L’Udps aurait-il pris le pouvoir trop tôt ? Ou trop tard ?

Il s’appelait Jacques Nangana. Un cousin qui n’avait pas son pareil dans les blagues. En réaction à toutes les misères qui s’enchaînaient dans sa vie d’enseignant, il s’était demandé un jour, et encore à très haute voix, si Dieu ne l’avait pas placé sur ce plancher des vaches trop tôt ou trop tard ! C’est en pensant à lui – paix à son âme – que l’idée de cette livraison a surgi, cela au regard de l’impasse à laquelle le parti présidentiel reconduit l’Etat, s’agissant du fonctionnement des institutions.

Dans son article 69, la Constitution en vigueur dispose à l’alinéa 1 : “Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il représente la nation et il est le symbole de l’unité nationale”.

L’énoncé de l’alinéa 2 est : “Il veille au respect de la Constitution”. Et celui de l’alinéa 3 : “Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux”.

Peut-on dire, au regard du désordre institutionnel actuel, que 120 jours après la tenue des élections de novembre 2024 ou 90 jours après l’investiture de Félix Tshisekedi, que le Chef de l’État exerce pleinement ses prérogatives décrites dans l’alinéa 3 ?

Si on ne verse pas dans le fanatisme, on reconnaîtra que cela n’est pas le cas. La preuve est que la République Démocratique du Congo est aujourd’hui sans Assemblée nationale, sans Sénat et sans Gouvernement pendant que le fonctionnement de la Cour constitutionnelle est sous hypothèque, n’en déplaise à certains juristes.

Pire, l’institution Président de la République est, elle-même, mise dans l’incapacité de s’assumer pleinement dans les matières impliquant les autres institutions.

Cela a été suffisamment démontré dans la livraison intitulée “Le Gouvernement Tuluka bloqué par l’Assemblée nationale bloquée par la Cour constitutionnelle bloquée pour cause des juges fin mandat” du 8 avril dernier.

Dans la même livraison, rappel a été fait du temps perdu au lendemain de l’investiture de Félix Tshisekedi pour la mise en place du Gouvernement Sylvestre Ilunga Ilunkamba. L’investiture du Président de la République avait eu lieu le 24 janvier 2019, celle du Gouvernement le 6 septembre de la même année. Soit près de 7 mois.

C’est vrai qu’à l’époque, il y avait la cohabitation FCC-CACH.

Mais, depuis janvier 2021, Félix Tshisekedi dispose d’une majorité confortable au Parlement avec effet direct sur le Gouvernement, majorité consolidée à la faveur des élections de décembre 2023 sous le label ” Union sacrée de la nation “.

Question : pourquoi alors les choses traînent-elles ?

Réponse : c’est parce que, de janvier 2021 à décembre 2023, le parti présidentiel n’a pas réfléchi à la formule d’une mise en place rapide des institutions politiques de la République dans les délais les plus courts, une fois l’investiture du chef de l’Etat effectuée. C’est-à-dire étudier la formule d’un calendrier électoral qui favorise le rapprochement des délais.

Le seul changement opéré aura été de permettre aux ministres candidats aux élections de garder leurs portefeuilles au Gouvernement, peu importe qu’ils aient été élus ou pas ! D’où cette incongruité de voir des ministres en fonction conserver leurs mandats de députés nationaux ou provinciaux en attendant l’investiture du nouveau gouvernement central ou provincial dont personne ne connaît la date d’installation.

Pourquoi en faire le reproche seulement à l’Udps ? Réponse : l’Udps est le parti qui promet depuis le 15 février 1982 le Changement dans ce pays. C’est le parti qui a eu tout son temps (presque 4 décennies) pour réfléchir à la question.

En 2019, il a vécu cette situation dans sa chair. Et voilà qu’en 2024, 5 ans après, il la revit.

Moralité : il ne s’est pas véritablement apprêté pour exercer le pouvoir d’Etat.

