L’ontologie congolaise révélée dans une crise politique aux racines ego-narcissiques
Dans l’atmosphère de la discursivité nihiliste, assortie de répugnantes apories politiciennes, un rayon additif d’espoir pour la RDC me fut offert le samedi 4 Juillet 2020. Pendant que la conscience collective était en train d’être infectée avec les platitudes abjectes d’indécentes adversités du pouvoir, une compatriote était préoccupée par la problématique de l’ontologie Congolaise. Avec sa voix légèrement veloutée, porteuse d’une tonalité de chanteuse de Jazz, elle articula la problématique en s’interrogeant sur la relation ontologie et politique congolaise. Pendant qu’elle parlait mon intellect disséquait ses propos en captant l’immédiateté et la profondeur de la causalité : une ère d’espoir étiolée dans la désillusion inhérente aux inepties politiciennes. Quel genre d’Etres sommes-nous en quintessence ? Quelle est notre ultime substance ? Certainement ce questionnement a taraudé l’Esprit de notre sœur, produisant ruptures et amenuisements de sommeil. Qu’avons-nous en quintessence ? Que portons-nous dans nos « protocoles profonds » pour reprendre l’expression du philosophe-théologien Ka-Mana, pour convertir une ère d’espoir pour un nouvel élan en moment de brumeuses contradictions vaudevillesques ?
Dans la convivialité, les différents participants à cette session cogitative à la Française (en model cercle de pensée des Lumières style «Salon Condorcet»), explorèrent plusieurs aspects. Le captage de l’ontologie comme substance première, comme l’Etant quintessentiel d’un peuple. L’ontologie comme donnée identitaire et intersection de l’humanité congolaise, la carence en sensibilité collective sur cette problématique, l’expérience Française de la réconciliation avec les Allemands qui furent leur nation-Némésis après la période des guerres, furent été explorés. La thèse de la déficience-inconscience ontologique a été formulée en conjonction avec l’argument de la quête de « L’Homo Congolus » sur l’échelle de la plénitude sapiensale. Cela au regard des progrès et conquêtes tant philosophiques, des exploits scientifiques et technologiques, ainsi que les percées démocratiques, économiques et sociales, réalisées par l’homo sapiens sapiens, comme brillamment démontré par Yuval Noah Harari (Sapiens: A Brief History of Humankind, Harper, 2015). Pendant que les nations, même africaines, conçoivent les modalités de leur réinvention sociétale fulgurante dans la période post-covid-19, telles des hordes médiévales, les politiciens congolais, eux, divaguent sur les meilleurs stratagèmes politiques à concevoir pour anéantir leurs adversaires. Et tout un peuple, surtout à Kinshasa (devenu le foyer d’une intellectualité au rabais avec des professeurs denormativisés, porteurs des savoirs mémoriels et l’intelligence instrumentale) est emballé dans ces égarements obscurantistes. Bon Dieu ! On nous a ramené en 1960. Et nous risquons de dégringoler dans un autre Armageddon ! Il fragmentera la RDC d’une manière irréversible. On ressuscite, on recycle, des politiciens reliques, et une horde d’académiciens en obsolescence épistémique-intellectuelle, comme sources des repères du nouveau régime. Ils prescrivent une politicaillerie retardataire pour féodaliser la république. Et un professeur en péremption paradigmatique conceptualise cela comme « le pragmatisme politique ».
