53ème Lettre Sociale Congolaise : Les pouvoirs législatif et exécutif n’ont-ils pas de part de responsabilité en amont dans la maladie de la justice congolaise ?
« C’est une règle générale : l’homme qui réussit le mieux dans la vie est celui qui détient la meilleure information ». Benjamin Disraeli. Chères lectrices, chers lecteurs,
1. « Pourquoi la justice congolaise est-elle malade ? Quelle thérapie faut-il pour la guérir ? » telles sont des questions qui constituent le thème des états généraux de la justice dont les assises seront organisées du 06 au 13 novembre 2024. Ces deux questions tirent leur prix dans l’existence du mal zaïrois devenu, avec le changement de régime politique, mal congolais. Mais le diagnostic fait par le Président Mobutu Sese Seko(1977) sur le mal zaïrois reste valable jusqu’à ce jour. Décrivant le mal zaïrois, Mobutu Sese Seko écrit : « Pour tout dire, tout se vend, tout s’achète dans notre pays. Et dans ce trafic, la détention d’une quelconque parcelle du pouvoir public constitue une véritable monnaie d’échange en contrepartie de l’acquisition illicite de l’argent ou d’une valeur matérielle ou morale, ou encore, de l’évasion de toutes sortes d’obligation ».
2. L’un des remèdes de nature politique préconisé, par Mobutu Sese Seko(1977), contre le mal zaïrois était l’exercice effectif des libertés publiques qui étaient garanties au peuple zaïrois par la constitution du Zaïre. De toutes ces libertés publiques, Mobutu Sese Seko pointait du doigt la liberté d’expression d’opinion qui lui paraissait moins attisée à ce moment-là. Par conséquent, « les critiques valables et constructives prennent la voie de la clandestinité avec comme corolaire, la déformation des évènements et des nouvelles », concluait-il.
3. L’exercice effectif de la liberté d’expression tel que préconisé par l’ancien Président de la République est intimement lié à l’une des idées du philosophe américain Mortimer Adler Jérôme(1972) selon laquelle « to know how to be ruled is the primary qualification of democratic citizen ». Ainsi donc, l’exercice effectif de la liberté d’expression d’opinion fait de la démocratie est le régime le plus contraignant qui s’accommode mal de l’ignorance.
4. La première question du thème des états généraux de la justice appelle de toute évidence cette question : de quoi souffre la justice congolaise ? C’est en identifiant la vraie maladie dont souffre la justice congolaise que l’on peut prescrire une thérapie à administrer avec soin et rigueur pour la guérir une fois pour toutes.
5. Je postule, en guise de réponse à ma question susmentionnée, qu’outre les effets néfastes du mal congolais, la justice congolaise souffrirait de beaucoup de maux notamment la famine intellectuelle telle que stigmatisée par Joseph Ki-zerbo(2000), la bibliophobie, la présence nombreuse des femmes et hommes gaspillés tels que définis à ma 45ème lettre sociale congolaise, la crise d’éthique, l’obsolescence de l’homme, la superficialité et la carence documentaires, la complaisance, etc.
6. La compréhension de la justice nous est rendue facile par le dictionnaire Robert qui la (la justice) définit comme, d’un côté, « juste appréciation, reconnaissance et respect des droits et du mérite de chacun » et, de l’autre, « principe moral de conformité au droit ». Le terme Droit qui apparaît dans toutes les deux assertions de la définition de la justice désigne selon le même dictionnaire Robert « l’ensemble des dispositions interprétatives ou directives qui à un moment et dans un Etat déterminé règlent le statut des personnes et des biens ainsi que les rapports que les personnes publiques ou privées entretiennent». L’objet de la justice est constitué des lois et des règles aux fins de la rationalisation des actes et pratiques des personnes morales ou physiques dans leurs rapports.
7. C’est l’objet de la justice qui situer chacun des trois pouvoirs classiques(le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire) dans son champ d’action dans la chaine processuelle de justice en tenant compte de l’ existence téléologique de chaque pouvoir. 8. L’existence téléologique des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est basée sur description faite par Robert Estivals (1987) des disciplines dont l’écrit est tributaire notamment la politologie. Concernant la politologie, Estivals explique que la classe dominante élabore ses idées pour diriger la classe dominée qu’elle (la classe dominante) fait couler sous formes des lois au parlement et qu’ elle (la classe dominante) fait appliquer sous peine des sanctions par le pouvoir judicaire. Le politologue Axelrod cité par Zaki Laidi(2008) a épousé l’avis de Robert Estivals en définissant les lois comme des normes qui appartiennent à la classe des directives, c’est – à – dire des actes de langage au moyen desquels on cherche à influencer d’autrui.
