Croissance économique : L’Europe peut améliorer son soutien au capital-risque pour stimuler la croissance et la productivité  

Des réformes pourraient accroître l’investissement dans les start-ups de haute technologie qui dynamisent l’innovation

L’Union européenne (UE) a un problème de productivité. Sa population produit environ 30 % de moins par heure travaillée que ce qu’elle aurait produit si la production réelle par heure travaillée augmentait au même rythme qu’aux États-Unis depuis l’an 2000.

L’une des causes de cette croissance médiocre de la productivité est que l’UE n’a pas suffisamment développé les start-ups innovantes pour en faire des superstars.

Parmi les racines du problème figure la fragmentation de l’économie et du système financier de l’Europe. En raison des frictions du marché unique des produits, des services, de la main-d’œuvre et du capital, il est plus coûteux et plus difficile pour les start-ups qui réussissent de s’agrandir.

De surcroît, le système financier européen, qui repose sur les banques, se prête peu au financement des start-ups à risque. Les start-ups de haute technologie mettent souvent au point des technologies et des modèles économiques nouveaux, qui présentent des risques et peuvent être difficiles à évaluer pour les banques. De plus, la valeur des start-ups réside souvent dans les personnes qui les composent, leurs idées et dans d’autres formes intangibles de capital qui sont difficiles à présenter comme garantie pour un prêt bancaire. Les banques sont aussi restreintes par des règles qui (à juste titre) limitent les prêts aux entreprises à risque sans garantie, y compris celles en expansion rapide et susceptibles d’engranger de gros bénéfices plus tard.

Par ailleurs, les pôles européens de capital privé sont plus petits et plus fragmentés que ceux des États-Unis. Les Européens placent une plus grande partie de leurs économies dans des comptes d’épargne que sur les marchés de capitaux. En 2022, pour chaque dollar investi par les Européens dans des fonds propres, des fonds d’investissement, des fonds de pension ou des fonds d’assurance, les Américains en ont investi 4,60. La raison en est que les Européens ont davantage recours à des régimes de retraite par répartition que les Américains. Mais quelle que soit la raison, il en résulte que les entreprises disposent de moins de financement par apport de capitaux propres.

La fragmentation des marchés découle en partie des lois, des réglementations et de la fiscalité nationales, qui entravent la consolidation, la levée de capitaux et le partage des risques au-delà des frontières des pays. Bon nombre d’investisseurs institutionnels préfèrent allouer du capital aux entreprises situées dans leur propre pays. Cela s’applique aussi souvent aux investissements dans le capital-risque, en particulier quand il s’agit de fonds moins considérables.

Une augmentation des investissements dans le capital-risque pourrait stimuler la productivité et renforcer l’écosystème de l’innovation dans l’UE. Or, les bassins peu profonds de capital-risque de l’Europe privent d’investissements les start-ups innovantes, ce qui freine la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie.

D’après notre nouvelle étude, des mesures de renforcement des marchés de capital-risque de l’UE et d’élimination des frictions financières transfrontalières pour les fonds de pension et les assureurs investissant dans le capital-risque pourraient augmenter le flux de financement vers les start-ups prometteuses et alimenter les gains de productivité.

L’UE a perdu Londres, son plus grand centre de capital-risque, après le vote de retrait du Royaume-Uni de l’Union en 2016, et ses centres restants n’ont pas la taille de ceux des États-Unis.

Au cours des dix dernières années, les investissements de l’UE dans le capital-risque ne représentaient en moyenne que 0,3 % de son produit intérieur brut, moins d’un tiers de la moyenne des États-Unis. Pendant cette période, les fonds américains de capital-risque ont levé 800 milliards de dollars de plus que leurs homologues européens.

 

Les capital-risqueurs investissent lourdement dans des activités de recherche et développement à haut risque qui sont déterminantes pour la diffusion de nouvelles idées et l’expansion de la croissance en général. Ils sont doués pour détecter les start-ups prometteuses et canaliser les ressources vers les entreprises les plus performantes.

Par rapport à leurs concurrentes outre-Atlantique, les start-ups européennes les plus établies disposent aussi de possibilités de croissance moins attrayantes par le biais d’introductions en bourse au sein de l’UE. Cela réduit les incitations à investir dans ces start-ups dès le départ. En outre, lorsque les start-ups qui croissent rapidement commencent à le faire, elles doivent rechercher des financements à l’étranger en raison d’une disponibilité limitée en Europe, ce qu’on appelle l’écart de financement à l’expansion. Lorsqu’elles obtiennent ce financement à l’expansion de l’extérieur, beaucoup de start-ups déplacent alors leurs opérations vers l’étranger. C’est ainsi que l’Europe se prive de bon nombre des avantages de la réussite des start-ups à domicile : effet direct sur la croissance et répercussions positives telles que la diffusion des technologies.

Les autorités nationales peuvent prendre plusieurs mesures pour promouvoir leur marché de capital-risque.

Le secteur du capital-risque se caractérise par des risques élevés et des asymétries d’informations, mais aussi par des externalités positives qui ne sont pas internalisées par les investisseurs. Des traitements fiscaux préférentiels bien conçus, en échange de prises de participation dans les start-ups et les fonds de capital-risque, pourraient contribuer à dynamiser le secteur là où il est sous-développé ou non existant à cause de ces défaillances du marché.

Réduire les frictions réglementaires et fiscales liées à l’investissement dans le capital-risque. Le développement des fonds de pension privés aurait de multiples avantages, notamment celui d’élargir les bassins nationaux de capitaux pour investir dans les marchés de capitaux et le capital-risque.

Permettre aux institutions publiques nationales, qui ont joué un rôle important dans le développement du secteur du capital-risque dans certains pays, d’accroître la disponibilité de fonds et d’autres aides aux fonds de capital-risque et aux start-ups innovantes. Elles devraient investir aux conditions du marché et attirer davantage de capital privé, en particulier de la part d’investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension et les assureurs. Cela peut se faire rapidement, avant que d’autres efforts ne portent leurs fruits.

Des mesures à l’échelle de l’Union seraient également utiles. La mesure la plus importante que l’UE pourrait prendre serait d’achever la mise en place du marché unique des biens, des services, de la main-d’œuvre et du capital. Cela prendra du temps.

Les mesures suivantes auraient un effet plus immédiat.

Peaufiner les règles visant les assureurs et d’autres opérateurs investissant dans de plus grands fonds de capital-risque afin de réduire les obstacles à l’investissement dans le capital-risque, en particulier pour promouvoir le financement de la croissance.

Accroître la capacité et les instruments du Fonds européen d’investissement (FEI) et de la Banque européenne d’investissement (BEI) afin de canaliser plus de ressources vers les fonds de capital-risque et les start-ups innovantes.

Encourager le FEI à mettre au point un « fonds des fonds » dans le but d’attirer des capitaux d’investisseurs institutionnels des quatre coins de l’UE pour financer de grands fonds de capital-risque ayant une mission paneuropéenne. Cela contribuerait à réduire la fragmentation des bassins de capitaux, à développer les connaissances des investisseurs institutionnels en matière de capital-risque en tant que catégorie d’actifs et à combler l’écart de financement à l’expansion.

À moyen terme, les autorités pourraient :

Réduire la fragmentation des marchés boursiers afin d’accroître leur profondeur, leur liquidité et leur valeur, ce qui rendrait les introductions en bourse plus attrayantes dans l’UE. Il s’agit d’un aspect clé du programme de l’union des marchés de capitaux qui est aussi plus difficile à réaliser du point de vue politique.

Si les interventions de l’État sont souvent loin d’être une solution parfaite, elles peuvent s’avérer nécessaires à court terme pour accélérer le développement du secteur du capital-risque et le financement des start-ups innovantes. Cette mesure stimulerait non seulement la productivité, mais également la compétitivité de l’Union européenne. L’augmentation des fonds de capital-risque pour les technologies propres aiderait aussi l’UE à réaliser ses ambitions écologiques et réduirait la nécessité de recourir à des subventions coûteuses qui pourraient causer des distorsions dans le marché unique.

Nathaniel Arnold, Guillaume Claveres, Jan Frie




La croissance mondiale se maintient alors que la désinflation ralentit et que l’incertitude en matière de politique économique s’accroît  

Les trajectoires de croissance des grands pays se rapprochent, mais les perspectives à moyen terme à l’échelle mondiale demeurent maussades.

S’établissant à 3,2 % en 2024 et à 3,3 % en 2025, soit un niveau légèrement supérieur, nos prévisions de croissance de l’économie mondiale restent globalement inchangées depuis l’édition d’avril des Perspectives de l’économie mondiale (PEM). Cependant, des évolutions importantes se cachent derrière cette apparente stabilité.

Les taux de croissance des grands pays avancés convergent à mesure que les écarts de production se réduisent. Aux États-Unis, les signes de modération se multiplient, en particulier sur le marché du travail, après de bons résultats en 2023. Dans le même temps, la zone euro, qui avait enregistré une croissance quasi nulle l’an dernier, est sur le point de se redresser.

Les pays émergents d’Asie sont toujours le principal moteur de l’économie mondiale. La croissance en Inde et en Chine a été révisée à la hausse et représente près de la moitié de la croissance mondiale. Cela étant, les perspectives pour les cinq prochaines années demeurent moroses, en grande partie à cause de l’essoufflement du dynamisme des pays émergents d’Asie. En 2029, la croissance chinoise devrait se modérer à 3,3 %, soit un taux nettement plus bas qu’aujourd’hui.

