Lorsque la France s’emparait de larges parties du territoire marocain pour créer l’Algérie et la doter de frontières n’ayant pas de base légale
Abdelhamid El Ouali juriste reconnu, professeur émérite, est un spécialiste de la territorialité étatique. Il est notamment l’auteur de « Territorial Integrity in a Globalizing World. International Law and Stastes Quest for Survival », Heidelberg/New York, Springer, 2012. Ci-après, il analyse, reconstitue et expose l’évolution historique du territoire marocain et montre, d’une manière définitive, la responsabilité historique de la France à l’égard de l’intégrité territoriale du Maroc.
On le sait, la France s’obstine à ne pas vouloir reconnaitre la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Pourtant, elle est à l’origine de la désintégration du Maroc, ainsi que du legs de graves problèmes territoriaux, dont en particulier ceux relatifs aux frontières algéro-marocaines et à la question du Sahara. Au Maroc, cette attitude totalement incompréhensible nous pousse aujourd’hui à vouloir exhumer le passé, le but étant non pas de chercher à mettre de l’huile sur le feu, mais à amener la France à faire son examen de conscience afin de préserver un avenir qui doit être commun tant nos relations sont profondes.
Afin de se faire une idée de l’ampleur de la désintégration dont a fait l’objet le Maroc pour servir les desseins coloniaux de la France, et dont le processus a été initié à partir de 1844-45, il est nécessaire de rappeler en quoi consistaient l’Etat marocain, ses composantes territoriales et humaines ainsi que la place qu’il occupait dans son environnement géographique.
L’Etat marocain avant la pénétration coloniale française
Le Maroc est l’un des plus anciens pays au monde. Il est né (environ quatre siècles avant la France) d’un processus de territorialisation engagé à la fin du 8e siècle par Idriss 1er, descendant du Prophète et son fils Idriss II qui créa la ville de Fès pour en faire la capitale du futur royaume Idrisside. Le processus de territorialisation aboutit très vite à unifier de larges parties du territoire marocain grâce à l’islamisation de la population berbère. C’est depuis lors que l’Islam devient l’élément central sur lequel se fonde le pouvoir politique au Maroc. Néanmoins, si les Idrissides, venus d’Arabie, créent ainsi le Maroc, ce sont les dynasties berbères, les Almoravides, les Almohades et les Mérinides, qui, toutes originaires du Sahara, vont, du 11e au 16e siècle, donner au Maroc son identité arabo-berbère et musulmane et sa large assise territoriale.
Les premières grandes dynasties réussissent à jeter les bases de l’identité marocaine grâce au brassage qu’elles parviennent à effectuer entre les immigrants arabes, venus par vagues successives, et la population berbère endogène. Ce brassage n’a pas été une tâche difficile car « La population marocaine a été, dès le départ, remarquablement homogène comparativement aux populations du Moyen Orient. Elle est constituée (seulement) de deux principaux groupes linguistiques, les Berbères et les Arabes, et (seulement) aussi de deux obédiences religieuses, les Musulmans sunnis du rite malékite, et les Juifs. La distinction entre un Arabe et un Berbère n’a jamais été claire car le bilinguisme était courant, en particulier dans les régions se situant entre la plaine et les montagnes. Les mêmes coutumes et modes de vie prévalaient entre les deux groupes » [1].
Les premières dynasties, qui font de Marrakech leur capitale, dotent aussi le Maroc de larges territoires dont les frontières s’étirent de la Méditerranée jusqu’aux aux confins de l’Afrique noire et de l’Atlantique au Sahara Central (Gourara, Touat et Tidikelt) [2]. L’ensemble de ces frontières est préservé par les dynasties qui leur succèdent au pouvoir. Ces dernières élargissent la base territoriale du pays vers l’Afrique noire et finissement par faire du Maroc un pays profondément africain grâce au brassage avec la population locale qui adopte l’Islam, et au développement du commerce transsaharien, lequel devient la colonne vertébrale de l’économie marocaine.
Carte du Ministère de l’armée de France (1848) qui inclut le Touat, le Gourara et Tidikelt dans le territoire marocain. Carte mentionnée par Trout. C’est la meilleure étude qui ait été faite sur les frontières du Maroc.