Au retour chez moi, mon cerveau m’imposa son mode réflexif automatique au-delà de ma ferme volonté de fermer les yeux. Au détour d’une plongée cogitative : tiens ! Mais, cette sœur ! Une Simone de Beauvoir Congolaise. Sa préoccupation n’est pas exclusivement philosophique. Elle est éminemment ancrée dans le concret au sens de l’ontologie appliquée à l’Etre Congolais. Celle-ci est saisie par Colin Hay comme la partie de la philosophie qui explore l’Etre dans son essence, sa nature et ses caractéristiques (Political Ontology. The Oxford Handbook of Political Science. Edited by Robert E. Goodin. 2011). A écouter attentivement les idées des participants, y compris des amis européens (dont un est détenteur d’une fascinante connaissance de la musique congolaise, passion que je partage avec lui comme guitariste), l’ontologie c’est la voute, la racine, de l’Etre phénoménal. En d’autres termes, la thèse première de cette compatriote est que nos contradictions-contractions, mais aussi nos exploits souvent suivis des régressions, reflètent aussi un problème qui se situe au niveau de notre Etre premier. Dans cette optique, son interrogation est hégélienne : la concrétude est le reflet de l’état-étant (dans l’Etat), de l’Existant premier, de la conscience. Elle a proposé non seulement une problématique quintessentielle, mais aussi de l’ordre de la pensée. Là où nous devrions commencer : la pensée sur la substance de l’Etre, ensuite la pensée sur l’opérationnalisation existentielle, et la pensée prospective dans la durée – comme un des participants l’avait si bien relevé. Dans ma cogitation j’ai épinglé deux aspects relatifs au cas concret de nos contradictions-contractions : la déficience-inconscience ontologique congolaise et la nécessité de déclencher un mouvement intellectuel transsubstantialiste.
1. La déficience-inconscience ontologique congolaise
L’illogisme, l’immoralité, l’insalubrité, l’adversité politicienne abjecte ego-narcissique, des contradictions non fondées sur l’antagonisme idéologique ou les différences sur les projets, sont autant des réalités visibles tangibles caractérisant la majeure partie de Congolais et leurs dirigeants. Incapacité réelle de concevoir et de réaliser des exploits et de les élever aux strates supérieures d’amélioration et de consolidation. En 60 ans d’indépendance, des progrès ont été réalisés aux époques précises, notamment la prouesse du pré-décollage économique sous Mobutu en 1978 (avec un PIB de $15 milliards), la démocratisation régénérative et le replacement du pays sur la piste de l’émergence, de 2001 à 2018. Impensable en RDC pendant 58 ans, l’alternance pacifique à la tête de l’Etat a été réalisée en 2019. Mais, aujourd’hui, avec quelques réalisations épi-phénomènales, la société est cependant plongée dans des incertitudes par rapport à l’horizon de l’émergence jadis projetée (par d’innombrables experts et organisations internationales) à 2030. Quel que soit l’angle par lequel on capte cette réalité des contradictions-contractions en 2019-2022, la question ontologique est : nous sommes le reflet de quel Etre quintessentiel qui serait en train de nous « existentialiser » sur un tel mode d’infécondité en organisation et production moderne et durables ?
Les Congolais n’ont aucun problème de déficience biophysique ou neurocérébrale qui causerait les carences sociétales actuelles. L’homo Congolus est donc porteur de toutes les structures et mécanismes anatomiques, et physiologiques de la catégorie universelle en phase avancée appelé l’homo sapiens sapiens. Cependant la dimension ontologique se réfère à la substance immatérielle de l’Etre qui fait de lui l’Etant distinct qu’il est. En d’autres termes c’est la teneur matricielle, le protocole profond « kamanien » qui pose problème. De tous temps, le captage ontologique a été opéré à partir de l’observation d’une existentialité. L’ontologique n’est nullement une sorte de catégorie nouménale déchiffrable par une sorte de transe métaphysique. Certes, l’existence en elle-même, de par l’incidence sociologique et environnementale, peut moduler ou modeler une opérationnalisation de l’Etre. C’est-à-dire que l’on ne peut pas déduire les données ontologiques à partir de l’existentialité avec la présomption d’une cognition porteuse de véracité absolue.