9. Ainsi la nature bibliologique des lois et des règles font d’elles (lois et des règles) des écrits documentaires dont la finalité est, selon Robert Estivals, de guider l’action dans un domaine bien déterminé.
10. C’est donc sur base de la précision de Robert Estivals portant essentiellement sur la philosophie de l’écrit que la phrase « Chaque homme politique zaïrois a sa part de responsabilité dans la dégradation générale du pays » du Professeur Mulumba Lukoji Crispin, publiée par le quotidien français le Monde du 09 aouut199, permet de montrer la part de responsabilité de chacun des trois classiques (pouvoirs législatif, exécutif et judicaire) dans la maladie de la justice congolaise.
11. Primo, sans oublier les effets néfastes du mal congolais, la part de responsabilité des pouvoirs législatif et exécutif dans la maladie de la justice congolaise réside dans la superficialité documentaire et l’absence d’unité, clarté et cohérence documentaires des lois et des règles qu’ils produisent pour régir les rapports des personnes physiques et morales. Et j’en veux pour preuve les phrases « la loi n’est pas claire à ce sujet, la loi est muette à ce sujet, la loi n’est pas explicite, etc. » les plus souvent usitées pour accuser ouvertement et publiquement l’incapacité des pouvoirs législatif et exécutif à produire des lois et des règles utiles et utilisables pour le grand bien, le bien de tous.
12. Entre-temps, ces lois et règles boiteuses sinon nuisibles pour reprendre l’expression du philosophe chinois Confucius sont donc le subterfuge des voleurs et des détourneurs des biens de l’Etat et des auteurs de beaucoup d’autres crimes qui se moquent du peuple congolais au nom de qui la justice est rendue.
13. Pire encore, alors que Von Wright(1963), fondateur de la logique déontique, présente les éléments (caractère, le contenu, les conditions de l’application, l’autorité qui énonce la norme, les sujets, l’occasion, la promulgation, la sanction) devant caractériser une loi comme une norme sociale, l’on note avec regret que la plupart des lois congolaises n’énoncent pas de sanction contre les utilisateurs de ces lois et règles. Ces derniers (utilisateurs) doivent être considérés aussi comme des sujets, c’est-à-dire des destinataires.
14. La sanction étant le mal dont est menacé le destinataire s’il ne se conforme pas à la prescription documentaire, la non-énonciation des sanctions dans la plupart des lois ou des règles congolaises contre les utilisateurs de ces dernières (lois et règles) est à la base de beaucoup de violations des lois par les utilisateurs des lois ou des règles qui ont une parcelle du pouvoir public.
15. Secundo, sans oublier toujours les effets néfastes du mal congolais, la part de responsabilité des pouvoirs judiciaires et exécutif dans la maladie de la justice congolaise réside dans l’absence de motivation des décisions des cours et tribunaux ainsi que celles des administrations et des autorités de tutelle. Montrant l’importance que revêt la motivation pour la rationalisation des actes de celles et ceux qui ont une parcelle du pouvoir public, Hypolite Masani Matshi(2015) situe la base documentaire de la motivation dans la constitution congolaise du 18 février 2006 qui dispose en son article 21 « Tout jugement est écrit et motivé. (…) ». Masani Matshi précise que cette disposition constitutionnelle ne concerne pas seulement les décisions des cours et tribunaux qui doivent être écrites et motivées, mais aussi celles des autorités administratives pour autant qu’il n’existe pas de dispositions particulières les concernant.
16. Parce que les questions du thème des états généraux de la justice font déjà penser à la part de responsabilité du pouvoir judiciaire dans la maladie de la justice congolaise, les aberrations administratives observées dans certains ministères notamment dans les administrations des ministères du travail et de la fonction publique mettent, à titre illustratif, en exergue la part de responsabilité du pouvoir exécutif dans la maladie de la justice congolaise.
