Au 18 décembre dernier : Les dépenses en capital ont été exécutées en dépassement de 22,6 % de leur prévision mensuelle

Au cours de la troisième semaine du mois de décembre 2024, le rythme de formation des prix a légèrement augmenté, attesté par un taux d’inflation hebdomadaire de 0,18 % contre 0,13 % la semaine précédente. En cumul annuel, l’inflation a atteint 11,45 %.

Cette évolution de l’indice global est attribuable, notamment à la fonction de consommation « Produits alimentaires et boissons non alcoolisées », « Transports », « Articles d’habillement et chaussures » ainsi que « Logement, eau, électricité, gaz, et autres combustibles ».

En effet, la fonction de consommation « Produits alimentaires et boissons non alcoolisées » a contribué à hauteur de 52,48 % à l’inflation hebdomadaire. Celles des « Transports » et « Articles d’habillement et chaussures » ont contribué, respectivement de 11,45 % et de 10,90 %. La contribution de la fonction « Logement, eau, électricité, gaz, et autres combustibles » est de 8,38 %.

En glissement annuel, le taux d’inflation s’est chiffré à 12,07 % et en annualisé à 11,69 % contre une prévision de 12,0 % à fin décembre 2024.

Au cours de la même période, la gestion des finances publiques reste caractérisée par des efforts de mobilisation accrue des ressources domestiques, traduits par une réalisation des recettes supérieure aux prévisions.

C’est ce qui fait que le solde des Opérations Financières de l’Etat est déficitaire de 705,3 milliards de CDF contre un déficit programmé de 763,3 milliards pour le mois. Ce déficit a été financé par des ressources tirées des émissions des titres publics (138,7 milliards de CDF) et des marges de trésorerie antérieurement constituées (566,6 milliards).

Les ressources mobilisées au 18 décembre courant ont représenté 79,5 % de l’enveloppe attendue pour le mois. En effet, sur un montant prévisionnel de 1.476,4 milliards de CDF, les régies financières ont collecté 1.174,3 milliards.

Les recettes d’impôts directs et indirects (DGI) ont totalisé 626,7 milliards de CDF et celles de la fiscalité douanière et accises (DGDA) ont atteint 310,3 milliards. Concernant les recettes de la parafiscalité, collectées par la DGRAD, elles se sont établies à 237,3 milliards de CDF.

Les dépenses publiques, incluant l’amortissement de la dette, ont été exécutées à 83,9 % de leurs prévisions fixées dans le plan de trésorerie de l’Etat. Sur un montant projeté à 2.239,7 milliards de CDF, les dépenses publiques se sont établies à 1.879,6 milliards.

Pour ce qui est de l’exécution des dépenses courantes, les statistiques révèlent qu’elles ont atteint 1.409,9 milliards de CDF, soit 87,1 % de leurs prévisions mensuelles. La structure de ces dépenses est composée, notamment des rubriques ci-après : frais de fonctionnement des institutions et ministères (554,1 milliards de CDF), subventions (374,0 milliards) salaires des agents et fonctionnaires de l’Etat (348,6 milliards) ainsi que les intérêts sur la dette (62,1 milliards).

S’agissant des dépenses en capital, elles ont été exécutées en dépassement de 22,6 % de leur prévision mensuelle. Elles se sont établies à 336,3 milliards de CDF contre une prévision de 274,2 milliards.

Par ailleurs, en cumul annuel, au 18 décembre 2024, l’exécution des opérations financières de l’Etat s’est soldée par un déficit de 1.557,8 milliards de CDF, résultant d’un niveau des recettes de 25.669,7 milliards et celui des dépenses de 27.227,5 milliards de CDF.




Baromètre de conjoncture : Il s’observe un repli de l’optimisme expliqué principalement par une baisse des activités 

La note de conjoncture économique qui couvre la période du 13 au 20 décembre 2024, constate que l’environnement économique intérieur continue de tirer profit du renforcement de la coordination des politiques conjoncturelles. En effet, les principaux marchés sont demeurés globalement stables, au cours de la semaine sous analyse.

Selon les estimations, sur base des réalisations de production à fin juin 2024, le taux de croissance du PIB réel s’établirait à 6,0 %. Cette évolution tient principalement de la performance du secteur minier, à la faveur d’une bonne tenue des cours de principaux produits exportés.

Les résultats de l’enquête de baromètre de conjoncture indiquent une poursuite de la consolidation de la confiance des chefs d’entreprises quant aux perspectives économiques à court terme. En effet, le solde global d’opinions est ressorti à +36,2 % au mois de novembre 2024, contre +36,1 % un mois plus tôt. Cette situation est observée principalement au niveau de la branche d’activité « Industrie Extractive ».

Quant aux autres branches d’activités, il s’observe un repli de l’optimisme expliqué principalement par une baisse des activités enregistrées dans la branche construction à la suite du ralentissement dans l’exécution de certains grands projets de l’Etat.




Environnement économique extérieur : Nécessité de mettre en place un cadre de politique économique cohérent, solide et adapté

D’après la Banque mondiale, l’environnement économique mondial affiche une tendance à la stabilisation après plusieurs années des chocs successifs. Toutefois, indique l’évolution récente de la conjoncture économique au cours de la période du 13 au 20 décembre 2024, bien que les économies avancées semblent bénéficier d’une reprise, les pays en développement peinent encore à rattraper leur retard.

En effet, ces pays sont confrontés à un environnement économique de plus en plus complexe, marqué par des contraintes majeures, notamment celles liées à la montée des tendances protectionnistes, à la réduction des marges budgétaires et la numérisation.

Pour ce qui est des tendances protectionnistes, leur montée observée ces dernières années conduit à la restructuration des chaînes de valeur mondiales et à la fragmentation des échanges commerciaux. A ces tendances s’ajoutent également les risques d’intensification des tensions géopolitiques.

Concernant la réduction des marges budgétaires, elle est consécutive aux crises récentes ayant affecté les économies en développement, notamment la crise financière mondiale, la pandémie de Covid-19 et le choc sur les prix des produits de base. Ces crises ont réduit la capacité des autorités à assurer les services publics face à une demande en constante augmentation.

S’agissant de la numérisation, les avancées technologiques rapides sont de nature à remodeler le paysage économique, rendant obsolètes les réformes politiques traditionnelles en faveur de la croissance et de la transformation structurelle.

C’est dans ce contexte qu’il est impératif que les autorités mettent en place un cadre de politique économique cohérent, solide et adapté, qui réponde aux défis auxquels les pays en développement fon

t face.




Des fortunes dissimulées

Comment l’argent sale provoque des distorsions sur les marchés immobiliers.

Pourquoi les prix de l’immobilier s’envolent-ils au point de devenir inaccessibles ? Les causes ne résident pas seulement dans l’inflation, l’insuffisance de l’offre ou les règles de zonage : l’argent sale contribue aussi au problème. Réseaux criminels, politiciens corrompus et fraudeurs fiscaux trouvent dans l’immobilier mondial un moyen sûr de placer leur fortune illicite, ce qui fait grimper les prix de l’immobilier dans des villes comme New York, Miami, Londres ou Dubaï. En écoulant des milliards dans des propriétés de prestige, ces acquéreurs occultes alimentent des bulles immobilières qui évincent les acheteurs locaux du marché.

La stratégie est simple : au lieu d’acheter directement un appartement de luxe à 10 millions de dollars, ils ont recours à des sociétés écrans, à des fiducies et à des comptes offshore établis par des intermédiaires professionnels pour dissimuler leur identité. Les promoteurs immobiliers posent rarement la question de l’origine des fonds. Ainsi, des quartiers entiers, en particulier dans les grandes métropoles, regorgent de propriétés haut de gamme inoccupées, détenues par des entités anonymes. Rien qu’à Londres, des sociétés étrangères détenaient en 2018 des propriétés immobilières d’une valeur de 73 milliards de livres sterling, dont environ 90 % acquises par des entités enregistrées dans des paradis fiscaux, selon une publication des économistes Jeanne Bomare et Ségal Le Guern Herry.

Ce problème ne concerne pas uniquement les villes occidentales riches. Les investissements spéculatifs créent des bulles immobilières similaires dans certaines villes africaines comme Lagos, Nairobi et Johannesburg. Le manque de rigueur réglementaire et le caractère informel des marchés du logement rendent ces régions attrayantes pour les fonds d’origine douteuse. Par conséquent, les prix augmentent et les acheteurs locaux sont exclus du marché.

Il y a vingt ans, la communauté internationale demandait que les agents immobiliers, à l’instar des banques, soient soumis à une obligation de diligence et signalent les transactions suspectes. Or, contrairement aux banques, les acteurs du secteur immobilier ne sont pas systématiquement tenus de respecter des normes strictes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. La détection et la répression restent insuffisantes à l’échelle mondiale. Des actions sont engagées pour combler ces failles. Certains pays, comme le Canada et les États-Unis, envisagent d’obliger les acheteurs de propriétés à divulguer leur véritable identité, c’est-à-dire à indiquer le « bénéficiaire effectif ». Des organismes publics devraient vérifier ces informations sur la propriété et les mettre à la disposition des autorités chargées d’enquêter sur les transactions suspectes en cas de signaux d’alarme. Si les lois sur la protection de la vie privée le permettent, rendre ces informations publiques améliorerait également la transparence.

À moins d’une amélioration de la transparence et du respect des règles, l’immobilier restera un havre pour dissimuler des fortunes illicites. Les distorsions sur les marchés du logement s’accentueront et l’accession à la propriété ne sera qu’un rêve encore plus lointain pour les citoyens ordinaires.

CHADY EL KHOURY est chef de division adjoint au département juridique du FMI.




Tomber en défaveur

Certains pays se retournent contre les acquéreurs étrangers alors que la flambée des prix de l’immobilier devient un enjeu politique.

