Guerre pour l’hégémonie géopolitique mondiale (Une tribune de Musene Santini Be-Lasayon)
Un patriote, véritablement souverain, indépendant et averti, qui tient vraiment à promouvoir, à défendre et à protéger son pays des invasions des puissances hégémoniques, ne se remet jamais entre les mains de l’une de ces dernières. S’il fait le contraire, c’est que son problème est plutôt lié aux idéologies et non à l’hégémonisme.
Guerre d’intérêts
D’ailleurs, la guerre, qui se déroule depuis le 24 février 2022 par l’Ukraine interposée, entre les grandes puissances mondiales, respectivement représentées par la Fédération de Russie de Vladimir Poutine et les États-Unis d’Amérique de Joe Biden, semble ne pas être forcément idéologique. Elle n’oppose nullement la gauche marxiste-léniniste, socialiste, communiste et révolutionnaire à la droite libérale, capitaliste, conservatrice et réactionnaire. Comme c’était le cas durant la longue guerre froide de 1945 à 1991. En effet, si l’Occident de Joe Biden demeure fondamentalement libéral, capitaliste et démocratique, la Russie de Vladimir Poutine paraît avoir essentiellement rompu avec le marxisme-léninisme, le socialisme et le communisme de l’ère soviétique.
Ainsi, l’écrasante majorité des experts en matière idéologique considère la guerre en Ukraine comme l’expression des ambitions illimitées de son instigateur, Vladimir Poutine, l’irrésistible aspirant à l’hégémonie géopolitique mondiale, et de l’orgueil également démesuré des Occidentaux qui croient détenir, indéfiniment, l’hégémonie géopolitique sur le monde entier. Il s’agit, en réalité et en définitive, d’une guerre pour l’hégémonie géopolitique mondiale fondée sur les intérêts particuliers de chaque camp.
Toutes les idéologies sont hégémoniques
En effet, chaque idéologie croit qu’elle est la meilleure de toutes les idéologies. Les véritables libéraux croient toujours que le libéralisme est supérieur au socialisme et au communisme. Les véritables marxistes croient toujours que le socialisme ou le communisme est supérieur au libéralisme. Autrement dit, toutes les idéologies sont hégémoniques.
Un patriote, véritablement souverain, indépendant et avisé, qui tient réellement à la promotion, à la défense et à la protection de son pays des invasions des puissances hégémoniques, ne peut jamais s’offrir, sentimentalement, à un hégémonisme naissant. Dont il ne connaît et ne maîtrise ni les tenants, ni les aboutissants. C’est le cas, par exemple, de l’hégémonisme que Vladimir Poutine, l’inamovible président de la Fédération de Russie depuis 23 ans, cherche à incarner après la désintégration de sa nostalgique URSS et la tombée en désuétude de son idéologie totalitaro-communiste.
Un patriote, véritablement souverain, indépendant et prévenu, qui tient fondamentalement à promouvoir, à défendre et à protéger son pays des invasions des puissances hégémoniques, s’oppose pratiquement à tous les hégémonismes, qu’ils soient de l’Orient ou de l’Occident, américain, russe, chinois, britannique, français, etc. Car, ils sont tous des oiseaux du même plumage. Ils ont tous tué, assassiné, massacré, etc. Ils ont tous, d’une manière ou d’une autre, politiquement, économiquement, socialement et culturellement dominé, exploité et ruiné tous les pays faibles. Ils sont tous égocentriques. Il n’y a pas, parmi eux, le moindre mal.
La preuve la plus tangible de la nature et du caractère social mauvais de tous les hégémonismes susmentionnés? Aucun pays d’Afrique, aucun pays d’Asie, aucun pays d’Océanie, aucun pays d’Amérique latine, aucun pays des Antilles et des Caraïbes, aucun pays d’Europe centrale et d’Europe orientale, etc., ne s’est jamais développé, selon le modèle occidental, russe ou chinois, grâce à l’Occident, à la Russie ou à la Chine. Les quelques pays qui émergent suivent leur propre voie.
Irrésistible aspirant à la superpuissance mondiale
La Russie de Vladimir Poutine, qui passe actuellement, aux yeux des naïfs, pour le messie tant attendu, tient à affirmer, mais alors à l’extrême, la primauté de la puissance nationale russe sur toute autre considération des rapports internationaux. Principalement parce qu’elle a perdu, dès la dislocation de l’URSS, la quasi-totalité de ses anciens alliés ou vassaux militaires et économiques des défunts Pacte de Varsovie et Comecon.
S’il faut résumer, en quelques mots, Vladimir Poutine, le président de la Russie post-soviétique que certaines élites des pays en développement prennent pour le modèle de leadership, nous dirions plutôt qu’il est foncièrement “un vertige de puissance”, selon Jean Radvagni, ou “un obsédé de la puissance”, d’après Françoise Thom, ou encore, à notre propre avis, “un irrésistible aspirant à la superpuissance mondiale. ” C’est exactement dans cet objectif ultime qu’il recrute à vil prix, au moyen de son discours anti-hégémonie occidentale en général et américaine en particulier, des adeptes parmi les élites des pays en développement, dont la RD-Congo.
