En visite à l’Est de la Rdc: Le Directeur général de CICR déplore l’accroissement de nombre de civils blessés par des armes lourdes

Une hausse brutale du nombre de civils blessés par des armes lourdes dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) menace de saturer les établissements de santé déjà mis à rude épreuve, aggravant l’une des crises humanitaires les plus importantes et les plus complexes qui sévit dans le monde. Tel a été l’avertissement lancé par Robert Mardini, directeur général du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), à l’occasion d’une visite de cinq jours dans le pays.

« Ce à quoi nous assistons actuellement dans l’est de la RDC est sans précédent et extrêmement préoccupant à bien des égards. Suite à la récente flambée des hostilités début février, des centaines de civils gravement blessés, dont beaucoup de femmes et d’enfants, ont afflué vers les établissements de santé du Nord-Kivu – 40 % avaient été victimes de bombardements ou d’autres armes lourdes utilisées dans des zones urbaines densément peuplées. Cette nouvelle dynamique vient accentuer la profonde souffrance de si nombreux civils déjà accablés par des décennies de conflit », a expliqué Robert Mardini.

Selon le droit international humanitaire, il incombe aux parties à un conflit de protéger les civils et les infrastructures civiles et de prendre toutes les précautions possibles pour les épargner.

« En cas d’utilisation d’armes explosives en zones habitées – y compris à proximité de camps de personnes déplacées – la probabilité d’effets indiscriminés est très forte. En un mot, des civils risquent d’être blessés voire tués. C’est précisément ce que nous observons en ce moment dans le Nord-Kivu – avec les conséquences dévastatrices que cela entraîne », a ajouté M. Mardini.

Ces dernières semaines, les combats se sont intensifiés entre les forces gouvernementales de la RDC et le M23 – principal groupe armé parmi les plus de cent signalés comme actifs dans cette région stratégiquement importante et riche en ressources, qui est l’épicentre de plusieurs conflits depuis les années 1990.

La population civile en fait les frais : plus de sept millions de personnes ont dû fuir leur foyer, souvent à de multiples reprises, dont deux millions et demi dans le seul Nord-Kivu.

La complexité des défis humanitaires se manifeste de façon frappante à l’hôpital Ndosho soutenu par le CICR à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Face à un afflux quotidien de civils blessés – parmi lesquels de nombreux enfants –, l’hôpital gère aujourd’hui plus de 130 lits, plus de deux fois sa capacité d’accueil normale, et beaucoup ont été installés sous des tentes.

Les patients arrivent à l’arrière de motos ou en transport public depuis les zones de conflit autour de la petite ville de Sake, à seulement 25 kilomètres de là, après avoir souvent tout laissé derrière eux et été séparés de leurs proches. Ils sont de plus en plus nombreux à présenter de graves blessures nécessitant des interventions chirurgicales complexes voire des amputations ; certains décèdent sur le chemin de l’hôpital.

Dans une salle, une jeune mère – visiblement traumatisée – tente de consoler sa fille de quatre ans qui a reçu des éclats d’obus au visage et sur le corps. Ses deux autres enfants ont été tués lors de l’attaque de leur maison à Sake. Une autre femme, dont la jambe a dû être amputée suite à une attaque perpétrée contre le camp de déplacés où elle vivait près de Sake, a perdu deux de ses enfants dans des circonstances similaires. Près d’elle, une petite fille de cinq ans a vu sa mère se faire tuer et a été elle-même sévèrement blessée. Elle est allongée, immobile et silencieuse. Des dizaines d’autres sont eux aussi porteurs de récits déchirants.

Certaines blessures sont invisibles. La violence sexuelle et sexiste est devenue endémique au cours des multiples conflits qui ont frappé la RDC, et elle demeure une préoccupation majeure dans la phase actuelle. Bon nombre de cas n’ont jamais été signalés, par peur de stigmatisation ou de représailles, de sorte qu’il est difficile de déterminer l’ampleur du problème. Des psychologues formés par le CICR fournissent des services en santé mentale et un soutien psychosocial, mais les besoins dépassent largement la capacité de réponse limitée.

À l’hôpital, d’anciens enfants-combattants figurent aussi parmi les patients se remettant de traumatismes physiques et mentaux. Parmi eux, un adolescent de quinze ans recruté par un groupe armé veut maintenant à tout prix rentrer chez lui et aller à l’école, mais il craint d’être rejeté par sa famille. L’enrôlement d’enfants dans les groupes armés constitue un souci majeur, d’autant que l’ONU a recensé en la matière une augmentation de 45 % au cours des six premiers mois de 2023 par rapport à l’année précédente.

« Le niveau de souffrance subie ici est absolument affligeant – et ce n’est qu’un aperçu de l’ampleur et la complexité des défis humanitaires à relever en RDC », a déclaré M. Mardini à l’hôpital Ndosho. « Nous assistons à une crise de la protection à vaste échelle, qui peut pourtant être évitée ».

« La réponse humanitaire, quoique essentielle, n’est manifestement pas la solution. » Pour sa part, le CICR collabore étroitement avec la Croix-Rouge de la RDC et porte assistance aux personnes touchées par le conflit. Il renforce par exemple les soins de santé physique et mentale fournis aux personnes blessées, malades et traumatisées, améliore l’accès à l’eau et l’assainissement et s’attache à réunir les familles dispersées.

« Pourtant, il existe un seul moyen réellement efficace de réduire les souffrances dont nous sommes témoins : les parties au conflit doivent respecter leurs obligations, selon le droit international humanitaire, de protéger la population civile. Nous les appelons instamment à le faire de toute urgence », a ajouté M. Mardini. « À défaut, un avenir sombre attend des millions de Congolais qui n’ont connu que la guerre ».

Prince Yassa