Ne bradez pas le catholicisme contre les combines politiques ! (Protestation aux combines politiques de certains membres de notre hiérarchie catholique)
L’Eglise prend part aux joies et souffrances du peuple au sein duquel elle se situe. Vatican II l’a bien souligné dans un de ses documents : « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ » (Gaudium et spes, Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, § 1). Aussi les pasteurs interviennent-ils pour donner leur contribution aux efforts de redressement et de la construction de la cité terrestre. Mais cela ne veut nullement dire que c’est à la hiérarchie de l’Eglise de gérer l’administration du temporel. Nous ne devons pas tolérer que le bureau permanent de la CENCO devienne une structure de contrôle du fonctionnement des institutions de la République, qu’il se mette à donner des leçons au parlement de notre République comme si c’était un groupuscule d’ignares, qu’il se charge de juger les magistrats et de déterminer la marche de la CENI ! Un tel agissement est une insulte publique à nos institutions, même si ces dernières n’ont pas atteint leur vitesse de croisière. Selon la doctrine sociale de l’Eglise catholique, le secteur de la « mission séculière » pour la gestion du temporel en conformité aux valeurs évangéliques, incombe aux laïcs chrétiens. Comment ne pas faire confiance à nos laïcs chrétiens, formés et compétents, qui œuvrent à la CENI et qui ont fait un rapport d’une centaine de pages sur un audit que l’institution avait confié à un organisme étranger ? Serait-ce uniquement parce que le directeur de la CENI est d’origine de la même tribu qu’un des candidats à l’élection présidentielle ? C’est un scandale !
Pourquoi oublier si vite les avertissements du pape François en visite au pays dans son discours du 3 Février dernier, contre l’esprit mondain et politicien qui ferait que nos ecclésiastiques endossent le costume des entrepreneurs, des « maîtres », prompts à donner des leçons en dehors de leur mission propre ? (Voyage apostolique du pape François en République démocratique du Congo, éd. St Paul, Kinshasa, 2023, p.101 : « Mais attention, il ne s’agit pas d’une action politique. La prophétie chrétienne s’incarne dans de multiples actions politiques et sociales, mais telle n’est pas la tâche des évêques et des pasteurs en général » (p.104). De même le discours d’adieux du Nonce apostolique en R.D.C. Mgr Ettore Balestrero aux Evêques réunis au congrès eucharistique de Lubumbashi en Juin dernier, comporte de sérieuses mises-en-garde à ce sujet : « Si nous voulons que notre ministère puisse avoir des fruits, nous ne devons pas nous occuper de quelles sont les routes que je dois construire, les maisons que je dois faire, quels sont les changements que je dois obtenir dans le pays ! Parce qu’en réalité, le changement dans le pays ne dépendra pas directement de l’Eglise ; ce ne sera pas à nous les Evêques, pas à nous les prêtres, de changer le pays ; nous devons donner le principe : …amener et porter Dieu à ce pays ; nous sommes très préoccupés de faire ce qui ne relève pas de nous… ».
Il y aurait aussi à dénoncer des relents de tribalisme dans les propos du secrétaire général de la CENCO, quand il répand des rumeurs tribalistes discréditant les institutions de la République ! Selon lui, la CENI serait prise en otage par une tribu de la République, celle de son président Kadima ! C’est à se demander si, dans les prédictions de Mgr Nshole, il n’y aurait pas quelque scénario d’une réédition de multiples exodes luba depuis l’indépendance, scénario d’un retour au quota dans les universités et la fonction publique qui avait jadis amené plusieurs Luba à changer de noms et d’identité ethnique pour subsister ? Le spectre de l’épuration ethnique de 1990 s’agite à nouveau, et ce n’est pas un rêve : à l’annonce de la victoire de Tshisekedi au scrutin de 2018, souvenons-nous que des pillages de certaines parcelles et des massacres de quelques ressortissants de la tribu stigmatisée ont eu lieu à Kinshasa ; ces désordres étaient alimentés, entre autres par des allégations relatives à la fameuse « vérité des urnes », clamées en chaire et réitérées, de Monseigneur Nshole et du cardinal Ambongo. La banalisation du discours ainsi que la reprise des stéréotypes contre une tribu est un crime, car elle sème des germes d’une guerre civile et mine la cohésion d’une société. Un pasteur chrétien ne sème jamais la haine, mais la paix et la communion ; ses propos ne doivent pas faire le lit d’un éventuel « leader courageux » qui profiterait du chaos créé au pays en vue de prendre le pouvoir par les armes et de tirer son épingle du jeu politique.
