Brazzaville : Un nouveau Fatshi ?

A l’occasion du « Sommet des trois grands bassins forestiers », Brazzaville a réuni, à Kintélé, du 26 au 28 octobre 2023, les représentants des pays du Sud global dans lesquels se situent les plus grandes forêts tropicales et leurs partenaires Occidentaux qui ne nient plus leur responsabilité dans le changement climatique.

Ce sommet a été l’occasion pour la RDC, par la voix de Son Président, d’affirmer son leadership et confirmer sa vocation de pays solution face au changement climatique. Voilà que Bazza, la coquette, nous a dévoilé autre chose ! Le discours de Felix Tshisekedi, ce samedi 28 Octobre 2023 restera dans les annales comme un moment important de la diplomatie congolaise.

Les Congolais, les Africains et l’ensemble du Sud-global, tout comme le monde entier ont découvert à Brazzaville, en cette fin du mois d’Octobre 2023, une personnalité jusqu’ici inconnue du Président de la République Démocratique du Congo.

Brazzaville est-il simplement, comme cela l’a souvent été au cours de l’histoire de l’humanité, la révélation d’une facette plus ou moins cachée d’un homme politique ?

Avons-nous assisté, par le truchement de la presse et des réseaux sociaux, à la naissance d’une dimension nouvelle chez un homme politique jusqu’ici peu connue sur le plan doctrinal ?

La vérité est-elle qu’à deux mois de sa probable réélection, l’ancien militant devenu homme politique et, aujourd’hui, consacré homme d’Etat a voulu dévoiler, dans cette ancienne Capitale de la résistance française au nazisme, qu’il possède des ressources pouvant l’amener lui-même et son peuple bien au-delà de la traditionnelle politique politicienne ?

La « standing ovation » qui a clôturé la présentation de sa thèse de Brazzaville vient-t-elle mettre une lumière particulière sur un homme qui a su cacher volontairement ou non sa véritable dimension ?

L’humble analyste des faits politiques que je revendique être ne peut refuser de voir la réalité et la décrire ; décidément, nous n’avons pas fini de découvrir le fils du Sphinx, le Patriarche Etienne Tshisekedi. Cet homme n’est pas seulement l’héritier du grand résistant à la dictature que fut son père. Ses ressources intellectuelles, philosophiques et politiques doivent être, non seulement diverses et variées, mais méritent recherches et murissement.

A Brazzaville, William Ruto, le Président kenyan, a appris, à ses dépens, que les usages de l’hypocrisie diplomatique ne serviront plus à empêcher les Congolais d’exprimer explicitement leur mécontentement. Par conséquent, ces techniques, consistant à envelopper la réalité dans un verbiage diplomatique consenti, ne retarderont plus la concrétisation de l’union africaine.

Le Président français, Emmanuel Macron, savait depuis son séjour kinois de mars 2023 que « Fatshi », certes ami de la France, n’est pas homme à intimider ni à complexer et n’a pas sa langue dans la poche. Désormais, le français retiendra qu’il est inutile de masquer des contre-vérités dans des formules alambiquées du politiquement correct.

Comme un bon vin, Felix Antoine Tshisekedi se bonifie avec le temps.

L’élu de décembre 2018 débuta son mandat dans les balbutiements que chacun croit connaître, mais que l’histoire nous expliquera mieux et que la rue congolaise avait mis sur le compte de ce que notre sagesse ancestrale explique par : « Ebandeli ya mosala ezalaka se matata ».

Comme première épreuve, il s’agissait pour lui de convaincre le peuple congolais à porter son choix sur sa personne, à l’époque objectivement modeste, dans une compétition où plusieurs de ses adversaires semblaient détenir bien plus d’atouts, de moyens et d’appuis extérieurs.

Il fallait ensuite trouver les voies et moyens de gouverner sereinement avec une majorité parlementaire contrôlée par une organisation politique alliée de circonstance. En effet, nous avons assisté, qui ébahi, qui étonné et d’autres admiratifs, avec quelle virtuosité il a su et pu convertir l’antagonisme d’hier de ce Parlement en appui à sa vision politique.

Quels ont été le véritable moteur et la méthodologie ayant conduit à la réussite de cette Révolution tranquille ? Quel est le ciment de cette nouvelle majorité qui tient la route jusqu’à ce jour ? Dieu sait que les tempêtes n’ont pas manqué ; certes des soucis de gouvernance se posent encore, mais la voie empruntée semble prometteuse !

Face à l’agressivité de nos voisins de l’Est, le Rwanda et l’Ouganda, point de divergence majeure de la classe politique congolaise ou talon d’Achille de la RDC contemporaine, Félix Tshisekedi reconstruit, un pas après l’autre, l’unanimité et la mobilisation dont M’zee Laurent Désiré Kabila avait bénéficié lors de la guerre d’Août 1998.