17. Alors que le décret n°12/002 du 19 janvier 2012 portant création et organisation d’un Service Public dénommé Inspection Générale du Travail stipule, d’un côté, en son article 7 : « L’inspection est dirigée par un Inspecteur Général assisté d’un ou deux Inspecteurs Généraux Adjoints. L’Inspecteur Général et l’Inspecteur Général Adjoint sont nommés, relevés, et le cas échéant, révoqués de leurs fonctions par le Président de la République, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des Ministres » et, de l’autre en son article 19 : « (…) En cas d’absence ou empêchement, l’intérim de l’Inspecteur Général est assuré par l’Inspecteur Général Adjoint. En cas d’indisponibilité de ces derniers, le Ministre ayant l’Emploi, le Travail et la Prévoyance sociale dans ses attributions désigne un Inspecteur du Travail parmi les Directeurs, pour assurer l’intérim », l’arrêté ministériel n°CAB/MIN/ETPS/CNM/HMK/JBL/127/05/2023 du15/05/2023 portant nomination à titre intérimaire d’un Inspecteur Général du Travail au sein d’un Service Public de l’Etat dénommé Inspection Générale du Travail viole par son intitulé l’article 7 du décret ci-haut cité ainsi que l’article 81 alinéa 4 de la Constitution Congolaise du 18 février 2006 qui reconnait au seul Président de la République la compétence de nomination des Hauts Fonctionnaires de l’Administration Publique parmi lesquels figurent les Inspecteurs Généraux du Travail (titulaire et adjoint).
18. L’intérim étant, dans l’administration publique, un problème structurel et organisé conformément à l’ordonnance n°82-029 du 19 mars 1982 portant règlement d’administration relatif à la carrière du personnel des services publics de l’Etat qui stipule en son article 6 « en application de l’article 20 du statut, le choix de l’agent intérimaire se fera parmi les agents appartenant au même Département et revêtus du grade immédiatement inférieur à celui qui correspond à l’emploi vacant, en tenant compte des exigences particulières de l’emploi à conférer à des titres et mérites respectifs des agents, reflétés notamment par les bulletins de cotation », ma 29ème LETTRE SOCIALE CONGOLAISE du 21 mai 2023 a précisé qu’ à défaut de la désignation d’un de ces deux Inspecteurs Adjoints, l’intérim de l’Inspecteur Général du travail devrait être assumé, en vertu l’article 19 du décret n°12/002 constitutif du 19 janvier 2012 de l’Inspection Générale du Travail ci-haut cité, par l’un des 7 Directeurs de l’administration Centrale de l’Inspection du Travail et non par le Directeur Provincial de l’Inspection du Travail de Kinshasa. Aux dernières nouvelles, j’ai appris que l’inspecteur « nommé à titre intérimaire » pour reprendre l’expression de l’arrêté ministériel serait nommé au grade de Secrétaire Général de l’administration publique alors qu’il n’a jamais été nommé Inspecteur général du Travail par le Président de la République. Cette aberration administrative de « nomination à titre intérimaire » a mis l’inspection du travail dans l’incapacité de réaliser la mission pour laquelle elle a été créée. De l’aberration administrative de la « nomination à titre intérimaire », je passe à l’aberration administrative de l’extorsion des matricules des agents admis sous statut.
19. Alors que la loi n°16/013 du 15 juillet 2016 portant statut des agents de carrière des services publics de l’Etat dispose, d’un côté, en son article 2 point 15 « le numéro matricule est identification individualisée et exclusive des agents des services publics de l’Etat, exprimée en chiffres, lettres ou autres symboles, conférée par le Ministre ayant la Fonction Publique dans ses attributions » et, de l’autre, en son article 11 « Tout agent porte un numéro matricule. Ce numéro lui est attribué dans les trente jours suivant la fin de la période probatoire par le ministre ayant la fonction publique dans ses attributions. (…) », on a assisté à l’ l’extorsion des numéros matricules de certains agents de carrière des services publics de l’Etat admis en bonne et due forme sous statut. Par ma lettre 27ème lettre sociale congolaise du 10 mai 2023 du 10 mai 2023, j’ai montré comment certains agents de l’Etat ayant une parcelle du pouvoir dans l’administration publique abuseraient de leurs fonctions pour remplacer par altération documentaire les noms des vrais agents sous prétexte de correction des noms mal écrits. 20. Je n’ai ni d’espace ni de temps de citer un cas après un autre de violation des lois dans les services des administrations qui sont subordonnées au gouvernement. Toutes ces violations des lois mettent en exergue la part du pouvoir exécutif dans la maladie de la justice. D’ailleurs beaucoup de procès dans les cours et tribunaux ont soubassement les documents produits par le pouvoir exécutif. 21. J’ai fait ma part avec ma coupe pleine.
Fait à Kinshasa, le 05 octobre 2024
Jean Joseph NGANDU NKONGOLO
Anthropobibliologue, Chercheur, Spécialiste et Expert en Anthropobibliologie du Travail. E-mail jsphngandu@gmail.com +243 994 994 872