Afrique du Sud : l’ANC fragilisée par l’arrestation de la présidente de l’Assemblée nationale

A deux mois des élections générales, c’est une éminente cadre du Congrès national africain qui tombe pour corruption, avec la mise en examen de Nosiviwe Mapisa-Nqakula.

Trente ans de carrière se sont effondrés en trois semaines. Le destin de Nosiviwe Mapisa-Nqakula a piqué du nez le 19 mars quand des enquêteurs ont perquisitionné sa maison à la recherche des cadeaux qui lui auraient été offerts en échange de contrats de sous-traitance quand elle était ministre de la défense. Le parquet national sud-africain lui reproche d’avoir réclamé près de 4 550 000 rands (224 000 euros) de pots-de-vin et d’avoir finalement reçu 2 150 000 rands (106 000 euros) entre 2016 et 2019.

La perquisition du mois de mars a fait vaciller la présidente de l’Assemblée nationale. Elle s’est d’abord mise en retrait, avant de consentir à démissionner, mercredi 3 avril. Le lendemain matin, elle se rendait dans un commissariat de police pour être présentée à un juge. Quelques heures plus tard, elle débarquait dans un tribunal de Pretoria pour s’asseoir sur les bancs raides d’une cour de justice sous le regard de son mari. « Ma cliente est désormais une retraitée », déclarait son avocat sur un ton miséricordieux.

La rapide descente aux enfers de sa camarade doit soulager le Congrès national africain (ANC). Le parti présidentiel aurait été embarrassé si Nosiviwe Mapisa-Nqakula avait résisté davantage à la justice. En acceptant son sort, après avoir quand même tenté d’empêcher son arrestation, Nosiviwe Mapisa-Nqakula montre « son intention de protéger la réputation de notre organisation », écrit Mahlengi Bhengu-Motsiri, la porte-parole de l’ANC, dans un communiqué. Après les deux mandats présidentiels de Jacob Zuma (2009-2018), dont Nosiviwe Mapisa-Nqakula fut ministre de la défense, marqués au fer rouge par la corruption, l’ANC vante une « nouvelle aube » depuis la présidence de Cyril Ramaphosa.

En campagne pour les élections générales du 29 mai, l’ANC parle encore « de renouveau », avec une intolérance à la corruption et des cadres qui assumeraient leurs responsabilités face à la justice. Réagissant à la démission de la présidente de l’Assemblée nationale, M. Ramaphosa a salué une décision intègre « que nous devrions saluer et applaudir ». D’une formule, la mise en examen pour corruption sans résistance se transforme ainsi en comportement éthique respectueux de la démocratie.

« L’ANC protège toujours les siens »

Toutefois, le tour de passe-passe ne fonctionne pas chez les parlementaires de l’opposition, qui ne comprennent pas comment Nosiviwe Mapisa-Nqakula a pu rester en poste malgré les accusations pesant sur elle. « Nous réclamions cette démission depuis longtemps, alors que des soupçons de corruption et de blanchiment d’argent pesaient sur elle », écrit Siviwe Gwarube, la cheffe de file de l’Alliance démocratique (DA) à l’Assemblée nationale. Une alerte avait été émise dès le 26 mars 2021 par le député Bantu Holomisa, le chef du Mouvement démocratie uni. Pourtant, le 19 août 2021, Mme Mapisa-Nqakula est élue présidente de l’Assemblée nationale sur proposition de l’ANC, et donc de Cyril Ramaphosa

« L’ANC protège toujours les siens, malgré de forts soupçons de corruption », déplore le député Bantu Holomisa. « Regardez les conclusions de la commission anticorruption Zondo ! Elles ont pointé du doigt des ministres, mais Cyril Ramaphosa n’a rien fait contre eux. Ce que je peux comprendre, parce que lui aussi a reçu de l’argent de Bosasa [entreprise qui aurait servi de financier occulte de l’ANC]. Tout est pourri, des pieds jusqu’à la tête. » Parmi la liste des candidats aux élections du 29 mai, six noms figurent dans les rapports de la commission anticorruption Zondo qui enquêtait sur les dérives des années Zuma.

« Rendre des comptes »

La prochaine audition devant le tribunal de Nosiviwe Mapisa-Nqakula est programmée pour le 4 juin, après les élections. La poussière aura eu le temps de redescendre, doit espérer l’ANC, qui est menacé de perdre sa majorité pour la première fois de son histoire, sur fond d’impopularité croissante. « Ça ne renvoie pas une bonne image de l’ANC d’avoir une éminente figure poursuivie pour de tels chefs d’accusation, dans un contexte où le parti n’a pris aucune mesure pour la sanctionner. Juste avant les élections, c’est une indication supplémentaire que les électeurs ont de quoi être sceptiques et méfiants vis-à-vis de l’engagement de l’ANC à combattre la corruption et à rendre des comptes », commente Karam Singh, directeur de l’ONG Corruption Watch.

De son côté, Nosiviwe Mapisa-Nqakula clame son innocence. « Je laverai mon nom », écrivait-elle dans le communiqué annonçant sa démission. Elle dénonce des poursuites « malveillantes fondées sur de faibles preuves ». Alors que sa première apparition devant un juge devait simplement déterminer son régime de détention – elle a obtenu une libération sous caution –, son avocat a commencé à tenter de démonter le dossier d’accusation. Il serait « faible », n’aurait qu’un témoin et serait alimenté par une perquisition qui n’aurait rien donné, soutient-il… « N’allez pas sur ce terrain-là, lui a rétorqué le représentant du procureur. Je sais ce qu’il y a dans le dossier (…) il n’est pas faible, bien au contraire. »

Par Romain Chanson (Johannesburg, correspondance)