Construite en 1890, la maison mitoyenne de style victorien située au 9 Kensington Road, avec ses quatre chambres, remplit de nombreux critères pour les acheteurs étrangers auxquels Ross Savas, directeur général de l’agence immobilière Kay & Burton, a régulièrement affaire. Son adresse — une rue bordée d’arbres parmi les plus prisées de Melbourne —, sa façade imposante, sa véranda, son majestueux jardin et sa proximité avec des écoles de premier ordre sont autant de facteurs qui contribuent au prix de 8 millions de dollars australiens (5,4 millions de dollars des États-Unis) qui en est demandé.

La clientèle internationale est un pilier de l’activité de Kay & Burton, une agence immobilière qui vend des biens haut de gamme à Melbourne depuis 1938. Les propriétés les plus recherchées, selon M. Savas, sont les maisons ou les appartements en front de mer, les domaines privés, les nouvelles constructions et les logements clés en main.

« Les villes de la côte est de l’Australie, en particulier, sont considérées comme un refuge, car elles allient niveau de vie élevé et accès à des restaurants, magasins, installations médicales et établissements scolaires de classe mondiale, explique-t-il. À bien des égards, l’Australie est vue comme une « terre promise » par ces acheteurs internationaux. »

Les arguments de vente du 9 Kensington Road ont aussi tout pour séduire les Australiens, mais le prix n’est pas à la portée de l’acheteur moyen. Conscient que les acquéreurs étrangers au fort pouvoir d’achat sont perçus comme évinçant les acheteurs locaux du marché, le gouvernement australien a, cette année, triplé les droits acquittés par les investisseurs étrangers à l’achat d’un logement existant, et doublé les taxes pour ceux qui laissent leur bien vacant.

Cela ne vaut pas que pour l’Australie. Face à la préoccupation que suscite l’éviction des acquéreurs locaux, l’attitude à l’égard des propriétaires étrangers de biens résidentiels est en train de changer dans beaucoup de pays. La Nouvelle-Zélande a voté en 2018 une loi interdisant aux étrangers, à quelques exceptions près, d’acheter des propriétés résidentielles, tandis que le Canada a reconduit pour deux ans, jusqu’en 2027, l’interdiction d’achat de logements canadiens par des étrangers.

Alors que des élections se tenaient dans 70 pays en 2024, pour les personnes fortunées en recherche de propriété à l’étranger, l’échiquier mondial a été bouleversé par des mesures telles que des restrictions sur les achats par les étrangers et sur les locations de vacances, des règlements d’urbanisme et des taxes foncières, relate le cabinet mondial de conseil en immobilier Knight Frank dans son Wealth Report 2024.

« Au moment où la dette publique augmente et l’accessibilité au logement diminue dans les pays avancés, les décideurs vont examiner de plus près les patrimoines mobilier et immobilier, ce qui ajoute une dimension aux considérations stratégiques des ultra-riches », écrit Kate Everett-Allen, responsable de la recherche internationale et nationale, dans le rapport.

Promesse dorée

Divers pays à travers le monde exploitent depuis longtemps le désir de particuliers fortunés de devenir propriétaires hors de leur pays d’origine — que ce soit pour offrir un meilleur cadre de vie et une meilleure éducation à leur famille, pour mettre leur patrimoine à l’abri de régimes nationaux à la fiscalité élevée, voire pour dissimuler des biens mal acquis.

Autrefois l’apanage de petits États insulaires tels que Saint-Kitts-et-Nevis, les programmes de visas et de passeports dorés — octroi de la résidence ou de la citoyenneté en échange d’un certain niveau de contribution ou d’investissement, le plus souvent dans l’immobilier — sont devenus des offres classiques de pays de plus en plus nombreux, friands des entrées de dollars qui accompagnent ces investissements étrangers.

La Grèce, par exemple, a lancé son programme de visas dorés en 2013, au moment où le pays tentait de sortir d’une crise de la dette qui menaçait son appartenance à la zone euro. Le Portugal possède un dispositif similaire avec le régime fiscal préférentiel des « résidents non habituels ».

Dans l’Union européenne, les programmes de pays membres comme la Grèce et le Portugal ont aussi été officiellement contestés, les autorités de l’UE craignant que l’octroi de ces droits de résidence et de citoyenneté ne profite à des criminels et ne facilite le blanchiment de capitaux — une inquiétude relayée par d’autres États dans le monde ayant eux-mêmes activement courtisé les riches étrangers candidats à l’investissement dans l’immobilier.

L’Espagne a annoncé en avril de cette année qu’elle mettrait fin à son programme ; la Commission européenne, qui considère que les programmes de citoyenneté par investissement sont illégaux au regard de la législation de l’UE, a saisi la Cour de justice d’un recours contre Malte en raison du programme de ce pays en la matière.

Pourtant, au moment où des pays suppriment des mesures d’incitation qui attiraient les acheteurs étrangers (Singapour a doublé à 60 % le droit de timbre acquitté par les étrangers afin d’atténuer la pression immobilière), d’autres essayent encore de développer cette activité. Dubaï offre la résidence dans les Émirats arabes unis, en exonération fiscale, aux étrangers qui investissent dans l’immobilier, créent une entreprise ou possèdent des compétences spécialisées, comme les médecins ou les ingénieurs en informatique.

La banque de papa et maman

Un peu plus haut sur Kensington Road, dans un immeuble situé au numéro 10, d’autres candidats à l’achat moins fortunés se sont récemment disputé le haut du pavé. L’objet de leur rivalité ? Un trois-pièces dont la vente serait adjugée au plus-offrant.

« Votre nouveau chez-vous ! », clamait le commissaire-priseur à l’intention du dernier enchérisseur, en se frappant la paume de la main avec un rouleau de brochures présentant la liste des cafés, moyens de transport et autres atouts du quartier huppé de South Yarra, dans le centre de Melbourne. L’assistance a applaudi poliment à la conclusion de l’enchère, remportée par un homme d’une cinquantaine d’années qui achetait pour sa fille, au prix définitif de 855 000 dollars australiens, soit environ 70 000 dollars au-dessus de la mise à prix.

Les maux du marché de l’immobilier résidentiel ne sont, bien sûr, pas tous imputables aux riches étrangers en quête d’une résidence. Toute une génération d’Australiens, ayant surfé sur la vague de la hausse des prix de l’immobilier née dans les années 80, se sont retrouvés propulsés au rang des plus riches de ce monde par la valeur nette de leur patrimoine.

Le rapport du courtier immobilier Jones Lang LaSalle sur les appartements pour le deuxième trimestre de 2024 constate, dans les faubourgs huppés situés à proximité du centre d’affaires de Sydney, une forte demande pour les biens neufs de très haut standing, portée par des acquéreurs qui, ayant vendu un bien plus grand et disposant donc d’un capital substantiel, sont prêts à débourser davantage.

Il y a ceux qui aident leurs enfants. De jeunes Australiens primo-accédants qui n’ont pas de quoi réunir la mise de fonds initiale pour l’achat d’un logement se tournent vers la « banque de papa et maman ». Ils utilisent la capacité d’emprunt de leurs parents pour acheter (comme au 10 Kensington Road) ou leur demandent d’avancer l’apport personnel nécessaire à l’obtention d’un prêt immobilier — un montant qu’il faut parfois plus de dix ans pour accumuler, selon une étude de la banque ANZ.

Les données d’ANZ montrent que, dans toute l’Australie, le marché du logement se ferme toujours plus aux primo-accédants. La proportion du revenu nécessaire pour rembourser un nouveau prêt hypothécaire sur 25 ans atteint le niveau record de 50,3 %, tandis qu’il faut en moyenne 10,6 ans pour épargner le montant de l’apport personnel.

Pour les Australiens, l’accession à la propriété est au cœur des conditions permettant la constitution d’un patrimoine. Les hypothèses relatives aux besoins financiers à la retraite reposent sur la notion que l’on sera propriétaire de son logement.

Cependant, le débat public est de plus en plus tendu : l’augmentation du coût du logement est telle que les Australiens jeunes ou autrement vulnérables ont du mal non seulement à acheter un logement, mais aussi à en louer un.

« Dans la crise du logement en Australie, les principaux coupables ne sont pas les propriétaires étrangers, proteste Alan Kohler, auteur de The Great Divide: Australia’s Housing Mess and How to Fix It. Il n’y a pas beaucoup de logements vides qui appartiennent à des étrangers. Le problème viendrait plutôt de la faible construction de logements par rapport à l’immigration [élevée]. »

Au 31 mars 2024, l’Australie comptait 27,1 millions d’habitants, selon les derniers chiffres du Centre for Population. Bien que la croissance démographique annuelle ait ralenti depuis le pic de 2,6 % atteint sur la période de juillet à septembre 2023, la migration nette — la différence entre le nombre de nouveaux immigrants et le nombre de départs définitifs de résidents — était de 510 000 pour les douze mois menant au 31 mars 2024, et de 134 000 pour la seule période de janvier à mars, d’où une forte croissance de la demande de logements.

Plus de 80 % des nouveaux arrivants en Australie sont locataires, selon les estimations d’ANZ. Le plafonnement du nombre d’étudiants étrangers annoncé par le gouvernement en août a été perçu, en partie, comme une tentative d’alléger la pression sur le marché du logement locatif.

Dans sa dernière déclaration de fin de mission relative à l’Australie, le FMI conclut que le pays a besoin d’une approche globale pour remédier à l’importante pénurie de logements, notamment par l’augmentation du nombre d’ouvriers du bâtiment, l’assouplissement des règles d’urbanisme et d’aménagement, et la réévaluation de la fiscalité foncière (y compris les avantages fiscaux accordés aux investisseurs).

Jamie Mi, responsable des ventes internationales chez Kay & Burton, s’attend à ce que les effets de change et la valeur à long terme de l’immobilier australien maintiennent la demande sur le marché du luxe à un niveau élevé, malgré l’évolution des mentalités.

« Je ne constate pas de baisse notable de la confiance chez les acquéreurs étrangers, déclare-t-elle. Les acheteurs haut de gamme ne s’inquiètent pas tant de la hausse des droits ou des taxes ; ce qui leur importe toujours, c’est de pouvoir acquérir un bien de grande valeur. »

Selon Knight Frank, l’Australie reste le premier choix des riches acheteurs chinois à la recherche d’une propriété à l’étranger.