La force du Maroc résidait ainsi dans la congruence entre un Etat puissant (le « Makhzen’, n’en déplaise à certains nostalgiques en France de la colonisation qui cherchent à donner à ce terme une connotation péjorative) et une population homogène. Cette congruence était scellée par la Beia dont E. Burke a bien saisi la particularité dans le contexte marocain en observant que « Les réalités de la structure de l’Etat marocain sont bien complexes. Il est, d’abord, nécessaire de bien saisir la nature de l’autorité du Sultan. La légitimité de ce dernier réside en fait dans sa capacité à remplir les premiers devoirs qui incombent à tous les chefs musulmans : défendre la terre de l’Islam contre les agressions étrangères et gouverner d’une façon juste, c’est-à-dire en conformité avec les préceptes de la Loi sainte, la charia » [3].
La force de l’Etat marocain provenait aussi du fait qu’il régnait sur un vaste territoire, qui était la source d’une grande partie de sa richesse. Celle-ci provenait notamment du commerce transsaharien, de l’exploitation des terres agricoles des plaines du Gharb qui faisaient du Maroc le grenier de l’Europe de l’Ouest, en particulier pour ce qui est du blé, et de l’ouverture du pays au commerce international, facilitée par la construction de nouveaux ports sur l’Atlantique, et qui renflouait les caisses de l’Etat grâce aux taxes douanières.
Au début du 19e siècle, le Maroc apparait aux yeux des pays européens comme un pays prospère, qui suscite le respect. Il exerce même une certaine attraction sur les responsables de ces pays [4]. Mais tout va basculer à la suite de la défaite d’Isly.
La défaite d’Isly : un point de rupture dans l’histoire du Maroc
Tout va changer, en effet, à la suite de la défaite que le pays subit en 1844 face à la France, après qu’il a apporté son aide militaire aux Algériens qui luttaient contre cette dernière. La France venait, à l’époque (1830) d’envahir la Régence turque d’Alger, qui consistait en une étroite bande côtière au Sud de la Méditerranée où elle va créer de toutes pièces un nouveau Département auquel elle donnera le nom d’Algérie [5].
La défaite face à la France a été un révélateur de l’extrême faiblesse de l’Etat de type traditionnel lorsqu’il lui arrive d’être confronté à un Etat moderne. C’est l’amère découverte que font les Marocains au lendemain de cette défaite car « plus qu’aucun autre événement avant elle, la défaite de 1844 a montré l’inefficience de l’ordre traditionnel lorsqu’il se trouve en confrontation avec une Europe qui vient de connaître la plus puissante révolution technologique que l’homme n’ait jamais connue. Elle a constitué un point de rupture dans l’histoire du Maroc dans la mesure où elle engendrera des réformes et des changements qui vont remettre en cause les vieux schémas et précipiter la transformation de l’Empire » [6].
A l’issue de la guerre, la France impose au Maroc le fameux traité de Lalla Maghnia du 18 Mars 1845 dans lequel s’incarnent les prémices du futur projet colonial français au Maroc [7]. C’est ainsi que, contrairement aux demandes insistantes et répétées du Maroc, la France ne consent à fixer les frontières entre ses possessions algériennes et le territoire marocain que sur une ligne de 150 Kms environ allant de l’embouchure de l’oued Kiss sur la Méditerranée (près de Saidia) jusqu’à Teniet es-Sassi. Elle s’emploie à laisser indéterminée la zone qui va de ce point jusqu’à Figuig, se contentant de répartir les tribus entre elle et le Maroc, et en estimant qu’au Sud de Figuig, le désert étant inhabitable, la fixation des frontières serait superflue [8]. Si la France refuse ainsi de fixer les frontières, c’est parce qu’elle a en vue d’occuper ultérieurement, lorsqu’elle s’en donnera les moyens diplomatiques et militaires, les territoires de l’Est marocain, dans une première phase et le reste du territoire marocain dans une phase ultérieure.
Le grignotage du territoire marocain au profit de l’Algérie française
A partir de 1847, la France mène, en partant de la région de Figuig, des expéditions militaires et scientifiques en direction du Sud en vue de reconnaitre le territoire et aussi pour faire montre de sa puissance. La France accordait une grande importance à cette région parce qu’elle « constituait un monde inséré dans les grandes voies de circulation qui traversaient le Sahara d’Est en Ouest et du Nord au Sud » [9]. Elle était ainsi intéressée, dès cette époque, par les grandes oasis du Touat, de Gourara et Tidikelt.
