Rapport sur la stabilité financière dans le monde: L’essor du crédit privé et les risques associés (FMI)

Le chapitre 2 du rapport sur la stabilité financière dans le monde évalue les vulnérabilités et les risques potentiels pour la stabilité financière du crédit privé, catégorie d’actifs à l’essor rapide dont la vocation est généralement d’octroyer des prêts à des entreprises de taille intermédiaire en dehors du cadre des banques commerciales et des marchés des titres d’État, et dont la taille rivalise désormais avec celle d’autres marchés du crédit. Le chapitre relève des vulnérabilités importantes découlant de la relative fragilité des emprunteurs, de la part croissante des instruments d’investissement semi liquides, de la superposition des effets de levier, de valorisations dépassées et potentiellement subjectives, et du manque de clarté des relations entre les participants. Si le crédit privé reste opaque et poursuit sa croissance exponentielle dans un contexte de surveillance prudentielle limitée, ces vulnérabilités pourraient prendre une importance systémique.

Compte tenu des risques potentiels posés par cette catégorie d’actifs fortement interconnectée qui se développe à grande vitesse, les autorités devraient envisager d’adopter une approche plus volontariste s’agissant de son contrôle et de sa réglementation. Afin d’évaluer les risques de façon exhaustive, il est nécessaire de combler les lacunes en matière de données et de renforcer les exigences en matière de communication des informations. Les autorités devraient surveiller attentivement et traiter les risques de liquidité et de conduite dans les fonds — en particulier les fonds de détail — pouvant faire face à des risques de rachat plus élevés.

Les principales leçons du chapitre 2

Le crédit privé se développe à grande vitesse et représente une source de financement de long  terme pour les entreprises de taille intermédiaire. Il constitue pour les emprunteurs une  proposition de valeur grâce à des relations étroites avec les établissements prêteurs et des  modalités de prêt sur mesure. Tandis que les banques semblent être plus frileuses à l’idée de  prêter aux entreprises de taille intermédiaire, ou aux moyennes entreprises, le crédit privé joue  aujourd’hui un rôle central dans l’octroi de financements. Ce déplacement du crédit depuis le  cadre des banques réglementées et des marchés relativement transparents, à l’instar des crédits  syndiqués ou des obligations d’entreprises, vers l’univers plus opaque du crédit privé, crée des  risques potentiels. Bien que les risques immédiats semblent modérés, le secteur présente des  vulnérabilités considérables.

En cas de récession, le secteur pourrait subir des pertes inattendues de grande ampleur. Le  crédit  privé  applique  généralement  un  taux  variable  et  s’adresse  à  des  emprunteurs  de  relativement petite  taille  présentant  un  niveau  d’endettement  élevé.  Ces  emprunteurs  pourraient pâtir d’une hausse des coûts de financement et enregistrer de mauvais résultats lors  d’une récession.

Le risque de liquidité pourrait augmenter avec la croissance des fonds de détail. La grande  majorité des fonds de crédit privé pose peu de risques liés à la transformation des échéances.  Toutefois, l’essor des fonds semiliquides pourrait accentuer les avantages dit de premier sortant  et les risques de retraits massifs. La participation accrue des investisseurs de détail dans les  marchés du crédit privé soulève des préoccupations quant à leur conduite, car ils pourraient ne  pas mesurer pleinement les risques encourus ou connaître les restrictions applicables aux rachats  sur une catégorie d’actifs illiquide.

La superposition des effets de levier est à l’origine d’une interconnexion problématique. Bien  que les fonds de crédit privé eux-mêmes semblent faire un usage limité de l’effet de levier, ils  sont souvent au cœur d’un complexe réseau d’acteurs y recourant, depuis les emprunteurs  jusqu’aux investisseurs finaux en passant par les fonds d’investissement. Ces niveaux multiples  d’effet de levier, souvent dissimulés par une communication incomplète des informations,  pourrait amplifier les pertes. De plus, les fonds pourraient malgré tout faire face à des appels de  fonds importants, avec une transmission potentielle à leurs fournisseurs d’instruments à effet  de levier.

L’incertitude autour des valorisations pourrait entraîner une perte de confiance. Compte tenu  de l’opacité des sociétés emprunteuses et du fait que le secteur, avec sa portée et sa taille  actuelles, n’a jamais connu de grave récession économique, il est difficile pour un acteur  extérieur d’en faire une évaluation rapide. Les gestionnaires de fonds peuvent être incités à retarder la réalisation des pertes car ils procèdent à de nouvelles levées de fonds et perçoivent  des commissions de performance sur la base de leurs antécédents.

Les risques pour la stabilité financière pourraient également provenir d’entités présentant une  exposition particulièrement élevée aux marchés du crédit privé, comme les assureurs influencés  par  des  sociétés  de  capital-investissement  et  certains  groupes  de  fonds  de  pension.  Les  compagnies d’assurance contrôlées par des fonds de capital‐investissement ont vu leurs actifs  enregistrer une forte progression ces dernières années, sachant que leur exposition à des  investissements moins liquides est considérablement plus élevée que celle de leurs homologues  du secteur.

Du fait de l’insuffisance des données à disposition, il est difficile d’évaluer dans leur globalité  les risques que pose cette catégorie d’actifs pour la stabilité financière. Si cette catégorie  d’actifs reste opaque et poursuit sa croissance exponentielle dans un contexte de surveillance  prudentielle  limitée,  les  vulnérabilités  du  secteur  du  crédit  privé  pourraient  prendre  une  importance systémique.  Les autorités devraient envisager d’appliquer une supervision et une réglementation plus  intrusives à l’égard des fonds de crédit privé, de leurs investisseurs institutionnels et des  fournisseurs  d’instruments  à  effet  de  levier.  Elles  devraient  renforcer  la  coopération  transfrontalière  et  intersectorielle  afin  de  combler  les  lacunes  en  matière  de  données  et  d’harmoniser les évaluations des risques dans l’ensemble des secteurs financiers.

Les autorités devraient en priorité s’attacher à combler les lacunes en matière de données afin  que les organes de supervision et de réglementation puissent procéder à une évaluation plus  complète  des  risques,  notamment  ceux  liés  à  l’effet  de  levier,  à  l’interconnexion  et  à  la  concentration  des  investisseurs.  Elles  devraient  renforcer  les  exigences  en  matière  de  communication de données pour les fonds de crédit privé et leurs investisseurs ainsi que les  fournisseurs d’instruments à effet de levier afin d’améliorer le suivi et la gestion des risques.

Les autorités devraient surveiller attentivement et traiter les risques de liquidité et de conduite  dans les fonds —en particulier les fonds de détail— pouvant faire face à des risques de rachat  plus élevés. Les organes de réglementation des valeurs mobilières devraient appliquer les  recommandations du Conseil de stabilité financière et de l’Organisation internationale des  commissions de valeurs s’agissant de la conception des produits et de la gestion de la liquidité.