Enfin, la crise du logement n’est pas propre à l’Australie. « Il s’agit d’une crise mondiale de l’accessibilité au logement, conclut M. Kohler. Mais, comme l’écrivait Tolstoï au sujet des familles, chaque pays malheureux l’est à sa façon, et pour ses propres raisons. »

MARIA PETRAKIS est journaliste indépendante à Melbourne.




La politique monétaire et les marchés du logement

Une connaissance approfondie et propre à chaque pays des marchés de l’immobilier résidentiel et du crédit hypothécaire peut aider à calibrer la politique monétaire.

Fin 2021, les banques centrales ont lancé la série de hausses de taux d’intérêt la plus forte et la mieux coordonnée des 40 dernières années afin de juguler la poussée inflationniste qui a suivi la pandémie (graphique 1). Bien des économistes s’attendaient à un ralentissement mondial marqué, mais au contraire, nombre de pays ont relativement bien résisté, et seuls quelques-uns ont connu une décélération importante.

Pourquoi certains pays pâtissent-ils des taux élevés, et d’autres pas ? Il est d’autant plus opportun d’expliquer ce phénomène que beaucoup de banques centrales réduisent actuellement leurs taux d’intérêt. Les caractéristiques des logements et des prêts hypothécaires, qui varient considérablement d’un pays à l’autre et ont évolué ces dernières années, en sont l’une des raisons clés, comme le font observer nos travaux de recherche présentés dans un chapitre de l’édition d’avril 2024 des Perspectives de l’économie mondiale.

L’immobilier résidentiel a été un moteur important des chocs économiques, en grande partie en raison de son rôle central dans les bilans du secteur privé. Les prêts hypothécaires sont souvent le principal engagement financier des ménages et le logement constitue l’essentiel de leur patrimoine. L’immobilier représente aussi une grande part de la consommation, de l’investissement, de l’emploi et des prix à la consommation dans la plupart des pays. Les banques et les intermédiaires financiers sont par ailleurs souvent fortement exposés au secteur de l’immobilier résidentiel, ce qui en fait un élément important de la transmission de la politique monétaire.

Le canal du logement

Depuis la crise financière mondiale, les économistes ont nettement amélioré leur compréhension du fonctionnement de la politique monétaire dans le cadre des marchés du logement, en particulier en ce qui concerne la détermination des canaux de transmission qui passent par les marchés du logement et des prêts hypothécaires. Nous présentons brièvement ci-dessous quelques-uns de ces canaux, en mettant l’accent sur ceux qui sont liés à la demande des ménages.

Premièrement, les variations des taux directeurs ont une incidence directe sur les versements hypothécaires mensuels des propriétaires ayant contracté des prêts immobiliers à taux variable. Les versements augmentent également en cas de hausse des taux directeurs, d’où une baisse du revenu disponible et parfois de la consommation, à travers ce que l’on appelle communément le « canal de la trésorerie », selon les recherches de Marco Di Maggio et al.

Deuxièmement, les prix de l’immobilier résidentiel sont très sensibles aux variations des taux d’intérêt, par le jeu de la modification des taux d’actualisation et des anticipations concernant les rendements futurs. Ce canal des anticipations, également appelé « canal de primes de risque », peut influer sur le montant que les acheteurs sont disposés à emprunter et sur l’échéance de leurs prêts, ce qui se répercute sur les prix de l’immobilier et les conditions de crédit.

Troisièmement, lorsque les prix du logement fluctuent en fonction de l’évolution des taux d’intérêt, les effets de richesse peuvent avoir une incidence sur la consommation des propriétaires. En outre, dans nombre de pays, les propriétaires peuvent se servir de leur logement comme garantie pour contracter des emprunts et financer leur consommation. La fluctuation des prix du logement entraîne celle du volume des crédits garantis, et la consommation suit, comme le montrent les travaux d’Atif Mian et Amir Sufi.

Puissance de la transmission

Ces canaux de transmission dépendent des principales caractéristiques des marchés du logement et des prêts hypothécaires. Par exemple, la force relative du canal de la trésorerie est déterminée par la part des prêts hypothécaires à taux fixe — qui, par définition, ne s’ajustent pas aux variations des taux directeurs — parmi tous les prêts hypothécaires en cours. Un plus grand nombre de prêts à taux fixe signifie que moins d’emprunteurs ressentent les effets de la hausse des taux directeurs ou profitent de leur baisse.

Nos recherches montrent que certaines caractéristiques clés varient considérablement d’un pays à l’autre. Ainsi, la part des prêts hypothécaires à taux fixe en cours peut varier de près de zéro en Afrique du Sud à plus de 95 % au Mexique et aux États-Unis (graphique 2).

Ces différences pourraient-elles expliquer pourquoi le degré de transmission de la politique monétaire diffère d’un pays à l’autre ? Nous constatons que la politique monétaire a des effets plus importants sur l’activité économique dans les pays où la part des prêts hypothécaires à taux fixe est faible. Dans les pays où la part de ce type de prêts est importante, les modifications des taux directeurs influent sur les paiements mensuels d’un plus petit nombre de ménages, la consommation globale ayant tendance à être moins touchée.

De même, nous observons des effets plus marqués de la politique monétaire dans les pays où un plus grand nombre de ménages sont endettés et empruntent davantage, car beaucoup plus de ménages sont ainsi exposés aux variations des taux hypothécaires.

Les caractéristiques du marché du logement sont aussi un facteur important : la transmission de la politique monétaire est plus forte lorsque l’offre de logements est plus restreinte. À titre d’exemple, des taux plus bas se traduisent par des coûts d’emprunt plus faibles pour les acheteurs et accroissent la demande. La réduction de l’offre fait grimper les prix. Les propriétaires existants deviennent plus riches et consomment davantage, notamment en contractant des emprunts garantis par leurs logements.

Il en va de même lorsque les prix de l’immobilier résidentiel connaissent une surévaluation. Les fortes hausses de prix tiennent souvent à un optimisme excessif quant à l’appréciation des prix. Elles s’accompagnent d’ordinaire d’emprunts excessifs qui, en cas de hausse des taux d’intérêt, peuvent conduire à des saisies et à une chute des prix, et par conséquent à une baisse du revenu et de la consommation.

Transmission plus faible

Qui plus est, les marchés du logement et des prêts hypothécaires ont changé depuis la crise financière mondiale et la pandémie. Au début du cycle de relèvement des taux directeurs après la pandémie, les taux hypothécaires effectifs avaient baissé dans bien des pays pour atteindre leur niveau le plus bas depuis plusieurs décennies, les ménages ayant profité de la faiblesse des taux d’intérêt pour obtenir des prêts à faible coût dans les années 2010 et au début des années 2020. En outre, l’échéance moyenne des prêts hypothécaires avait augmenté durant cette période, car la part des prêts hypothécaires à taux fixe s’était accrue dans beaucoup de pays.

Dans le même temps, nombre d’autorités de surveillance financière ont durci leurs politiques macroprudentielles en matière de financement des logements après la crise financière mondiale. Ces politiques visaient à restreindre les prêts à risque qui ont amplifié les cycles d’expansion–récession dans un grand nombre de pays au milieu de la première décennie 2000. En 2020, ces mesures avaient porté leurs fruits : la solvabilité s’était améliorée et le niveau d’endettement avait diminué. Par ailleurs, la pandémie a incité les populations à quitter les centres-villes pour s’installer dans des zones où l’offre est plus abondante.

Il ressort de nos recherches que ces changements ont contribué à affaiblir ou au moins à retarder certains canaux de transmission de la politique monétaire dans plusieurs pays. La transmission s’est intensifiée dans certains pays, comme ceux où les prêts hypothécaires à taux fixe sont moins nombreux, où les niveaux d’endettement sont plus élevés et où l’offre de logements est limitée. Mais elle s’est amoindrie dans d’autres, où ces facteurs ont évolué en sens inverse.

Nos constatations laissent penser que pour calibrer la politique monétaire, il est important de posséder pour chaque pays une connaissance approfondie des marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires. Dans les pays où la transmission par le canal du logement est forte, le suivi de l’évolution du marché de l’immobilier résidentiel et des changements dans les ratios du service de la dette des ménages peut contribuer à la détection des premiers signes d’un resserrement excessif. Dans les situations où la transmission de la politique monétaire est plus faible, des mesures précoces plus vigoureuses peuvent être prises dès l’apparition des premiers signes de pressions inflationnistes ou déflationnistes.

Cycles d’assouplissement

Étant donné que bon nombre de banques centrales assouplissent actuellement leur politique à mesure que recule l’inflation, il est naturel de se demander comment les caractéristiques des marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires influeront sur la transmission pendant un cycle d’assouplissement. Le canal du logement que nous décrivons est actif dans les phases tant de resserrement que d’assouplissement, aussi la transmission dépend-elle des caractéristiques des marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires propres à chaque pays lorsque la politique évolue aussi dans l’autre sens. À l’instar de ce qui s’est passé pendant le cycle de resserrement après la pandémie, on peut s’attendre à ce qu’un cycle d’assouplissement mondial influe différemment sur chaque économie — et se caractérise par des asymétries importantes.

D’après une étude menée par Silvana Tenreyro et Gregory Thwaites, les données historiques montrent que les épisodes de resserrement freinent en général l’essor économique plus fortement que les épisodes d’assouplissement de même ampleur ne stimulent la demande. Pourtant, les derniers cycles d’assouplissement importants et coordonnés ont été suivis de récessions mondiales. Selon Atif Mian, Kamalesh Rao et Amir Sufi, durant ces périodes, l’affaiblissement des bilans du secteur privé a prolongé le marasme économique en dépit de l’assouplissement monétaire.

 

Le cycle d’assouplissement actuel survient dans un contexte où les finances des ménages des pays avancés sont plus solides que pendant les années ayant suivi la crise financière mondiale, et parfois même par rapport à la période d’avant la pandémie. De même, aucune hausse importante des taux de défaillance des ménages n’a été enregistrée. Les conditions existant avant ce cycle d’assouplissement diffèrent considérablement des caractéristiques déjà observées par le passé, tant et si bien que les effets de ce cycle pourraient aussi différer de ce qu’ils sont habituellement.

