En RDC, des milliers de déplacés de guerre survivent et meurent dans les camps aux abords de la ville de Goma (Par Thérèse Di Campo)
Ils sont des milliers à fuir les groupes armés dans l’Est du Congo, entassé·es dans des camps insalubres autour de la ville de Goma, la capitale du Nord Kivu. Dans cette région gangrénée par la présence d’une centaine de milices, depuis plus de 30 ans, les souffrances imposées aux civils sont devenus la norme.
Au creux des collines verdoyantes de la ville de Goma, des rangées anarchiques de cabanes aux bâches blanches déchirées s’étirent à perte de vue. Nous sommes dans le bloc 159 du camp de déplacés de Rego en périphérie de la ville. Dans une allée surpeuplée, un petit groupe s’amasse autour d’Espérance et de son mari Kihundi. Regards tournés vers le sol, le jeune couple est figé dans le silence. Derrière eux, une petite main dépasse d’un minuscule abri de fortune. Sur un simple tas de feuilles, le corps de leur fils Efreime repose dans sa dernière posture. Un homme immobile tient un carnet, les mains croisées derrière le dos et jette un regard pudique sur la tente. « Ce petit est mort de malnutrition sévère, il avait un an et demi », lâche-t-il d’une voix calme. Hahadi Mwamba est le secrétaire du camp de déplacés de Rego. Il est venu constater le décès et l’inscrire à son rapport journalier. « L’enfant sera enterré au cimetière de Makao, si les services de la ville daignent envoyer une ambulance pour le transporter », ajoute-t-il , en griffonnant quelques phrases sur un carnet. « Et s’ils ne viennent pas, ce sera la fosse commune. »
A quelques mètres de cette scène insoutenable, une dizaine d’hommes s’activent. Ils creusent un trou dans la terre, dégageant de lourdes pierres noires à mains nues, pour créer des latrines. La vie quotidienne, rythmée par la sidération et l’attente bat son plein dans le camp de Rego. En contrebas, sous un soleil de plomb, des nuées d’enfants en haillons traînent dans les artères irrespirables de monde tandis que des femmes tentent de construire un abri en assemblant de maigres brindilles de bois avec des sacs de riz vides. Plus de 54 000 personnes vivent ici. 9000 ménages répartis en 250 blocs. Tous sont des déplacé·es de guerre. Tous ont fui des groupes armés et attendent une assistance humanitaire qui ne vient pas.
Entassés comme des animaux
En février, des milliers de personnes sont arrivées à pied aux abords de la ville de Goma, la capitale du Nord Kivu, fuyant les affrontements entre les miliciens du M23 et l’armée congolaise dans la ville voisine de Saké. Depuis, sur le sol abimé recouvert de la lave noire issue de l’imposant volcan Nyiragongo, la population ne cesse d’affluer et de s’entasser dans des petites huttes. « On a fui et abandonné nos champs et nous sommes là en train de mourir de faim », lâche Yvette, au milieu de ce morne paysage de lave figée. « Ou est l’aide internationale ? »
Comme beaucoup de ses compagnons d’infortune, la jeune agricultrice de 28 ans s’est enfui à pied alors qu’« une pluie de bombes » s’abattait sur la ville de Saké. Quand les miliciens du M23 ont pris sa maison, Yvette était déjà sur la route avec son fils Rodriguez, âgé de 5 ans. Son matelas ficelé sur le dos – le seul bien qu’elle ait pu transporter-, elle a parcouru dans la terreur, les 20 kilomètres à pied qui la séparait de la ville de Goma. Yvette n’en est pas à sa première migration. David, son mari, est mort, il y a deux ans déjà. « Fusillé par des hommes en tenue militaire avec sa fille aînée », alors qu’ils dormaient paisiblement à Shasha. « Je n’ai plus rien ici », se désole-t-elle, les yeux pleins de tristesse. Le champ de haricot qu’elle cultivait au pied de la colline luxuriante de Ndumba s’est transformé en ligne de front. Son seul gagne-pain est désormais aux mains des rebelles.
Une population traumatisée par les massacres
Cette offensive rebelle, lancée sur la ville de Saké n’est pas la première blessure infligée au Nord Kivu, symbole tragique des attaques sanglantes qui ravagent l’Est du pays depuis plus de 30 ans. Mais depuis 2022, le chaos s’est généralisé. Les hommes armés du M23 ont étendu leur emprise sur toute la province. Perpétrant des massacres sur les civils. Ils ont installé leur propre administration dans des centaines de villages, infligeant une défaite cinglante à l’armée congolaise. Mais que veut cette milice hors de contrôle que le président Felix Thsishekedi avait promis d’éradiquer, dès le début de son premier mandat en 2019 ? Selon le dernier rapport des experts des Nations Unies, les hommes armés du M23 – pour la plupart issus du génocide des Tutsi de 1994 – ont des revendications opaques. Ils seraient soutenus militairement par le Rwanda, qui nie jusqu’à maintenant toute implication sur le territoire congolais. Frontalière au Rwanda et à l’Ouganda pauvres en minerais, l’Est du Congo, épicentre d’un pillage mondialisé, regorge de richesses tels que l’or, le cobalt et le coltan, convoités par les milices et extraits par de nombreuses multinationales occidentales. L’Union Européenne qui s’indigne et condamne publiquement le soutien armé apporté par le Rwanda aux rebelles vient pourtant de signer un protocole commercial scandaleux légitimant la position du Rwanda, comme premier exportateur de minerais, alors que ce dernier n’en possède pas.
La normalisation de la guerre
Entre les collines de Goma, à mille lieux de ces enjeux géostratégiques, les destins violentés se ressemblent. Pour Louise, accroupie devant sa petite hutte, berçant son bébé anxieusement, il n’y pas de mots pour exprimer le traumatisme. Le 6 avril dernier, deux bombes en provenance de la ligne de front ont été larguées près de son bloc, tuant 7 personnes. Depuis, son « esprit troublé » ne cesse de revoir « les enfants éventrés par des éclats d’obus ». Un drame qui n’a fait l’objet d’aucune visite officielle. « Le gouvernement n’a pas encore maîtrisé l’ennemi, nous le comprenons, j’ai foi en mon pays », insiste Kahundi. « Mais face à l’insécurité, nous demandons une assistance et un minimum de dignité. L’eau, la nourriture et des médicaments pour ne pas mourir de la malaria. »
A Rego, chaque jour est une lutte pour la survie. Ibrahim Cissé, médecin pour l’ONG française Première Urgence fait quotidiennement la navette entre les centaines de blocs pour recenser les cas de malnutrition sévères. L’homme peine à évaluer la situation : « Nous sommes dans un contexte d’épidémie de choléra dramatique comme j’en ai rarement vu. Notre ONG vient en appui à l’Etat, avec 5 infirmiers et un médecin sur le terrain, mais c’est insuffisant ». Le kit d’urgence stocké dans sa tente est minimaliste : de la pâte d’arachide et un mélange multivitaminés destinés seulement aux cas les plus urgents, souffrant de la faim.
Depuis 30 ans, la population congolaise est traumatisée par les maux interminables qui ravagent l’Est du pays. Et tandis que le Nord Kivu s’enfonce un peu plus chaque jour dans le chaos, ils seraient aujourd’hui plus de 135 000 déplacés de guerre dans ces camps de l’infamie à espérer une paix durable.