Comme en avril, nos projections font état d’un ralentissement de l’inflation mondiale à 5,9 % cette année, contre 6,7 % en 2023, ce qui la place globalement sur la bonne voie pour un atterrissage en douceur. Toutefois, dans certains pays avancés, en particulier aux États-Unis, la désinflation décélère et les risques sont orientés à la hausse.




Le temps des demi-mesures est révolu

Le projet d’amélioration du fonctionnement du FMI s’articule autour de quatre éléments essentiels

La décision de créer le Fonds monétaire international (FMI), qui a été prise il y a 80 ans à Bretton Woods, dans le New Hampshire, témoignait de détermination plus que d’un sentiment d’optimisme. Les pays représentés à cette conférence qui a fait date voulaient que le monde de l’après-guerre qu’ils imaginaient soit tout à fait différent de celui qui avait précédé la catastrophe.

Cela contrastait fortement avec les aspirations de 1918, lorsque le principal objectif, comme l’a relevé John Maynard Keynes dans une lettre rédigée en 1942, était de revenir en 1914. En 1944, personne ne souhaitait retourner en 1939. Chacun convenait que la période à venir devait être assez différente, ce qui fut le cas. Le monde a accompli des progrès notables ces 80 dernières années, et le FMI a joué un rôle très positif.

Cependant, le monde dans lequel le FMI œuvre aujourd’hui n’a sans doute jamais été aussi difficile depuis que ce dernier a vu le jour. Dans un article publié dans Finances & Développement en 2019, à l’occasion du 75e anniversaire du FMI, j’ai mentionné huit caractéristiques essentielles de ce monde en mutation : un transfert impressionnant du pouvoir économique et politique relatif de pays à haut revenu établis de longue date vers les pays émergents, en particulier la Chine ; une rivalité grandissante entre les États-Unis et une Chine en plein essor ; une montée du populisme, y compris dans les démocraties bien implantées ; un retour de bâton de la mondialisation ; de nouvelles technologies porteuses de transformations, surtout Internet et, plus récemment, l’intelligence artificielle ; une fragilité financière généralisée, notamment une hausse du ratio de la dette publique au PIB dans bon nombre de pays ; une longue période de stagnation séculaire, marquée par des politiques monétaires très accommodantes et une faible inflation ; enfin, l’importance croissante du changement climatique.

Les fissures dans l’édifice de la coopération mondiale sont plus profondes, les pressions sur les institutions internationales sont plus fortes et les résultats économiques à long terme se sont dégradés.

Depuis la publication de cet article il y a cinq ans, le monde a subi une série de chocs, notamment la pandémie, la guerre menée par la Russie en Ukraine et la guerre entre Israël et le Hamas. La stagnation séculaire est la seule tendance qui semble s’être améliorée, en partie grâce à ces chocs. Elle a toutefois été remplacée par les flambées d’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Les fissures dans l’édifice de la coopération mondiale sont plus profondes, les pressions sur les institutions internationales sont plus fortes et les résultats économiques à long terme se sont dégradés.

La gestion des crises a fatalement été au centre d’une grande partie de l’attention du FMI ces cinq dernières années, comme lors de la décennie précédente. D’après Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, « depuis le début de la pandémie, nous avons fourni environ 1 000 milliards de dollars de liquidités et de financement aux 190 pays membres du FMI ». De nouvelles facilités de prêt ont été mises en place, notamment le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité. Opérationnel depuis octobre 2022, il est financé par des prêts à long terme spontanés de pays membres ayant une position extérieure solide, dont ceux qui souhaitent transférer une partie de leurs droits de tirage spéciaux au profit d’États membres à faible revenu ou à revenu intermédiaire plus vulnérables.

La surveillance par le FMI des différents pays et de l’économie mondiale est tout aussi importante. Un événement marquant a été une proposition de Ruchir Agarwal et Gita Gopinath pour mettre fin à la pandémie de COVID-19, publiée en mai 2021. Un autre a été la décision de mettre en avant les conséquences économiques du retour de bâton de la mondialisation. Un autre encore a été le scepticisme à l’égard de la précipitation à adopter des politiques industrielles actives. Le FMI a aussi, à juste titre, attiré l’attention sur les dangers de politiques budgétaires trop accommodantes.

Cependant, si judicieux soient-ils, aucun de ces travaux n’a été suffisant. Bretton Woods visait à engager le monde sur la voie de la coopération, de l’intégration économique et de l’accélération du développement économique. Après l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, cela semblait être la trajectoire que le monde suivrait. Ce n’est plus le cas. De profonds changements s’imposent afin de faire renaître l’espoir d’un monde meilleur. La faute dans ce cas n’incombe pas au FMI, ni d’ailleurs aux autres institutions financières internationales (IFI), mais à leurs maîtres, en particulier les pays à revenu élevé qui les dominent depuis longtemps.

Comme Lawrence Summers de l’Université Harvard et N. K. Singh, ancien président de la 15e Commission des finances de l’Inde, l’observent dans un article d’avril 2024 pour Project Syndicate, « du fait de la hausse des taux d’intérêt, les pays en développement sont écrasés sous le poids de l’endettement, et la moitié des pays les plus pauvres n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la pandémie. La croissance est faible dans de vastes régions du monde, et l’inflation reste durablement élevée. Et en arrière-plan, le thermomètre ne cesse de grimper. »

Le projet d’améliorer le fonctionnement du FMI et, plus généralement, de l’univers des IFI s’articule autour de quatre éléments essentiels. Il sera difficile de les réunir. Mais le temps des demi-mesures est révolu.

Premièrement, il faut améliorer sensiblement la prise en charge des dettes excessives non remboursables. La nécessité d’assurer une coordination entre les prêteurs officiels traditionnels organisés au sein du Club de Paris, les institutions chinoises et les prêteurs privés se heurte à des difficultés inédites. Il est communément admis que le cadre commun du Groupe des Vingt pour l’allégement de la dette n’en fait pas assez pour venir en aide aux pays pauvres. Comment cela se peut-il sachant que, comme L. Summers et N. K. Singh le font remarquer, « compte tenu de la hausse des taux d’intérêt et des remboursements d’obligations et de prêts, près de 200 milliards de dollars sont sortis des pays en développement au profit de créanciers privés en 2023, ce qui fait paraître totalement dérisoire l’augmentation des financements des IFI » ? Les pays pauvres ne sont pas en mesure de faire face aux risques induits par la hausse des taux d’intérêt dans les pays à revenu élevé. Comme Anne O. Krueger, alors première directrice générale adjointe du FMI, l’a fait valoir à juste titre en 2002, le monde a besoin d’un mécanisme de restructuration de la dette souveraine. C’était le cas à l’époque. Ce besoin se fait sentir encore plus aujourd’hui.

Deuxièmement, des ressources nettement plus abondantes sont nécessaires. C’est à cette condition que le FMI et les autres IFI pourront apporter des garanties qui font cruellement défaut contre les chocs et jouer leur rôle indispensable de catalyseur pour financer le développement et procurer des biens publics mondiaux essentiels, notamment un climat stable. Le FMI a pour mission, avant tout, d’accorder des financements d’assistance, mais, pour pouvoir la remplir, il a besoin de beaucoup plus de ressources.

Troisièmement, les droits de vote doivent illustrer l’ampleur des changements dans l’équilibre du pouvoir économique international survenus ces quarante dernières années, faute de quoi le FMI et les autres IFI ne seront pas les institutions internationales dont le monde a besoin. Actuellement, la quote-part relative du Japon au FMI est plus importante que celle de la Chine, et celle du Royaume-Uni dépasse celle de l’Inde. On peut affirmer que le fait de posséder une monnaie convertible justifie la surreprésentation des pays à revenu élevé. Cependant, ce niveau de déséquilibre réduit à néant la légitimité de l’institution.

Enfin, l’usage ancien de désigner un directeur général du FMI venant d’Europe et un président de la Banque mondiale originaire des États-Unis doit cesser pour laisser place à la recherche du meilleur candidat possible, quelle que soit sa nationalité.

Aucun observateur du monde actuel ne peut mettre en doute l’ampleur des défis à relever. Il sera extrêmement difficile de conserver des institutions internationales efficaces. Dans un contexte marqué par l’aggravation des tensions mondiales, relancer la coopération nécessaire pourrait même sembler être un espoir vain. C’est toutefois le seul moyen d’éviter que le monde ne se dégrade encore davantage dans les cinq années à venir.

Martin Wolf est éditorialiste économique en chef au Financial Times.




Repenser les droits de tirage spéciaux

Les pays seraient plus aptes à affronter les problèmes économiques mondiaux avec le concours des actifs de réserve internationaux du FMI

Félicitations aux États membres, aux services et aux dirigeants du FMI à l’occasion du 80e anniversaire de la création de l’institution à Bretton Woods, dans le New Hampshire. Fleuron de l’architecture financière internationale de l’après-guerre, le FMI a été conçu par des idéalistes, résolus à mettre en place un ensemble d’institutions susceptibles de décourager l’agression entre les grandes puissances et d’empêcher la résurgence de l’unilatéralisme économique et financier qui prévalait entre les deux guerres.

Conformément à ses Statuts, le but principal du FMI est de promouvoir la coopération monétaire internationale au moyen « d’un mécanisme de consultation et de collaboration en ce qui concerne les problèmes monétaires internationaux ». Pendant la période mouvementée qui a suivi la fin de la convertibilité or du dollar américain, en août 1971, les pays membres ont appliqué ce principe et rapidement mis au point l’accord du Smithsonian en décembre de la même année. Cependant, les nouvelles valeurs nominales prévues par l’accord pour la fixation des autres monnaies sur le dollar n’ont pas tenu. En l’espace de deux ans, le régime de change de Bretton Woods a été remplacé par des taux de change flottants gérés. Les pays membres ont toutefois fait preuve de coopération lors de la transition vers ce système et maintenu le principe selon lequel les politiques de change devaient être au cœur des préoccupations mutuelles, principe qui sous-tend aujourd’hui la surveillance du FMI.