Une autre différence essentielle est la part historiquement élevée des prêts hypothécaires à taux fixe par rapport à l’encours de la dette. D’ordinaire, une part élevée de prêts hypothécaires à taux fixe atténue la transmission de la politique monétaire durant un cycle de resserrement, car les propriétaires ayant contracté ces prêts sont à l’abri d’une hausse des taux d’intérêt. Dans un cycle d’assouplissement, les hypothèques à taux fixe nuisent moins à la transmission, puisque les ménages ayant contracté ces prêts peuvent vouloir les refinancer à des taux encore plus bas, et activent ce que l’on appelle le canal du refinancement de la politique monétaire, comme le montrent Martin Eichenbaum, Sergio Rebelo et Arlene Wong.

La situation pourrait toutefois être différente cette fois-ci. Beaucoup d’emprunteurs des pays avancés ont opté pour des taux fixes historiquement bas durant les années 2010 et la pandémie. Ces prêts hypothécaires pourraient rester bien en deçà des taux actuels malgré l’assouplissement monétaire, ce qui n’inciterait guère un grand nombre de ménages à recourir au refinancement.

Aux États-Unis, par exemple, le taux moyen de tous les prêts hypothécaires en cours s’élevait à 3,9 % fin 2024, selon les données des pouvoirs publics, soit un taux nettement inférieur à la moyenne de 6,7 % pour les nouveaux prêts à taux fixe sur 30 ans. Il faudrait donc que les taux hypothécaires baissent d’environ 3 points de pourcentage pour que l’emprunteur moyen ayant un prêt à taux fixe soit incité à le refinancer. Les propriétaires ayant des taux fixes sont donc susceptibles de maintenir leurs taux immobilisés en dépit de la baisse des coûts d’emprunt, ce qui a des conséquences importantes à la fois sur les dépenses et sur les prix des logements.

Bien entendu, la politique monétaire agit à travers bien d’autres canaux que les marchés de l’immobilier. En définitive, le degré de transmission d’un cycle d’assouplissement à l’économie réelle dépend d’un grand nombre de facteurs, notamment la vitesse relative et la force de l’impulsion de l’assouplissement, la répercussion de la politique monétaire sur les taux d’intérêt et l’orientation budgétaire du pays, ainsi que les facteurs liés à l’offre, comme le coût des matériaux, dont beaucoup échappent à l’influence directe des banques centrales.

Cependant, nos résultats soulignent que les marchés de l’immobilier résidentiel et des prêts hypothécaires constituent un élément clé du mécanisme de transmission. Les banques centrales devraient donc surveiller de près les marchés du logement afin de calibrer au mieux leur politique.

MEHDI BENATIYA ANDALOUSSI est économiste au département des études du FMI.

NINA BILJANOVSKA est économiste principale au département Europe du FMI.

ALESSIA DE STEFANI est économiste au département des études du FMI.




Comment détecter les bulles immobilières

Détection et correction précoces peuvent prévenir l’éclatement des bulles d’actifs.

La crise financière mondiale de 2008–09 avait pour contexte l’éclatement d’une bulle de l’immobilier résidentiel que peu avaient vu venir. À l’heure actuelle, les bulles immobilières restent mal comprises, même si leurs effets sur la stabilité financière et la transmission de la politique monétaire leur valent une attention croissante. Cependant, avec des outils de suivi en temps réel, les décideurs peuvent contribuer à atténuer les expansions intenables.

Au premier rang de ces outils figurent de meilleures méthodes de repérage des bulles des prix des actifs. Les modèles standards d’évaluation des actifs montrent que les prix sont influencés par les rendements courants et les anticipations de valeur à la revente. Une bulle se forme lorsque le prix d’un actif dépasse sa valeur intrinsèque parce que les acteurs anticipent une poursuite de son appréciation. Le marché de l’immobilier résidentiel, caractérisé par une offre obstinément inélastique, illustre cette dynamique, souvent nourrie par la peur de manquer une occasion ou par un comportement spéculatif.

Les méthodes de détection précédemment utilisées reposaient sur la modélisation de la valeur intrinsèque, qui s’est souvent révélée insatisfaisante parce qu’il est difficile de connaître les véritables valeurs intrinsèques. Cela fausse les estimations et retarde la détection des bulles — comme on l’a constaté à l’occasion de la crise financière mondiale.

Les progrès récents en matière de techniques de séries chronologiques et de panel — conçues pour analyser les données dans le temps et dans l’espace (groupes, lieux) — permettent de détecter les bulles en temps réel en se concentrant sur les tendances statistiques révélatrices d’une bulle, sans qu’il soit nécessaire de modéliser la valeur intrinsèque.

Une de ces tendances est la dynamique explosive des prix — ce que nous entendons par « exubérance ». Ce modèle s’appuie sur des symptômes observables pour identifier les bulles, un peu comme on se sert de la pression artérielle comme indicateur précoce en matière de santé.

La méthodologie de détection de l’exubérance, que Peter Phillips et ses coauteurs ont été les premiers à formaliser, est la pierre angulaire de l’indice d’exubérance produit chaque trimestre par la Banque de réserve fédérale de Dallas à partir de sa base de données International House Price Database, qui contient des données trimestrielles sur les prix de l’immobilier résidentiel et sur le revenu disponible pour 26 pays depuis 1975 (Mack, Martínez García et Grossman, 2019). La base de données sert de support au travail de suivi mené par l’International Housing Observatory.

Ces deux initiatives, qui ont bénéficié de nouvelles avancées dans les méthodes de détection (Phillips, Shi et Yu 2015 ; Pavlidis et al., 2016), visent à sensibiliser davantage aux bulles immobilières et à fournir des codes faciles d’emploi permettant de gérer en temps réel les risques pour la stabilité financière.

Mesures de l’exubérance

La détection des bulles sur les marchés de l’immobilier résidentiel commence par un suivi attentif de l’évolution des prix réels des logements, car l’exubérance des prix nominaux de ces biens peut résulter d’une poussée de l’inflation plutôt que d’une bulle. Exprimer les prix de l’immobilier en termes réels permet d’éviter toute confusion en période d’hyperinflation, comme cela s’est produit en Croatie, en Israël et en Slovénie à la fin du 20ᵉ siècle.

L’accessibilité financière du logement, c’est-à-dire l’adéquation entre les prix de l’immobilier et le pouvoir d’achat des acheteurs, est tout aussi importante. Les prêteurs se réfèrent souvent au ratio dette/revenu, qui mesure la part du revenu disponible affectée au remboursement de la dette. Un bon indicateur indirect de cette mesure est le ratio prix/revenu (en supposant des ratios prêt/valeur stables).

Lorsque le ratio prix/revenu augmente, le financement devient plus difficile à obtenir, ce qui réduit la demande et fait baisser les prix. Ce ratio est essentiel pour faire la distinction entre les bulles résultant des anticipations et les autres dynamiques de marché, car son exubérance signale la gravité d’une bulle déconnectée des fondamentaux de manière plus fiable que la seule exubérance des prix réels de l’immobilier.

Le graphique 1 compare les épisodes d’exubérance pour les prix réels des logements et pour les ratios prix/revenu. Il permet de dégager trois enseignements importants.

Premièrement, l’exubérance immobilière est plus généralisée et plus synchrone dans l’ère post-Bretton Woods caractérisée par la flexibilité des taux de change et la libéralisation des comptes de capital. Le graphique montre aussi une vague mondiale d’exubérance des prix réels de l’immobilier formée avant la pandémie et accélérée par celle-ci. En revanche, l’exubérance du ratio prix/revenu a été circonscrite à quatre pays (Portugal, Pays-Bas, Luxembourg et Allemagne) grâce à un durcissement des critères d’octroi de prêts et des règles prudentielles.

Cette situation contraste avec les bulles généralisées qui se sont formées avant la crise financière mondiale et qui ont touché plus largement les ratios prix/revenu. Quoiqu’intense, la hausse des prix des logements induite par la pandémie n’a pas duré longtemps : les politiques macroprudentielles ont freiné le crédit, dégonflé la bulle rapidement et préservé la stabilité bancaire et financière.

Deuxièmement, la croissance du crédit et la volatilité des marchés boursiers sont les principaux moteurs de l’exubérance immobilière. L’expansion rapide du crédit alimente les achats spéculatifs financés par endettement, poussant les prix de l’immobilier au-delà des fondamentaux. Cette exubérance induite par le crédit peut vite s’effondrer si les conditions se détériorent ou si le crédit se resserre.

De même, la volatilité des marchés boursiers incite les investisseurs à rechercher dans l’immobilier des rendements perçus comme plus sûrs ou plus élevés, ce qui gonfle encore les prix. En période d’incertitude, l’immobilier résidentiel sert souvent de refuge, attirant les investisseurs et faisant grimper les prix, même en l’absence de soutien des fondamentaux.

Les flux de capitaux internationaux synchronisent les cycles immobiliers, propageant l’exubérance et augmentant la vulnérabilité face aux ralentissements simultanés de l’immobilier, comme Efthymios Pavlidis, Valerie Grossman et moi-même l’avons souligné dans un article de 2019. La compréhension de ces facteurs aide à détecter des schémas de contagion entre pays et de distinguer des cycles mondiaux d’expansion–récession de l’immobilier.

Troisièmement, les retombées financières provenant d’autres catégories d’actifs, telles que la croissance réelle du marché boursier, et une pentification de la courbe des rendements (l’écart entre les taux à long et à court termes) augmentent elles aussi la probabilité d’une exubérance immobilière, qui persiste souvent une fois qu’elle a été déclenchée. Lors d’un emballement de la Bourse ou lorsque la courbe des rendements se raidit dans des conditions d’expansion, les investisseurs peuvent se ruer sur l’immobilier, réallouant leurs portefeuilles à la recherche de rendements et faisant grimper les prix, comme Grossman et moi-même l’avons noté dans un article de 2020.

