Processus de Luanda et de Nairobi : et si la RDC se trompait de schéma et d’objectif ?

Vraisemblablement, pendant qu’on entraîne les Congolais dans des schémas de retrait de troupes étrangères, de neutralisation des forces génocidaires et d’entrée des groupes armés congolais dans le P-DDRCS, la réalité est pourtant l’octroi des terres à des communautés de l’Est supposées sans terres…

Intitulé «Rwanda-RD Congo. La guerre des récits», l’article publié le 21 août 2024 a pour auteur Jason Stearns, professeur associé à l’université Simon Fraser, fondateur du Congo Research Group à l’université de New York et auteur de «The War That Doesn’t Say Its Name : The Unending Conflict in the Congo (Princeton University Press, 2022)». Il est à espérer que les décideurs congolais ont eu le temps d’en prendre connaissance, car sa conclusion est : «Tant que Kinshasa pourra rejeter la responsabilité sur le ‘méchant Rwanda’ et que Kigali pourra pointer du doigt les milices xénophobes en RDC, il sera difficile de trouver une solution durable au conflit_»…

Solution définitive en matière de sécurité et de paix dans l’Est de la Rdc

Pourquoi seulement le 21 août 2024 ? Coïncidence fortuite ou non, c’est à cette date que s’est tenue à Luanda la réunion au cours de laquelle le médiateur de l’Union africaine João Lourenço, Président de l’Angola, a présenté une «proposition concrète pour un accord de paix durable et définitif pour le conflit à l’Est de la RDC» aux délégations congolaise et rwandaise conduites respectivement par la ministre d’Etat des Affaires étrangères Thérèse Kayikwamba Wagner et le ministre des Affaires étrangères du Rwanda Olivier Jean Patrick Nduhungirehe.

Débutée la veille sous la coordination du ministre angolais des Relations Extérieures Téte António, la réunion, indique une dépêche de radiookapi.net de la même date «fait suite à l’accord de cessez-le-feu en vigueur depuis le 4 août, résultant d’un accord entre les parties impliquées dans le conflit, signé le 30 juillet à Luanda, supervisé par le Mécanisme de vérification ad-hoc. L’Angola, le Rwanda et la République démocratique du Congo déploient des efforts importants et coordonnés pour trouver une solution définitive en matière de sécurité et de paix dans l’est de la RDC».

Une agression et un terrorisme de second zone

Dans son article, Jason Stearns aborde plusieurs sujets tout en mettant l’accent sur Charles Onana dont il dit ceci à propos de ses écrits : «Malgré leur qualité disparate et leur rigueur douteuse, il a réussi à obtenir des soutiens importants. L’un de ses ouvrages, «Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise» (2009), a été préfacé par Cynthia McKinney, membre du Congrès américain. Un autre, «Côte d’Ivoire : le coup d’État» (2011), par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki. Son dernier livre, «Holocauste au Congo. L’omerta de la communauté internationale» (L’Artilleur, 2023), est présenté par l’ancien ministre français de la Défense de Jacques Chirac (1995-1997), Charles Million».

Ouvrons une parenthèse pour noter que l’ancien Président sud-africain Mbeki plaide maintenant la Cause Tutsi !

Cinq mois après le séjour de Charles Onana à Kinshasa, on peut bien se demander quels dividendes la RDC en aura tiré par exemple au plan médiatique, en externe !

Jean Stearns nous interpelle lorsqu’il relève que pour la majorité des Occidentaux, la guerre qui se déroule en RDC est, tenez !, «’trop africaine’, trop périphérique par rapport aux intérêts des superpuissances. Cela conduit à des statistiques qui donnent à réfléchir : au cours de l’année écoulée, le quotidien états-unien The New York Times a publié 53 articles sur le Congo, contre 3.278 sur l’Ukraine. Le conflit dans ce pays d’Afrique centrale n’a pas fait l’objet d’un seul sujet sur la chaîne de télévision états-unienne Fox News». Il s’agit de l’année 2023.

La guerre en RDC serait-elle, de ce fait, aux yeux des décideurs, «une agression et un terrorisme de seconde zone» ?

Le courage de répondre explique pourquoi, en dépit de toutes les preuves qu’ils produisent eux-mêmes sur la présence des troupes rwandaises sur le territoire congolais et toutes les atrocités imputées au M23/AFC, les décideurs ne réagissent pas comme ils le font en Ukraine et à Gaza. Tous, comme par unanimité, sont dans le schéma d’une solution politique dans la crise congolo-rwandaise avec implication sur tous les groupes armés congolais qui, au décompte de 2021, seraient au nombre de 252.