Cependant, Vladimir Poutine lui-même n’est pas du tout, dans le fond, contre l’hégémonie géopolitique mondiale. Au contraire, son problème fondamental est plutôt que sa nostalgique URSS ne soit pas parvenue à renverser et à arracher, durant ses 70 ans d’existence et de pouvoir absolu sur son empire, l’ordre mondial que l’Occident avait instauré et profondément implanté, maintient et perpétue, en le renforçant davantage, depuis le 16ème siècle. Ordre mondial dont les États-Unis d’Amérique ont récupéré, dès l’aube du 20ème siècle, le leadership et qu’ils conduisent sans se fatiguer.
En réalité, Vladimir Poutine est profondément et essentiellement habité par la volonté obsessionnelle de dominer, de contrôler et d’influencer le monde. Il aspire, en permanence, à mener sa Russie au statut géopolitique suprême, très envié, de superpuissance mondiale en lieu et place des États-Unis d’Amérique. Il espère léguer à la postérité, à sa mort, une Russie maîtresse du monde.
Tel qu’il s’affiche, pourrait-il vraiment se débarrasser de ses ardeurs hégémonistes en ramenant sa Russie, la deuxième puissance militaire mondiale depuis 1945, au rang de puissance géopolitique ordinaire, partageant l’hégémonie géopolitique avec plusieurs autres puissances ordinaires à travers le monde?
Les grandes puissances ne s’entendent jamais
L’hégémonie géopolitique mondiale multipolaire, éclatée, partagée et équilibrée, que Vladimir Poutine réclame à cor et à cri aujourd’hui, en se faisant le porte-étendard et le leader des opprimés de l’ordre mondial actuel, risquerait de se transformer, un jour, en un piège susceptible de se refermer soit sur ses amis des BRICS, soit sur ses ennemis de l’Occident, soit sur tout le reste du monde. Cette revendication, vraisemblablement appuyée par la majorité des élites opprimées apparemment conscientisées, risquerait, par ailleurs, de ressusciter l’histoire tourmentée de l’émergence, du développement, du règne solitaire et de la décadence des grandes puissances mondiales depuis l’antiquité.
En effet, l’histoire nous renseigne que les grandes puissances mondiales n’ont jamais réussi à coexister au même moment et à cohabiter dans le même enclos. L’une d’elles a toujours cherché à faire éclipser, à un moment donné ou à un autre de l’histoire, toutes les autres puissances concurrentes. En vue de se retrouver, seule, sur le piédestal. Et ce, très souvent, suite à une victoire militaire. Ainsi en était-il des grandes puissances de l’antiquité. En l’occurrence, l’Égypte, la Grèce, l’Empire romain, etc.
Or, les grandes puissances mondiales, qui s’affrontent par les armes en ce moment, par l’Ukraine interposée, les unes pour le maintien de l’hégémonie géopolitique mondiale unipolaire légèrement modifiée et les autres pour l’avènement d’une hégémonie géopolitique mondiale multipolaire, partagée et équilibrée sont, toutes, hyper-nucléarisées. Si l’une d’elles osait attenter à l’existence des autres, elle en aurait certainement pour son propre compte. Où voudrions-nous en arriver ?
Mystification
À notre époque, nul État ne pourrait accéder au stade géopolitique suprême, très envié, de superpuissance mondiale en dénonçant et en injuriant tout simplement, à longueur de journées, ou en battant, militairement, le pays ou le groupe de pays qui détient l’hégémonie géopolitique mondiale et l’exerce au détriment de tous les autres. À notre ère, nul État ne pourrait accéder au stade géopolitique suprême, très envié, de superpuissance mondiale sans avoir, au préalable, complètement maîtrisé tous les enjeux porteurs de l’avenir escompté.
Nul État, proclamons-nous enfin avec conviction, ne pourrait, aux temps modernes, se hisser au sommet du monde sans avoir, au préalable, atteint et surtout dépassé l’autosuffisance dans tous les secteurs majeurs d’activités: politico-idéologique, politico-juridique, politico-administratif, politico-diplomatique, politico-économico-financier, politico-culturo-artistique, politico-scientifico-technologique, politico-industriel, politico-commercial, politico-militaire, politico-sécuritaire, etc., devant obligatoirement aboutir au développement intégral, intégré et durable de l’enjeu politico-humain et social, le but ultime de tous les gouvernements responsables. Ce qui est déjà, évidemment, une gageure, c’est-à-dire très difficile, sinon impossible, à réaliser par tous les aspirants potentiels au titre géopolitique le plus élevé de tous, celui de superpuissance mondiale.
Pire, en plus des États en général, les grandes puissances mondiales demeurent, particulièrement et catégoriquement, les monstres les plus froids des monstres. Chacune d’elles s’accroche, dans le fond, à la promotion, à la défense et à l’accroissement ininterrompu de ses seuls intérêts au détriment de ceux des autres et surtout des faibles.
Dans ce contexte d’égocentrisme institutionnalisé, endurci et rendu naturel, l’avènement de l’hégémonie géopolitique mondiale multipolaire, partagée et équilibrée, brandie comme la sortie du gouffre des opprimés, mais en réalité des seules puissances actuellement étouffées et assujetties par l’ordre géopolitique mondial en place, risquerait de s’avérer plutôt être, au bout du compte, une grosse mystification qui n’aurait profité qu’au plus astucieux des bourreaux des faibles.