Ce comportement d’autorenforcement, où la hausse des prix semble valider les attentes de rendements plus élevés qui ont attiré les investisseurs en premier lieu, entretient les bulles, parfois sur de longues périodes. Il montre à quel point il est important de surveiller les variations de la courbe des rendements et les bulles naissantes dans d’autres catégories d’actifs afin de détecter une contagion financière.

Les leçons de la pandémie

Le ratio prix du logement/loyer, semblable au ratio cours/bénéfice pour les actions, traduit le montant que les investisseurs sont prêts à payer pour chaque dollar de loyer généré par un bien immobilier. Lorsque les prix des logements dépassent largement les loyers — ce qui est souvent exacerbé par la lenteur de l’ajustement des loyers du fait des contrats de bail à durée déterminée — certains acheteurs potentiels vont préférer la location, ce qui peut réduire la demande d’achat et provoquer une correction des prix.

Ce ratio sert d’ancrage à long terme pour la rentabilité du marché du logement. Mais s’il continue d’augmenter à un rythme explosif, cela peut indiquer que les prix des logements sont déterminés par des attentes spéculatives plutôt que par les fondamentaux sous-jacents.

Ce comportement d’autorenforcement, où la hausse des prix semble valider les attentes de rendements plus élevés qui ont attiré les investisseurs en premier lieu, entretient les bulles, parfois sur de longues périodes.

L’International Housing Observatory décompose le ratio prix/loyer en rendement attendu des logements et en croissance projetée des loyers, le reste intégrant la contribution des bulles lorsqu’elles apparaissent. Ces méthodes élaborées montrent que les pressions spéculatives pendant la pandémie ont été limitées, des signes importants n’ayant été détectés qu’en Allemagne et aux États-Unis après correction des taux d’intérêt et des loyers.

 

En Allemagne, le marché du logement a connu un boom prolongé, qui s’est aggravé pendant la pandémie, suivi d’une forte surcorrection lorsque le ratio prix/loyer est tombé en dessous des niveaux fondamentaux. Les États-Unis ont, pour l’essentiel, échappé à l’exubérance du ratio prix/revenu, mais pas à celle du ratio prix/loyer. Le pays s’est donc trouvé aux prises avec des pressions inflationnistes persistantes lorsque les loyers ont commencé à combler l’écart, ce qui a mené à une politique monétaire plus agressive.

Bien qu’une sévère correction des prix réels de l’immobilier ait jusqu’à présent été évitée aux États-Unis, l’accessibilité financière du logement s’y est érodée pendant la pandémie et reste un défi à long terme.

Considérations en matière de politique

Avant la crise de 2008–09, la stabilité financière reposait sur la réglementation prudentielle des différentes institutions et sur le recours à des outils macroprudentiels limités pour contrer les risques systémiques. En réaction aux défaillances révélées par la crise, les pouvoirs publics ont renforcé les cadres pour freiner la croissance du crédit, l’inflation des prix des actifs et l’endettement, en particulier dans l’immobilier.

Les inquiétudes n’ont pas été entièrement levées par les nouvelles règles prudentielles, dont la capacité à traiter pleinement les risques liés aux bulles immobilières est mise en doute. Des outils macroprudentiels anticycliques mieux adaptés aux cycles immobiliers — plutôt qu’aux cycles économiques — et une coordination internationale renforcée sont nécessaires, et il faut également accorder une plus grande attention à la contagion, aux flux de capitaux mondiaux, au système bancaire parallèle et au financement hors bilan.

En outre, une communication claire de la banque centrale, y compris des cadrages prospectifs, est indispensable pour gérer les anticipations et renforcer la résilience du système financier. Pour préserver la stabilité financière, il est essentiel de mettre en œuvre une approche globale de la gestion des risques — utilisant des outils de détection précoce pour repérer et suivre les bulles immobilières, évaluer les conséquences et mettre en œuvre des stratégies d’atténuation (y compris des orientations financières) — associée à des politiques monétaire et prudentielle intégrées.

Les bulles des prix des actifs, en particulier dans le secteur du logement, requièrent une attention particulière, car elles constituent une source importante de vulnérabilités et de risques financiers. L’intégration d’outils innovants pour surveiller les exubérances et analyser les bulles résultant d’anticipations permet aux décideurs de mieux gérer les risques générés par ces bulles pour le système financier et pour l’économie dans son ensemble.

ENRIQUE MARTINEZ GARCIA est vice-président adjoint et chef du groupe international au sein du département de la recherche de la Banque de réserve fédérale de Dallas.




São Paulo se réapproprie son centre

S’appuyant sur une combinaison de programmes municipaux et fédéraux, la mégalopole brésilienne entreprend la réhabilitation d’immeubles de son centre-ville.

São Paulo, plus grande ville de l’hémisphère sud avec près de 11,5 millions d’habitants, souffre d’une grave pénurie de logements. Pour répondre aux besoins, il faudrait 400 000 logements supplémentaires, soit plus que le total du parc immobilier de Washington ou de San Francisco.

La ville et le pays tentent une nouvelle approche pour régler ce problème qui fait désormais partie intégrante du paysage politique local et national. Cette fois, São Paulo s’inspire des leçons apprises il y a plus de dix ans lorsque l’administration a lancé un massif programme de logements sociaux qui a permis d’ajouter plus de huit millions de logements au parc immobilier, mais qui laisse surtout le souvenir de doléances sur sa contribution au creusement des inégalités et à l’aggravation de l’étalement urbain.

São Paulo symbolise parfaitement la spectaculaire phase d’urbanisation qu’a vécue le Brésil au cours des 60 dernières années. Depuis 1960, la part de citadins dans le pays a bondi de 45 % à 87 %. La population de la tentaculaire région métropolitaine de São Paulo, où vivent 20 millions de personnes, s’est gonflée depuis dix ans d’environ deux millions de nouveaux habitants selon l’office national de la statistique du Brésil, l’IBGE.

La ville est le plus important pôle économique du pays. Au fil d’un développement souvent chaotique, São Paulo est devenue le point de chute de plusieurs énormes vagues migratoires. Les migrants venaient d’Europe, d’Asie et du Moyen-Orient. Certains encore sont arrivés d’autres régions du Brésil. Depuis le début du XXe siècle, des vagues successives de retirantes (comme on appelait ici autrefois les migrants issus des régions pauvres et arides du nord-est du pays) se sont installés à São Paulo à la recherche d’un travail et d’une vie meilleure.

Arrivé à São Paulo en 1952, à l’âge de sept ans, l’actuel président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, était d’ailleurs du nombre. Il a obtenu l’an dernier un troisième mandat à la présidence du pays après avoir occupé le poste de 2003 à 2011. Son administration actuelle travaille à une nouvelle version de la politique du logement qu’il avait lancée en 2009 sous le nom de « Minha Casa, Minha Vida », ou MCMV (Ma maison, ma vie).

Le prédécesseur de Lula, l’ancien président Jair Bolsonaro, a amputé le programme de manière spectaculaire pendant son passage au pouvoir. Toutefois, Lula a redonné vie au MCMV en élargissant l’accès aux subventions, en réduisant les taux d’intérêt et en augmentant la valeur maximale des propriétés admissibles après sa réélection en 2022. En une seule année, plus d’un million de logements ont ainsi été vendus, soit la moitié de la cible à atteindre d’ici la fin de 2026.

Courbe d’apprentissage

Depuis la création du programme, les familles appartenant à la fourchette inférieure des revenus des participants au programme (c’est-à-dire celles dont les revenus mensuels ne dépassent pas 516 dollars) sont admissibles à l’obtention d’un logement gratuit. Ces logements sont attribués dans le cadre de tirages au sort locaux. Dans la phase initiale de la première mouture du programme, la plupart des logements construits l’étaient loin des centres-villes. Selon les critiques, ce programme a exacerbé les inégalités en exilant les pauvres vers des zones où l’accès aux services publics était restreint, et qui étaient éloignées des lieux de travail, ce qui imposait aux travailleurs de longs trajets quotidiens dans des systèmes de transport public souvent saturés.

Pour cette raison, selon une enquête menée auprès des bénéficiaires à Rio de Janeiro, deuxième plus grande ville du Brésil, plus de la moitié des gagnants à la loterie du logement ont finalement choisi de se retirer du programme.

« Ces participants ont refusé un logement gratuit à cause des aspects négatifs d’un déménagement qui les éloignait des possibilités d’emploi et de leur réseau social », affirme l’économiste Carlos Alberto Belchior, un des coauteurs de cette étude.

 

Les chercheurs ont par ailleurs constaté que le programme avait échoué à réduire la pauvreté. Selon l’emplacement du nouveau logement, les probabilités que les bénéficiaires trouvent un emploi officiel diminuaient après leur déménagement. Relégués dans des zones sans débouché professionnel ni infrastructure, ces bénéficiaires passaient moins de mois dans l’année à travailler dans l’économie formelle et étaient davantage susceptibles de changer d’emploi.

Le retour au centre-ville

Lancée en 2023, la version du programme actualisée par l’administration Lula comprend plus d’incitations à améliorer l’accès au travail et aux services. Cette version s’appuie sur le « plan directeur » (Plano Diretor) d’urbanisme de São Paulo approuvé en 2014, époque à laquelle l’actuel ministre des Finances, Fernando Haddad, était maire de la ville.

Ce plan vise à accroître la densité de la population le long des corridors de transport, en autorisant les constructeurs à ériger des immeubles plus hauts en contrepartie d’un engagement des promoteurs à augmenter le nombre d’appartements plus petits et moins chers. Le nombre de zones jugées prioritaires pour la construction de logements sociaux a été multiplié par deux et inclut le centre-ville moribond de São Paulo, ce qui exige de consacrer une forte proportion du budget à l’acquisition de terrains pour construire les projets de logements sociaux.

Le centre-ville, qui était autrefois le cœur culturel de la ville, est pris dans une spirale baissière depuis la fin des années 60, époque à laquelle les établissements bancaires ont amorcé leur migration vers l’Avenida Paulista, encore emblématique aujourd’hui, pour finalement aboutir à leur emplacement actuel sur l’Avenida Faria Lima. Il s’ensuit que, selon les estimations, 20 % des immeubles des quartiers centraux sont actuellement inoccupés.

