Rdc, Burundi, Angola, Sri Lanka : quatre exemples pour comprendre la présence chinoise en Afrique et en Asie
Peu avant les années 2010 la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique devant les États-Unis et l’Europe. Depuis plusieurs années, cette progression chinoise en Afrique se poursuit et va en s’amplifiant. Entre 2000 et 2020, les institutions financières chinoises ont signé 1 188 engagements de prêts d’une valeur de 160 milliards de dollars avec 49 gouvernements africains, leurs entreprises publiques et cinq organisations multilatérales régionales. Les médias parlent de prêts sans concession faits à taux avantageux, car souvent garantis par des matières premières dont le continent africain ne manque pas. Désenchantés par des décennies de prêts du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) souvent conditionnés à des plans d’ajustement structurel et plus généralement à l’ingérence néocoloniale et impérialiste des pays du Nord global dans leurs économies, nombreux sont les pays du Sud global qui se tournent aujourd‘hui vers la Chine pour leurs emprunts. En effet, celle-ci promet des prêts plus avantageux et met surtout en avant une relation moins inégale et historiquement moins négative avec les pays africains que celle de l’Europe ou des États-Unis. Si sur le point historique, on ne peut lui donner tort, nous verrons que cette relation est pourtant fortement à l’avantage de la Chine et hautement critiquable. Dans la deuxième partie de cette analyse, plusieurs exemples de prêts chinois seront développés afin de montrer les différentes stratégies mises en place par la Chine lors de ces prêts.
Récupération d’infrastructure : le cas du port de Hambantota
L’exemple le plus emblématique et le plus mentionné de prêt chinois , tellement utilisé que c’en est devenu un poncif est celui du port de Hambantota au Sri Lanka. Nous avons bien conscience que cet exemple n’est pas un exemple africain, néanmoins il nous semblait intéressant à développer dans cet article, car il est abondement repris dans les médias et sert souvent à faire des parallèles malheureux avec l’ensemble des prêts chinois y compris en Afrique.
Dans le cadre du « projet du siècle » nom décerné par Xi-Jinping à la nouvelle route de la soie, la Chine accorde de nombreux prêts à divers pays dans le but d’augmenter leurs capacités infrastructurelles et ainsi pouvoir mieux transporter les marchandises chinoises un peu partout dans le monde. Ces investissements se font principalement en Asie centrale, mais aussi en Europe de l’Est et en Afrique. Un de ces prêts a été fait au Sri Lanka afin de financer l’agrandissement d’un port en eaux profondes. Ce prêt qui devait se dérouler en trois phases de financements était pourtant jugé contestable par plusieurs études de faisabilité dès le début. Ainsi, à cause du risque financier que représentait l’investissement, aucun autre pays que la Chine n’a voulu financer l’agrandissement du port.
La première phase (508 millions de dollars), qui commence en 2008 a un temps été freinée par la guerre civile qui se terminera en 2009. La deuxième phase a été lancée en 2012 et a coûté 810 millions de dollars. La troisième phase quant à elle ne sera jamais lancée puisque le gouvernement de Rajapaksa, ayant procédé à l’emprunt, perdra les élections en 2015. C’est dans une vision mégalo et via des prêts largement gardés secrets que le port était financé, point sur lequel l’opposition avait insisté durant sa campagne, remportant ainsi les élections. Comme la Chine est le plus gros investisseur étranger au Sri Lanka, le nouveau gouvernement, qui ne voulait pas s’attirer les foudres de Pékin a néanmoins promis de continuer à payer la dette contractée à l’égard de la Chine. Cette même année cependant, au vu des finances catastrophiques laissées par son prédécesseur (95% des revenus du pays sont dédiés au service de la dette à ce moment-là), le gouvernement renégocie sa dette. C’est comme cela que la Chine propose une cession d’une durée de 99 ans des droits sur la quasi-totalité du port de Hambantota en échange de l’annulation de la dette sri-lankaise.
La chose s’est donc déroulée en trois étapes :
1) prêt par les autorités chinoises alors même que le projet est jugé irréalisable et n’est au final validé que par un gouvernement corrompu et un président qui y voyait un moyen de s’enrichir et d’augmenter sa popularité
2) les prêts continuent alors même que le poids de la dette s’alourdit et devient quasiment insupportable, encore une fois pour un projet dont l’utilité est remise en cause et ne semble pas servir la population locale
3) la dette et son service deviennent insoutenables, pour ne pas arrêter les payements ou trop y perdre en cas de cessation de payement, la Chine propose de récupérer les droits sur l’infrastructure qu’elle a financée.
Ce modus operandi, s’il est peu courant aujourd’hui, pose néanmoins des questions de souveraineté importantes. On peut aussi déplorer le fait que la Chine, qui décrit souvent ces accords comme étant gagnant-gagnant ne remet que rarement en question le fait de se faire rembourser à tout prix. En effet, si le sort des pays et populations étranglés par une dette dont la Chine est en partie responsable intéressait réellement celle-ci, on s’attendrait à un geste allant plus dans le sens de l’annulation d’une part ou de l’entièreté de la créance (d’un projet évalué trop couteux et pas forcément utile dès le départ, rappelons-le), plutôt que de la mainmise pour presque 100 ans sur un port important. Mais cette remarque s’applique bien sûr également aux pays occidentaux et aux IFI.