En plus d’assurer cette surveillance des taux de change et d’autres politiques des pays membres, le FMI a un rôle central dans la gestion des crises, en s’appuyant sur l’expérience et l’expertise de ses services. Le stock de réserves prépositionnées du FMI est indispensable à cet effet. Ainsi, lorsqu’un pays membre requiert une aide financière, cette aide peut être apportée sans avoir à faire la quête.

 

L’évolution constante du FMI est la clé de sa réussite au cours de ses 80 premières années d’existence. Harry Dexter White et John Maynard Keynes ne reconnaîtraient pas l’institution aujourd’hui. Ses dirigeants et ses États membres ont apporté leur soutien à l’innovation pour relever les nouveaux défis, mais ils ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers ; il faudra que l’institution évolue constamment pour continuer à être performante. Sa gouvernance constitue l’enjeu le plus important. Les actifs de réserve internationaux que sont les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI offrent l’opportunité la plus attrayante.

L’enjeu de la gouvernance

Les États-Unis et l’Europe ont progressivement renoncé à la convention selon laquelle le directeur général du FMI devait être un homme européen, le premier directeur général adjoint, un homme américain et le président de la Banque mondiale, un homme américain. Cette transformation ne suffit pas. Un enjeu plus crucial réside dans la capacité tenace de certains pays (les États-Unis) ou groupes de pays (l’Europe) à bloquer les décisions capitales du FMI et le souhait d’autres pays (la Chine) de s’y associer.

Pendant plus de 10 ans, j’ai plaidé au sein du gouvernement américain pour que nous ne nous servions pas du droit de veto des États-Unis sur les grandes décisions du FMI comme argument principal au moment de demander au Congrès américain d’approuver une augmentation de notre quote-part au FMI ou un engagement dans le cadre des nouveaux accords d’emprunt. L’expansion de l’économie mondiale a été plus rapide que celle de l’économie américaine. Ainsi, la domination des États-Unis est de moins en moins justifiable, tant sur le plan technique que sur le plan politique. J’ai également rappelé à mes collègues du Trésor américain que si nous ne parvenons pas à persuader quelques pays de soutenir notre position, c’est que celle-ci est probablement erronée. Charles Dallara, administrateur américain au FMI dans les années 80, exprime un point de vue similaire : « J’ai rapidement appris que trouver un consensus entre des administrateurs partageant les mêmes idées est indispensable pour représenter efficacement les intérêts des États-Unis. »

La réponse à cet épineux problème passe par une grande négociation entre les États-Unis, l’Europe, la Chine et le Japon. Les dirigeants actuels du FMI et de ses principaux pays membres doivent faire preuve d’ambition et d’imagination pour mettre en place une telle négociation.

L’opportunité offerte par les DTS

Il y a plus de 50 ans, les pays membres ont approuvé le premier amendement aux Statuts autorisant le FMI à allouer des DTS. Les négociations ont été menées pendant pratiquement toute la décennie 1960. Un compromis complexe a été trouvé entre des opinions très tranchées sur la meilleure façon de maintenir le système de Bretton Woods.

Les DTS sont alloués au prorata des quotes-parts des pays membres du FMI. Chaque État membre reçoit un actif de réserve productif d’intérêts et un passif à long terme correspondant sur lequel il paie le même taux. La valeur du DTS est basée sur un panier de monnaies dont les pondérations sont ajustées périodiquement par le conseil d’administration du FMI. Son taux d’intérêt équivaut à la moyenne pondérée des taux d’intérêt publics à court terme des monnaies qui le composent. Une allocation de DTS ajoute à la liquidité inconditionnelle d’un pays membre. Contrairement à la liquidité inconditionnelle dérivée de l’emprunt ou des excédents des transactions courantes, cette liquidité a un coût nul jusqu’à ce que les DTS soient transférés à un autre détenteur.

La première allocation annuelle de DTS, sur une période de trois ans à partir de 1969, a été insuffisante et trop tardive pour sauver le régime de change de Bretton Woods. Elle constitue cependant un exemple précurseur et historique de coopération monétaire internationale. Le deuxième amendement des Statuts, en 1978, a non seulement préservé l’autorité du FMI en matière d’allocation de DTS, mais a également établi une double obligation pour les États membres de collaborer à « une meilleure surveillance internationale des liquidités internationales » et à « faire du droit de tirage spécial le principal instrument de réserve du système monétaire international ». Ces deux volets sont restés davantage de l’ordre de l’idéal que de l’opérationnel.

Une deuxième allocation de DTS a été autorisée pour une période de trois ans (1979–81) après l’amendement des Statuts du FMI et le début du régime de change flottant. Pendant 30 ans, les DTS sont restés dans les placards du FMI, jusqu’en 2009, année d’une nouvelle allocation de DTS de 250 milliards de dollars pendant la crise financière mondiale. La dernière allocation remonte à 2021, lorsque le FMI a émis des DTS d’une valeur de 650 milliards de dollars pour aider ses pays membres à surmonter les répercussions économiques et financières de la pandémie de COVID.

Le DTS a démontré sa valeur en tant qu’instrument de gestion des crises. Le FMI devrait maintenant s’appuyer sur ces résultats et renforcer le rôle du DTS dans le système monétaire international.

Premièrement, le FMI devrait reprendre les allocations annuelles pour maintenir et augmenter progressivement la part des DTS dans les réserves de DTS et de monnaies des pays membres, part qui est actuellement d’environ 7 %. Sur la base des tendances récentes, une allocation annuelle de DTS équivalente à 100 à 200 milliards de dollars devrait permettre d’atteindre cet objectif. Des allocations annuelles et régulières de DTS garantiraient une croissance soutenue des liquidités mondiales, comme envisagé lors de la création de l’instrument et dans les amendements des Statuts, sans conséquences radicales pour le système monétaire international. Les DTS offrent un moyen efficace, peu coûteux et sans distorsion d’augmenter les réserves de change des pays et présentent l’avantage supplémentaire de figurer en permanence dans le stock mondial de réserves internationales.

 

Deuxièmement, le taux d’intérêt sur les DTS devrait être relevé par une combinaison de taux d’intérêt à long terme et de taux d’intérêt à court terme sur les obligations d’État libellées dans les monnaies du panier de détermination du taux d’intérêt du DTS. Cette réforme réduirait quelque peu la subvention sur ce qui constitue en réalité des prêts perpétuels aux pays qui mobilisent leurs DTS. Elle permettrait aussi de compenser les pays qui facilitent la mobilisation par une réduction de leurs réserves de devises et une augmentation de leurs avoirs en DTS.

Troisièmement, le FMI devrait inciter les pays membres qui détiennent des excédents de DTS à en faire usage dans la riposte aux problèmes mondiaux, tels que le changement climatique et les pandémies, par exemple en les prêtant à la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance ou à la facilité pour la résilience et la durabilité du FMI, aux banques multilatérales de développement ou à d’autres détenteurs prescrits de DTS, en achetant des obligations libellées en DTS émises par ces entités ou en recourant à des mécanismes similaires. Les pays membres ne devraient pas imposer de restrictions à leurs politiques d’utilisation des DTS en exigeant que les créances libellées en DTS demeurent liquides. Les réserves excédentaires ne doivent pas nécessairement être liquides si elles dépassent effectivement les besoins. De plus, ces DTS sont maintenus dans le système et contribuent de manière permanente aux liquidités mondiales.

Grâce à des allocations annuelles régulières de DTS, les pays membres du FMI seraient en mesure d’avancer dans la réalisation d’objectifs économiques à l’échelle nationale et mondiale, tels que l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets. En outre, les DTS, parce qu’ils réduisent le niveau de risque et le coût des crises financières, abaissent le coût des emprunts sur le marché, redonnent confiance aux dirigeants et permettent d’alléger les contraintes extérieures qui pèsent sur les politiques de croissance économique.

Les DTS ne sont pas la solution miracle qui permettra à elle seule de résoudre les problèmes économiques et financiers urgents qui se posent aujourd’hui au niveau mondial, mais ils font partie des nombreux instruments qui peuvent y contribuer. La réforme de la gouvernance du FMI n’est pas le seul enjeu structurel. Une réforme constante et l’évolution sur le plan institutionnel sont indispensables pour permettre au FMI de continuer à jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la coopération monétaire internationale.

Dans 20 ans, lorsque le FMI fêtera son 100e anniversaire, espérons que les observateurs félicitent les dirigeants du milieu des années 2020 pour la vision et l’imagination dont ils firent preuve afin de maintenir l’institution dans le rôle qui lui avait été assigné à Bretton Woods.

 

Edwin M. Truman est chercheur au centre Mossavar-Rahmani pour les entreprises et le gouvernement de la Harvard Kennedy School et ancien haut fonctionnaire du Trésor américain et de la Réserve fédérale.




