et la prise de décisions critiques ayant une incidence sur la vie des gens. Par exemple, dans le secteur des soins de santé, des systèmes s’appuyant sur l’IA peuvent faciliter la programmation des rendez-vous, la facturation et la gestion des dossiers de patients, ce qui libère les professionnels de la santé, qui ont ainsi plus de temps à consacrer à l’administration de soins aux patients et à la prise de décisions complexes.

L’IA peut aussi faciliter les découvertes scientifiques, et les outils d’IA rehaussent déjà considérablement la productivité dans ce secteur. Entre autres exemples frappants du rôle transformationnel de l’IA, mentionnons son utilisation dans la prédiction des structures des protéines, un fait confirmé par le prix Nobel de chimie de 2024. Ces travaux avant-gardistes ont révolutionné notre compréhension des mécanismes de repliement des protéines, favorisant des progrès rapides dans la découverte de médicaments et les biotechnologies. Après le lancement du logiciel AlphaFold2, le nombre de structures de protéines prédites accessibles aux scientifiques a bondi de 200 000 à 200 millions en seulement quelques mois.

Gestion des compromis nécessaires

Toutefois, ces progrès peuvent exiger des compromis. Dans une étude récente menée par Aidan Toner-Rodgers dans le domaine des nouveaux matériaux, l’étudiant en doctorat au Massachusetts Institute of Technology a constaté que les outils de découverte s’appuyant sur l’IA ont gonflé la production des projets de recherche de 44 %. Cette amélioration est venue surtout de chercheurs de haut niveau qui ont utilisé l’IA pour automatiser une partie substantielle du processus d’idéation. Ces scientifiques ont ensuite pu consacrer leur temps à évaluer et à affiner les suggestions les plus prometteuses générées par l’IA, une dynamique similaire à celle engendrée par AlphaFold. Toutefois, 82 % des scientifiques ont, dans la même étude, indiqué que leur satisfaction à l’égard de leur travail avait diminué parce que leur créativité était moins sollicitée et que leurs compétences n’étaient pas mises en valeur. En permettant aux travailleurs de se concentrer sur des tâches plus créatives et plus complexes, l’IA peut procurer un plus grand sentiment d’accomplissement, mais une dépendance excessive à l’automatisation risque de donner aux travailleurs l’impression que leurs compétences et leur créativité ne sont pas appréciées à leur juste valeur.

Les outils d’IA ne servent pas uniquement à faire des gains d’efficacité au travail et à rendre plus accessible l’éducation. Cette technologie a aussi une capacité démontrée de contribuer à l’identification des talents potentiels dans des domaines comme les sports, les arts et les études supérieures. Les outils d’IA aident notamment les dépisteurs de talents sportifs à identifier et à évaluer les athlètes en analysant des quantités énormes de données afin de découvrir ceux ayant un potentiel exceptionnel. Le recours accru à des données objectives dans les décisions de recrutement peut même réduire l’influence des préjugés. Ces techniques d’IA peuvent rendre les sports plus inclusifs, en offrant de meilleures chances de percer à de jeunes athlètes de petites villes ou vivant dans des régions ou des communautés sous-représentées.

Dans l’enseignement des arts créatifs, des outils axés sur l’IA comme DALL-E, AIVA et Amper Music permettent à des amateurs de jouer avec la conception et la création de concepts artistiques, en leur donnant accès à des techniques accessibles de rétroaction et d’innovation. Ces outils mettent l’apprentissage des arts (qui autrefois se limitait à des études formelles ou à une formation coûteuse) à la portée de toutes et de tous.

Les conséquences de ce remodelage par l’IA de l’univers du travail et de l’éducation ne seront pas ressenties partout de manière égale. Peut-être ouvrira-t-il à certaines personnes des portes qui leur étaient auparavant fermées, tandis qu’il diminuera la valeur du talent pour d’autres. Pour optimiser le potentiel de l’IA, nous devons trouver un juste équilibre. Nous devons utiliser l’IA de manière éthique et équitable afin de compléter, reconnaître et améliorer les capacités humaines tout en éliminant les obstacles systémiques qui empêchent ses avantages d’être à la portée de tous. Si l’on s’y attaque résolument, l’IA nous aidera à bâtir un avenir où le talent n’est plus étouffé par des facteurs circonstanciels, mais est au contraire libre de s’exprimer grâce à une combinaison d’ingéniosité humaine et de progrès technologique. F&D

MARINA M. TAVARES est économiste principale au département des études du FMI.




La frontière invisible de l’innovation

La démocratisation de l’innovation peut mobiliser des talents inexploités et stimuler la croissance économique.

Quoi qu’en dise l’adage de Platon d’il y a 2 400 ans, la nécessité n’est pas à elle seule mère de l’invention. Il faut aussi que les circonstances y soient favorables. Une étude récente montre que la probabilité qu’un individu devienne un inventeur est déterminée par le niveau de revenus et les facteurs sociologiques qui caractérisent son milieu parental. Les enfants très talentueux issus de milieux défavorisés ont tendance à innover nettement en dessous de leur potentiel, alors que les enfants de familles plus aisées ou plus instruites ont beaucoup plus de chances de faire preuve d’innovation.