Minerais contre infrastructures : le cas de la RDC
Ce genre d’accord rejoint le mécanisme habituel des propositions faites aux pays riches en ressources, mais pauvres monétairement. Leurs ressources sont exploitées en échange de monnaies fortes ou d’infrastructures
Dans le cadre des accords de minerais contre infrastructure (ressources for infrastructures (R4I)) qui avait été conclus par le gouvernement de Joseph Désiré Kabila, il était prévu que la Chine construit routes, hôpitaux, etc., en échange d’un accès à l’exploitation des minerais congolais. Rappelons que le Congo a un des sols les plus riches au monde en termes de minerais et terres rares, ce qui historiquement en a fait la proie des appétits capitalistes et colonialistes les plus féroces. Notons également que selon la chambre des mines congolaises, la Chine exploite actuellement 70% des mines congolaises.
Les accords de SICOMMINES signés en 2007 par le gouvernement Kabila représentaient à l’époque le plus gros projet d’investissement chinois sur le continent africain et étaient même qualifiés de deal du siècle. Ces accords donnent accès au cobalt et au cuivre congolais en échange de la construction d’infrastructures. Plusieurs organisations se sont inquiétées dès l’annonce de l’accord, et ce pour plusieurs raisons. La première inquiétude vint du FMI qui s’inquiétait du fait que la RDC allait contracter un emprunt trop important et ainsi rendre sa dette insoutenable. Plusieurs ONG se sont également inquiétées des effets délétères qu’un tel accord pouvait avoir sur l’environnement et les populations. Ainsi, dans un rapport publié en 2017, l’observatoire africain des ressources naturelles démontrait que des pollutions importantes avaient été causées, notamment via le rejet de substances chimiques dans la rivière Luilu proche de la Mine. Le même rapport a également démontré que les compensations offertes aux habitants en dédommagement pour la pollution des sols, de la rivière, des aliments et les nombreuses maladies induites par celle-ci, étaient totalement inadéquates et insuffisantes.
Déjà en 2008, le CADTM prévenait que les accords miniers conclus entre la Chine et le Congo n’allaient pas bénéficier au peuple congolais ou même participer au développement du pays. Ainsi, Éric Toussaint écrivait :
Le cas de la République démocratique du Congo est éclairant à ce sujet. En septembre 2007, au moment où le peuple congolais attendait la publication par le gouvernement du rapport de la commission d’audit des contrats miniers qui devrait dénoncer les contrats non conformes à la législation, le gouvernement a signé un contrat d’exploitation minière avec un groupement d’entreprises chinoises pour une durée d’environ 30 ans. Ce contrat s’est traduit par la création d’une joint-venture détenue à 68% par les entreprises chinoises et à 32% par des sociétés congolaises. Alors que les financements en provenance de Chine ne seront débloqués qu’après les études de faisabilité, le gouvernement congolais a déjà mis à la disposition de la joint-venture des gisements d’au moins 10,6 millions de tonnes de cuivre et 600 000 tonnes de cobalt. Le remboursement de ces investissements est prévu en trois périodes : la totalité des bénéfices réalisés durant la première période par la joint-venture sera affectée au remboursement des investissements miniers, y compris leurs intérêts ; durant la deuxième période, 66% des bénéfices réalisés seront affectés à ce remboursement et les 34% restants serviront à la rétribution des actionnaires ; au cours de la troisième période, la totalité de ses bénéfices sera distribuée aux actionnaires, au prorata de leurs parts dans le capital social. Pendant les deux périodes dont la durée n’est pas déterminée, la RDC accordera des avantages particuliers à la joint-venture qui se traduisent par « l’exonération totale de tous les impôts, droits, taxes, douanes, redevances directs et indirects, à l’intérieur ou à l’import et l’export, payables en RDC et ceux liés aux activités minières et au développement d’infrastructures ». Rien ne sera affecté au budget de l’État. Finalement, le peuple congolais est floué avec la complicité des autorités congolaises qui ont organisé le bradage pur et simple des richesses nationales pour leur propre intérêt et au profit des entreprises chinoises. En bout de course, c’est la continuation de la politique néfaste suivie précédemment avec les transnationales Occidentales et les financements des créanciers traditionnels, dont la position est très fragilisée depuis 2005 par l’émergence de nouveaux acteurs.
Les accords particuliers utilisés ici appelés minerais contre infrastructures sont devenus un des outils de politique internationale les plus utilisés par la Chine en Afrique les 20 dernières années. En fait, ces accords consistent à utiliser les revenus à l’exportation de matières premières en échange du financement (et souvent de la construction) d’infrastructures.
