De la compétence du Conseil d’Etat à statuer sur les requêtes des candidats députés nationaux et provinciaux prétendument invalidés par la CENI

Plusieurs questions se soulèvent dans la mémoire collective de l’opinion pour savoir si c’est au Conseil d’État que ces candidats prétendument invalidés par la CENI devraient se confier pour leur réhabilitation, ou plutôt c’est à la Cour constitutionnelle ?

Déjà, il faut souligner que la réponse à cette question est facile, mais aussi très technique avec des petites nuances.

Avant toute chose, il sied de donner la nature juridique de la décision de la CENI. Sans faire des tournures erronées, étant prise par une personne administrative indépendante, la décision de la CENI annulant les résultats des élections législatives de certains candidats est répertoriée comme un acte administratif, et pas le contraire. Ce qui revient à dire qu’il ne s’agit pas ici du contentieux électoral, d’autant plus qu’à l’étape où nous nous retrouvons maintenant, le contentieux électoral s’ouvre justement après la publication des résultats provisoires des législatives par la centrale électorale. À ce titre, lorsqu’un parti politique, un regroupement politique ou un candidat indépendant s’est senti lésé par la publication de ces résultats provisoires par la CENI, il va déclencher le contentieux électoral (contestation des résultats) en saisissant la juridiction compétente en la matière :

✓pour le candidat Député national, c’est la Cour constitutionnelle;

✓ pour le candidat Député provincial, c’est la Cour administrative d’Appel (1er degré), le Conseil d’État (second degré);

✓pour le candidat conseiller communal, c’est bien le Tribunal administratif (1er degré), la Cour administrative d’Appel (2ème degré) et le Conseil d’État (cassation).

En effet, on se retrouve ici dans une situation où n’ayant pas encore publié les résultats provisoires des législatives, la CENI a, par sa décision n°001/CENI/AP/2024 du 05 Janvier 2024 procédé à l’annulation des résultats d’élections législatives et provinciales de certains candidats et des suffrages dans certaines circonscriptions électorales pour des raisons évoquées par elle et connues de tous.

Ce faisant, si la Cour constitutionnelle est le Juge de l’inconstitutionnalité des lois, des actes ayant force de loi et consorts (violation de la Constitution), le Conseil d’État est à son tour le Juge de l’illégalité des actes de l’Administration (violation de la loi << ici, la loi est prise au sens large>>).

En quoi cette décision viole la loi ?

La décision de la CENI a violé la Constitution (la norme supérieure de l’ordre juridique étatique selon la théorie pyramidale de Hans KELSEN) de la RDC du 18 Février 2006 telle que révisée à ce jour notamment dans son article 19 qui garantit le droit de la défense à tout citoyen congolais. Ce droit est appelé fondamental parce qu’il est garanti par la Constitution et certains instruments juridiques internationaux. La CENI en sanctionnant ces candidats unilatéralement sans les avoir entendus comme l’exige la Constituant de 2006, elle a violemment heurté la Constitution précitée.

Ainsi, qu’il s’agisse d’une décision prise au cours du processus électoral, mais elle donne lieu plutôt au contentieux administratif, et non au contentieux électoral qui devra contester les résultats provisoires lesquels ne sont toujours pas publiés jusqu’à présent.

Par conséquent, le Juge à saisir pour y statuer, c’est le Conseil d’État. Comme elle viole un droit inhérent à la personne humaine, et pour des raisons de célérité ou de promptitude de la procédure, la victime saisira le Conseil d’État en procédure de référé-liberté.

Cependant, il n’est pas exclu de saisir également la Cour constitutionnelle pour cette même cause.

Faisant référence à notre argumentaire ci-dessus brossé, la Cour constitutionnelle sera saisie pour l’inconstitutionnalité de cette décision de la CENI, et non pour l’ouverture du contentieux électoral, c’est-à-dire contestation des résultats provisoires. Cette inconstitutionnalité se justifie par la violation de la même disposition constitutionnelle sus-évoquée.

Donc, cette monstrueuse décision de la centrale électorale peut être attaquée soit, devant la Cour constitutionnelle, soit devant le Conseil d’État. Aucune de ces deux juridictions n’est incompétente en la matière.

C’est juste un point de vue objectif.

Neyker Tokolo Pokotoy, Chercheur en Droit public