“Corridor de Lobito”, Mobutu et Occident !

Quatre chefs d’Etat – dont les africains Joao Lourenço pour l’Angola, Félix Tshisekedi pour la RDC et Hakainde Hichilema pour la Zambie et Joe Biden pour les Etats-Unis et un vice-président de la République en la personne de Philip Mpango de la Tanzanie – se sont donné rendez-vous à Lobito le mercredi 4 décembre 2024 pour un projet structurant dénommé «Corridor de Lobito». Qualifié de pharaonique et de stratégique, il s’agit d’un chemin de fer de 1.300 km à réhabiliter pour assurer l’exportation de la production minière de la RDC vers l’océan Atlantique et, de la même côte, faciliter l’importation des équipements et autres bien destinés à l’espace Katanga intégrant, comme on le sait, le Kasaï…

Premier corridor économique stratégique

Un méga projet ? Oui, il l’est en ce qu’il est présenté comme le “premier corridor économique stratégique lancé dans le cadre du partenariat phare du G7 pour les infrastructures et les investissements mondiaux (PGII) en mai 2023”.

Ce projet, laisse-t-on entendre, “permettra de libérer l’énorme potentiel de la région, améliorera les possibilités d’exportation pour l’Angola, la République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie, et créera de la valeur ajoutée et des emplois grâce à des investissements et des mesures non contraignantes».

Le Maréchal Mobutu sera lâché par ses protecteurs

Par quoi alors expliquer le titre de la chronique ?

C’est par la vanité des choses de la terre, de la politique.

Pour la Grande Histoire, le port de Lobito, situé sur la côte Atlantique angolaise (route de navigation principale pour le fret maritime à destination de la côte Ouest de l’Europe et de la côte Ouest des Etats-Unis) est le terminal du chemin de fer de Benguela reliant cette ville à la cité de Tenke Fungurume, au Katanga.

Tout le boom économique que représentait le Katanga sous la colonisation et au cours des premières années postcoloniales en était tributaire. Il se raconte d’ailleurs que cette plateforme portuaire, à l’instar de celle du Zanzibar en Tanzanie, doit son existence aux minerais du Katanga.

Puis, hélas !, vinrent les guerres de libération de l’Angola avec, côté Pacte de Varsovie ou Socialiste-Communiste, le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) et, côté Otan (Capitaliste) le FNLA (Front national de libération de l’Angola), l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) et, dans une moindre mesure, le FLEC (Front de libération de l’Enclave du Cabinda).

Etant du côté de l’Otan, car réputé homme des Américains, Mobutu sera chargé de soutenir les rébellions angolaises luttant d’abord contre le régime colonialiste angolais, ensuite contre le régime MPLA installé le 11 novembre 1975 dans la foulée de la Révolution des Œillets survenue au Portugal le 25 avril 1974.

Essoufflé, le FNLA d’Holden Roberto va laisser l’espace à l’UNITA de Jonas Savimbi ; le FLEC s’étant épuisé.

Ouvrons une parenthèse pour signaler qu’en 1997, c’est par l’avion à destination des maquis angolais de l’Unita, en stationnement à l’aéroport de Gbadolite, que le maréchal fut évacué de force pour Lomé. Parenthèse refermée.

Evidemment, le chemin de fer de Benguela va en faire les frais car il sera sectionné à plusieurs endroits, de façon à en empêcher l’utilisation pour les exportations et les importations du Zaïre.

La victime première sera naturellement le Zaïre, privé d’accès au port de prédilection de Lobito. Les relations exécrables du maréchal Mobutu avec Julius Nyerere ne permettaient déjà pas à notre pays d’utiliser au maximum les ports tanzaniens de Dar es Salam et de Zanzibar.

