Crise sécuritaire dans l’Est de la Rdc: Faut-il continuer à croire en l’Ouganda ?

C’est un secret de polichinelle dans le crise sécuritaire qui secoue l’Est de la République démocratique du Congo sur le rôle que joue le Rwanda aux côtés des terroristes du M23 de Bertrand Bisimwa et de AFC de Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Kinshasa est donc en guerre contre le Rwanda qui a déployé ses troupes sur le sol congolais qui combattent aux côtés de la coalition M23- AFC.

Bien avant Kagame niait que son pays n’y était pour rien dans la crise sécuritaire dans l’Est de son voisin la RDC, quand bien même que cette dernière avait des preuves de la présence des troupes rwandaises sur son sol. Il a fallu que les experts des Nations unies le prouve dans plusieurs de leurs rapports pour que la communauté internationale sache que la République démocratique du Congo fait face à une agression rwandaise avant que les condamnations viennent de partout pour exiger à Paul Kagame de retirer ses troupes de la RDC.

Cependant, si pour le Rwanda les choses sont claires dans l’agression en RDC, ce n’est pas le cas d’un autre voisin de la RDC à savoir l’Ouganda, dont l’implication dans la déstabilisation de l’Est de la RDC est jusqu’à ce jour sujet à discussion.

Résultats mitigés pour l’opération Shujaa

En effet, dans le cadre de relations de bon voisinage, la République démocratique du Congo a toujours noué de bonnes relations avec l’Ouganda au regard des liens historiques que ces deux pays partagent depuis de longues années. C’est dans ce cadre que pour faire face à la menace commune qui guette leurs deux Etats, la RDC et l’Ouganda ont lancé depuis novembre 2021 l’opération conjointe au niveau de leurs armées respectives « Shujaa » qui vise à traquer et à neutraliser les forces démocratiques alliées des ADF, une rébellion ougandaise qui a élu domicile dans la région de Beni et de l’Ituri, responsables de massacres de civils congolais et d’attentats en Ouganda depuis plus de 10 ans.

Cette opération qui est à sa quatrième phase depuis son lancement a pourtant un bilan mitigé. D’un côté, elle a permis une certaine accalmie dans le secteur de Ruwenzori et les chefferies des Bashu et Watalinga territoire de Beni, la neutralisation de certains commandants et combattants des ADF, la destruction de certains de ses bastions et la libération de plusieurs otages. De l’autre, cette opération militaire n’a pas empêché les ADF d’élargir leurs zones d’intervention. Les ADF sont toujours actifs dans les territoires de Beni, Irumu et Mambasa. Et depuis mai 2024, les ADF ont, pour la première fois mené des actions dans le territoire de Lubero et ont commis une première incursion en territoire de Bafwasende en province de la Tshopo.

Depuis le début de cette opération militaire, la stratégie appliquée sur terrain semble s’orienter dans le sens de repousser les combattants ADF loin de la frontière congolo-ougandaise. Cela a été fustigé par plusieurs acteurs de la société civile qui observaient le manque d’opérations terrestres de ratissage après les bombardements des positions des ADF. Ces bombardements ont plus contribué à la dispersion de ses combattants, qui poursuivent leurs massacres. Ce bilan a été confirmé par le dernier rapport des experts des nations qui ont noté qu’autant la traque des ADF a permis également détruit des camps stratégiques, perturbé les chaînes d’approvisionnement des ADF et réduit considérablement leurs capacités opérationnelles, autant ces avancées militaires ont provoqué des tactiques de survie du groupe armé.

Les ADF ont multiplié leur mobilité, regroupé leurs membres dans des méga-camps moins nombreux mais plus isolés, et intensifié leurs attaques contre les civils. Les experts onusiens ont aussi précisé qu’une augmentation des meurtres, enlèvements et pillages, ainsi que des agressions ciblées contre le personnel et les infrastructures médicales. Ces actions ont accentué la pression sur les populations civiles des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu.

