Abus dans l’Église : Peut-on réparer l’irréparable ?
P. Étienne Kern, recteur du Sanctuaire de Paray-le-Monial À l’occasion du 350e anniversaire des apparitions à Paray-le-Monial, en France, un colloque international s’est déroulé à Rome du 1er au 5 mai 2024. Dans le contexte actuel de la crise des abus au sein de l’Église, cette rencontre avait pour thème « Réparer l’irréparable » et visait à redonner une place à la réparation spirituelle. Les participants au colloque ont pu rencontrer le pape François le samedi 4 mai. Parmi eux, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France et Mgr Benoît Rivière, évêque d’Autun. Nous avons interviewé le P. Étienne Kern, recteur du Sanctuaire de Paray-le Monial, qui donne un autre regard sur la réparation.
Zenit : Pourquoi avoir organisé un colloque sur le thème « réparer l’irréparable » ?
P. Étienne Kern : Nous avons pris le risque d’organiser un colloque sur la réparation spirituelle dans le contexte des abus dans l’Église. En arrivant à Paray il y a deux ans, j’avais déjà la conviction que le message du Sacré-Cœur sur la réparation spirituelle avait quelque chose à dire aujourd’hui à l’Église, plus particulièrement dans le contexte actuel de la révélation des abus de pouvoir, de conscience et sexuels commis en son sein, notamment par des prêtres. Les sœurs de la Visitation m’ont rapidement partagé qu’elles portaient, elles aussi, la question de la réparation. Ainsi, nous avons choisi « Rendre amour pour amour » comme thème du Jubilé des 350 ans des Apparitions. Cette expression présente l’avantage d’être plus accessible et compréhensible par le peuple chrétien. Le colloque aborde sans détour les questions théologiques, spirituelles et pastorales que soulève la réparation. C’est donc un des événements majeurs du Jubilé des 350 ans.
Zenit : Mais peut-on vraiment réparer l’irréparable ?
P. Kern : Parler d’irréparable soulève débat. Au cours de l’audience qu’il nous a accordée, le pape nous a dit : « Si l’irréparable ne peut être totalement réparé, l’amour, lui, peut toujours renaître, rendant la blessure supportable. » La question est donc de savoir comment vivre aujourd’hui avec l’irréparé. Le colloque nous a aidé à mieux identifier les conditions pour que la réparation spirituelle soit saine et féconde, et non pas nocive et vaine. Par exemple, le sanctuaire a organisé en mars dernier, dans le cadre de la journée de prière et de mémoire pour les personnes victimes d’abus, une marche silencieuse, en tenant en main une bougie allumée, à l’intention d’une personne que nous connaissions personnellement. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un témoignage bouleversant d’une participante, victime de graves abus dans une communauté. Elle avait été libérée, consolée, relevée intérieurement par cette simple démarche. Et, surtout, elle avait trouvé la force et la lumière intérieures nécessaires pour rédiger et envoyer un signalement à l’évêque concerné. Le témoignage de cette femme montre qu’honorer la dimension spirituelle de la réparation, en proposant une démarche simple, peut contribuer à la manifestation de la vérité des abus subis. On entend parfois que parler de réparation spirituelle, c’est tout spiritualiser. Au contraire, ce qu’elle a vécu montre comment la réparation spirituelle peut aider à la mise en lumière de la vérité, afin que la justice soit rendue. Cela demande que la communauté tout entière s’implique dans une démarche vécue avec douceur et humilité.
Zenit : Que veut dire renouveler et approfondir le sens de la pratique de la réparation au Sacré-Cœur de Jésus ?
P. Kern : Suite au colloque, une religieuse me confiait y avoir trouvé une véritable actualisation du message de Paray. En effet, ce qui nous paraissait poussiéreux et désuet redevient actuel et fécond. Prenons l’exemple de l’heure sainte. À Paray, Jésus demande à Marguerite-Marie de s’unir, tous les jeudis soir, à son agonie au jardin des Oliviers, au cours de laquelle il a ressenti tristesse et angoisse. Le contexte terrible des abus redonne toute son actualité à cette pratique. Participer à la « mortelle tristesse » du Cœur de Jésus peut consoler les personnes victimes des trahisons commises par ceux qui auraient dû les mener à Dieu. Contempler le Seigneur abandonné par ses apôtres, qui auraient dû le défendre, peut réconforter ceux qui ont été abandonnés, eux aussi, par les responsables ecclésiaux qui auraient dû les croire et les soutenir. Par ailleurs, pour nous tous, l’heure sainte nourrit notre compassion envers ces personnes victimes, parfois guettées par le désespoir. Enfin, comme le Seigneur le demande à sainte Marguerite-Marie, nous implorons la miséricorde pour les pécheurs, notamment les offenseurs, afin qu’ils sortent de leur endurcissement – qui peut les mener à la damnation éternelle – pour reconnaître le mal commis, en demander pardon et accepter que la justice s’exerce.
Zenit : Après ce colloque, que peut-on espérer et attendre pour la suite du jubilé et pour toute l’Église ?
P. Kern : Face aux abus, la réparation spirituelle n’est pas la seule ni la première réparation que l’Église doit proposer aux personnes victimes. Elle doit se mobiliser pour vivre toutes les réparations, au niveau spirituel, judiciaire et financier. Puissent les diocèses, les congrégations religieuses et les communautés nouvelles s’emparer des réflexions de ce colloque. La réparation spirituelle sainement vécue offrira à l’Église tout entière la force nécessaire pour aller jusqu’au bout du soin apportées aux personnes victimes d’abus commis en son sein. Certaines personnes victimes d’abus ne veulent pas – parfois ne peuvent même pas – entendre parler d’une dimension spirituelle de la réparation. C’est à respecter infiniment. Leur colère et leur cri transpercent nos cœurs blessés. À l’inverse, d’autres personnes victimes demandent à l’Église que soit aussi honorée la dimension spirituelle de la réparation car c’est dans leurs âmes également qu’elles ont été atteintes. Ainsi, une victime nous partageait sa conviction que l’Eucharistie a une place centrale dans la réparation des crimes dans l’Église. Cela pose beaucoup de questions : un chantier immense s’ouvre à nous.
Zenit : Un dernier mot ?
P. Kern : Le pape François nous a exprimé son souhait que « que le sanctuaire de Paray-le-Monial soit toujours un lieu de consolation et de miséricorde pour toute personne en quête de paix intérieure ». Chères personnes victimes, vous toutes qui ployez sous le poids du fardeau des conséquences des abus subis, venez à Paray-le-Monial vous reposer auprès du Cœur de Jésus, doux et humble. Vous y trouverez la consolation et le repos pour vos âmes ! Les portes du Cœur de Jésus et de notre sanctuaire vous demeurent plus que jamais ouvertes.