La revitalisation du centre-ville et l’offre de logements sociaux ont été au cœur des débats des élections municipales cette année. En juin, au début d’une campagne qui a débouché sur un nouveau mandat, le maire Ricardo Nunes a annoncé l’expropriation de cinq immeubles afin d’en faire des logements sociaux dans le cadre de partenariats public–privé.

Cent soixante-quatre autres immeubles répondent aux critères d’expropriation utilisés. Nunes (soutenu par le gouverneur de l’État de São Paulo, Tarcísio de Freitas et Bolsonaro) a indiqué son intention de travailler en étroite collaboration avec l’État, qui a déjà annoncé un ambitieux programme visant à déménager au centre-ville les bureaux de son administration actuellement situés dans le prospère quartier de Morumbi. Le logement est un volet important de ce programme et une partie des 268 000 logements sociaux que Freitas a promis de construire d’ici la fin de son mandat seront situés au centre-ville.

Aux élections d’octobre, Nunes a battu Guilherme Boulos, qui a acquis sa renommée nationale par son action militante en faveur de la construction de logements sociaux, en organisant notamment l’occupation d’immeubles abandonnés par l’intermédiaire du mouvement des travailleurs sans domicile fixe (MTST). Son programme prévoyait l’octroi de subventions aux entreprises dont les projets MCMV étaient situés à proximité des transports et d’autres services, et ciblait des immeubles vacants appartenant à différents organismes publics. Par exemple, l’administration fédérale de la sécurité sociale possède des dizaines de locaux vides au centre-ville qui pourraient être remis en état et convertis en logements sociaux.

L’immeuble Dandara, situé sur la célèbre avenue Ipiranga au cœur de la ville, est l’une des premières réussites de ce modèle. L’immeuble, qui abritait autrefois la cour fédérale du travail, a été occupé en 2009 par le mouvement Union pour le droit au logement (ULCM). La gestionnaire de l’immeuble, Marli Baffini, milite au sein de l’ULCM depuis près de 20 ans et habite elle-même l’immeuble depuis 2017. Marli et son mari, Regis, avaient précédemment tenté à plusieurs reprises, mais sans succès, d’obtenir un prêt hypothécaire. Leurs demandes avaient été refusées au motif qu’ils ne possédaient pas un actif suffisant et que leurs revenus étaient relativement bas.

« Les mots me manquent pour exprimer la joie que j’ai ressentie lorsqu’on m’a finalement donné la clé de mon appartement », raconte Marli. Elle et son mari vivaient précédemment dans une location située dans le nord-ouest de la ville. Pour se rendre à son travail dans le quartier huppé de Moema, à l’autre bout de la ville, Regis devait partir de chez lui à 5 h du matin, car le trajet prenait deux heures.

« Aujourd’hui, il lui faut à peine 20 minutes et de notre appartement, il peut se rendre à pied à trois stations de métro », décrit Marli.

La société d’architecture et de génie civil Integra de São Paulo, qui a rénové Dandara, collabore étroitement avec l’ULCM et d’autres mouvements à la réalisation de projets un peu partout dans la ville. Les militants influent de manière déterminante sur les décisions relatives aux projets de rénovation et contribuent à leur succès selon Adelcke Rossetto, associé fondateur d’Integra.

L’entreprise s’efforce actuellement de faire approuver à São Paulo quatre autres projets portés par des mouvements sociaux, dont deux au centre-ville.

« Les décideurs ont finalement compris qu’il faut des logements dans le centre-ville », explique Rossetto. Ce modèle convient mieux à la réfection d’immeubles appartenant à l’État, précise-t-il cependant, parce que le coût exigé pour acheter des propriétés privées et les convertir en logements sociaux est prohibitif.

Le secteur privé aux commandes

Grâce aux changements qui ont été apportés au moment de son actualisation, le programme MCMV s’impose comme l’un des principaux vecteurs de l’expansion du marché brésilien du logement. Le pays a enregistré des ventes records de logements neufs au deuxième trimestre de cette année. Selon la chambre brésilienne du bâtiment, presque la moitié des quelque 93 000 logements vendus faisaient partie de nouveaux projets du programme MCMV.

Ce succès repose sur la compréhension des besoins des acheteurs à faible revenu et sur la capacité de construire rapidement les logements en respectant des budgets serrés selon Ricardo Zylberman, directeur de l’exploitation de la société de construction Magik LZ. L’entreprise a dressé une liste des exigences à respecter pour assurer le succès de ses projets dans le cadre du programme MCMV.

« L’accès aux services de transport en commun est fondamental », affirme Zylberman. Les nouveaux quartiers ne doivent pas être à plus de dix minutes de marche du réseau de transport public. Il doit aussi y avoir à proximité des services de base, notamment des supermarchés, des pharmacies et des boulangeries, car la plupart des résidents ne possèdent pas d’automobile.

Magik a adapté ses projets aux besoins évolutifs de la main-d’œuvre locale. Des salles de réceptions sont équipées d’une connexion Internet à haut débit et d’appareils de climatisation afin qu’elles puissent aussi servir de lieux de travail communs aux télétravailleurs, de plus en plus nombreux.

« Nous avons trouvé une formule gagnante », estime Zylberman. Construire un grand nombre de logements est un « processus d’envergure industrielle qui exige de construire rapidement des appartements de qualité supérieure qui exigeront ensuite un entretien minimal ».

Pour Zylberman, il y a encore au centre-ville de São Paulo de multiples possibilités de projets de logements sociaux parce qu’il reste des terrains abordables à proximité des réseaux de transport publics et des commerces de détail.

Toutefois, malgré son envergure, le programme MCMV ne constitue qu’une partie de la solution à la pénurie de logements. Inês Magalhães est vice-présidente du plus important établissement de crédit immobilier brésilien, la Caixa Econômica Federal, qui gère le programme. Elle estime que la solution à la pénurie de logements pour les personnes à faible revenu passe par un large éventail de politiques publiques. Il faut notamment davantage de partenariats entre les États, les villes et l’administration fédérale, indique-t-elle, nommant au passage quelques programmes d’État et programmes locaux qui offrent des subventions aux familles afin de les aider à réunir la mise de fonds requise pour l’achat d’un nouveau logement.

« La constitution de l’apport est souvent le problème le plus difficile auquel se heurtent les familles qui participent au programme MCMV, parce que le loyer que paient la plupart d’entre elles limite considérablement leur capacité d’épargner, fait-elle valoir. Le Brésil doit construire entre 1 et 1,5 million de nouveaux logements par an, ne serait-ce que pour éviter une aggravation de la crise. Il n’existe pas de solution facile à ce problème, mais en appliquant les bonnes mesures, il est possible d’améliorer la situation. »

ELIZABETH JOHNSON est directrice des études sur le Brésil chez TS Lombard, une société de conseil spqécialisée en macroéconomie mondiale.




Chine : le défi immobilier

Le glissement des prix de l’immobilier pourrait présager des ajustements économiques pénibles.

Les problèmes immobiliers sont-ils différents en Chine ? Dans un article de 2020 intitulé « Peak China Housing » (fondé sur des chiffres antérieurs à la COVID), nous soutenions que la Chine devait faire face à une transition difficile d’une croissance tirée par l’immobilier vers une croissance plus équilibrée. À l’époque, cette thèse était loin de faire l’unanimité. La plupart des experts estimaient que s’il devait y avoir un ralentissement de l’envolée des prix de l’immobilier et du secteur de la construction en Chine, il serait très progressif et n’aurait guère d’incidence sur la croissance tendancielle.

Certes, les prix de l’immobilier dans le pays avaient décuplé depuis le début des années 90, ce qui était bien supérieur à l’augmentation qu’avaient connue l’Espagne, les États-Unis et l’Irlande avant la crise financière mondiale de 200809. Mais cette croissance était partie d’un niveau initial extrêmement bas, et un deux-pièces dans le centre de Beijing ne coûtait encore que le quart du prix d’un appartement comparable à Manhattan. De plus, l’économie chinoise jouissait d’une croissance spectaculaire depuis 40 ans, et la majorité des experts ne prévoyaient qu’un ralentissement modeste.

Les bulles immobilières ont joué un rôle central dans les crises financières d’après-guerre, non seulement aux États-Unis et en Europe, mais aussi en Asie de l’Est et au Japon dans les années 90. Le livre intitulé Cette fois, c’est différent (Reinhart et Rogoff, 2009) montrait les remarquables similitudes quantitatives des retombées des crises financières d’une époque à l’autre et d’un pays à l’autre, comme en témoignent leurs effets non seulement sur les prix de l’immobilier, mais aussi sur la croissance, le chômage, les cours de la bourse et la dette publique. Si bon nombre de chercheurs ont examiné depuis lors d’autres façons, axées principalement sur la croissance, de déterminer le début des crises rares sont ceux qui ont remis en cause l’approche plus globale des effets macroéconomiques des bulles immobilières alimentées par le crédit présentée dans l’ouvrage.

L’exception chinoise

Cependant, la plupart des chercheurs et des commentateurs ont avancé que la singularité de la Chine ne se limitait pas à sa trajectoire de croissance extraordinaire. D’une part, instruits par les crises financières occidentales, les dirigeants chinois auraient adopté des règles bien plus strictes sur les apports initiaux, exigeant généralement un montant de 30 % au minimum, alors qu’avant la crise des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis, les banques n’exigeaient parfois aucun apport : la hausse des prix impliquait, du moins en théorie, que le logement pour lequel les acquéreurs contractaient un emprunt représenterait de toute façon un capital substantiel au bout de quelques années.

D’autre part, le gouvernement chinois aurait régulièrement réagi aux problèmes financiers avec une compétence et une souplesse remarquables, par exemple lorsqu’il a fallu faire face à une série de faillites d’entreprises survenues dans les années 90 après l’unification du régime de change chinois en 1994.

Enfin, l’une des raisons pour lesquelles les crises financières ont des effets aussi profonds et durables sur la croissance est qu’il peut falloir des années pour répartir les pertes causées par les faillites à la suite d’une chute des prix immobiliers. Forte d’une puissante administration centrale, la Chine serait apte à éviter ces problèmes.