Mais, avant d’ouvrir la voie au démembrement du territoire marocain, la défaite d’Isly est suivie, dans l’immédiat, par une forte pénétration étrangère sur le plan économique et commercial. Cette pénétration, menée d’une façon agressive par les marchands, spéculateurs et aventuriers européens [10], va avoir pour effet de déstabiliser l’économie marocaine qui n’a pas été conçue pour faire face à une telle situation. C’est à partir de ce moment que le Maroc commence à être confronté à une sérieuse crise de sa balance commerciale, de sa monnaie ainsi que de ses finances publiques. Cette crise va aussi s’approfondir à la suite de sa seconde défaite militaire (1860) face à une puissance européenne, celle-ci étant cette fois-ci l’Espagne.
Le recours à des méthodes répréhensibles
Pour ce qui est du grignotage du territoire marocain, qui sera encouragé par les colons français installés en Algérie, la France s’y emploie, en fait, dès la signature du traité de Lalla Maghnia en 1844. C’est ainsi qu’elle cherche, d’abord, à faire appel aux procédés traditionnels de pénétration coloniale : envoi de missions de reconnaissance du terrain et de collecte des données politiques, sociales et humaines locales, harcèlement des postes militaires marocains, politique de division des tribus marocaines, création de toutes sortes de barrières entre les populations et les autorités locales et centrales marocaines, coupure des voies de communications et des circuits traditionnels d’échange entre les différentes parties du Sahara central marocain et le reste du pays, recours à des expéditions punitives contre les populations pour les dissuader de manifester leur attachement ancestral à leur marocanité, etc. Mais la pénétration française rencontre de très grandes difficultés en raison d’une résistance acharnée et déterminée des populations locales encadrées par les représentants de l’Etat marocain. Il n’est pas étonnant, à cet égard, que le territoire sur lequel le Maroc exerce un contrôle plus ou moins effectif englobe encore à la fin du 19e siècle, à la veille de la soumission du pays à la domination coloniale, le Sahara Central (Gourara, Touat et Tidikelt) [11], Tombouctou, le Sahara occidental et la Mauritanie [12].
Certes, de larges parties du territoire marocain commencent à être envahies au Sud et à l’Est par la France. Mais le Maroc ne garde pas le silence sur ces amputations territoriales. C’est ainsi que Moulay Hassan réitère en 1879 et 1880 que le territoire du Maroc s’étend jusqu’au fleuve Sénégal et inclut des parties du Soudan [13]. La réaction de Moulay Hassan est aussi dictée par le discours colonial français de l’époque qui vise à faire accréditer l’idée que le Draa est la limite naturelle du Maroc [14].
L’occupation du Sahara central en vue de couper le Maroc de l’Afrique et de désenclaver l’Algérie française
En fait, la France est intéressée par l’annexion de tout le Maroc, dont la possession est considérée comme « une nécessité vitale pour le succès de son entreprise coloniale en Afrique. Car le Maroc est perçu comme la clé de voute sans laquelle la France ne pourrait pas espérer consolider sa présence dans les larges territoires africains qu’elle vient d’occuper, ni contrôler les routes commerciales qui vont du même Maroc jusqu’à l’Afrique noire »[15]. C’est dans cette perspective que la France parvient en 1890 à arracher à l’Angleterre un accord par lequel celle-ci lui reconnaît une zone d’influence allant du Sahara central marocain jusqu’au Niger.
La France cherche alors à occuper le Sahara central marocain. Elle y est aussi poussée par les colons français en Algérie, qui voulaient désenclaver l’Algérie pour lui donner un accès à l’Atlantique et couper le Maroc du Sahel de manière à créer une liaison sure entre l’Algérie et les colonies françaises d’Afrique. Mais il faudra à la France, pour parvenir à ses fins, jeter dans la bataille d’énormes forces militaires qui mettront à feu et à sang les centres névralgiques des trois régions marocaines qui sont le Gourara, le Touat et le Tidikelt. Elle ne parvient à occuper ces trois régions qu’entre 1900 et 1902, mais au prix d’un véritable génocide dont l’un des témoins français reconnaîtra, par la suite, que : « je ne crois pas qu’il y eut de massacre comparable à ceux de 1901. Les chacals et les vautours seuls chargés de la voirie ont été débordés par l’immensité de la besogne. Toutes les populations ont été décimées et leurs chefs supprimés »[16].
La conclusion d’accords (1901 et 1902), qui, selon la France elle-même, ne procèdent pas à une cession de souveraineté.
