Ingérences flagrantes de l’Algérie dans les affaires intérieures du Mali: Bamako se fâche et tape du poing sur la table
L’ambassadeur d’Algérie au Mali a été convoqué hier mercredi 20 décembre par le ministre malien des Affaires étrangères. Ce dernier a vivement protesté contre la réception, par le président algérien, de l’imam et opposant malien Mahmoud Dicko, alors que des hommes politiques touaregs du Mali, que Bamako considère comme des séparatistes, voire des terroristes, sont reçus à bras ouverts et séjournent régulièrement à Alger. Le régime algérien est en crise ouverte avec la majorité des pays de son voisinage.
L’audience accordée, mardi dernier à El Mouradia, par le président algérien Abdelmadjid Tebboune à l’imam malien Mahmoud Dicko, chef de la confrérie Kountiya, est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase à Bamako et entraîné de vives protestations de la part des autorités maliennes.
Mercredi 20 décembre, Abdoulaye Diop, ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, a convoqué El Haoues Riache, ambassadeur d’Algérie au Mali, pour lui signifier les vives protestations des autorités maliennes contre les «agissements inamicaux» de son pays et dénoncer une «ingérence dans les affaires intérieures du Mali», a annoncé un communiqué du MAECI.
«Ce mercredi 20 décembre courant, SEM. Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, a convoqué l’ambassadeur de la République populaire et démocratique d’Algérie au Mali, pour élever une vive protestation du Gouvernement de la République du Mali, suite aux récents actes inamicaux posés par les autorités algériennes, sous le couvert du processus de paix au Mali», lit-on dans ce communiqué.
Le chef de la diplomatie malienne met en avant les rencontres que l’Algérie a organisées, ces dernières semaines, avec des hommes politiques touaregs du nord du Mali sans la moindre consultation avec Bamako. Cet acte est d’autant plus inamical aux yeux des autorités maliennes que ces membres du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) sont en rupture de ban avec le pouvoir malien, suite aux récents événements dans le nord du pays, où l’armée malienne, avec l’aide des paramilitaires russes de Wagner, a repris Kidal, ville jusqu’ici sous le contrôle des mouvements touaregs.
L’Algérie est certes le parrain de l’accord de paix signé en 2015 entre le gouvernement malien et des groupes armés arabo-touaregs, mais cet accord, dit d’Alger, ne donne pas un droit d’ingérence dans les affaires intérieures maliennes.
C’est pourquoi le Mali, dans son communiqué de protestation, «invite la partie algérienne à privilégier la voie de la concertation avec les autorités maliennes, seules légitimes pour entretenir des échanges d’État à État avec les partenaires du Mali».
En effet, là où l’Algérie s’est comportée comme en territoire conquis, et soulevé la vive colère des autorités maliennes, c’est quand elle a organisé la très officielle rencontre, mardi dernier, entre Abdelmadjid Tebboune et le puissant prédicateur malien Mahmoud Dicko, en présence du patron du renseignement extérieur, le directeur général de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE), le général-major Djebbar M’henna. Que peut bien faire le chef des barbouzes algériens à une rencontre supposée dédiée à la consolidation des liens religieux et au spiritualisme?
Mahmoud Dicko n’est pas n’importe qui, puisque c’est lui qui a initié et pris la tête d’un vaste soulèvement populaire contre l’ancien président malien feu Ibrahim Boubacar Keita, finalement renversé en août 2020 par un coup d’État militaire. Depuis le référendum de juin dernier sur la nouvelle Constitution malienne, à laquelle il est vivement opposé, tout comme les mouvements touaregs qui ont boycotté son vote, Mahmoud Dicko est devenu un adversaire farouche du régime militaire de son pays qu’il qualifie régulièrement d’«arrogant».
À cela, il faut ajouter, même si les autorités maliennes ne le disent pas tout haut, le soutien présumé et la protection que le régime algérien accorde à un autre «Ghali», à savoir le chef du mouvement armé salafiste jihadiste d’Ansar Eddine, le Touareg Iyad Ag Ghali, ou le «Ben Laden du Sahel».
C’est dans ce sens que le MAECI malien dénonce, dans son communiqué, «les rencontres récurrentes, aux niveaux les plus élevés en Algérie, et sans la moindre information ou implication des autorités maliennes, d’une part avec des personnes connues pour leur hostilité au gouvernement malien, et d’autre part avec certains mouvements signataires de l’accord de 2015 et ayant choisi le camp des terroristes».
Il est donc clair que la présence régulière de chefs touaregs à Alger et celle inexpliquée de l’opposant Mahmoud Dicko «sont de nature à entacher les bonnes relations» avec Alger, menace le MAECI malien, selon lequel «ces actes constituent une ingérence dans les affaires intérieures du Mali».
Cette ingérence flagrante résulte en fait d’un double jeu du régime algérien, qui, tout en ayant peur de l’amplification du séparatisme touareg qui couve dans le Sud algérien, joue à la déstabilisation des pays frontaliers (Maroc, Mali, Niger, Libye et même Mauritanie), en croyant que c’est ainsi qu’elle peut assurer son leadership sur toute la région. Au final, le régime algérien s’est entouré tout seul d’une ceinture de feu qu’il semble craindre. Il est en crise ouverte avec la majorité des pays frontaliers.
Par Mohammed Ould Boah