Le complotisme, une nouvelle maladie algérienne

En Algérie, le complotisme est devenu une doctrine d’Etat, un mode de gouvernance, la nouvelle croyance à la mode. Tout expliquer par le paranormal, le mauvais œil, la posture victimaire, l’envie obsessionnelle qu’on est censé susciter chez l’autre.

Même ceux qui, par fatigue ou par incrédulité, voulaient ignorer l’ampleur de l’obsession complotiste qui s’est saisie récemment du régime algérien, ont finalement baissé les bras. Le complotisme est partout, érigé en mode de pensée et de gouvernement. À la présidence de la république, dans la presse officielle, au sein du gouvernement et chez les représentants des partis politiques, tous ne jurent que par ces forces obscures qui se réunissent dans l’ombre, dans un cadre presque satanique, avec le seul agenda de comploter contre l’Algérie, de porter atteinte à sa sécurité, de déstabiliser son économie.

En Algérie, à voir ce recours massif aux théories complotistes, le complotisme est devenu une doctrine d’Etat, un mode de gouvernance, la nouvelle croyance à la mode. Tout expliquer par le paranormal, le mauvais œil, la posture victimaire, l’envie obsessionnelle qu’on est censé susciter chez l’autre. Après avoir été une croyance de niche dans les années Bouteflika, le complotisme est devenu une croyance d’Etat depuis que le président Abdel-Majid Tebboune est au pouvoir.

Pour justifier ses multiples échecs, le régime algérien impose aux Algériens une lecture irrationnelle de leurs actualités et de leurs vécus. Si l’Algérie ne parvient pas à s’imposer sur le plan international, voit sa crédibilité fondre au soleil, c’est parce que des forces obscures se seraient liguées contre elle pour saboter ses efforts et dynamiter ses stratégies. Pour le régime Tebboune, le trio dans sa ligne de mire, accusé d’exécuter cette politique diabolique, est composé du Maroc, Israël et les Émirats arabes unis.

Avec le Maroc la rupture était déjà installée. La haine contre le voisin marocain était déjà une rubrique obligatoire du discours politique et médiatique algérien. La nouveauté aujourd’hui est de lui joindre deux autres pays : Israël et les Emirats arabes unis. Deux pays, aux yeux de la propagande algérienne, censés mobiliser leurs démons pour affaiblir l’Algérie.

En fait la théorie du complot a été promulguée en Algérie pour tenter de justifier, aux yeux des Algériens, les principaux échecs du régime algérien. Les faillites diplomatiques, les échecs sportifs et les ratages économiques ne sont aucunement le résultat de l’amateurisme de son leadership, de l’incompétence de son gouvernement, de la médiocrité de sa classe politique. Ils seraient exclusivement le résultat, selon la conviction assumée du régime algérien, d’une volonté internationale qui vise à saboter la nouvelle Algérie promise par Tebboune.

Faire porter la responsabilité de son échec sur les autres, c’est s’exonérer à bon compte de sa propre responsabilité. Et c’est un argument électoral tout trouvé par Alger qui cherche à renouveler le mandat de Tebboune et à travailler sur la permanence et la reproduction de son système. Tebboune ne peut venir dire aux Algériens : «J’ai failli parce que j’ai fait les mauvais choix stratégiques. J’ai lourdement investi dans l’aventure séparatiste du Polisario qui s’est révélée être une chimère». Non il ne peut pas avouer non plus que sa fixation morbide sur le Maroc lui a valu toute sorte d’animosités et un isolement international digne des Etats voyous. En avouant de telles défaillances et de tels mauvais choix, Tebboune et son régime se condamnent à une douloureuse remise en cause et à une interpellation certaine. En justifiant ces échecs par la culture du complot, ils espérèrent jouer sur la fibre démagogique pour endormir les candides.

Cela est probablement un argument électoral pour tenter de justifier un bilan médiocre mais aussi une stratégie de survie. Le maintien d’un ennemi extérieur qui menace en permanence l’Algérie et les Algériens serait la meilleure garantie de survie d’un régime militaire basé sur la prédation économique, un autoritarisme institutionnalisé et la violation permanente et massive des libertés.

Si cette stratégie peut encore tromper une partie des Algériens en les endormant avec des contes de la manipulation, elle ne trompe nullement la communauté internationale qui commence à perdre patience avec la gestion et les postures névrotiques du régime d’Alger. En témoigne d’abord l’isolement de plus en plus croissant de ce régime algérien qui avait récemment multiplié les fronts de crises et de tensions. Ensuite le peu de crédit que ces pays, avec lesquels Alger entretient des relations conflictuelles, accorde à ses délires complotistes. Malgré les lourdes accusations dans la presse et dans la bouche de certains politiques, la réponse de ces pays fut l’indifférence, accentuant ainsi par leur ignorance cette atmosphère de délires qui caractérise le pouvoir algérien.