Réformer ou courir le risque de devenir inutile

Quatre-vingts ans après Bretton Woods, le FMI doit professionnaliser et dépolitiser sa prise de décision

Si le FMI n’existait pas, il faudrait l’inventer. Après avoir subi coup sur coup deux désastres qui ne se produisent qu’une fois par siècle (une pandémie et une crise financière mondiale), certains pays ont dû recourir à des emprunts massifs pour assurer la survie de leur population et de leurs institutions. Le réchauffement de la planète et l’apparition de nouveaux agents pathogènes laissent présager d’autres bouleversements. En parallèle, la multiplication des obstacles au commerce et à l’investissement entrave les dispositifs habituels destinés à lutter contre les inégalités des chances entre les pays industriels vieillissants et les pays en développement où la population est jeune. Ce fossé grandissant pousse des millions de migrants à braver les jungles inhospitalières et les océans pour tenter de s’établir dans les pays développés, un phénomène qui suscite une opposition de plus en plus forte à l’intégration mondiale.

Face à ces défis, le FMI se doit d’être une institution qui aide les pays à adopter des politiques propices à des échanges internationaux équitables des biens, des services et des capitaux, et qui accompagne l’Organisation mondiale du commerce dans sa mission en mettant en exergue les méfaits d’une approche opposée. Le FMI devrait aussi être un interlocuteur indépendant en matière de politiques nationales, en particulier celles qui menacent la stabilité macroéconomique d’un pays, et servir de prêteur en dernier ressort auprès des pays qui ne jouissent plus de la confiance des marchés. Malheureusement, même si le FMI existe bel et bien, sa structure anachronique ne lui permet pas de remplir toutes ces fonctions.

Légitimité

Le FMI a besoin de légitimité pour être en mesure de répondre aux besoins de ses pays membres. Au moment de la création de l’institution, les États-Unis étaient la seule grande puissance économique, ce qui leur permettait de rester largement au-dessus de la mêlée et de jouer un rôle fiable, et en grande partie impartial, dans l’application des règles commerciales. Les autres pays ne contestaient ni leur pouvoir de veto sur les grandes décisions ni le contrôle qu’ils exerçaient, avec leurs alliés, le Canada et les pays d’Europe occidentale, sur les nominations aux postes de direction et sur les décisions opérationnelles. Personne n’avait véritablement remis en question cette alliance de l’Ouest jusqu’à une période récente. À l’apogée de la guerre froide, l’Union soviétique (et ses pays satellites), bien que grande puissance militaire, ne pesait pas lourd sur le plan économique et se tenait largement à l’écart du système commercial mondial. Le Japon, à son apogée économique à la fin des années 80, était trop dépendant des États-Unis pour contester leur hégémonie. Le Japon est d’ailleurs aujourd’hui un membre à part entière de l’alliance occidentale. Cette domination de l’Occident n’a été remise en cause que récemment par la montée en puissance de la Chine, qui se hisse au rang de superpuissance économique et militaire.

Les griefs relatifs à la sous-représentation des pays n’appartenant pas à l’alliance occidentale se multiplient depuis un certain temps déjà. Les quotes-parts au FMI des pays membres correspondent à leurs droits de vote et au montant de leur contribution financière à l’institution. En outre, le montant maximal qu’un pays peut emprunter au FMI dans diverses circonstances est proportionnel à sa quote-part. La quote-part du Japon (6,47 %) dépasse celle de la Chine (6,40 %), bien que le poids de l’économie chinoise soit désormais plus de quatre fois plus important. La quote-part de l’Inde est inférieure à celles du Royaume-Uni et de la France, bien que l’Inde ait aujourd’hui doublé ces deux pays sur le plan économique. La logique d’une telle sous-représentation est difficile à comprendre, si ce n’est par le souci de l’alliance occidentale de s’accrocher au pouvoir.

Arguments en faveur d’une redistribution

Le FMI doit être considéré comme une institution légitime et de bonne gouvernance, non seulement pour faciliter la négociation des règles et les faire appliquer de manière impartiale, mais aussi pour être en mesure de décider de la bonne allocation de ses ressources. L’alliance occidentale n’est plus adaptée à ses objectifs, et ce pour plusieurs raisons.

Malheureusement, en raison de la crainte des États-Unis de se voir supplantés sur le plan économique et, à terme, militaire, et de la réduction de leur marge de manœuvre budgétaire, l’isolationnisme a pris le dessus au niveau de la politique intérieure. Les États-Unis ont progressivement délaissé leur rôle d’arbitre, motivé le plus souvent par le principe que l’ouverture profite à tous, pour devenir un acteur soucieux d’une ouverture à sa mesure. Le pays veut néanmoins conserver son rôle d’arbitre au sein d’organisations telles que le FMI. Sur le plan politique, il est également très difficile pour un gouvernement américain ou européen de renoncer aux pouvoirs dont il dispose, même si le maintien de ces pouvoirs affaiblit le FMI.

Face aux restrictions budgétaires observées à l’échelle mondiale, le FMI se trouve de plus en plus souvent dans l’obligation de prêter à des pays en difficulté, sans aide supplémentaire de la part de l’alliance occidentale. Les pertes potentielles liées aux prêts du FMI ne figurent pas dans les comptes publics à court terme, et l’alliance occidentale ne supporte qu’une fraction des pertes éventuelles (proportionnellement à sa quote-part) ; il est donc tentant pour elle d’utiliser les ressources du FMI pour aider des pays amis ou voisins en difficulté, même si le prêt n’est pas économiquement viable. Bien que les crédits du FMI aient toujours eu une dimension politique, l’institution a pu plus facilement mettre en place un programme de sauvetage efficace et recouvrer ses prêts grâce à l’aide extérieure de l’alliance occidentale. Les États-Unis ont, par exemple, apporté une part importante dans le plan de sauvetage du Mexique lancé en 1994. Le FMI sera sans doute amené à faire plus souvent cavalier seul, car l’alliance occidentale exerce un contrôle alors que sa part en contribution est bien moindre.

Les États-Unis ont progressivement délaissé leur rôle d’arbitre pour devenir un acteur soucieux d’une ouverture à sa mesure.

Enfin, l’alliance elle-même s’effrite. Le gouvernement de Donald Trump affichait de profondes divergences sur le plan commercial avec le Canada et l’Europe occidentale. Il n’est pas exclu que les changements de couleur politique dans les différents gouvernements affaiblissent le consensus au sein de l’alliance en matière d’orientation économique. Si l’alliance maintient son contrôle sur le FMI, le processus décisionnel risque d’être imprévisible.

Quotes-parts et contrôle

Si l’alliance occidentale n’est pas en mesure de garantir la bonne gouvernance, un redéploiement des quotes-parts du FMI en fonction du poids économique de chaque pays devient encore plus pertinent. Mais celui-ci peut aussi entraîner des conséquences imprévues. Sur fond de fragmentation géopolitique du monde, une hypothétique alliance centrée sur la Chine pourrait-elle, par exemple, bloquer des prêts en faveur de pays étroitement liés à l’alliance occidentale ou vice-versa ? Un mode dysfonctionnel de gouvernance ne vaut-il pas mieux que la paralysie totale ?

Peut-être, et c’est pourquoi une réforme des quotes-parts devrait être assortie d’une modification de la gouvernance du FMI : le conseil d’administration ne devrait plus voter pour chaque décision opérationnelle, notamment pour chaque programme de prêt. Ce serait plutôt à des dirigeants professionnels et indépendants de prendre ces décisions opérationnelles, dans l’intérêt de l’économie mondiale. Les administrateurs devraient définir des objectifs généraux et vérifier périodiquement s’ils sont atteints, éventuellement avec l’aide du bureau indépendant d’évaluation. En d’autres termes, les administrateurs devraient se consacrer à la gouvernance, à l’instar des membres de conseils d’administration d’entreprises, définir les mandats opérationnels, nommer et modifier les dirigeants, et contrôler la performance globale. Les décisions courantes seraient du ressort de la direction.

En résumé, pour éviter la paralysie, il faudrait professionnaliser et dépolitiser la prise de décision. Lors de la création du FMI, John Maynard Keynes, qui redoutait une influence démesurée des États-Unis, souhaitait que le conseil d’administration soit non-résident. Au lendemain de la guerre, lorsque les communications longue distance coûtaient cher et que les voyages, essentiellement en bateau à vapeur, prenaient du temps, cela signifiait avoir un conseil d’administration non exécutif et une direction dotée de pouvoirs étendus. La proposition de Keynes avait été écartée par Harry Dexter White, le négociateur américain à Bretton Woods. Il est temps de reconsidérer l’idée de Keynes, mais étant donné le progrès des communications et des transports, il faudrait exiger de façon explicite que le conseil d’administration non résident ne prenne absolument pas de décision opérationnelle.

Le conseil d’administration sélectionnerait les hauts responsables du FMI en se fondant sur les candidatures réunissant le plus large consensus, plutôt que de conférer à certains pays ou à certaines régions le droit de nomination. La dimension politique de cette procédure est inévitable, mais si le conseil d’administration établit un certain nombre de qualifications fondamentales, le jeu politique permettra de dégager un consensus autour des candidats et de s’assurer de leur efficacité.

Le nouveau et l’ancien

Une réforme radicale du FMI se heurtera à des obstacles politiques considérables, notamment la réticence des pays membres dominants à céder le pouvoir s’ils considèrent que cela risque d’être interprété sur le plan national comme un signe de faiblesse politique. Il est bien plus facile pour les pays membres de procéder par étapes, comme la récente révision des quotes-parts, et de se convaincre qu’il s’agit là d’une avancée. Les décisions difficiles peuvent être renvoyées au prochain gouvernement et inévitablement reportées. Dans cette perspective, l’organisation continuera d’exister, mais elle sera moins légitime et moins pertinente par rapport aux besoins du monde. Le FMI restera utile aux pays en développement, mais il aura beaucoup moins d’influence lorsqu’il s’agira de contribuer à l’adaptation de l’économie mondiale.

