Nous sommes fatigués des voleurs

Une phrase a fait sensation lors de la cérémonie d’investiture du Président de la République le 20 janvier 2024 au stade des martyrs. Implorant Dieu tout puissant de mettre à côté du Président réélu des femmes et hommes de qualité et de valeur, le célèbre Pasteur Roland Dalo a déclaré tout haut ce que le peuple congolais murmure depuis des décennies : ” nous sommes fatigués des voleurs, de ceux qui s’enrichissent, de ceux qui ne voient que leurs intérêts”.

Cette déclaration occupera, encore longtemps nos esprits, conversations, échanges et débats.

Ce message, accueilli par les applaudissements de toute l’assistance, est limpide en lui-même et n’appelle aucune explicitation supplémentaire.

Toutefois, puisque la République toute entière prétend que le Pasteur Dalo est un ami du Chef de l’Etat, on peut donc induire et même penser que Fatshi, notre béton national, savait ce qu’allait déclarer le Pasteur à propos des voleurs. Il suffit de revoir les images de la cérémonie pour constater la satisfaction de lauréat du jour au prononcé de cette phrase désormais historique. On peut donc affirmer que l’élu du peuple voulait que cette affirmation sorte de la bouche d’un religieux respecté.

Si cette perception est exacte, on peut donc considérer que la lutte contre les voleurs de la République est une composante importante de la vision, de l’idéologie et du projet politique de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Ainsi, il est permit de croire que Fatshi, par la bouche du révérend Dalo a lancé une véritable remise en question de caractère moral en République démocratique du Congo. Il y a ici une véritable révolution culturelle. Si les politiques et autres intellectuels décident de travailler à sa réelle mise en œuvre, ce tournant ouvrira la voie au Congo fort et prospère dont nous rêvons depuis bien longtemps.

En quoi cette déclaration constitue-t-elle une révolution et non une simple proposition d’évolution des pratiques ? Parce que mise en pratique, elle entraînerait un bouleversement considérable sous nos deux. Beaucoup, parmi nous, sont convaincus que lorsque l’on détient une portion de l’autorité d’Etat, utiliser à son avantage et à des fins privées l’argent du trésor public est normal, moral, voire recommandé. Cette incongruité m’a été assénée dans un bureau climatisé de la capitale voici quelques années.

A cet égard il convient de relever que dans nos différents services, les frais de fonctionnement servent rarement à assurer les charges liées au travail. Les coûts d’investissement sont gonflés au vu et au su de tous, sans que personne ne le dénonce. Des Ministres et autres responsables ponctionnent impunément dans les frais de missions ou primes de leurs collaborateurs. Dans de nombreuses administrations, on invente des taxes et des émoluments pour raquetter les administrés. Laisser profiter le chef est devenu une loi, non écrite certes, mais une vulgaire banalité.

Bien plus, ceux qui dans les familles et quartiers constatent l’enrichissement injustifié des cadres ne s’offusquent guère, mais applaudissent. Dans ce contexte d’antivaleurs, critiquer serait se montrer envieux et jaloux. A celui qui s’étonne, la réplique habituelle est connue: ,”Yo nde okobongisa mboka oyo ?”

Le vol gêne tellement peu nos consciences que des communautés entières s’unissent sur la base du tribalisme, défendent les leurs, même lorsque des preuves de vol ou de détournement les accablent.

C’est dire que nous avons dans notre pays accepté, entretenu et même valorisé la culture du vol. Des détourneurs patentés des fonds publics ont été honorés, encensés, chantés sous les rythmes les plus variés par les “Atalaku”. A l’inverse, les femmes et hommes sérieux sont moqués comme des imbéciles, des distraits.

Dans ce pays une personnalité est adulée, montrée en exemple pour avoir rénové sa ville natale au frais de l’Etat, hors budget et prévision. Ceux qui exercent le pouvoir sans l’imiter passent pour des incapables.

Penser que le Révérend Dalo ne se referait qu’a des événements relativement récents serait une appréciation erronée. Le Pasteur s’est élevé contre une pratique ancienne, ancrée dans nos mœurs, une quasi-culture multiforme et banalisée.

Ceux qui cherchent à connaître les causes de notre incapacité à sortir du sous- développement devraient considérer cette timidité à dénoncer le vol comme une des bases du problème.

Du reste, nos services de sécurité considèrent-ils, les vols et les détournements comme des mises en danger de la sécurité nationale ? Nos écoles arment-elles moralement nos enfants contre cette dérive ?

En négligeant de considérer le vol comme un fléau plombant l’avancement de la Nation, nous nous rendons complices de nos prédateurs.

Enfin, tout en disant merci et bravo au Révérend Dalo pour sa franchise et son courage. Il ne suffit pas de proclamer notre fatigue. Il faut surtout agir pour faire barrage au maintien et à l’acceptation de l’idéologie du vol.

Jean-Pierre Kambila Kankwende