Et si les dirigeants africains osaient, enfin, se méfier des mercenaires russes ? (JeuneAfrique)

Soudan, Libye, Mali, Centrafrique, Mozambique… La liste des pays africains bénéficiant des services des mercenaires d’Evgueni Prigojine ne cesse de s’allonger. La brève insurrection de Wagner en Russie devrait pourtant leur servir d’avertissement.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les mercenaires du groupe Wagner combattaient aux côtés des troupes russes et avaient même remporté d’importantes victoires contre l’armée ukrainienne. Si les tensions entre la hiérarchie militaire russe et Evgueni Prigojine n’étaient plus un secret pour personne, la mutinerie-éclair que le très controversé patron des mercenaires a organisée, le 23 juin, a surpris tout le monde, et soulève bien des questions, notamment pour les États africains.

« Pièce de rechange »

De la Libye au Mozambique en passant par le Mali et la Centrafrique, Wagner est présent dans au moins dix pays africains, où il offre ses services en matière de sécurité, de formation et d’entraînement. Ce groupe, qui est, par ailleurs, le bras armé de la Russie à l’étranger, a une influence grandissante en Afrique. Il y est en effet tantôt un supplétif pour des armées nationales embourbées dans des conflits internes, tantôt une « pièce de rechange » destinée à remplacer des troupes occidentales. C’est notamment le cas en Centrafrique et au Mali, où Wagner a comblé le vide laissé respectivement par les forces armées françaises de la mission logistique et par celles de l’opération Barkhane.

Pourtant, en dépit des avantages, réels ou supposés, de Wagner, d’aucuns se demandent si ces mercenaires ne présentent pas un sérieux danger pour les régimes qui ont recours à leurs services. Selon ces observateurs, si Wagner n’a pas hésité à se retourner contre la Russie de Vladimir Poutine, alors rien ne l’empêche de « trahir » de la même manière les dirigeants africains qui misent sur lui pour sécuriser leur pays. Le président Poutine n’a-t-il pas lui-même qualifié de « trahison » et de « coup de poignard dans le dos » la brève rébellion du groupe Wagner ?

Professionnaliser les armées nationales

Ceux des dirigeants africains qui ont lu Le Prince, de Machiavel, devraient se souvenir des conseils que ce penseur de la Renaissance italienne dispensait au Prince. Il lui recommandait de ne point trop se fier aux mercenaires, en raison de leur inconstance et de leur extraordinaire capacité de nuisance.

Machiavel suggérait également au Prince de former et d’équiper sa propre armée afin de se défaire de toute dépendance. Certes, l’on ne construit pas une armée en quelques semaines, mais les compensations indécentes (en argent ou en ressources minières) que les Africains octroient à ces mercenaires pourraient tout aussi bien être utilisées pour professionnaliser les armées nationales.

Un exemple édifiant : selon un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), la Centrafrique dépense chaque année 41 millions de dollars, achat d’armements et soldes compris, pour son armée de 9 000 hommes. Parallèlement, ce pays débourse, toujours annuellement, environ 264 millions de dollars (en nourriture et en logement) pour les quelque 2 000 mercenaires de Wagner présents sur son territoire.

Dans l’immédiat, les dirigeants africains devraient s’attacher à gérer leur partenariat sécuritaire avec Moscou tout en collaborant avec Wagner, dont le patron est désormais indésirable en Russie. La Russie serait-elle prête à envoyer des soldats réguliers auprès de ses partenaires africains et en remplacement de Wagner, alors même qu’elle a besoin d’hommes pour se battre en Ukraine ?

Cela semble peu probable. D’autant que ce groupe, qu’elle a largement financé, lui a permis de marquer des points et de distancer ses adversaires occidentaux, contraints de se retirer du continent. Il est donc à craindre qu’il ne reste plus aux dirigeants africains qu’une seule option : attendre patiemment l’inévitable restructuration de Wagner, à laquelle Moscou ne manquera pas de procéder.

Par Roger-Claude Liwanga, Chercheur à l’université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l’université Emory.