Si les quotes-parts étaient redéployées pour refléter le poids économique, sans autre changement dans la gouvernance, la Chine pourrait se retrouver avec la plus grande quote-part. Dans ce cas, conformément aux Statuts du FMI, le siège de l’institution devrait être transféré à Beijing. La politisation redoutée par Keynes se poursuivrait, mais probablement avec un nouvel ensemble d’acteurs et de règles politiques, et un nouveau groupe de pays insatisfaits et désengagés.

En revanche, si les pays membres procédaient à une réforme simultanée des quotes-parts et de la gouvernance, un FMI indépendant pourrait rapprocher les parties d’un monde fragmenté sur des sujets essentiels. Ces réformes en profondeur devraient intervenir rapidement pour être acceptées par les autres pays, faute de quoi ces derniers pourraient croire qu’il s’agit d’une tentative de l’alliance occidentale de conserver de l’influence au moment même où le pouvoir change enfin de mains.

Un FMI réformé pourrait contribuer à définir de nouvelles règles concernant les échanges internationaux, par exemple en établissant une liste préliminaire de points à négocier et en tenant compte de l’évolution de l’économie mondiale. Face à la complexité des enjeux, il pourrait réunir un petit groupe de pays pour mener les premières négociations dans le cadre de ses consultations multilatérales. Si le FMI obtenait un niveau de confiance suffisant, il pourrait définir ces nouvelles règles et veiller à leur application. Il pourrait aussi affiner ses analyses et offrir de meilleurs conseils aux pays en matière de viabilité macroéconomique et extérieure, et accorder plus efficacement des prêts à des fins de redressement.

Quatre-vingts ans après Bretton Woods, le monde doit décider s’il faut procéder à une réforme du FMI pour améliorer la collaboration avec les pays membres et surmonter les difficultés qu’ils rencontrent, ou s’il ne faut rien faire et laisser le FMI s’étioler.

Raghuram Rajan est professeur à la Booth School de l’Université de Chicago. Il a été gouverneur de la Banque de réserve de l’Inde et conseiller économique au FMI.




L’Amérique latine et le FMI

Un système multilatéral solide est indispensable pour renforcer la prospérité économique de la région

Lors de la Conférence de Bretton Woods, 19 des 44 délégations venaient d’Amérique latine et des Caraïbes. Aux débuts du FMI, en 1947, une immense majorité de pays latino-américains, qui représentaient plus de 40 % des premiers États membres du FMI, avaient signé ses Statuts. Cela souligne l’attachement de l’Amérique latine à un système postérieur à la Seconde Guerre mondiale tourné vers la croissance et la stabilité ainsi que le rôle essentiel joué par la région pour qu’il se concrétise.

Quatre-vingts ans plus tard, les progrès accomplis dans certains pans de l’économie mondiale ont été nettement plus grands que ce qu’auraient pu rêver les États membres fondateurs du FMI. Dans d’autres, les résultats ont en revanche été décevants. Cela vaut aussi pour l’Amérique latine. D’une part, les pays latino-américains apprécient globalement les avantages liés au système international fondé sur des règles. Des sociétés civiles dynamiques et un esprit d’entreprise innovant se développent à de nombreux endroits de la région. L’inflation et le gaspillage des finances publiques, qui ont été le fléau de la région pendant des décennies, ont été significativement contenus dans tous les cas sauf quelques exceptions.

D’autre part, de fortes inégalités de revenu et des chances subsistent. Cela crée d’énormes problèmes de sécurité, de criminalité et de société. Les tensions liées à la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique ont débordé sur la politique intérieure, ce qui a laissé des séquelles encore douloureuses. Cela a empêché tout consensus national autour des moyens pour parvenir à une croissance inclusive. Il faut vaincre l’inflation de manière totale et permanente dans toute la région.

Depuis les années 80, les programmes appuyés par le FMI, qui bénéficient d’une forte prise en charge par les pays, se sont révélés efficaces dans bon nombre d’entre eux, du Chili et du Mexique au Brésil et à la Jamaïque. Cela démontre que les programmes qui portent leurs fruits sont indispensables pour empêcher l’utilisation répétée des ressources du FMI et les réactions défavorables qui vont de pair. Les enseignements tirés des réussites et échecs passés devraient nourrir les programmes actuels et futurs afin d’éviter les relations parfois orageuses entre le FMI et certains pays de la région.

L’importance du multilatéralisme

L’avenir de l’Amérique latine continuera à dépendre du multilatéralisme et de l’accomplissement des missions principales du FMI, telles que définies à l’article I. Le FMI doit persévérer pour atteindre ces objectifs, sans les perdre de vue. Il s’agit de la seule solution pour que l’Amérique latine affiche une croissance soutenue et parvienne à la stabilité économique. Le profil de l’économie mondiale a bien sûr beaucoup changé par rapport à 1944. Cela fait naître des risques et des possibilités de nature assez différente pour les 80 prochaines années. Le FMI doit continuer à s’adapter pour répondre aux besoins de l’Amérique latine.

Au début de ce siècle, l’essor des économies asiatiques, combiné avec un système monétaire international axé sur le dollar, a profité aux pays latino-américains qui avaient mis en place des systèmes monétaires et budgétaires crédibles ainsi que des règles claires pour une saine gestion macroéconomique intérieure. Ils ont ainsi pu parvenir à la croissance et à la stabilité en s’ouvrant davantage aux échanges commerciaux et aux flux financiers. La croissance décevante enregistrée ces 10 dernières années n’a pas mis un frein aux progrès en matière de stabilité des prix et des finances. Les banques centrales de plusieurs pays latino-américains sont bien engagées sur la voie d’un assouplissement de la politique monétaire après avoir surmonté des chocs internationaux de grande ampleur.

Cependant, les futurs risques mondiaux sont très préoccupants. La fragmentation géoéconomique menace de réduire à néant les progrès durement acquis en lien avec un monde intégré. Alors que les grands pays et zones économiques (qui possèdent de vastes marchés intérieurs et des structures de production diversifiées) font preuve d’une certaine résilience face à un possible éclatement mondial, les pays latino-américains sont nettement plus exposés, compte tenu de leur taille relativement petite et de leur forte spécialisation dans les ressources naturelles. Leur avantage comparatif réside toujours dans l’abondance de ressources naturelles, et, si l’intégration régionale pourrait en théorie permettre une certaine diversification, les déficits d’infrastructures à l’échelle intérieure et régionale restent des obstacles majeurs.

Une nouvelle guerre froide

Une profonde rupture géopolitique de nature à perturber les échanges commerciaux et les flux financiers entre les principales zones économiques du monde serait catastrophique pour l’immense majorité des pays latino-américains. Même si le pire ne s’est pas produit, les tensions politiques internationales découlant d’une seconde guerre froide pourraient à nouveau se propager et désorganiser la politique intérieure et le corps social en Amérique latine.

Tenir un discours de vérité face à l’autorité, notamment en ce qui concerne les risques que fait peser une démondialisation source de perturbations, doit rester un principe directeur pour le FMI.

Cela ne sera toutefois pas forcément le cas. Contrairement à 1947, au début de la guerre froide, le degré d’intégration économique est tel aujourd’hui que les inconvénients d’un retour à l’autarcie sont bien connus de l’ensemble des principaux partenaires internationaux et de leur corps social. La raison d’être de l’architecture financière internationale est précisément d’empêcher les bouleversements qui ont fait de l’autarcie et de la guerre d’agression des objectifs politiques réalistes dans les années 20 et 30. Tant que la gouvernance du FMI continuera à s’adapter au nouveau contexte mondial, le FMI restera le principal espace de coopération économique internationale.

Tenir un discours de vérité face à l’autorité, notamment en ce qui concerne les risques que fait peser une démondialisation source de perturbations sur les pays de taille petite ou moyenne, doit rester un principe directeur pour le FMI dans l’optique d’atténuer les risques et les répercussions de la fragmentation sur l’Amérique latine.

L’autre grand risque international tient aux conséquences dramatiques du changement climatique. Les bouleversements causés par le réchauffement de la planète ont un impact négatif net direct et visible à l’échelle mondiale. Cependant, en Amérique latine, la réalité est plus complexe et diverse. Dans les pays qui sont fortement tributaires de l’exploitation de combustibles fossiles pour assurer leurs recettes budgétaires, la transition vers des énergies propres sera extrêmement douloureuse. Elle sera beaucoup plus facile dans les pays qui possèdent des ressources naturelles comme le lithium et le cuivre, et des avantages comparatifs dans les énergies renouvelables nécessaires à la transition. Ces pays peuvent s’attendre à des circonstances favorables dans les années à venir. Mais le scénario n’est pas clairement établi. Des institutions solides sont indispensables afin de ne pas gâcher les occasions et de gérer comme il se doit le financement de l’action climatique, mais aussi pour faire face à d’autres problèmes épineux, comme la pénurie d’eau, les migrations climatiques et la sécurité énergétique. Le FMI sera sollicité pour appuyer les initiatives nationales menées dans la région au moyen d’une assistance technique et de financements avec d’autres institutions partenaires.

Pour éviter une fragmentation économique et faire face aux risques liés au changement climatique, des institutions multilatérales opérationnelles comme le FMI sont indispensables. La réussite de cet ordre mondial depuis 1945 est patente. Elle montre que, en matière de coopération internationale, le tout est bel et bien supérieur à la somme des parties. Mais chacun doit jouer un rôle constructif.