De surcroît, le fait que les citoyens chinois ne soient autorisés à détenir qu’une gamme d’actifs limitée pourrait continuer d’orienter une part importante de la richesse vers le logement.

Quels étaient alors les indicateurs qui laissaient entrevoir il y a cinq ans qu’un problème immobilier porteur de vastes conséquences systémiques couvait peut-être, même s’il ne prenait pas la forme d’une crise financière classique à l’occidentale ? Ils étaient nombreux.

Premièrement, les ratios du prix des logements sur les revenus à Beijing, Shenzhen et Shanghai avaient atteint un niveau représentant près du double de ceux de Londres et de Singapour, et du triple de ceux de Tokyo et New York. Bien entendu, à long terme, le coût des appartements dans les principales villes chinoises aurait dû égaler celui d’autres grandes villes du monde, mais les prix semblaient s’emballer.

Deuxièmement, les ménages chinois s’endettaient à un rythme exceptionnel : le ratio de la dette des ménages sur le PIB a triplé entre 2008 et 2023, passant de moins de 20 % à plus de 60 %.

Troisièmement, les inégalités augmentaient en Chine (comme partout ailleurs), et un certain nombre de familles étaient désormais propriétaires de plusieurs logements que les familles plus modestes n’avaient pas forcément les moyens de louer. Notre article citait aussi plusieurs autres facteurs.

Baisse des rendements

Mais l’argument le plus convaincant soulignait que certains éléments indiquaient une baisse des rendements chinois. Comme le montre le tableau 1, le secteur immobilier (résidentiel et commercial, demande directe et demande indirecte) représentait 25 % de l’économie chinoise en 2021 (22 % hors contenu importé), et 31 % en comptant les infrastructures. Ce chiffre est bien supérieur à celui mesuré aux États-Unis (18 % infrastructures comprises) et avoisine celui enregistré au plus fort du boom de la construction en Espagne et en Irlande.

Le problème n’est pas seulement l’échelle actuelle des activités de construction, c’est aussi le fait qu’elle s’ajoute à deux décennies d’accumulation rapide, en particulier depuis 2010, année où un plan de relance chinois largement salué qui visait à contrer la crise financière mondiale a donné un fort coup d’accélérateur au secteur de la construction.

Quiconque s’est rendu en Chine sait que les infrastructures y sont de tout premier ordre, même dans les provinces les plus reculées. L’accumulation de biens immobiliers jusque dans les villes petites et moyennes est tout aussi impressionnante, tant quantitativement que qualitativement : la surface habitable par personne dans le pays est aujourd’hui supérieure à celle de tous les grands pays européens, alors que le PIB par habitant est inférieur de deux tiers.

Même il y a cinq ans, il aurait dû être clair qu’un ajustement significatif était inévitable, tout au moins le suggérions-nous. Certains chercheurs estimaient au contraire que l’ajustement de la Chine à un marché immobilier plus réduit pourrait en principe se faire très progressivement, si l’on investissait dans la reconstruction des logements insalubres sur plusieurs décennies.

Cependant, cette thèse ne résiste pas à l’examen. En Chine, la plupart des logements sont relativement récents à l’heure actuelle, et les habitations délabrées se trouvent en grande partie dans les régions du pays où la population diminue depuis longtemps.

Plus récemment, d’autres observateurs ont émis l’idée que la Chine pourrait procéder à la reconversion de son secteur de la construction dans la perspective de la transition écologique. Mais le secteur immobilier et les secteurs connexes, qui représentent environ 15 % de l’emploi, sont tout simplement trop volumineux pour pouvoir être facilement réabsorbés.

En réalité, très peu de pays ont pu facilement maintenir leur croissance quand leur secteur immobilier connaissait des difficultés, et cela a souvent débouché sur une crise financière. Singapour, peut-être, fait figure d’exception. Mais la cité-État est une petite économie ouverte dont la population ne représente même pas 0,5 % de celle de la Chine.

La Chine peut aussi muscler ses exportations. On pourrait penser que les pays ayant de réelles ambitions en matière de transition écologique réserveront un bon accueil à ses véhicules électriques à bas coût. Cependant, les frictions géopolitiques et le populisme aux États-Unis et en Europe rendent cette évolution difficile.

Approche ville par ville

Quels sont les éléments qui permettent d’affirmer que le ralentissement de la croissance chinoise est réellement dû à la baisse des rendements et non, par exemple, aux suites de la pandémie ? Les données détaillées sur la croissance et l’investissement immobilier ville par ville et l’élaboration de mesures de la construction immobilière cumulée permettent de vérifier l’effet de la baisse des rendements dans le temps et dans l’espace.

C’est ce que nous avons fait dans un article de novembre 2024, au moyen d’instruments et de facteurs de contrôle appropriés. Nous avons constaté que, dans les faits, les villes qui ont déjà substantiellement étoffé leur parc immobilier retirent un bénéfice nettement moindre des nouveaux investissements immobiliers. Elles sont aussi confrontées à un endettement plus élevé de l’administration locale, notamment parce que la croissance ne compense pas les dépenses d’investissement.

Comme le montre le graphique 1, nos calculs permettent de comparer l’évolution des prix ces dernières années dans différents groupes de villes chinoises : le premier échelon correspond à Beijing, Shenzhen, Guangzhou et Shanghai, le deuxième aux capitales de province et aux villes administratives, et le troisième aux villes plus petites et généralement plus pauvres.

Dans ce dernier groupe, qui représente 60 % du PIB du pays, les prix chutent. Il est tout-à-fait normal que les problèmes immobiliers se concentrent dans certaines parties du pays. Pendant la crise financière des prêts hypothécaires aux États-Unis, par exemple, les problèmes n’étaient très graves que dans quatre ou cinq États. La situation n’en a pas moins mené à une crise bancaire qui s’est propagée dans tout le pays.

De même en Chine, toutes les villes du troisième échelon n’ont pas vu leur secteur immobilier s’effondrer. Certaines petites villes, surtout dans le sud, prospèrent. Mais beaucoup d’autres voient partir leurs jeunes et leurs emplois.

Le graphique 2 illustre une autre mesure des tensions dans le secteur : le ratio, par an, du nombre de projets de construction inachevés rapporté au nombre de projets achevés. La hausse de ce ratio au fil du temps indique une multiplication du nombre de projets qui n’ont pas pu être menés à terme, d’acquéreurs se désistant ou de biens faisant l’objet d’un litige. Nous nous sommes concentrés sur le secteur immobilier, mais plusieurs mesures indiquent que la construction d’infrastructures dépasse aussi la demande dans certaines parties de la Chine.

Transition difficile

Tout ce qui précède souligne les difficultés de la transition hors de l’immobilier, même sans crise financière à l’occidentale. Dans notre article de 2020, qui s’appuyait sur des données d’entrées–sorties globales, nous calculions qu’un recul de 20 % du secteur immobilier chinois conduirait à une chute de 5 à 10 % de la production, en chiffres cumulés sur plusieurs années, même en l’absence de crise financière.

Nos travaux plus récents, fondés sur les régressions de la croissance dans quelque 300 villes chinoises, montrent que la baisse des rendements dans l’immobilier peut contribuer au ralentissement de la croissance chinoise à hauteur de 2 % environ. Là encore, ce chiffre ne tient pas compte des problèmes financiers tels que la fragilité de la dette des administrations locales ni des effets qu’aurait sur la consommation une nouvelle chute des prix du logement. Il constitue donc une borne inférieure des incidences potentielles sur la croissance.

Nous ne spéculerons pas ici sur les politiques futures, même s’il semble qu’une perte de confiance dans l’immobilier ait nettement plombé la consommation et que les administrations locales soient en proie à d’immenses problèmes financiers. En toute hypothèse, il est malheureusement clair à présent que la Chine n’est pas aussi différente que le pensaient la plupart des chercheurs il y a encore cinq ans. Comme bien d’autres pays par le passé, elle doit elle aussi relever un défi difficile, celui de neutraliser les répercussions profondes sur la croissance et les finances d’un ralentissement prolongé de l’activité immobilière.

KENNETH ROGOFF est titulaire de la chaire Maurits C. Boas d’économie à l’Université Harvard ; il a été chef économiste et directeur du département des études au FMI.

YUANCHEN YANG est économiste au département Hémisphère occidental du FMI.




Le vrai coût de la vie

La forte hausse des coûts de l’emprunt, en particulier ceux liés à l’immobilier résidentiel, a favorisé un déphasage entre les statistiques de l’inflation et le moral des consommateurs.

Les Américains commencent enfin à ressentir un regain d’optimisme à l’égard de l’économie. Le moral des consommateurs, mesuré par l’indice de l’Université du Michigan sur la confiance des consommateurs, a atteint en mars son niveau le plus élevé depuis près de trois ans. Le moral s’est quelque peu dégradé depuis lors, mais les consommateurs semblent pour la plupart penser que leur sort est en train de s’améliorer.

Il était temps. Depuis la pandémie, les Américains affichent un mécontentement systématique quant à la situation économique. Le moral des consommateurs a sombré au plus bas niveau jamais enregistré lorsque l’inflation a atteint son plus haut niveau depuis 40 ans au milieu de l’année 2022. Il n’a pas décollé de ces profondeurs pendant la majeure partie de 2023, en dépit d’une série d’indicateurs signalant une reprise économique plus générale, notamment une croissance plus forte, une augmentation de l’emploi et un ralentissement de l’inflation.

Les économistes sont restés perplexes face à ce paradoxe apparent : leurs prédictions sur la réaction de la population à des nouvelles économiques positives ne concordaient pas avec la persistance d’un moral globalement négatif chez les consommateurs. Certains ont avancé qu’il fallait du temps pour que les gens tirent parti du ralentissement de l’inflation, d’autres ont parlé de perceptions (vibes) négatives, tandis que d’autres encore ont souligné les prix élevés des biens les plus appréciés des consommateurs, comme l’essence et les produits d’épicerie. Des chercheurs ont regroupé ces théories ainsi que d’autres dans l’hypothèse de la « douleur projetée », selon laquelle le moral économique pourrait désormais être déterminé par des préoccupations non économiques.