Les gouvernants congolais semblent miser sur la SADC pour une solution militaire. Pour peu qu’on ait une lecture pragmatique des relations internationales, tous les membres de cette communauté sous régionale entretiennent aujourd’hui de bonnes relations avec les décideurs. L’époque des «révolutionnaires» étant révolue, ils ne vont pas hypothéquer leur avenir à cause d’un pays qui refuse d’assumer son destin, sa vocation.

Toute tribu s’identifie à ses terres

Dans cette «guerre des récits», Kinshasa met en exergue l’exploitation minière. Jason Stearns révèle ceci : «L’or, de loin le produit le plus précieux à l’heure actuelle, est acheminé vers les Émirats arabes unis via l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda. L’étain est traité en Asie de l’Est et en Asie du Sud-Est. De nombreux acteurs internationaux profitent donc du chaos qui règne en RDC».

Conséquence : étant en bons termes avec les pays où se traitent l’or et l’étain, Kinshasa a la capacité de «sécher» Kigali pour peu qu’il négocie avec ces partenaires. Peut-être qu’il lui manque la volonté de le faire.

Kigali, de son côté, exige la neutralisation des forces génocidaires (Fdlr). *C’est faux*.

En vérité, il met en exergue la perte de ses terres ! Jason Stearns renseigne ceci : «En 1902, un prélat catholique français a déclaré à propos des Tutsis : ‘Leur apparence intelligente et délicate, leur amour de l’argent, leur capacité à s’adapter à toutes les situations semblent indiquer une origine sémitique’» et «Un religieux belge décrivait quant à lui en 1948 les Hutus comme ‘le type le plus commun de Noirs, brachycéphales et prognathes, au goût et aux aptitudes agronomiques, sociables et joviaux […] aux lèvres épaisses et au nez écrasé, mais si bons, si simples, si loyaux’». D’où le mythe raciste du tutsi supérieur au hutu inférieur.

En Afrique particulièrement, il est de notoriété que toute tribu puisse s’identifier à ses terres ; toute terre a sa tribu.

Partant, le schéma de reconstitution du “Grand Rwanda” explique les guerres répétées de ces 30 dernières années. «Kagame a repris ce thème dans un discours en 2023, en déclarant : ‘En ce qui concerne le M23 […], vous devez savoir que les frontières tracées pendant la période coloniale ont découpé nos pays en morceaux. Une grande partie du Rwanda a été laissée de côté, l’est du Congo et le sud-ouest de l’Ouganda. […] C’est l’origine du problème», révèle Jason Stearns.

Ce qui va au-delà de la compétence de la Rdc seule

Au regard de ce qui précède, le constat à faire est qu’à tous les fronts, la RDC fait fausse route. Pendant qu’à Luanda on discute «retrait des troupes», pour le Rwanda la préoccupation première est ailleurs : «restitution des terres !”. Paul Kagame l’a déclaré au Bénin en mars 2023.

Ce qui va au-delà de la compétence de la RDC seule, car ça touche à l’un des fondements des Nations Unies et de l’Unité africaine, à savoir l’intangibilité des frontières.

En toute logique, les autorités congolaises doivent en discuter d’abord avec les populations kivutiennes (épicentre de la crise sécuritaire), ensuite avec les puissances précoloniales et coloniales (Berlin 1885), enfin avec la communauté internationale (Onu, Union africaine, Cééac, Sadc, Eac, Cirgl, Cij, Cpi etc.).

«On ne change pas l’équipe qui gagne», dit-on. Pour le Rwanda, on ne change pas non plus le modus operandi qui lui fait gagner du temps et du terrain. Car, il suffit d’ausculter ce modus operandi pour s’en rendre compte : ce qui est fait aujourd’hui au travers du M23/AFC avait déjà été fait avec l’Afdl, le Rcd, le Cndp et le M23 première version.

En observant ce qui se passe dans le chef des Congolais, on est depuis 1996 dans le même modus vivendi : ça discutaille autour du sexe des anges.

En définitive, dans cette «guerre d’usure» qui ne dit pas son nom, le perdant n’est pas le Rwanda de Paul Kagame. C’est la RDC de Félix Tshisekedi, autrefois de Joseph Kabila, de Laurent-Désiré Kabila et de Mobutu Sese Seko.

Tous se font prendre à la montagne des décideurs, à la manière de Blanquette, la célèbre chèvre de M. Séguin !

Omer Nsongo die Lema