Curieusement, la France ne cherche pas à obtenir la reconnaissance par le Maroc de l’annexion de ces régions. En effet, les deux accords de 1901 et 1902, qu’elle lui impose, ne procèdent pas à une cession de souveraineté en sa faveur. Ils lui accordent tout au plus la responsabilité du maintien de l’ordre dans ces régions [17], dans lesquelles certains ont pu voir une « sphère d’influence »[18] ou un « simple droit d’occupation militaire »[19].
C’est qu’en France, on estimait qu’il fallait garder les mains libres pour éventuellement occuper d’autres territoires car, ainsi que l’avoua, le 9 janvier 1886, le ministre français des Affaires « « Il y aurait plus d’inconvénients que d’avantages à préciser au Sahara les limites de l’Algérie et du Maroc »[20]. Pour le Gouvernement français de l’époque, la meilleure des frontières était donc celle qui n’était pas déterminée. Cette doctrine offrait, aux yeux des Français, un double avantage : on évitait, d’une part, de soulever de délicats problèmes de souveraineté, et on ménageait, d’autre part, l’avenir d’une éventuelle expansion en direction du Maroc.
Après avoir occupé le Sahara central, la France cherchera à partir de 1904 à occuper Tindouf, mais elle n’atteindra son objectif qu’en 1934. L’occupation de Tindouf sera désastreuse pour le Maroc car elle aura pour effet de fermer le dernier point de contact qui lui restait avec l’Afrique[21].
L’instauration du protectorat ne met pas fin au grignotage du territoire marocain
L’instauration du protectorat en mars 1912 ne met pas fin au grignotage du territoire marocain, bien que le fondement de cette institution soit de protéger/préserver l’intégrité territoriale du pays protégé. C’est ainsi que la France procède unilatéralement à l’annexion de la partie du territoire marocain qui se trouve au Nord du Sahara central(Gourara, le Touat , Saoura et Tidikelt) et couvre toute la zone qui va de l’Est (à partir de Teniet es-Sassi) jusqu’à l’Ouest, vers le Sahara occidental marocain où l’Espagne cherche à s’installer, à la fin du 19e siècle, avec l’aide de la France. Elle le fait en deux étapes, la première correspondant à l’adoption en 1912 d’une limite administrative, dite Ligne Varnier (qui incorpore notamment Colomb Béchar), et la seconde en 1938, d’une limite militaire, dite Ligne Trinquet (qui incorpore Gara Jbilet, où d’importants gisements de fer venaient d’être découverts)[22]. Mais ces deux lignes ne sont pas opposables au Maroc car elles contreviennent à l’esprit et à la lettre du Protectorat, qui obligent l’Etat protecteur à garantir et préserver l’intégrité territoriale de l’Etat protégé. Il semble que le Maroc aurait adopté en 1928 une loi par laquelle il aurait donné son consentement à la Ligne Varnier, mais qu’il n’a jamais reconnu la Ligne Trinquet[23] .Or, il est fort douteux que le consentement soit libre lorsqu’un pays est soumis à la situation de dépendance que crée par définition l’institution du protectorat.
Les « frontières », léguées par la France, manquent de base légale
On aura constaté que toutes ces frontières manquent de base légale et que de ce fait elles ne sont pas juridiquement valides, donc opposables au Maroc. Or, ce sont ces « frontières » dont hérite l’Algérie lorsqu’elle devient indépendante en 1962.
On le sait, en 1961, les dirigeants de la Révolution algérienne reconnaissant le caractère arbitraire des frontières, et s’engagent à procéder à leur révision une fois l’indépendance acquise. Néanmoins, au lendemain de son indépendance, l’Algérie récuse son engagement de négocier et de rétablir la vérité en ce qui concerne les frontières algéro-marocaines. Elle opte, à son tour pour la continuation de l’occupation pure et simple des territoires marocains envahis par la France. Ainsi, dès 1962, elle fait appel à tous les faux fuyants pour échapper à ses engagements. Bien plus, elle procède à des harcèlements et des attaques contre les postes frontaliers algéro-marocains, ce qui aboutit à la guerre de 1963. Mais, l’attachement du Maroc à la solidarité et à la fraternité maghrébines le pousse à ne pas tirer profit de l’avantage acquis sur le terrain et à accepter le cessez- le – feu préconisé par la Conférence des chefs d’Etats africains réunis à Bamako les 29 et 30 Octobre 1963. Lors de cette conférence, l’Algérie s’engage à ouvrir des négociations avec le Maroc sur la base de propositions concrètes à formuler par une commission de médiation à créer par l’OUA. Mais, de telles propositions ne verront jamais le jour parce que l’Algérie et les pays africains qui avaient bénéficié de la manne territoriale coloniale et dont les éléments les plus actifs étaient animés par des sentiments anti-marocains vont réussir à créer une situation inextricable en matière de règlement des différends territoriaux en Afrique, en poussant l’OUA, par une véritable supercherie juridique et politique, à adopter le principe dit de l’intangibilité des frontières coloniales[24] et à s’ériger ainsi, comme elle le fera plus tard dans l’affaire du Sahara occidental, en juge et partie dans un litige au règlement duquel elle était censée contribuer sur la base du respect de la légalité, de la justice et de l’équité internationales.