D’une part, les États-Unis, principaux artisans de l’après-Seconde Guerre mondiale, ont une énorme responsabilité s’agissant du bon fonctionnement de l’architecture financière internationale et de la prospérité pacifique dans l’Hémisphère occidental. Si les États-Unis se détournaient de l’internationalisme, cela ferait disparaître un rouage essentiel du processus de mondialisation. Ne pas apprécier l’Amérique latine à sa juste valeur pourrait rendre encore plus visibles les maux du passé, ce qui alimenterait un sentiment anti-états-unien dans la région.

D’autre part, après avoir accompli des progrès économiques considérables, la Chine est devenue un acteur économique de premier plan dans le commerce international et les affaires mondiales, y compris en Amérique latine. Une démarche positive de la part des États-Unis comme de la Chine pour tendre vers un multilatéralisme pacifique au cours des prochaines décennies est un ingrédient nécessaire alors que le FMI continue à défendre l’avenir de l’Amérique latine.

Pablo Garcia-Silva est professeur à l’école de commerce de l’Université Adolfo Ibañez. Il préside actuellement un comité qui procède à une évaluation externe du Bureau indépendant d’évaluation du FMI. Il a été vice-gouverneur de la Banque centrale du Chili et membre du conseil d’administration du FMI.




Un consensus émerge sur le besoin d’une réforme du FMI

Le FMI doit se montrer à l’écoute des besoins de ses États membres et s’adapter à de nouveaux défis

Depuis plus de 80 ans, le FMI fait figure de pilier de la stabilité macroéconomique et financière à l’échelle mondiale. Créé lors de la Conférence de Bretton Woods à laquelle ont participé 44 délégations, le FMI compte aujourd’hui 190 États membres, les 54 pays membres d’Afrique formant le principal groupe régional. Ce développement témoigne d’une évolution majeure par rapport au système initial qui visait à défendre l’étalon-or et des taux de change fixes. L’effondrement de ce système, il y a 50 ans, a modifié le rôle joué par le FMI, qui a cessé de garantir des taux de change fixes pour promouvoir des taux de change flexibles.

Pour réagir à ces mutations, le FMI est devenu une institution de financement du développement. Son portefeuille actuel s’établit à 112 milliards de dollars répartis entre 90 pays, ce qui correspond à un peu plus de 1,2 milliard de dollars par emprunteur. En excluant l’Argentine (32 milliards de dollars), ce chiffre tombe à 900 millions de dollars par emprunteur, et même à un peu moins de 700 millions de dollars si l’on exclut les trois premiers emprunteurs (Argentine, Égypte et Ukraine), qui représentent 46 % du portefeuille.

Si une conférence analogue à celle de Bretton Woods se tenait aujourd’hui, elle porterait probablement sur les enjeux interdépendants que sont le développement et le changement climatique. Les récentes conférences mondiales, dont le Sommet des Nations Unies sur les objectifs de développement durable et la Conférence des parties sur le climat (COP28), ont mis en évidence notre incapacité à relever ces défis, essentiellement en raison de financements insuffisants et de dysfonctionnements du système financier.

Un moteur indispensable

Les pays du Sud seront le moteur indispensable de la future croissance de l’économie mondiale. La part de l’Afrique subsaharienne dans la population active mondiale devrait doubler, pour passer de quelque 13 % aujourd’hui à 25 % d’ici à 2050. L’exploitation de ce potentiel repose sur une réforme du système financier multilatéral dans l’optique de mieux répondre aux réalités du moment, par exemple la vulnérabilité face au changement climatique et la fragilité économique amplifiées par les chocs mondiaux.

Les pays d’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique commencent seulement à se remettre de quatre saisons de sécheresse, soit la pire situation en un demi-siècle, qui s’est traduite par la perte de 9,5 millions de têtes de bétail selon des estimations, dont 2,4 millions au seul Kenya. Actuellement, nous subissons des inondations catastrophiques, les pires depuis le phénomène El Niño de 1997. Le déluge a déjà causé la mort de plus de 250 personnes au Kenya, en Tanzanie et au Burundi, déplacé des milliers d’autres et provoqué des dégâts considérables sur les biens, les cultures et les infrastructures.

Lors de mes entretiens récents avec des responsables internationaux, un consensus est apparu sur quatre volets essentiels d’une réforme du FMI : les instruments de prêt, l’émission de droits de tirage spéciaux (DTS), la lutte contre le surendettement et la gouvernance.

Instruments de prêt : Un consensus général s’est formé sur la nécessité de décorréler les prêts des systèmes de quotes-parts. L’actuelle « politique en matière d’accès exceptionnel » est non seulement restrictive, mais elle applique aussi des commissions additionnelles dissuasives qui témoignent d’un système archaïque. Les difficultés économiques actuelles, par exemple les catastrophes provoquées par le changement climatique et les pandémies, exigent de recalibrer les instruments financiers pour remédier à ces crises avec plus de souplesse. Je préconise de dissocier les instruments de prêt afin que chacun soit régi par ses propres critères d’octroi et adapté aux interventions des pouvoirs publics qui répondent à des besoins précis, contrairement à la situation actuelle dans laquelle tous les instruments sont liés au programme macroéconomique officiel du FMI.

Prenons l’exemple de la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD). La FRD est une innovation bienvenue qui considère la vulnérabilité face au changement climatique comme une cause de la fragilité économique. Cependant, pour y accéder, un pays doit déjà bénéficier d’un programme du FMI. Cela est problématique pour les pays exposés aux effets du changement climatique qui ont une bonne gestion économique et peuvent souhaiter accéder à la facilité pour renforcer leur résilience.

Droits de tirage spéciaux : L’émission de DTS demeure un instrument de gestion des crises indispensable. Cependant, les allocations récentes mettent en évidence la nécessité de réformer : les pays à faible revenu, qui ont particulièrement besoin d’un dispositif de sécurité financière, ont reçu seulement 2,4 % de l’allocation de 2021. L’ensemble du continent africain n’en a perçu que 5,2 %. En revanche, les pays développés, qui n’ont pas besoin d’une aide financière, en ont reçu 64 %. Les pays plus riches se sont engagés à réaffecter 100 milliards de dollars de DTS pour venir en aide aux pays vulnérables. Si ces promesses ont augmenté la capacité du FMI et apporté un capital de départ pour la FRD, la lente mobilisation de ces fonds souligne l’inefficience des pratiques actuelles.

Les droits de vote actuels dans les institutions financières internationales ne sont pas le reflet des réalités économiques et démographiques actuelles.

Surendettement : Les pays en développement sont confrontés à une crise de la dette qui rappelle la situation ayant abouti à la naissance de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés de la Banque mondiale et du FMI au milieu des années 90. Le dernier rapport sur la dette internationale de la Banque mondiale confirme ce diagnostic : il indique que le nombre de faillites souveraines dans 10 pays ces trois dernières années dépasse le total des 20 années précédentes. En outre, le nombre de pays émergents qui affichent des écarts de rendement des obligations révélateurs d’une situation critique (1 000 points de base ou plus au-dessus des obligations du Trésor américain comparables) a été multiplié par 10, passant de 2 à 20 depuis 2020. Comme la hausse des taux d’intérêt aggrave les problèmes de service de la dette, il faut sans tarder mettre sur pied de vastes programmes de refinancement de la dette, similaires au plan Brady de riposte à la crise de la dette en Amérique latine des années 80, afin d’apporter un soutien et de favoriser un développement durable.

Réformes de la gouvernance : La gouvernance de l’économie mondiale a pris du retard par rapport à l’essor économique des pays du Sud et à d’autres évolutions géopolitiques. Les droits de vote actuels dans les institutions financières internationales ne sont pas le reflet des réalités économiques et démographiques actuelles, notamment de la forte contribution des pays du Sud, qui représentent déjà la moitié du PIB mondial et 80 % de la population mondiale. Les principes de gouvernance d’entreprise donnent à penser qu’une représentation plus équitable et une indépendance dans les processus décisionnels s’imposent.

La raison d’être du FMI à l’avenir dépendra de sa capacité à s’adapter à ces nouveaux défis et à se montrer à l’écoute des besoins de ses États membres. L’avenir passe par une réforme de grande ampleur, mais, grâce à un esprit de coopération et de concertation, nous pouvons garantir que le FMI restera une pièce maîtresse de la stabilité mondiale pour les futures générations.

William Ruto est le président du Kenya.




Le FMI doit montrer l’exemple en matière de viabilité de la dette

La réforme de ses accords de prêt pour les pays à revenu intermédiaire n’a que trop tardé

Lorsqu’ils se penchent sur les problèmes économiques et de développement que rencontrent les pays en développement dans le contexte de la crise climatique, la plupart des observateurs ont tendance à considérer la dette comme un facteur de complication, au mieux, et comme l’origine de bon nombre de nos maux, dans le pire des cas. Il y a de bonnes raisons à cela. L’accroissement de la dette publique dans l’ensemble des pays en développement, et l’alourdissement de la facture des intérêts qui va de pair, détournent des fonds publics de programmes de santé et d’éducation déjà sous-financés. Ils risquent de plonger davantage de pays dans de véritables difficultés et de précipiter à nouveau dans la pauvreté un plus grand nombre de personnes.

Pour autant, force est de constater que la dette demeurera une composante essentielle des financements nécessaires aux pays en développement pour atteindre leurs objectifs de développement durable, en particulier la résilience face au changement climatique, et pour réaliser leur potentiel de développement économique d’une manière plus générale. L’enjeu est donc de « mieux » prêter et emprunter. Qu’est-ce que cela implique ?