Cette situation donne lieu aux phénomènes des « Albert Einstein perdus » et des « Marie Curie perdues », pour reprendre les expressions que les chercheurs Alex Bell, Raj Chetty, Neviana Petkova et John Van Reenen, et moi-même avons inventées (2019). Les femmes en particulier sont fortement sous-représentées parmi les inventeurs partout dans le monde. Ce n’est pas anodin. La production scientifique des générations futures à l’échelle mondiale pourrait augmenter de pas moins de 42 % si les jeunes talents avaient partout les mêmes possibilités de développer leur potentiel, d’après Ruchir Agarwal, Ina Ganguli, Patrick Gaule et Geoff Smith (2023).

Par conséquent, démocratiser l’accès aux métiers de l’innovation à travers le monde est une condition pour amplifier la croissance à long terme et réduire les inégalités. En mettant à profit un vaste réservoir de talents inexploités, nous pourrons enregistrer des taux de croissance plus élevés, lesquels sont nécessaires pour relever des défis majeurs comme la transition écologique, la viabilité de la dette publique et la réduction de la pauvreté, et pour atténuer les inégalités entre les genres et les générations. Des politiques simples et ciblées peuvent démocratiser l’innovation. Les conséquences macroéconomiques sont énormes.

Milieux parentaux

Il y a sixans, mes collègues chercheurs et moi-même avons publié une étude sur le profil des personnes qui deviennent des inventeurs aux États-Unis. À partir de données sur la période 1996–2012 provenant de l’Office américain des brevets (US Patent and Trademark Office), nous avons mis en évidence une corrélation entre les revenus des parents et la probabilité de décrocher un brevet (voir le graphique 1). Parmi celles et ceux dont les revenus parentaux étaient inférieurs au 80e centile, on dénombrait moins de quatre inventeurs pour chaque millier de personnes. Pour celles et ceux dont les parents faisaient partie des 20 % de personnes ayant les revenus d’activité les plus élevés, on ne comptait pas moins de huit titulaires de brevet pour mille individus.

Nous avons affiné l’analyse afin de comparer l’accès aux métiers de l’innovation des personnes qui ont obtenu des scores similaires aux tests de mathématiques en troisième année de l’enseignement primaire. Les données ont montré que les enfants qui parvenaient à de moins bons résultats aux tests à cet âge avaient en général une probabilité plus faible de devenir un jour des inventeurs, quelle que soit la rémunération de leurs parents. En revanche, parmi les enfants dont les scores se situaient dans le 90e centile ou au-dessus, ceux dont les parents figuraient parmi les 20 % de personnes ayant les revenus les plus élevés comptaient par la suite plus de deux fois plus de détenteurs de brevet que ceux des familles percevant des revenus plus bas.

La contribution des parents ne se limite pas à une aide destinée à financer les études de leurs enfants et leur carrière dans l’innovation. Elle englobe aussi la transmission de connaissances et d’aspirations. En Finlande, les études sont entièrement gratuites et accessibles à tous, de la maternelle jusqu’au doctorat. Pourtant, en 2017, des chercheurs sous la houlette de Philippe Aghion de la London School of Economics ont constaté de grandes disparités en matière d’accès aux métiers de l’innovation, dont l’ampleur était comparable à celle des différences observées aux États-Unis. Cela semble indiquer que des facteurs sociologiques, plutôt que des contraintes financières, jouent un rôle crucial dans l’évolution de ces disparités. Les modèles auxquels s’identifier pendant l’enfance font naître des ambitions qui influent sur les choix professionnels.

Les conséquences macroéconomiques

Le coût macroéconomique des talents inexploités est colossal. Un modèle nouveau que j’ai élaboré avec Elias Einio et Josh Feng (2023) montre que la parité entre les genres s’agissant de l’accès aux métiers de l’innovation pourrait doper la croissance de la productivité de 70 %. Pour les pays à revenu élevé comme les États-Unis, cela se traduirait par une accentuation de la croissance annuelle de la productivité, laquelle augmente de 2,0 % à 3,4 % (graphique 2). Une progression aussi sensible aurait de profondes répercussions sur le bien-être de la société et sur les recettes fiscales. Ce modèle montre aussi que pousser les enfants les plus aptes vers les métiers de l’innovation représenterait la plus grande partie des gains économiques.

Le milieu familial est tout aussi important que le genre pour déterminer l’accès aux métiers de l’innovation. Garantir l’égalité des chances à tous les individus du premier centile de la répartition des compétences, quelle que soit leur situation familiale, pourrait augmenter les taux de croissance du PIB de 55 %. Il est donc capital de prendre conscience de l’importance macroéconomique des mesures visant à mettre fin à ces disparités, qu’elles soient liées au genre ou au milieu socioéconomique.

