Déclaration par vidéo de Bertrand Bisimwa du M23 : juste un chantage ?
De grâce : qu’on ne reproche à personne le relais de cette déclaration menaçant l’intégrité du territoire national. Elle n’a rien d’une coïncidence pour trois raisons essentielles suivantes :
– primo, elle est faite après l’annonce, par la Céni, de l’étape de dépôt des candidatures pour la présidentielle du 20 décembre 2023 ;
– secundo, la veille de l’ouverture de la dernière session parlementaire ordinaire septembre-décembre, session qui n’ira pas jusqu’au bout (15 décembre prochain) en ce que la campagne électorale pour les premières échéances programmées va du 19 novembre au 18 décembre.
– tertio – et c’est d’une importance vitale – la veille de la 78ème assemblée générale ordinaire des Nations-Unies, la dernière pour la mandature actuelle de Félix Tshisekedi.
Déjà, le discours sur l’état de la Nation traditionnellement rendu en décembre pourrait être ramené à novembre.
Ainsi, tout se joue du 15 septembre au 15 décembre 2023. Par tout, il faut entendre la double question électorale et sécuritaire.
Question à ne pas éluder : faut-il nécessairement que la quatrième mandature de la III° République commence avec la guerre entre les bras, et sous un vainqueur aux élections qui serait Félix Tshisekedi ou un autre ?
Car, manifestement, la revendication première du M23 a cessé d’être le partage du pouvoir pour devenir l’intégration nationale avec terres comprises. Des terres qui, à en croire Bertrand Biswama, ont appartenu à la communauté ayant pour langue commune le kinyarwanda, c’est-à-dire les Hutu, les Tutsi et les Twa.
Au fait, le président du M23 rappelle les propos de Paul Kagame au Bénin banalisés malheureusement par les officiels congolais. «*En ce qui concerne le M23 et les personnes liées au M23, les Congolais qui ont des origines rwandaises, il faut savoir que les frontières qui ont été tracées lors de la période coloniale ont découpé nos pays en morceaux. Une grande partie du Rwanda a été laissée en dehors, dans l’est du Congo, dans le sud-ouest de l’Ouganda. Les gens dans ces régions, dans des pays autres que l’Ouganda, ont des origines rwandaises, mais ne sont pas Rwandais. Ils sont citoyens de ces pays qui ont absorbé ces parties du Rwanda à l’époque coloniale. C’est un fait, un fait de l’histoire», avait-il déclaré.
Agissant pour le compte de TV5 Monde, Christian Eboulé a recueilli le 25 avril 2023 l’avis de Jean-Pierre Karegeye, enseignant rwandais en littérature francophone, philosophie et théologie africaine au Dickinson College et à Harvard, sur ces propos renvoyant à ceux du Président du Rwanda, Pasteur Bizimungu, tenus en 1998, «*C’est donc en visitant un camp des réfugiés de Banyamulenge, à Cyangugu, que Bizimungu fera sa déclaration en rapport avec la conférence de Berlin. Pas seulement par rapport aux Banyamulenges, mais de façon générale en référence à la persécution des rwandophones. Son intervention consistait à dire : si vous chassez les populations rwandophones, chassez-les avec leur terre».
Mercredi 20 septembre prochain, Félix Tshisekedi va intervenir du haut de la tribune des Nations Unies dans le cadre de la 78ème assemblée générale ordinaire de cette organisation internationale. Pas de doute possible : la question sécuritaire avec le M23 soutenu par le Rwanda sera abordée.
Va-t-on cependant passer sous silence les revendications territoriales de Kigali commencées en 1998 par Bizimungu, reprises en 2023 par Kagame et relayées récemment par Bisimwa ?
Face à une menace aussi évidente pesant sur le pays, va-t-on privilégier la tenue des élections ?
Certes, une bonne partie de l’opinion – peut-être la majorité – y est favorable au nom du respect des délais constitutionnels. Quoi de plus normal qu’elle se fonde sur des réalisations que ses communicateurs alignent.
Reste à savoir si cette communication tient compte des enjeux sécuritaires à l’Est !
Constatons les faits, rien que les faits :
– la Monusco n’a pas suffisamment de crédibilité à l’Est du pays aux yeux de la population. Elle est d’ailleurs dans un programme de retrait progressif. Elle n’a pas envie de se battre ;
– la force régionale de la Cae (Eac) ne rassure pas les Congolais. Président de la République, Gouvernement, Société civile tiennent le même langage à son égard ;
– la force régionale de la Sadc, sur laquelle les espoirs ont été transférés, n’est visiblement pas prête à opérer à l’Est ;
– la Cééac n’a aucune intention de s’afficher du côté de la RDC pour une force régionale ;
– la Cirgl s’organise pour être absente ;
– les Occidentaux – dont les Américains et les Européens (Union européenne) – poussent ouvertement Kinshasa à négocier avec le M23.
En d’autres termes, Kinshasa est seul ! Tellement seul qu’il ne peut miser ni sur la Chine (malmenée par l’IGF dans l’affaire « contrat sino-congolais »), ni sur la Russie ; s’approcher de Vagner a quelque chose de suicidaire.
Entre-temps, ils se font de moins en moins rares, les voisins sur lesquels la RDC peut compter véritablement et sincèrement. C’est comme s’ils se sont passé le mot pour empêcher Kinshasa de recouvrer son leadership et de l’exercer effectivement sur eux.
Face à ces réalités indéniables, surtout implacables, le Pouvoir – comme nous ne cessons et ne cesserons de le dire – doit faire preuve de sagesse et d’intelligence par rapport au processus électoral et sécuritaire.
Bertrand Biswama a utilisé une expression qui doit (nous) interpeller. Il dit de Félix Tshisekedi qu’il veut un scrutin, sans toutefois vouloir d’un électorat. Façon subtile de signifier à tous les protagonistes que sa communauté ne votera pas, question de ne pas légitimer le Pouvoir central sous mandat ou non du chef de l’Etat en fonction. De quoi refroidir d’ailleurs l’enthousiasme de tous les candidats à la présidentielle.
A dire vrai, voter, pour cette communauté, est perçu comme un acte susceptible d’hypothéquer son objectif : conserver des terres pour les soustraire de la superficie du territoire national, sans nécessairement les annexer au Rwanda, à l’Ouganda ou au Burundi.
Ainsi, après la difficulté de mettre en place le fameux Empire Hima et le non moins fameux Tutsiland, l’alternative trouvée serait de créer quelque chose qui ressemblerait à un Kinyarwandaland terre des Tutsi, Hutus et Twa…
Devant un danger aussi évident, il faut amener Kinshasa à décider de façon conséquente.
Omer Nsongo die Lema