Mais le Maroc rejette le principe de l’intangibilité des frontières, qui est en fait un non-sens juridique parce que qu’il repose sur une contradiction intellectuellement inacceptable [25]. Cette contradiction est très simple : ou le principe de l’uti possidetis signifie la prise en compte des titres juridiques, et alors l’on est en présence de la situation que régit depuis toujours le Droit international lorsque deux Etats consentent, dans le cadre de rapports égalitaires établis en temps de paix, à recourir au droit pour trancher leurs litiges territoriaux ou frontaliers, ou au contraire le principe de l’uti possidetis signifie la prise en compte d’une situation de fait qui n’est autre que l’occupation territoriale, en tant que mode d’acquisition territoriale prévalant dans les relations entre conquérants et conquis.[26]C’est pour cette raison que le principe de l’intangibilité des frontières n’a jamais été consacré par le Droit International[27].
Certes, l’Algérie a cherché à convaincre le Maroc de renoncer à ses revendications, notamment celle de Tindouf, par la conclusion de l’accord de Tlemcen du 27 mai 1970, en contrepartie de l’exploitation en commun des gisements de fer de Gara-Djebilet, puis de conclure le traité d’Ifrane de 1972, qui entérine ces frontières. Cependant, ce traité est lui aussi juridiquement invalide car il a fait l’objet d’une ratification imparfaite (absence d’approbation du Parlement marocain)[28].
La création du « Sahara espagnol » par la France
La France ne s’est pas contentée d’annexer à l’Algérie une très grande partie du territoire marocain, elle a aussi aidé l’Espagne à s’installer au Sahara occidental marocain, à partir de la fin du 19e siècle. A l’époque, l’Espagne est une puissance déchue, qui vient de perdre ce qui lui restaient comme colonies, Cuba et les Philippines (1898). Elle est dans un état d’arriération tel qu’il lui est difficile de tirer avantage de la mondialisation et encore moins de se lancer, comme les autres puissances européennes, dans la course à la colonisation[29]. Aussi s’en remet-elle à la France, avec laquelle elle entretient d’excellentes relations[30], pour l’aider à prendre pieds au Sahara occidental marocain[31]. De fait, la France fera preuve d’un remarquable excès de zèle en « autorisant » l’Espagne à s’installer au Sahara, comme si elle jouissait d’un droit de souveraineté sur ce dernier. Une série d’accords sont ainsi conclus entre les deux pays, de 1896 à 1912[32]. Ces accords fixent les « frontières » entre les possessions françaises au Maroc et le Sahara occidental marocain. Comme le rappelle Munene Macharia[33], c’est donc la France qui, en définitive, déterminera les frontières du Sahara. La France ira plus loin encore en « accordant » à l’Espagne le statut d’Etat protecteur au Nord du Maroc et dans la région du Sahara. Elle interviendra aussi militairement à plusieurs reprises pour lui permettre de s’y maintenir, la dernière intervention étant celle effectuée en 1958 (Opération Écouvillon)[34].
Ainsi donc, la France est-elle responsable de la désintégration du territoire marocain. Elle est aussi responsable de la perduration du conflit du Sahara en refusant de reconnaitre que c’est elle qui, à l’origine, a conçu et exécuté la politique visant à détacher ce dernier du Maroc. En agissant ainsi, la France fait non seulement fi de la réalité, mais compromet aussi la situation privilégiée qu’elle a pu avoir auprès d’un grand nombre de citoyens marocains, malgré les aléas de l’histoire.