Un discours nationaliste et patriotique – il revient au galop depuis deux jours – avait promu l’exploitation de la voie nationale allant du Katanga au Kongo Central en passant par le Kasaï et Kinshasa. Il va s’avérer qu’avec de nombreux points de rupture et de transbordement tantôt par train (Katanga-Kasaï), tantôt par bateau (Kasaï-Kinshasa), tantôt encore par train (Kinshasa-Matadi) et tantôt par bateau (Matadi) rendaient moins concurrentiels les produits miniers zaïrois sur le marché international, comparés aux produits d’autres pays ayant accès un seul transbordement (train-bateau). Cas de la Zambie sur le chemin de fer «Tanzam» débouchant sur l’Océan Indien.

Gendarme des Occidentaux pour leurs intérêts en Afrique centrale, en Afrique australe et même en Afrique orientale, le maréchal Mobutu sera lâché par ses protecteurs dès la proclamation de la fin de la Guerre froide en 1989 à la suite de la Perestroïka.

Ainsi, ce qu’on redoutait hier pourrait se (re)produire

C’est là que Charles de Gaulle revint en esprit pénétrant nous rappeler sa conviction selon laquelle «Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts».

En effet, cette Angola d’Agostino Neto, Eduardo Dos Santos et Joao Lourenço, nourrie pourtant aux mamelles des Soviétiques, des Chinois et des Cubains auxquels elle est reste jusqu’à ce jour fidèle, est devenue plus fréquentable que la RDC. Ex-Zaïre pour la Maison Blanche, le Département d’Etat et le Pentagone.

D’ailleurs, il se constate que tous les États voisins – dont le régime Mobutu appuyait par procuration les rébellions (Angola et Ouganda) ou cherchait à déstabiliser par d’autres voies (Tanzanie et Congo-Brazzaville) – ont été considérablement approchés par les Américains dans leur nouvelle politique pour le continent noir. Les mêmes Américains à avoir pris sous leurs ailes le Rwanda de Paul Kagame, autrefois chef d’un mouvement rebelle dénommé Fpr combattu par Mobutu. Déjà, laisse-t-on entendre, le courant ne passait vraiment pas bien entre le Zaïre de Mobutu et la Zambie de Kenneth Kaunda.

Finalement, le maréchal s’était fait beaucoup d’ennemis parmi ses 9 voisins ; les ennemis d’hier étant des amis États qui lui faisaient faire la sale besogne, et cela au nom d’une géopolitique et d’une géostratégie fondées sur des intérêts d’abord occidentaux.

Savoir comment gérer la nouvelle donne

Ironie du sort, c’est maintenant à Luanda que toutes les puissances mondiales, États-Unis en tête, orientent la RDC et le Rwanda pour régler “leurs” différends qui sont, à bien regarder de près, des différends… occidentaux en Afrique.

Ainsi, ce qu’on redoutait hier pourrait se (re)produire.

En effet, à l’issue de l’aparté Tshisekedi-Biden à Lobito, la Maison-Blanche a publié un communiqué dont le dernier paragraphe est : “Le président Biden a encouragé la poursuite de l’engagement en faveur du processus de Luanda afin d’assurer une résolution pacifique du conflit dans l’est de la République démocratique du Congo”.

Au fait, Washington ne change pas de position : Luanda, c’est tout !

En déclarant du “Corridor de Lobito” que «C’est le plus important investissement américain de tous les temps dans le chemin de fer africain», Joe Biden lègue à son successeur Donald Trump son œuvre la plus importante en Afrique sub-sahélienne. Et Trump a autour de lui des personnalités comme Peter Pham, réputé pro-Kagame.

Par conséquent, il revient au pré-carré de Félix Tshisekedi de savoir comment gérer la nouvelle donne ; et cela sur base de la conviction gaullienne des amitiés et des Etats.

Pour leurs intérêts, les Américains ont fait aux prédécesseurs du chef de l’État congolais ce qu’ils savent faire…

La suite se devine ! Elle pourrait, dans un premier temps, impacter le projet du port en aux profondes de Banana devant concurrencer ceux de Lobito en Angola (intérêts désormais américains) et de Pointe-Noire au Congo-Brazzaville (intérêts toujours français).

PROCHAINEMENT : Changement de la Constitution ? Non ! Retour plutôt à la «Constitution» du 25 novembre 1990 !

Omer Nsongo die Lema