Tarifs douaniers de Trump : le secteur financier africain entre résilience et vigilance

L’instauration des nouveaux tarifs douaniers par l’administration Trump provoque des turbulences sur les marchés financiers mondiaux. Ces taxes, entrées en vigueur le 5 avril 2025, imposent un tarif de base de 10% sur pratiquement toutes les importations aux États-Unis, avec des taux allant jusqu’à 50% pour certains pays africains. Face à cette nouvelle donne économique, comment se positionne le secteur financier africain?
Une actualité financière africaine encore dynamique
Au début de cette période d’incertitude, l’actualité financière africaine reste étonnamment vibrante. Afreximbank vient de réussir une première émission obligataire sur le marché chinois, levant 2,2 milliards de yuans (environ 303 millions de dollars) avec un taux d’intérêt annuel de 2,99%. Cette opération témoigne de la capacité des institutions africaines à diversifier leurs sources de financement au-delà des marchés occidentaux traditionnels.
Parallèlement, la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC) a approuvé 230 millions d’euros et 10 millions de dollars pour financer des projets d’infrastructure et soutenir le secteur privé en Afrique de l’Ouest. Ces fonds profiteront notamment au Nigeria, au Bénin et au Niger, illustrant la continuité des investissements intrarégionaux malgré le contexte mondial tendu.
Le secteur de la finance numérique poursuit également sa croissance remarquable. Selon un récent rapport de la GSMA, la valeur des transactions de mobile money en Afrique a augmenté de 15% en 2024, atteignant 1 105 milliards de dollars. Cette progression, supérieure à la moyenne mondiale, démontre la vitalité de l’innovation financière sur le continent et son potentiel d’inclusion financière.
D’autres signaux positifs incluent l’accord de garantie de 7,5 millions de dollars entre la BAD et Bank of Africa Tanzanie pour stimuler le financement du commerce, ainsi que l’investissement de 28,3 millions de dollars de Swedfund dans le fonds Financial Inclusion Vehicle (FIVE) géré par AfricInvest pour améliorer l’accès aux services financiers.
Les leçons de l’histoire : mécanismes de contagion des crises
Cette effervescence actuelle ne doit cependant pas faire oublier les leçons de l’histoire économique. Les crises mondiales, qu’elles soient d’origine financière comme en 2008 ou commerciale comme aujourd’hui, finissent invariablement par affecter les économies africaines selon un modèle de propagation bien identifié.
La première phase se manifeste généralement par une contraction des échanges commerciaux. Pour des pays comme l’Afrique du Sud, taxée désormais à 30%, ou la Côte d’Ivoire à 21%, l’impact pourrait être immédiat sur les volumes d’exportation vers les États-Unis. Cette baisse des exportations entraîne une réduction des recettes en devises, fragilisant les équilibres extérieurs.
Dans un second temps, l’incertitude mondiale provoque habituellement un repli des investissements étrangers directs et des flux de capitaux vers les économies considérées comme plus risquées. Ce mouvement, connu sous le nom de « flight to quality », peut assécher les sources de financement externe dont dépendent de nombreux projets de développement africains.
La troisième phase se caractérise souvent par une chute des prix des matières premières, conséquence directe du ralentissement de l’activité économique mondiale. Pour les économies africaines fortement dépendantes de l’exportation de ces produits, l’impact sur les recettes publiques et la croissance peut être considérable.
Enfin, la dernière phase voit généralement une contraction du crédit international, rendant plus difficile et plus coûteux l’accès aux financements pour les Etats comme pour les entreprises. Cette situation peut déclencher des crises de liquidité et mettre en péril la stabilité du secteur financier local.
La ZLECAF : un rempart stratégique pour le secteur financier africain
Face à ces risques, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) représente une opportunité historique pour le secteur financier africain. Cet accord, entré progressivement en vigueur depuis 2021, vise à créer un marché unifié de 1,3 milliard de consommateurs avec un PIB cumulé de plus de 3 500 milliards de dollars.
Pour le secteur financier, la ZLECAF offre des perspectives de croissance considérables. L’intégration commerciale nécessite des services financiers transfrontaliers efficaces pour faciliter les paiements, le financement du commerce et la gestion des risques. Les banques et institutions financières africaines pourront ainsi développer de nouveaux produits adaptés à ce marché continental en expansion.
Le développement des échanges intrarégionaux, actuellement limités à environ 15% du commerce total africain contre 60% en Europe, stimulera la demande de services financiers en monnaie locale, réduisant la dépendance excessive aux devises étrangères. Cette évolution pourrait constituer un puissant facteur de résilience face aux turbulences des marchés internationaux.
La ZLECAF encourage également l’harmonisation des réglementations financières à travers le continent. Cette convergence réglementaire facilitera les opérations transfrontalières des institutions financières africaines et pourrait stimuler le développement de marchés de capitaux régionaux plus profonds et plus liquides. Des bourses régionales comme la BRVM en Afrique de l’Ouest pourraient voir leur rôle renforcé dans la mobilisation de l’épargne locale pour financer le développement.
En favorisant la circulation des talents et des compétences, l’accord contribuera aussi au renforcement des capacités du secteur financier africain. L’échange de savoir-faire et les collaborations entre institutions financières de différents pays permettront de développer des solutions innovantes adaptées aux défis spécifiques du continent.
Une transformation du secteur financier africain qui ne peut attendre
Pour tirer pleinement parti des opportunités offertes par la ZLECAF et renforcer sa résilience face aux chocs externes, le secteur financier africain doit accélérer sa transformation. Les institutions financières doivent investir davantage dans les technologies numériques pour réduire les coûts opérationnels et étendre leur portée au-delà des centres urbains.
Le développement de systèmes de paiement panafricains, à l’image du Système de Paiement et de Règlement Panafricain (PAPSS) lancé par Afreximbank, constitue une priorité pour faciliter les transactions commerciales sur l’ensemble du continent. Ces infrastructures permettront de réduire la dépendance aux devises étrangères et d’accélérer les règlements transfrontaliers.
L’innovation en matière de financement des PME, qui représentent plus de 90% des entreprises africaines, mais souffrent d’un accès limité au crédit, reste un défi majeur. De nouveaux modèles d’évaluation du risque, adaptés aux réalités africaines et s’appuyant sur les technologies numériques, doivent être développés pour combler ce déficit de financement estimé à plus de 300 milliards de dollars par an.
Enfin, le renforcement des capacités de gestion des risques des institutions financières africaines apparaît indispensable dans un contexte de volatilité accrue. Une meilleure anticipation des chocs externes et la mise en place de stratégies de couverture efficaces permettront d’atténuer l’impact des crises internationales sur les économies du continent.
Conclusion : une épreuve qui peut devenir opportunité
Les nouveaux tarifs douaniers américains représentent un défi indéniable pour les économies africaines, mais ils peuvent aussi catalyser une transformation positive du secteur financier continental. L’histoire nous enseigne que les crises sont souvent des accélérateurs de changement.
En renforçant l’intégration financière régionale, en développant des solutions innovantes adaptées aux besoins locaux et en s’appuyant sur les opportunités offertes par la ZLECAF, le secteur financier africain peut non seulement traverser la tempête actuelle, mais aussi poser les fondations d’un système plus résilient et plus autonome.
La voie est tracée par des initiatives comme celles d’Afreximbank ou de la BIDC, qui démontrent la capacité des institutions africaines à mobiliser des ressources et à financer le développement du continent malgré les turbulences extérieures. C’est en poursuivant et en amplifiant ces efforts que l’Afrique transformera progressivement sa vulnérabilité historique aux chocs externes en une résilience durable.
Idriss Linge