Une chose est sûre, cela suppose de veiller à ce que les emprunts publics s’inscrivent dans une discipline budgétaire durable. Toutefois, cela implique aussi d’éviter tout endettement qui risque fort d’être non viable. Si la viabilité globale de la dette est définie par de multiples facteurs, le passé nous a montré que le taux de croissance économique est le moteur le plus important de la dynamique de la dette. Il existe une règle simple pour déterminer à quel moment les modalités de nouveaux emprunts risquent d’être non viables dans le temps, du moins pour ce qui est du coût : en résumé, les taux d’intérêt qui sont susceptibles de dépasser le taux de la future croissance nominale ne sauraient être jugés viables. Plus de tels taux apparaissent dans un portefeuille de dette publique, plus grande sera la probabilité d’un surendettement souverain à l’avenir.

Un dispositif imparfait

Même si les taux d’intérêt très élevés payés par certains pays en développement sur leurs émissions d’euro-obligations ont suscité une grande attention depuis le début de 2024, le problème des coûts d’emprunt trop élevés est aussi visible dans les prêts accordés par le secteur officiel. En réalité, la récente hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale a mis en évidence l’imperfection du dispositif de prêts du FMI pour les pays à revenu intermédiaire, qui ne favorise plus la viabilité de la dette. Celui-ci a grand besoin d’être réformé.

Commençons par la question centrale du coût. Au début du millénaire, des commissions additionnelles ont été appliquées sur l’ensemble des prêts du FMI aux pays à revenu intermédiaire via le compte des ressources générales (CRG), qui englobe les accords de confirmation, les mécanismes élargis de crédit (MEDC) et les instruments de financement rapide (IFR). La structure des commissions additionnelles comprend une commission additionnelle proportionnelle à l’encours des crédits de 2 % sur les emprunts au titre du CRG qui dépassent 187,5 % de la quote-part et une autre commission additionnelle, proportionnelle à la durée des crédits, de 1 % sur la part des crédits du CRG dépassant ce seuil qui est à rembourser pendant plus de 36 mois (ou 51 mois dans le cas des MEDC).

Le FMI a mis en place ces commissions additionnelles au moment où il tentait d’éteindre l’incendie des premières crises de la dette dans les pays émergents, y compris en dilapidant ses propres fonds. L’objectif fondamental des nouvelles commissions additionnelles était d’empêcher des emprunts massifs et durables d’épuiser les ressources du FMI, notamment parmi les emprunteurs souverains des pays émergents mieux notés. Les commissions additionnelles se sont révélées efficaces, et ces pays ont rapidement réintégré la catégorie des emprunteurs qui représentent un bon placement après la crise. Des années plus tard, la méthode a de nouveau porté ses fruits : des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui avaient été contraints d’emprunter au FMI pendant la crise financière mondiale ont pu rembourser de manière anticipée leurs dettes envers lui une fois passé le pire des problèmes d’instabilité, grâce à des marchés de capitaux intérieurs actifs.

Cependant, le monde a profondément changé au cours des 25 dernières années. Pour commencer, les encaisses de précaution du FMI sont passées de 6,2 milliards de dollars en avril 1999 à environ 33 milliards de dollars en avril 2024. Ensuite, le FMI est parvenu à opérer un virage indispensable, en étoffant progressivement son rôle de prêteur en dernier ressort pour devenir un partenaire de certains des pays les plus pauvres et les plus fragiles au monde à un moment où leur accès à la liquidité a été fortement réduit.

 

Le volume des prêts du FMI a aussi augmenté. Concrètement, un montant équivalent à 187,5 % de la quote-part n’a plus rien d’exceptionnel : en avril 2024, 21 pays à revenu intermédiaire avaient emprunté au FMI des sommes supérieures à ce niveau. Par rapport à il y a 10 ans, le revenu moyen par habitant des pays ayant un accord en cours au titre du MEDC a été divisé par quatre.

Toutefois, le régime de commissions additionnelles du FMI demeure inchangé et a exposé de plein fouet des emprunteurs souverains fragiles à la hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale, alors même que le FMI est à présent bien capitalisé et n’a pas besoin d’emprunter sur les marchés pour financer ses accords de prêt.

Régime de commissions additionnelles

En juin de cette année, le taux d’intérêt global minimum à payer sur les décaissements du CRG (ce qui recouvre les accords de confirmation, le MEDC et l’IFR) s’était envolé pour atteindre 5,1 % par an, les États payant 7,1 % sur la part de leurs tirages qui dépasse 187,5 % de la quote-part. L’encours des engagements du CRG depuis trois ans ou plus (ou quatre dans le cas du MEDC, soit à peine à mi-parcours de l’échéance finale) affiche aujourd’hui un taux d’intérêt record de 8,1 %. Le FMI ne saurait prétendre que ses programmes de prêts ont à cœur d’assurer la viabilité de la dette sachant que ses propres prêts aux pays à revenu intermédiaire ne peuvent être jugés viables.

Le FMI doit s’attaquer à ce problème. Encourager les emprunteurs souverains à le rembourser n’est pas une mauvaise idée en soi, mais cela est inapproprié dans un monde où la plupart des emprunteurs au titre du CRG n’ont pas un accès fiable à d’autres sources de financement durable. Le régime de commissions additionnelles du FMI doit être réformé sans tarder : il faut soit procéder à une refonte radicale, ce qui passe par des plafonds tenant compte du cycle des taux d’intérêt, soit, de préférence, le supprimer purement et simplement.

La hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale a mis en évidence l’imperfection du dispositif de prêts du FMI pour les pays à revenu intermédiaire, qui ne favorise plus la viabilité de la dette.

Mais le coût n’est pas le seul aspect des prêts du FMI qui doit être réformé sans délai. La durée de remboursement des prêts compte aussi. Prenons l’exemple du MEDC, qui vise à remédier aux déséquilibres de la balance des paiements provoqués par des carences structurelles dans l’économie. Il est communément admis qu’une réforme structurelle est une opération complexe dont la mise en œuvre prend du temps et qui porte ses fruits au bout de plusieurs années. Or le MEDC est un instrument de prêt qui effectue des décaissements pendant une durée de seulement trois ou quatre ans et qui doit être remboursé en sept ans (sur la base de la moyenne pondérée). Un dispositif qui impose de telles contraintes n’est tout simplement pas en mesure de financer une réforme structurelle face à une « polycrise » et aux conséquences de plus en plus catastrophiques de la crise climatique.

Des programmes perpétuels

Il n’est donc guère surprenant que tant de pays à revenu intermédiaire soient bloqués par des programmes perpétuels et empruntent au FMI uniquement dans le but de le rembourser. Cela n’est une bonne chose ni pour les emprunteurs souverains, ni pour le FMI, ni pour les populations que le FMI est censé aider.

Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis la dernière réforme du MEDC, en 1979. Des idées neuves sur le soutien du FMI aux pays à revenu intermédiaire s’imposent depuis longtemps de la part de dirigeants et de partenaires que nous savons dévoués et compétents.

Par conséquent, il est heureux que le FMI, sous sa direction actuelle, ait déjà fait montre d’une capacité à produire des idées neuves et innovantes ces dernières années, souvent en devançant les autres. En témoignent le lancement rapide de l’IFR et de la facilité de crédit rapide peu de temps après le début de la pandémie et, par la suite, l’allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) représentant l’équivalent d’un montant record de 650 milliards de dollars. Plus récemment, la facilité pour la résilience et la durabilité a été mise en place. Financée en transférant une partie des nouveaux DTS, elle sert à financer la résilience et l’adaptation au changement climatique dans les pays qui ont déjà conclu un accord avec le FMI assorti d’un prêt dans la tranche supérieure de crédit. Fait essentiel, cette nouvelle facilité se caractérise par une échéance finale de 20 ans et par l’absence de commissions additionnelles.

Face aux multiples crises du début du XXIe siècle, les pays à revenu intermédiaire ont besoin d’accords de prêt adaptés à leurs objectifs. L’heure est venue pour le FMI de porter son attention sur une réforme fondamentale de ses accords de prêt actuels pour les pays à revenu intermédiaire.

Mia Amor Mottley est la Première ministre de la Barbade.




Rdc : L’ODEP et LICOCO dénoncent les attaques du PG près la Cour des comptes contre l’IGF

L’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) et la Ligue Congolaise de Lutte contre la Corruption (LICOCO) ont exprimé ce mardi leur consternation suite au communiqué du Parquet Général près la Cour des Comptes daté du 15 juillet 2024. Ce communiqué mettait en cause l’Inspecteur Général des Finances (IGF) Jules Alingete, certains inspecteurs des finances, ainsi que le Directeur Général de la GECAMINES. ODEP et LICOCO soulignent que le Parquet Général, censé travailler en synergie avec l’IGF pour lutter contre la corruption, adopte des attitudes contre-productives.

Les faits en détail

La GECAMINES a sollicité une formation pour 105 de ses agents auditeurs et experts en passation des marchés publics. Cette formation, dispensée par l’IGF, devait coûter 150 000 USD pour trois mois, une somme que la GECAMINES s’était engagée à payer aux inspecteurs formateurs. Jules Alingete, IGF, avait autorisé ses inspecteurs à assurer cette formation et à percevoir les paiements de la GECAMINES.

Cependant, le Parquet Général près la Cour des Comptes a estimé que les inspecteurs ne pouvaient être payés par la GECAMINES, suggérant que les frais de formation devaient être pris en charge par l’IGF. Une invitation à échanger sur la question fut adressée à Jules Alingete, qui a demandé les dispositions légales justifiant cette invitation. En réponse, le Parquet Général a reconnu l’absence de telles dispositions légales, mais a affirmé avoir toujours agi ainsi.