Certes, il y a encore quelques naïfs Congolais qui pensent qu’il faut passer par ou qu’il suffit de séjourner à Kigali ou Kampala, pour prendre le pouvoir à Kinshasa, mais l’immense majorité des Congolais sait et ne confond plus une agression motivée par le pillage des ressources avec une quelconque forme de libération.

Brazzaville vient de nous montrer que le voyage philosophique de Felix Tshisekedi ne se limite pas aux questions de pure politique interne. La passionnante prise de parole du Président à Brazzaville nous rappelle que si l’efficacité d’une politique étrangère dépend des réalités politiques internes, cette action extérieure doit pouvoir, lorsque les réalités extérieures l’imposent, s’exprimer dans un langage qui brise les codes et les conventions.

A Brazzaville, celui que d’aucuns appellent affectueusement « Fatshi Béton » a brisé les codes en faveur d’une expression sans ambages, ni circonlocutions, dépourvue de fioritures en faveur de la vérité franchement exposée. Il a abandonné le langage feutré, convenu et recommandé par les usages diplomatiques et notamment par la Convention de Vienne.

Rappelant les horribles crimes qui se perpétuent au parc de Virunga, celui qui devait mettre les formes et adoucir l’expression de sa profonde déception a crié haut et fort que les malheurs de l’Afrique, des Africains et notamment la fragilité de nos pays ne viennent pas seulement de la malveillance des puissances impérialistes que nous vilipendons depuis des décennies. Il a, en des termes appropriés, dénoncé publiquement l’hypocrisie qui caractérise ce que politiciens et intellectuels africains présentent comme leur volonté commune d’unir l’Afrique.

A Brazzaville, le Président congolais n’a pas disculpé pour autant l’impérialisme ; Paris, Bruxelles, Londres et Washington demeurent les commanditaires finaux, il a seulement et clairement mis le doigt sur une vérité que nous nous obstinons à dissimuler : nos turpitudes africaines.

Felix Tshisekedi n’a pas remis en cause la confiance des Congolais en l’idée de l’unité africaine, il n’a pas contesté la justesse de la pensée des pères du Panafricanisme : Halié Selasié, Sekou Touré, Kwame Nkrumah, Modibo Keita, Kasavubu et tant d’autres. Il a seulement montré que 60 ans après la Conférence d’Addis-Abeba, certains de ses homologues au pourvoir, utilisent les oripeaux du discours sur l’unité africaine pour jouer plus discrètement leur rôle de bourgeoisie compradore au service de la perpétuation de l’instabilité de l’Afrique que souhaite inexorablement l’Occident dominateur.

Faut-il blâmer le Chef de l’Etat congolais pour cette entorse volontaire aux usages protocolaires à l’épisode de Brazzaville ou l’encenser et l’encourager ? Pour ma part, j’ai résolu d’applaudir, n’en déplaise aux puristes.

Toutes choses restant dans son contexte, le discours de « Fatshi », d’Octobre 2023 à Brazzaville, m’a remémoré celui de Patrice Lumumba du 30 juin 1960 au Palais de la Nation.

Dorénavant, comment nier l’existence d’une méthode Tshisekedi en politique étrangère ? Cependant, une question reste posée, la thèse de Brazzaville est-elle valable exclusivement sur le plan de l’unité africaine ?

Et si nous tentions de reporter cette question cruciale de la sincérité dans la recherche de l’unité, au niveau des politiciens congolais ? Comment réagissent nos leaders politiques devant les tentatives des uns et des autres de rechercher ou de renforcer la cohésion nationale ? Ceci, même en des moments aussi délicats de guerre d’agression comme celle que nous traversons actuellement ?

La réponse est  simple: Très timidement, voire très mal. En Général, chacun étant sûr et certain de la justesse de sa propre voie, se cabre sur ses positions égoïstes et estime que toute tentative de s’ouvrir vers l’autre camp dévoile la volonté cachée de sauver le perdant. Mais qui est perdant ? Dans l’imaginaire du politiciens congolais, c’est toujours le camp d’en face que l’on juge en perte de vitesse, alors que c’est en réalité la Nation elle-même qui, se divisant, dégringole suite à la distraction et à l’éparpillement de ses enfants.

Pouvons-nous appréhender et comprendre le discours de Brazzaville dans toute son ampleur et ses diverses dimensions, serions-nous légitimés à exiger de Kagame et Museveni plus de rectitude, sans demander courageusement à nos leaders de prendre conscience de la nécessité d’une première unité à sauvegarder au niveau national ? Le temps nous démontre que c’est dans nos propres turpitudes internes que d’autres puisent leur illusion de puissance.

Que vive la RDC

 

Merci

Jean-Pierre Kambila Kankwende