Sous cette lumière, l’Etant essentiel dans le congolais, activateur de son existence, peut se cerner sur le champ ontologique par les substances idéiques et les données de la pensée matérialisée. A ce sujet, sans prétendre produire un système philosophique novateur ambitionnant une résolution définitive et impeccable de cette énigme, je me contenterais (en toute humilité) de proposer la thèse d’un système idéique symbolique plutôt que conceptuel dans l’ontologie congolaise. Au plan des données activatrices de la pensée, je cernerais un mode de pensée extrapolatif plutôt qu’analytique. En d’autres termes, les congolais, surtout tel qu’observés dans leur discursivité politique (particulièrement dans les réseaux sociaux), semblent avoir un Etre superstructurel essentiellement porteur des idées-symboles, plutôt que des idées-concepts. La première catégorie est imagée, superficielle, sans norme opératoire imposant un impératif rigoureux d’intelligibilité. La deuxième catégorie est substantielle. Elle opère avec des notes d’intelligibilité exigeant absolument « une conformité relationnelle Esprit et réalité » dans la concrétude («adaequatio rei et intellectus » de Saint Thomas d’Aquin)
On se trouve ici, dans une certaine mesure, dans « l’ontologie politique de Martin Heidegger » (Pierre Bourdieu, 1975). Sous cet angle, on pourrait asserter qu’il y a absence de censure dans la structure sociétale sur l’impératif de la conformité de l’intérêt expressif de type politicien avec la norme contractuelle du langage dans sa prise sur la réalité ou sa production de la réalité tangible. Ainsi par, exemple, on parle « coalition » (Union Sacrée de la Nation, par exemple) censée être une coagulation de vision, des acteurs, pour des projections et projets communs de progrès collectif, alors que les opérateurs de ladite coalition ne sont en réalité que dans un échafaudage-attelage politicien servant un « intérêt expressif » en déphasage avec la norme quintessentielle véridique du concept et la matérialité d’une coalition. C’est aussi à ce niveau que l’aspect de la pensée extrapolatif se dévoile. Tout l’Etre est sur le mode de la transposition symbolique, au lieu de la construction intellectuelle permettant une matérialisation aussi véridique que normative d’un concept. On se retrouve devant une réalité ontologique, anthropologique et politique dramatique : toute la société est dans une fausse conscience productrice des opérationnalisations organisationnelles et institutionnelles aléatoires-infécondes. Et les politiciens sont dans des distorsions cognitives non éloignées des hallucinations démentielles porteuses du syndrome messianique. Chacun se veut le sauveur, même ceux qui n’ont rien produit de structurant ou de systémique. Et dans ce populisme ambiant, avec un périlleux militantisme réfractaire à la logique, à l’analytique, la Res Publica est catapultée à l’âge de l’obscurantisme et du monoideisme médiéval. Toute la société subie dans des gémissements abasourdissants le dictat de la horde et des ancrages dans les allégeances primaires – on sublime cela comme du « pragmatisme ». On est sorti de la République comme « espace de l’éclosion de la raison, de l’éthique et de l’esthétique » dans le prisme Kantien.
2. L’impératif d’un mouvement républicain du transsubstantialisme congolais
Une observation universelle et intemporelle : toutes les nations ayant réalisé des mutations politiques, économiques et sociales remarquables et durables, ont été impulsées par les mouvements ou les dynamiques spirito-intellectuelles. De la Renaissance aux Lumières productrice de l’ère moderne (et post-moderne, en dialectique), sous fond d’un christianisme remodelé par infusion scholastique, ayant produit la civilisation occidentale contemporaine, en passant par le Shintoïsme, le Confucianisme-Taôisme, ayant servi des ressorts au développement au Japon et en Chine, l’évolution fulgurante de ces sociétés ne s’opère pas ex-nihilo. Et plus remarquable encore, les idéologies et les techniques scientifiques sont venues se poser (ou se féconder) par les systèmes spirito-intellectuels préexistants. Cela a produit, comme les expériences des miracles des Tigres Asiatiques le démontre, une synergie entre le préexistant (qui est aussi une construction primordiale) et les systèmes idéologiques ou institutionnelles modernes. Ces derniers sont tamisés, réorientés, adaptés, par le corpus de référentiels normatifs premiers, pour une productivité intellectuelle et matérielle remarquable. L’une des aberrations des théoriciens et autres experts du développement en Afrique, voire des pseudo-panafricanistes, est la prescription des paradigmes de développent dans le hiatus ontologique et la répudiation irraisonné des systèmes modernes universels, sans construction d’un pré-Etant – quel l’on appelle dans des incantations pseudo-philosophiques infécondes depuis 1960.