Juste un exemple : est-ce normal que pour le poste de 1er vice-président du Bureau de l’Assemblée nationale, l’Udps ne lance qu’à partir du jeudi 12 avril 2024 l’appel à candidature pendant que la procédure devrait être envisagée lors du dépôt des candidatures aux législatives en 2023, ou tout au plus au lendemain de la proclamation des résultats des législatives !

Certes, il y a eu la candidature d’abord confirmée puis rétractée d’Augustin Kabuya aux sénatoriales. Mais, c’est une candidature qui devait être convenue plus tôt.

Il en est de même du choix des membres des Bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. Rien ne justifie le retard, si ce n’est la navigation à vue.

Pendant ce temps, nommée le 1er avril 2024, C’est-à-dire après 1 mois et 3 semaines des consultations menées par l’informateur Augustin Kabuya, la Première ministre Judith Tuluka Suminwa s’est mise elle-même en consultations pour la formation de son Gouvernement, exercice pouvant consommer deux ou trois semaines.

Sur ces entrefaites, la Cour constitutionnelle – du moins ce qui va en rester puisque certains juges sont fin mandat depuis le 4 avril dernier) – annonce pour le lundi 15 avril 2024 des corrections des *”erreurs matérielles de contentieux des résultats des élections législatives nationales”.

Selon l’extrait de rôle publié à cet effet, 40 affaires sont concernées.

Conséquence : on rentre dans d’autres validations et invalidations, entendez une autre recomposition de la Majorité et de l’Opposition parlementaires…

Dans tout ça, la meilleure – puisqu’elle en est une – est la fameuse “disparition” momentanée du Chef de l’Etat pendant une semaine. Les commentaires vont dans tous les sens, sauf le bon !

Le bon se traduit par cette question : qui, pendant cette période de disparition, assume l’intérim ?

Honni soit mal qui y pense !

Félix Tshisekedi n’est pas n’importe qui. C’est l’Institution faite homme ou chair, pour emprunter le langage chrétien. C’est la seule Institution pour laquelle le législateur a prévu un mécanisme de vacance, selon l’article 75.

Qu’il soit au pays ou à l’étranger, qu’il soit dans son lit en train de méditer ou de dormir, qu’il soit à table en train de manger ou dans son bureau en train de travailler, qu’il soit à l’église en train de prier ou au stade en train de suivre un match, qu’il soit en plein meeting ou à un lieu de deuil, qu’il soit même devant sa piscine dans un rocking chaire en train de se reposer, bref peu importe la situation dans laquelle il se trouve, l’intérim est sur lui comme l’épée de Damoclès !

Et comme l’a fait remarquer Me Carlos Mupili dans une chaîne de télévision, la personne habilitée à assumer l’intérim est le président du Sénat.

Question : dans la configuration institutionnelle actuelle, où est le Sénat ! Et qui en est légalement le président !

Au regard de ce qui précède, la vérité à retenir est que Félix Tshisekedi vient de mettre en danger la République !

Pour peu que ses proches en (re)prennent conscience, il ne s’agit pas d’un exploit à féliciter. Lui témoigner de l’admiration comme on est en train de le faire depuis son retour à Kinshasa revient à détester l’Institution et, par effet d’entraînement, son animateur.

En définitive, l’Udps donne l’impression de n’avoir pas été prêt pour la prise du Pouvoir d’Etat en janvier 2019. Ce qui est excusable.

Mais, en transformant cette impression en conviction, cela est inexcusable.

Et pour cause !

Dès janvier 2019, l’Udps aurait dû s’organiser pour pénétrer et comprendre le modus operandi de la gouvernance institutionnelle et apporter des correctifs là où il y avait nécessité. Cinq ans durant, il ne l’a pas fait. Il a même oublié que son premier et principal chantier devait être l’érection de l’Etat de droit maintes fois promis, un Etat de droit qui soit respectueux des Droits de l’homme et de la Démocratie, base de tout le reste (Progrès social).

En cette triple matière, chacun est capable de dresser le bilan exact du parti présidentiel. Ce bilan permet de déterminer si l’Udps n’a pas accédé au pouvoir trop tôt. Sinon trop tard…

Dans tous les cas de figure, c’est l’un et l’autre.

Omer Nsongo die Lema