Les pasteurs doivent éviter d’opposer les tribus les unes aux autres ; « Dieu est amour » (1 Jn 4,8), et tout envoyé de Dieu cultive l’amour. Aussi tout pasteur doit-il s’abstenir d’exposer ouvertement sa haine à l’égard du président de la République en exercice et des fonctionnaires de l’Etat ; sinon, ce pasteur se situe aux antipodes de sa mission. Le croyant est optimiste, car il sait que Dieu est présent et qu’il n’a pas abandonné son œuvre ; aussi le croyant relève-t-il tous les actes positifs qui sont posés, toutes les lueurs d’espoir dans un environnement ; il n’oublie pas d’attirer l’attention des fidèles sur les moindres réalisations positives d’un gouvernement.
A nous Catholiques, le Droit canonique nous demande le respect et l’obéissance à notre hiérarchie (canon 212) ; mais il y est aussi reconnu aux fidèles le droit de faire savoir leur opinion aux pasteurs : « selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ils (les fidèles) ont le droit et même parfois le devoir de donner à leurs pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes » (§ 3). Ainsi, à cause des interventions impromptues de son Eminence le Cardinal Ambongo et de Monseigneur Nshole dans le domaine politique, la religion catholique est de plus en plus décriée, et les fidèles catholiques deviennent la risée de différentes confessions religieuses en R.D.C. Il devient fréquent d’entendre dire dans la rue : « que la CENCO s’érige en parti politique » !
Nous admettons que le président Felix Tshisekedi n’est pas parfait, et qu’il n’inspire pas de sympathie à tous ; mais de là à essayer de répandre la haine à son égard dans la société et dans les assemblées liturgiques, cela devient une profanation du culte chrétien et de l’Eglise et nous avons le devoir de le dénoncer ; et comme théologien et prêtre, je m’en insurge. Loin de moi l’intention d’insulter son Eminence le Cardinal et Monseigneur le porte-parole et secrétaire général de la CENCO, car ils demeurent des membres de notre hiérarchie. Mais nul n’étant à l’abri des bavures, leurs opinions politiques, leurs analyses des situations socio-politiques, ne doivent pas passer pour celles de l’Eglise catholique de la R.D.C.; le cardinal au Congo ne représente pas l’Eglise catholique du Congo, mais l’archidiocèse de Kinshasa ; Mgr le secrétaire général de la CENCO est sous les ordres de l’évêque (actuellement Mgr Utembi) qui est président de la CENCO et duquel il devrait recevoir les ordres pour des déclarations relatives à ces sujets qui n’ont pas été débattus dans les assemblées.
Le processus électoral entamé depuis 2022 et qui arrive bientôt à son terme devrait être soutenu et non boycotté, quels que soient ses manquements ; car il y va du maintien du pays dans la stabilité et nous devons éviter de faire tomber nos institutions dans l’illégalité. Les déficiences de ce processus seront dénoncées et cataloguées pour des corrections ultérieures. L’histoire des démocraties est toujours jalonnée d’erreurs et de débordements, lesquels sont corrigés au fur et à mesure que les administrations mûrissent. Les 50 ans des régimes militaires en R.D.C. sans élections véritables, suffisent ; il faut être aveugle ou mal intentionné, pour ne pas constater que nous progressons, même à pas de tortue, depuis 2018 ; et ce n’est pas le moment de saper les efforts de la CENI précédente et actuelle, si nous aimons réellement notre pays, surtout en ce moment où il est infiltré à plusieurs niveaux, attaqué par des voisins et des prédateurs internationaux. Prêtre, théologien et historien des religions, je ne ferai jamais la propagande d’un politicien ni d’un parti politique ; je resterai « au milieu du village », prêt à voter pour ceux que je crois pouvoir faire progresser le bien être des congolais, et donner à notre peuple des raisons d’aimer leur pays, de se dépenser pour son essor, et d’espérer en son avenir. Que Dieu bénisse la R.D.C.
Prof. Abbé Kabasele-Lumbala François