L’IGF a décliné cette invitation par lettre officielle, ce qui a poussé le Parquet Général à publier un communiqué jugé illégal par l’ODEP et LICOCO, visant à faire sensation tout en sachant que l’IGF n’y répondrait pas.

Appel à la raison et à la collaboration

ODEP et LICOCO insistent sur l’importance de restaurer la fonction de contrôle au sein de l’État congolais, un défi majeur pour la communauté nationale. Ils condamnent les actions du Parquet Général, qu’ils considèrent comme une tentative de discréditer et de fragiliser cette fonction cruciale.

Recommandations de la société civile

1. Collaboration renforcée : ODEP et LICOCO appellent le Parquet Général et l’IGF à coopérer pour avancer dans la lutte contre la corruption en RDC.

2. Actes de fragilisation : Ils demandent au Parquet Général de s’abstenir d’actes qui pourraient affaiblir cette lutte.

3. Crédibilité de la Cour des Comptes : Le Parquet Général doit cesser ses attaques médiatiques contre l’IGF, qui ternissent l’image de la Cour des Comptes.

4. Intervention présidentielle : ODEP et LICOCO sollicitent l’intervention du Chef de l’État pour rappeler à l’ordre les différentes parties impliquées, dans l’intérêt du pays.

Florimond Muteba Tshitenge, Président du Conseil d’Administration de l’ODEP, et Ernest Mpararo, Secrétaire Exécutif de LICOCO, ont signé ce communiqué, réaffirmant leur engagement à soutenir des institutions de contrôle efficaces et intègres en RDC.

La société civile se tient prête à défendre la fonction de contrôle de l’État contre toute tentative de déstabilisation, et appelle à une coopération sincère pour éradiquer la corruption qui mine le développement du pays.

Didier Mbongomingi




Pourquoi les prix des produits de base restent-ils élevés malgré une croissance mondiale atone ?

Cette année et l’année prochaine, la croissance économique (a) mondiale devrait être inférieure de près d’un demi-point de pourcentage à la moyenne enregistrée au cours des cinq années qui ont précédé la pandémie de COVID-19. Pourtant, en 2024-2025 les prix moyens des produits de base (a) devraient rester près de 40 % au-dessus des niveaux de 2015-2019 (figure 1).

Les prix de l’énergie et des denrées alimentaires, par exemple, devraient baisser, mais rester supérieurs d’environ 40 % et 30 % respectivement à leurs moyennes de 2015-2019. Les prix des métaux de base devraient augmenter légèrement cette année et l’année prochaine, pour atteindre une moyenne d’environ 40 % supérieure à celle de 2015-2019.

Figure 1 : Hausse des prix des produits de base, ralentissement de la croissance

Pour résumer, le monde semble être entré dans une « nouvelle normalité », qui se caractérise par une déconnexion entre la croissance mondiale et les prix des produits de base.

Quatre facteurs au moins expliquent cette tendance :

L’offre mondiale de pétrole reste limitée (a). Depuis début 2023, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et ses alliés de l’OPEP+ ont retiré du marché une part substantielle de l’offre mondiale, en augmentant et en prolongeant progressivement les réductions de production face à une demande jugée atone (a). Fin juin, les membres de l’OPEP+ retenaient plus de 6 millions de barils de pétrole par jour, soit près de 7 % de la demande mondiale (figure 2). Cette situation, conjuguée à un surcroît d’attention portée à la rentabilité à court terme dans le secteur du pétrole de schiste aux États-Unis — qui freine l’ajustement de la production à la hausse des prix — favorise l’augmentation des cours du pétrole. Depuis le début de 2024, le prix du baril de Brent oscille entre 75 dollars et un peu plus de 90 dollars. Cette tendance devrait se poursuivre l’année prochaine, avec une moyenne de 79 dollars le baril.

Figure 2 : L’OPEP+ poursuit ses baisses de production

La demande chinoise de matières premières résiste bien malgré le ralentissement de la croissance économique. La faiblesse de la croissance mondiale reflète dans une large mesure le ralentissement de l’économie chinoise (a), qui résulte en partie de la chute du secteur immobilier. Entre 2015 et 2019, la Chine a affiché une croissance moyenne de 6,7 % par an, contre 4,5 % environ en 2024-2025, selon les estimations. Si l’on ne tient pas compte de la période 2020-2022, qui a été fortement marquée par la pandémie et ses répercussions, il s’agit du rythme de croissance le plus lent que le pays ait connu depuis plusieurs décennies. La Chine étant le plus gros consommateur mondial de métaux et d’énergie, on pouvait s’attendre à ce que la crise de l’immobilier réduise considérablement son appétit pour les matières premières. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit jusqu’à présent. Au contraire, la demande de produits de base industriels s’est montrée solide, soutenue par les investissements dans les infrastructures et par la priorité stratégique qu’accorde la Chine à l’accélération des capacités industrielles dans des secteurs clés, notamment l’électronique et les véhicules électriques. Ces facteurs compensent au moins en partie la faiblesse de la demande de matières premières émanant du secteur immobilier (figure 3).

Figure 3 : En Chine, hausse des prêts au secteur industriel

Le changement climatique stimule la demande de métaux et perturbe la production agricole. La lutte contre le changement climatique est un facteur d’une importance croissante pour les marchés des matières premières (a). À l’échelle mondiale, les investissements à forte intensité de métaux dans les technologies énergétiques propres enregistrent une croissance à deux chiffres (figure 4). Il en résulte de fortes incitations à accroître la production de métaux, en particulier le cuivre et l’aluminium, qui sont essentiels pour les technologies vertes. Cependant, en raison des longs délais de mise en service des nouvelles mines, l’offre restera probablement limitée pendant un certain temps, ce qui pourrait maintenir les prix des métaux de base à un niveau relativement élevé. Par ailleurs, sur les marchés des produits agricoles, les évènements météorologiques liés aux dérèglements du climat se sont traduits récemment par une réduction de l’offre de cacao et de café, ce qui a fait grimper les prix à des niveaux record. Les pénuries dues aux maladies et aux catastrophes risquent de devenir de plus en plus fréquentes à mesure que les températures augmentent et évoluent.

Figure 4 : Hausse des investissements dans les énergies propres

 

Les tensions géopolitiques se sont intensifiées. Les prix des produits de base sont restés élevés et volatils en partie en raison des chocs géopolitiques survenus au cours des deux ans et demi qui viennent de s’écouler. Après une hausse rapide en 2021, ces prix ont bondi au début de 2022 lorsque l’invasion de l’Ukraine par la Russie a déstabilisé les marchés de l’énergie et des céréales. Ils ont atteint un sommet à la mi-2022, avant de chuter de manière substantielle. Cette baisse s’est toutefois interrompue à partir de la mi-2023, à la suite de la réduction de l’offre par les pays de l’OPEP+. Puis, le déclenchement d’un nouveau conflit au Moyen-Orient a ravivé les inquiétudes géopolitiques, entraînant des fluctuations de prix en octobre dernier. En avril 2024, avec l’escalade des tensions au Moyen-Orient, le pétrole est repassé au-dessus de 90 dollars le baril, tandis que l’or, particulièrement réactif à la situation géopolitique, atteignait des sommets historiques.

Les tensions géopolitiques resteront une menace majeure tant pour l’évolution des prix des produits de base que pour les perspectives de la croissance mondiale, renforçant les risques de nouveaux chocs du côté de l’offre (figure 5). Selon certains indicateurs, le nombre de conflits armés n’a jamais été aussi élevé depuis des décennies (a). Toute escalade d’un conflit qui entraverait sensiblement la fourniture d’énergie pourrait entraîner une flambée des prix des matières premières en général. L’inflation mondiale pourrait alors repartir à la hausse, ce qui pourrait retarder l’assouplissement monétaire prudent que les banques centrales devaient mettre en œuvre dans les mois à venir.

Plus généralement, la combinaison de multiples conflits armés et d’un environnement géopolitique de plus en plus agité menace d’amplifier les incertitudes, d’entamer le moral des consommateurs et des entreprises et d’alimenter la volatilité des marchés financiers. L’histoire montre qu’un risque géopolitique accru est associé à un affaiblissement de l’investissement et à des risques importants de baisse de la croissance. Il est donc impératif que la communauté internationale trouve un moyen de désamorcer les tensions et redouble d’efforts pour soutenir les pays les plus vulnérables.

Figure 5 : Augmentation des risques géopolitiques

Pour l’instant, la hausse des prix des produits de base fournit aux pays qui en exportent une occasion décisive de progresser. Nombre d’entre eux devraient en effet enregistrer une croissance plus rapide au cours des prochaines années qu’au cours de la période 2015-2019. Il leur faut donc saisir cette chance pour restructurer leur économie avec le souci d’une prospérité à long terme. Pour commencer, ces pays pourraient s’attacher à se doter d’institutions plus solides (a), capables d’utiliser ces revenus exceptionnels de manière à corriger les déséquilibres budgétaires (a). Ils devraient également constituer des réserves de change et renforcer la crédibilité de leur banque centrale.

Alors que l’économie mondiale se remet des chocs de ces dernières années et s’approche du milieu de la décennie, plusieurs tendances s’affirment qui influent considérablement sur les marchés des produits de base et les perspectives de croissance. Les catastrophes imputables aux conditions météorologiques sont de plus en plus fréquentes. La demande de métaux liée à la transition énergétique s’intensifie. Les tensions géopolitiques se sont amplifiées et ne montrent aucun signe d’apaisement. Dans ces conditions, une période prolongée de hausse des prix des matières premières dans un contexte de croissance modérée pourrait devenir la norme.