Sous cette lumière donc, mon argument est que les déficiences fondamentales, premières, quintessentielles révélées ci-haut, imposent une modalité de réinvention ontologique, capable de nous permettre de mieux maitriser les systèmes de pensées, les paradigmes politiques et économiques, voire technologiques, à partir d’un arsenal référentiel de base. A cet effet, je propose l’adoption du Transsubstantialisme Congolais comme mouvement philosophique, fondé sur l’ontologie rationaliste congolaise, nourrie par la Maât Kémétique (Egyptienne) comme cosmogonie en conjonction avec l’imaginaire d’Ishango, la puissance de la Force Vitale Bantoue : nos Esprits peuvent déceler, dévoiler, inventer, produire, innover. C’est l’âge de l’élévation de l’Homo Congolus » à la strate supérieure où il devient le Muntu idéalisant et matérialisant son monde selon sa cosmogonie. La Maât qui est éminemment Africaine, et qui a inspiré les Grecs et les Romains (Bernadette Menu, « Maât, ordre social et inégalités dans l’Égypte ancienne, 2015), peut raisonnablement servir de référent premier à notre réinvention ontologique.
Conclusion :
Le développement accéléré et durable est possible par la réinvention ontologique congolaise
Dans plusieurs cogitations, j’ai recouru à la théorisation de l’illustre Philosophe Congolais Valentin Mudimbe sur l‘Invention de l’Afrique (The Invention of Africa Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge, Indiana University Press, 1988), pour y puiser la thématique de la Réinvention du Congo. Dans cette optique, la réinvention du Congo passe par une reconceptualisation-reconstruction ontologique qui définit et détermine notre Etre essentiel tant dans sa contextualité que dans son aspiration à la contemporanéité (qui devrait nous amener aux productions des standards aussi mondiaux). Aujourd’hui, dans cette dispensation spirito-intellectuelle doublement obscurcie par les hallucinations politiciennes et les effets affaissants de la Covid-19, la République a perdu la raison : elle est dénuée des référentiels superstructurels de l’action. Il y a absence de leadership réflexif. On nous impose des slogans comme référents de l’action collective au lieu d’une vision canonique. Une République sans arsenal conceptuel directeur de la pensée et de l’action. Nul ne sait dire aujourd’hui, où est l’Esprit ou l’Ame du Congo. L’Eglise, les Institutions Etatiques, l’Armée, l’Université, l’Entreprise, la Famille, l’Ecole, la rue, le parti, sont tous porteurs des mêmes apories et pathologies. Vacuité en leadership luminescent. Une République sans « Gardiens » (Platon, La République), ces porteurs de la flamme Prométhéenne illuminant la société. Pour enclencher une dynamique des mutations profondes structurantes et propulsant, le transubstantialisme est une auto-reprogrammation « Imhotepienne » pour une permanente transformation et innovation existentielle. C’est toute notre substance qui doit être remodelée, renouvelée. Le transsubstantialisme Congolais est un rationalisme éthique, esthétique, épistémique, et créatif qui peut faire de nous des convertisseurs des idées cohérentes en actions matérielles tangibles conformes aux normes technoscientifiques contemporaines. Et pour puiser chez Noah Harari, nous ne pouvons réaliser des accomplissements aux standards mondiaux qu’en atteignant la plénitude de notre statut d’homo sapiens-sapiens, le seul Etre à produire un imaginaire, à y croire et à le matérialiser.
Imhotep Kabasu Babu K. Libre-penseur et Ecrivain, initiateur d’AGIR NEW CONGO