Présidentielle en Algérie: comment Tebboune empêche les candidats sérieux de se présenter contre lui

Quasi sûr de rempiler pour un second mandat à la tête de l’Algérie, faute de mieux et avec l’appui d’un clan qui lui est acquis et qui tient les rênes du palais d’Al Mouradia, le président Abdelmadjid Tebboune élimine, littéralement, tous les candidats qui risquent de se mettre en travers de son chemin. Pour cela, tous les coups sont permis.

Le pouvoir en Algérie est à l’image de tout le pays: à la limite de la caricature. Les mensonges sur une pseudo-vie politique y sont grossiers, les traits grossis et, tant qu’à faire, plus c’est gros, mieux ça passe. Que dire, sinon, de la course à la présidentielle prévue en décembre prochain et dans laquelle le président sortant Abdelmadjid Tebboune est candidat pour un second mandat. Une course dans laquelle il part premier compte tenu qu’il part (en vrai) seul. Il jouit pour cela d’un appui de taille: son entourage immédiat qu’il a imposé au sein de l’appareil d’État.

Signé le 26 septembre dernier, un décret présidentiel entré en vigueur moins de 24 heures plus tard (une première en matière de célérité dans la publication d’un décret présidentiel), donnait d’ailleurs de très larges pouvoirs au directeur de cabinet et aux conseillers de la présidence algérienne. À tel point que Tebboune n’a plus besoin de coordonner ses décisions avec les membres du gouvernement, faisant ainsi de la Mouradia la citadelle du pouvoir exécutif. Un move qui commence à s’expliquer. Si l’entourage du président est ainsi renforcé, c’est pour mieux le protéger. Et pour s’assurer une victoire vitale, ce dernier s’emploie à éliminer tous les potentiels rivaux un tant soit peu crédibles. Entre intimidations, chantages en tous genres, menaces et emprisonnements, tous les moyens sont bons.

Trois candidats plus ou moins valables au poste de président de la République algérienne l’ont appris à leurs dépens. Le premier n’est autre qu’un certain Ali Ghediri, désormais un grand habitué des coups fourrés à l’approche de chaque scrutin présidentiel. Son destin relève du comique. Et pour cause, ce général-major a été condamné à quatre ans de prison pour «atteinte au moral de l’armée en temps de paix». C’était pour avoir appelé, dans une interview au quotidien El Watan fin 2018, l’institution militaire à barrer la route au cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika qui se profilait alors.

Le malheur d’Ali Ghediri, en réalité, c’était de s’être porté candidat à la présidentielle de 2019, attribuée par le défunt GaÏd Salah à Abdelmadjid Tebboune. Le plus drôle, c’est qu’alors qu’il a entièrement purgé sa peine, l’ancien directeur central des ressources humaines du ministère de la Défense nationale pendant 15 ans a vu celle-ci s’allonger de quelque six années supplémentaires. Le verdict de la cour d’appel d’Alger, énoncé dans la nuit du 16 au 17 mai 2023, le maintient en prison jusqu’en juin 2025. La justice le prive également de ses droits politiques et civiques pendant cinq ans. Cette peine supplémentaire, manigancée par Abdelmadjid Tebboune et son spin doctor, Boualem Boualem, a un seul objectif: empêcher Ali Ghediri de se porter candidat à la prochaine présidentielle. Le haut gradé fait d’autant peur au président et son entourage qu’il bénéficie d’appuis parmi certains clans dans l’armée. Il ne pourra donc nullement se représenter et c’est évidemment le but de la manœuvre.

Autre cas, même scénario à peu près: Abderrazak Makri fait, lui, l’objet d’intimidations à répétition. La dernière en date remonte à pas plus loin que novembre dernier. Ex-président du Mouvement de la société pour la paix (MSP, parti islamiste et proche des Frères musulmans) et bien qu’opposant uniquement de façade, celui-ci a fait l’objet d’une interdiction de quitter le territoire algérien alors qu’il devait se rendre en Malaisie pour la préparation du congrès du Forum de la pensée et la civilisation, dont il est le secrétaire général, après une escale d’une journée à Doha, où il devait rencontrer le leader du Hamas Ismaël Haniyeh. Pourtant, l’homme ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire et les autorités ne lui avaient, jusqu’à cette date, fait le moindre reproche. Abderrazak Makri goutte lui aussi au mode de gouvernance du régime qui affecte de nombreux paisibles citoyens algériens.

Et pour que le concerné comprenne mieux qu’il n’est pas libre de ses déplacements et qu’une épée de Damoclès pèse sur sa tête, il a été empêché une deuxième fois de quitter le sol algérien. La semaine dernière, il se préparait à prendre un vol à destination d’Istanbul quand la police des frontières lui a signifié que l’interdiction de quitter le territoire, qui était en vigueur en 2023, est toujours valable en 2024. Le but de cette interdiction est de terroriser le potentiel candidat en brandissant la menace de sérieux problèmes avec la justice s’il venait à proclamer des ambitions présidentielles.

Une situation qui risque de se durcir encore plus à moins d’une année de la présidentielle, une élection pour laquelle les candidats ne semblent pas encore se bousculer au portillon, craignant de subir les foudres du régime politico-militaire. Certains opposants ont préféré tout simplement abandonner la politique afin de sortir des griffes du régime.

Président du Front El Moustakbal, Abdelaziz Belaïd semble avoir compris la leçon. Début janvier de cette année, il a annoncé qu’il ne se présenterait pas pour un nouveau mandat à la tête du parti qui tiendra son 3ème congrès du 11 au 13 janvier. N’étant plus à la tête du parti, il n’a aucune légitimité pour se porter candidat à la présidentielle. L’homme parle d’«une décision personnelle qui vise en premier lieu à préserver la cohésion du parti et la continuité de son militantisme». L’affirmation ne trompe cependant que son auteur. Ex-député du Front de libération nationale (FLN), Abdelaziz Belaïd est déjà le candidat malheureux de la présidentielle de 2019. Il avait été l’un des rares à maintenir son dossier pour ce scrutin, avant de se retirer de la course en mai pour des élections qui ont finalement eu lieu en juillet. À cette époque comme tout récemment, la loi de la terreur est passée par là.

Ajoutez à cela la très faible participation aux élections de 2019 -Abdelmadjid Tebboune a été élu avec seulement 20% du total de 24.464.161 électeurs inscrits- et vous avez une idée grandeur nature de la démocratie à l’algérienne. Une «démocratie» où toute voix discordante est condamnée soit à la prison soit à l’exil pour échapper à des peines de mort.

De quoi rappeler une scène épique de «The Dictator» (sorti en 2012 et réalisé par Larry Charles, avec l’inénarrable Sacha Baron Cohen) où l’amiral général Aladeen organise ses propres Jeux olympiques, gagnant au passage 14 médailles d’or… en donnant lui-même le signal de départ des courses après s’être déjà lancé et en tirant sur tous les autres athlètes chemin faisant, qu’ils se trouvent devant, à côté et même derrière lui. On va même jusqu’à rapprocher la ligne d’arrivée pour lui.

L’armée, bien qu’indécise sur le deuxième mandat d’Abdelmadjid Tebboune, est dans l’expectative. Rien n’est joué cependant pour le président algérien tant que le clan des généraux n’aura pas ratifié son deuxième mandat. D’ici décembre, bien des choses peuvent se produire. Mais une seule certitude demeure: si Abdelmadjid Tebboune n’est pas réélu, c’est la prison qui l’attend en compagnie de ses enfants.

Par Tarik Qattab