Nous ne rejetons aucun de ces arguments. Mais dans un article récent rédigé en collaboration avec Karl Oskar Schulz de l’Université Harvard, nous affirmons que cette explication passe outre un mécanisme essentiel dont les économistes et les décideurs tenaient davantage compte par le passé : la hausse du coût de l’argent.

Pour les consommateurs, le coût de l’argent fait partie du coût de la vie. Aussi, lorsque les taux d’intérêt ont atteint des sommets inégalés depuis 20 ans au second semestre de 2023, les consommateurs ont ressenti des pressions financières. Aux États-Unis, les prix des logements ont encore augmenté de plus de 50 % depuis le début de la pandémie et les taux d’intérêt des prêts hypothécaires ont à peu près doublé. Le paiement des intérêts liés à un nouveau prêt hypothécaire sur 30 ans pour un logement moyen a quasiment triplé depuis fin 2019. Les remboursements au titre d’un nouveau prêt automobile ont presque doublé. En conséquence, les paiements d’intérêts des ménages ont augmenté d’environ 30 % en 2023, soit la hausse la plus rapide jamais enregistrée (graphique 1).

Toutefois, l’indice des prix à la consommation (IPC) ne prend directement en compte aucune de ces augmentations. Tel n’a pas toujours été le cas. Lorsqu’Arthur Okun a proposé, dans les années 70, son « indice de souffrance sociale », qui combinait l’inflation et le chômage, l’IPC de l’agence américaine de statistiques du travail englobait alors les taux des prêts hypothécaires et les taux des crédits automobiles. Ces deux éléments ont été supprimés en 1983 et 1998, respectivement. La version actuelle de l’indice de souffrance sociale ne tient donc pas compte d’éléments essentiels des dépenses de consommation.

L’agence américaine de statistiques du travail avait des raisons valables de retirer les taux hypothécaires et les taux des crédits automobiles de son indice, et nous ne pensons pas qu’elle devrait les rétablir. En revanche, nous estimons que cette lacune dans l’indicateur actuel constitue un élément essentiel pour appréhender l’état d’esprit des consommateurs américains. Une fois ce changement intégré, il est possible de se pencher sur les autres hypothèses.

Absence du coût de l’argent

Nous présentons notre argumentation en trois étapes. D’abord, nous montrons que les variations de l’indice de l’Université du Michigan sur la confiance des consommateurs qui ne peuvent être expliquées par l’inflation et le chômage ont toujours présenté une forte corrélation avec des indicateurs indirects de l’augmentation des coûts de l’emprunt des consommateurs.

Les données sous-jacentes de l’enquête de l’université peuvent être regroupées en deux catégories : les préoccupations liées au revenu et celles relatives au coût de la vie. Les préoccupations au sujet du revenu sont tombées, en 2023, à un niveau comparable à celui d’avant la pandémie. Ces inquiétudes étaient donc cohérentes avec un environnement de faible taux de chômage et n’expliquent pas l’anomalie de l’état d’esprit des consommateurs.

Les préoccupations liées au coût de la vie ont tendance à être en forte corrélation avec l’inflation officielle. Elles ont atteint des sommets durant les cycles inflationnistes du début des années 80, du début des années 90, de la fin des années 2010 et de la récente période de l’après-COVID. La part des préoccupations relatives au coût de la vie que ne peuvent expliquer les variations de l’inflation officielle est toutefois montée en flèche durant ce cycle. Cette part inexpliquée est fortement corrélée à la fois à la hausse réelle des charges d’intérêt liées aux prêts hypothécaires et à la volonté des banques de consentir des prêts à la consommation à remboursements échelonnés. Ces résultats portent à croire que l’exclusion du coût de l’argent des indicateurs officiels explique en grande partie l’écart entre le niveau d’inquiétude des consommateurs et les taux d’inflation officiels.

Coûts de l’emprunt

Ensuite, nous montrons que d’autres questions de l’enquête fournissent des preuves directes qu’en 2023, les inquiétudes des consommateurs au sujet des coûts de l’emprunt ont atteint des niveaux qui n’ont été dépassés que pendant la présidence de Paul Volcker à la Réserve fédérale, de 1979 à 1987. Nous établissons un indice qui synthétise les variations dans les réponses aux questions sur les coûts de l’emprunt concernant les biens durables, les véhicules et les logements.

Les préoccupations des consommateurs relatives aux taux d’intérêt ont connu deux pics manifestes. Le premier se situe à l’époque de Volcker, durant laquelle le taux des fonds fédéraux et les taux hypothécaires ont bondi au-dessus de 15 %. Ces inquiétudes ont fortement diminué après l’assouplissement de la politique monétaire de la Fed en 1982. Le deuxième pic de préoccupation des consommateurs s’est produit en 2023. Cet indicateur devrait s’améliorer avec le début de la baisse des taux d’intérêt.

Enfin, nous présentons des mesures de rechange du coût de la vie qui intègrent explicitement le coût de l’argent. La méthodologie actuelle de l’agence américaine de statistiques du travail s’appuie uniquement sur le marché locatif pour expliquer les variations de l’équivalent-loyer des propriétaires (Bolhuis, Cramer et Summers, 2022). Avant 1983, l’IPC comprenait une mesure du coût de la propriété qui tenait compte des taux hypothécaires et des prix de l’immobilier résidentiel. De même, les statistiques officielles excluent les coûts des crédits automobiles et d’autres paiements d’intérêts sur les prêts personnels (les dettes sur cartes de crédit, par exemple) qui rendent mieux compte des coûts réels supportés par les consommateurs.

Ces précisions étant apportées, nous présentons des indicateurs de substitution à l’IPC qui tiennent compte des paiements d’intérêts hypothécaires, des paiements d’intérêts sur les prêts personnels au titre de crédits automobiles et d’autres consommations non liées au logement, ainsi que des coûts de location avec option d’achat de véhicules. Notre principal indicateur de rechange pour l’inflation reconstitue l’IPC d’avant 1983 et l’élargit en y intégrant les coûts de l’accession à la propriété et les paiements d’intérêts sur les prêts personnels. Ces indicateurs de rechange laissent apparaître à la fois un pic beaucoup plus élevé et le maintien d’une forte inflation tout au long de 2023 (graphique 2).

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Notre méthodologie de rechange pour l’inflation de l’IPC contribue grandement à résoudre l’énigme de la persistance du moral en berne des consommateurs dans un contexte de faible taux de chômage et de baisse de l’inflation officielle. Tout au long de 2023, l’écart entre le moral des consommateurs et la situation économique, après prise en compte du chômage, de l’inflation officielle selon l’IPC et de la croissance du marché boursier américain, a atteint des niveaux records. La prise en compte des coûts de l’accession à la propriété immobilière et des paiements d’intérêts sur les prêts personnels permet de combler plus des deux tiers de cet écart pour l’année 2023.

Depuis la publication de notre étude, certains chercheurs ont laissé entendre que les facteurs qui influent le plus sur le moral des consommateurs sont les prix de l’essence et des articles d’épicerie, et non les coûts de l’emprunt. Nous constatons, toutefois, que l’écart demeure quasiment inchangé, même après prise en compte des variations des prix de l’essence et de l’épicerie.

Explication concrète

L’écart entre les mesures du bien-être économique effectuées par les économistes et ce que les consommateurs déclarent effectivement ressentir a laissé nombre de chercheurs perplexes. Les observateurs ont parlé d’une vibecession — une récession qui trouverait son origine non pas dans une hausse du coût de la vie ou d’une augmentation du chômage, mais dans les vibes, autrement dit les perceptions — dès le milieu de 2023. Le faible moral des consommateurs, qui aurait pourtant dû être largement positif compte tenu de la forte croissance du PIB, de la baisse des prix et de la poursuite de la création d’emplois en 2023, présageait-il d’une récession ? Tout rentrerait-il dans l’ordre si les prix de l’essence et des articles d’épicerie revenaient à des niveaux plus normaux ?

Nous présentons une explication plus concrète de l’écart entre le moral des consommateurs et les fondamentaux économiques : les consommateurs jugent leur propre bien-être économique en tenant compte du coût de l’argent. Les économistes et les indicateurs officiels passent à côté de cet élément essentiel.

Le déficit de moral observé en 2023 ne s’est pas limité aux États-Unis ou à ce cycle, comme le montrent nos travaux. Les consommateurs du monde entier ont assimilé les données économiques d’une façon cohérente avec le moral affiché par les consommateurs lors des précédents épisodes de forte inflation et de hausse des taux d’intérêt. Les données recueillies à l’échelle des pays confirment que les consommateurs du monde entier se soucient du coût de l’argent : les pays ayant connu les plus fortes hausses des coûts de l’emprunt sont en général ceux où le moral des consommateurs a été le plus en décalage avec les fondamentaux. Nous avons trouvé peu d’éléments probants qui montrent que les États-Unis — en dépit de la montée de l’esprit partisan, de la méfiance sociale et de rapports détaillés faisant état d’une « douleur projetée » générale — se sont distingués de façon significative des autres démocraties occidentales.

Depuis la publication de notre article, il est de plus en plus reconnu que le coût de l’immobilier résidentiel constitue une préoccupation majeure pour les consommateurs des pays riches (Romei et Fleming, 2024). La baisse des taux d’intérêt n’est pas une panacée pour le marché sclérosé de l’immobilier résidentiel aux États-Unis et ailleurs, mais elle pourrait contribuer à remonter le moral des consommateurs si davantage de logements sont construits et si les populations jouissent d’un meilleur accès à des financements abordables. Si l’offre de logements reste faible et que la baisse des taux d’intérêt ne contribue qu’à gonfler les prix, les consommateurs risquent d’être encore plus pessimistes que ne le laisse supposer l’indice de souffrance sociale.

LAWRENCE H. SUMMERS, ancien secrétaire au Trésor des États-Unis, est professeur titulaire de la chaire Charles W Eliot à l’Université Harvard.

MARIJN A. BOLHUIS est économiste au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI.

JUDD CRAMER est maître de conférences en économie à l’Université Harvard.