L’orientation prise par l’innovation

Diversifier le réservoir d’inventeurs procure un autre gros avantage. Outre l’accélération du rythme de l’innovation, cela pourrait influer sur l’orientation qu’elle prendra. Il ressort d’exemples historiques que l’expérience personnelle des inventeurs forge souvent leur esprit d’entreprise, ce qui se répercute ensuite sur les groupes sociodémographiques qui bénéficient de leurs idées nouvelles. Par nature, les inventeurs s’emploient souvent à résoudre des problèmes auxquels ils ont eux-mêmes été confrontés.

Par exemple, à la fin du XIXe siècle, Josephine Cochrane, riche mondaine américaine, a inventé le lave-vaisselle afin de protéger sa porcelaine fine, que son personnel de maison ébréchait souvent en faisant la vaisselle à la main. Plus récemment, Christopher Gray a tiré parti de son expérience de fils de mère célibataire en difficulté pour créer l’application Scholly. Son objectif était d’aider les étudiants à trouver des possibilités de bourses d’études privées en fonction de critères comme leur discipline de spécialisation ou leur pays de résidence. Parallèlement, des entrepreneuses qui répondent à des besoins non satisfaits provoquent un essor de la tech au féminin (« femtech »), à savoir de nouvelles technologies médicales destinées aux femmes.

Les conclusions des études montrent que les inventeurs créent souvent des produits adaptés à des personnes qui leur ressemblent, des innovations médicales aux applications mobiles en passant par les biens de consommation courante. Ainsi, les inventeurs issus de familles à revenu élevé sont plus susceptibles d’élaborer des produits destinés à des consommateurs de cette catégorie de revenu. Ils ont tendance à éviter les secteurs qui répondent à des besoins essentiels, comme l’alimentation, et ont plus de chances de se lancer dans des secteurs qui ciblent des marchés prestigieux, comme la finance. Des schémas similaires s’appliquent au genre et à l’âge. Ces tendances sont à l’origine de disparités de pouvoir d’achat entre les différents groupes de consommateurs.

Les préconisations

De plus en plus d’éléments montrent que la promotion de l’innovation nécessite des politiques générales en matière de capital humain, mais aussi des initiatives ciblées pour assurer une exposition aux métiers de l’innovation. Bell et al. (2019) démontrent que le fait pour un individu d’avoir côtoyé des inventeurs pendant son enfance augmente la probabilité d’en devenir un lui-même. De récents essais contrôlés randomisés soulignent l’importance des programmes de mentorat et des modèles auxquels s’identifier pour les choix professionnels. Breda et al. (2023) observent qu’une exposition, même de courte durée, à des modèles féminins dans des disciplines scientifiques influe énormément sur les matières de spécialisation en licence que choisissent les lycéennes. Leurs travaux font apparaître une incidence particulièrement forte sur les élèves brillantes en classe de terminale, qui ont plus de chances de s’inscrire dans des filières STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) sélectives et dominées par les hommes à l’université. Les chercheurs constatent que l’écart entre les genres concernant les inscriptions à des programmes de STIM se réduit considérablement après des interventions de ce type. D’autres mesures, à l’instar de programmes de financement dédiés, pourraient aussi permettre de combler l’écart de talents lié au genre et au milieu socioéconomique dans l’innovation.

Un système éducatif plus inclusif peut aussi accélérer la diffusion de l’innovation. Même si le programme des « Marie Curie perdues » s’attache surtout à repérer les talents inexploités pour le développement de nouvelles technologies, il est tout aussi essentiel pour la croissance de la productivité d’améliorer la diffusion de celles qui existent déjà. Une main-d’œuvre plus instruite est plus en mesure d’adopter de nouvelles technologies, ce qui signifie que réduire l’écart de niveau d’études entre les groupes sociodémographiques ou les régions locales peut faciliter la diffusion de l’innovation tout en réduisant les inégalités. Elio Nimier-David, de l’Université Cornell, a montré dans un rapport de 2023 que la construction de nouvelles universités en France pendant les années 90 avait élargi l’accès à l’éducation et s’était traduite par une multiplication des créations de nouvelles entreprises.

En outre, la démocratisation de l’accès aux métiers de l’innovation dans les pays à faible revenu est un enjeu majeur. Agarwal et al. (2023) affirment que réduire les obstacles à l’immigration et étoffer l’offre de bourses disponibles pour les meilleurs étudiants étrangers des pays en développement pourraient y contribuer.

La recherche de l’innovation et de la croissance ne doit pas se faire au détriment de la mobilité sociale ou de l’égalité entre les genres. En révélant des talents inexploités et en garantissant un accès équitable aux métiers de l’innovation, nous pouvons accélérer le progrès technologique comme la promotion sociale. Il est indispensable d’encourager un vivier d’inventeurs diversifié pour favoriser la croissance économique, mais aussi pour bâtir un avenir plus inclusif et prospère pour tous. La démocratisation de l’innovation recèle autant de potentiel pour la prospérité que des révolutions technologiques comme l’intelligence artificielle générative, avec des effets bien plus bénéfiques pour l’inclusivité et l’égalité. C’est la frontière invisible de l’innovation.

XAVIER JARAVEL est professeur d’économie à la London School of Economics.