Ambiguïté sur le rôle de l’Ouganda dans le conflit de l’Est de la RDC

Bien que l’Ouganda soit en accord militaire avec la République démocratique du Congo dans la traque et la neutralisation des ADF, des questions se posent sur la sincérité de ses relations avec son voisin la République démocratique du Congo. Plusieurs voix se lèvent pour dénoncer le double jeu que joue Kampala. D’une part il est avec la RDC dans l’éradication des forces négatives qui constituent une menace pour leur sécurité commune, et de l’autre part, l’on dénonce le rôle qu’il joue dans la déstabilisation de l’Est de la RDC en pactisant avec les rebelles congolais.

Le dernier rapport des experts des Nations unies publié la semaine dernière en dit beaucoup. Ce rapport révèle que Thomas Lubanga Dyilo, ancien chef de milice en Ituri et premier condamné de la Cour pénale internationale (CPI), présenté comme autorité morale de groupe Zaïre ADCVI et allié de AFC de Corneille Nangaa, aurait facilité des transferts d’armes, des formations dans des camps à Tchanzu au Nord-Kivu et en Ouganda, ainsi que le redéploiement des combattants pour des offensives contre les Forces loyalistes congolais.

Le rapport indique que Lubanga s’est installé à Kampala, en Ouganda, en juillet 2024, où il a rencontré Corneille Nangaa, chef de l’AFC-M23, et d’autres responsables. La ferme d’Yves Khawa, située dans le district de Hoima (Ouganda) près du lac Albert, a été identifiée comme un point de transit pour les combattants et les armes. Ces activités incluent des formations militaires, dispensées par des instructeurs ougandais et rwandais, et l’organisation de mouvements logistiques à travers le lac Albert.

Par ailleurs, les experts rapportent que Lubanga a envoyé des émissaires pour réconcilier différentes factions armées en Ituri, notamment le groupe MAPI et le Zaïre/ADCVI. Bien que le MAPI ait choisi de maintenir son indépendance, il a accepté de collaborer avec la coalition AFC-M23. Ce rapprochement a permis de structurer une stratégie offensive commune visant les FARDC et de coordonner des activités dans les territoires de Djugu, Mahagi et Aru.

Les Nations unies soulignent que cette mobilisation, facilitée par des réunions régulières en Ouganda et le soutien logistique des réseaux régionaux, constitue une menace majeure pour la stabilité de l’Ituri et du Nord-Kivu. Le rapport met également en lumière le rôle d’Innocent Kaina, alias India Queen, un commandant influent du M23, qui collabore étroitement avec Lubanga depuis Kampala pour coordonner les activités des groupes armés. Bien avant, il a été démontré que l’occupation de la cité stratégique de Bunagana en 2022 a bénéficié d’un apport considérable de Kampala. Les experts onusiens sont désormais plus catégoriques, et ont attesté « du passage régulier de troupes, de véhicules et de matériel militaire du M23 et de la RDF sur le territoire ougandais ».

Kinshasa, naïf ?

A ce jour, le soutien ougandais au M23 est qualifié « d’actif ». « Des sources de renseignement et des personnes proches du M23 ont confirmé la présence d’officiers de renseignement militaire ougandais à Bunagana depuis au moins la fin de l’année 2023 pour assurer la coordination avec les chefs du M23, fournir de la logistique et transporter les chefs du M23 vers les zones contrôlées par le M23 », pointe le rapport. Les principaux leaders du M23, dont son chef militaire, Sultani Makenga « se sont rendus à Entebbe et à Kampala en violation de l’interdiction de voyager ». Il en est de même pour Corneille Nangaa, patron de l’Alliance fleuve Congo (AFC), la branche politique du M23, qui habitait récemment à Kampala et a « tenu des réunions avec des représentants de groupes armés congolais et des individus très proches du M23 ».

Pour de nombreux observateurs, les autorités congolaises ont été « naïves » d’avoir laissé entrer les troupes ougandaises à l’Est, sachant notamment que cette décision braquerait Kigali. Il est donc temps que Kinshasa puisse revoir, au-delà de sa coopération militaire dont les résultats sont mitigés, ses relations avec l’Ouganda qui semblent jouer le jeu de l’ennemi.

 

RSK