Il existe également une autre modalité qui ressemble fort à la première, mais qui a pourtant une différence de taille. On appelle ce deuxième type d’accord infrastructures financées par les ressources. Donc, dans le premier cas qui nous intéresse ici (accord de type infrastructure financée par des ressources, RFI en anglais), le pays pourvoyeurs d’infrastructures se rembourse sur les bénéfices faits lors de l’exportation de matières premières par exemple sur les bénéfices de la vente d’un nombre donné de barils de pétrole vendus pendant une période donnée (exemple : bénéfice d’un million de barils par an pendant 20 ans). Cette première stratégie est à doubles tranchants, car elle dépend du cours des matières premières. En effet, la variation du cours des matières premières est à prendre en compte : comme les hydrocarbures et les minerais servent de garanties, le montant à en tirer en cas de non-paiement dépend du cours sur les marchés au moment du remboursement, ce qui, en cas de chute du cours des matières premières, augmente mécaniquement le poids de la dette du pays emprunteur.
La seconde option (accord ressources contre infrastructures) consiste à céder les ressources minières en tant que telles en échange d’infrastructure. Souvent, cela se fait via l’exploitation d’une ressource souterraine, d’une concession minière donc. Rappelons ici qu’en droit international l’État est toujours propriétaire de son sous-sol et donc de son exploitation, néanmoins il peut céder (louer) cette exploitation pour un certain temps à des sociétés, c’est ce qu’on appelle une concession minière. Cette méthode dépend elle aussi du cours des matières premières, mais peut de la même façon poser d’autres problèmes écologiques par exemple lors du stockage des déchets miniers. Sans un contrôle adéquat des autorités nationales, il est également possible pour l’exploitant étranger de mentir sur le tonnage des matériaux extrait et ainsi extraire plus de ressources que ce que le remboursement prévoit.
Ce genre d’accord rejoint le mécanisme habituel des propositions faites aux pays riches en ressources, mais pauvres monétairement. Leurs ressources sont exploitées en échange de monnaies fortes ou d’infrastructures. Le problème posé par ce genre d’accord est également un grand classique : la détérioration des termes de l’échange. C’est-à-dire que l’une des parties a l’assurance que la valeur de ce qu’elle échange ne sera pas dépréciée alors que l’autre non, c’est le cas lorsque des matières premières dont le prix est défini par leurs cours sur les marchés sont échangées contre des services, des monnaies fortes (dont le cours varie peu et reste haut) ou des infrastructures (dont on connait le prix).
Grands travaux inutiles et/ou inadaptés
La Chine mise sur son passé non colonial en Afrique pour se différencier des puissances occidentales, mais exécute le même genre de politique que les puissances auxquelles elle prétend être une alternative.
Dans cette partie, nous remettrons en cause les annonces selon lesquels les investissements et prêts chinois en Afrique sont toujours des projets gagnant-gagnant et permettent le développement des pays où ils sont faits. Comme les exemples de grands travaux inutiles ne manquent pas, nous allons succinctement en développer quelques-uns.
Tout d’abord, la construction de palais présidentiels, comme au Burundi, financés par la Chine à hauteur de 20 millions de dollars. La construction de ce palais titanesque pose plusieurs questions. S’il est vrai que l’investissement chinois s’est fait sous forme de dons et non de prêts, il faut néanmoins spécifier que la plupart des contrats pour le chantier ont été accordés à des entreprises chinoises. Ce genre de flux d’argent permet généralement de ne pas faire sortir l’argent de Chine et ainsi de pouvoir garder assez flous les comptes et chiffres en jeu. En effet, le versement se fait depuis des banques chinoises jusqu’aux entreprises chinoises choisies pour le contrat et ne quitte ainsi pas le territoire. Outre ce fait qui est une pratique assez courante, on remarquera surtout l’inutilité d’une telle construction. En plus des populations qui ont été déplacées souvent contre leurs grés pour permettre au projet de voir le jour, il faut signaler le changement de présidence et la relocalisation de la capitale dans une autre ville du pays. Ainsi cet énorme palais présidentiel risque bien de rester vide à jamais puisque trop éloigné du nouveau centre de pouvoir. Un autre exemple également scandaleux est celui du palais présidentiel de Mozambique lui aussi financé par la Chine pour un montant inconnu. Ce somptueux palais fait tache quand on sait que l’accès au service de base reste un gros problème dans le pays.
Cette « diplomatie des palais » pose problème, car elle est souvent la source de corruption et permet d’acheter les élites locales. On sait par exemple que la Chine joue aujourd’hui un rôle clef dans plusieurs organisations internationales de taille grâce à l’appui des pays du continent africain, c’est notamment le cas pour l’OMC ou la FAO. Ainsi, on pourrait dire que la Chine, si elle investit en Afrique, investit également dans les leaders africains via ce genre de cadeau. N’oublions pas non plus, comme le remarque Joshua Meservey, que la Chine permet également à ces mêmes leaders de gagner des points dans l’opinion publique via les investissements dans l’infrastructure qui sont largement visibles par les populations et servent de vitrine aux actions concrètes du gouvernement en place pour le développement du pays.
Comme on peut s’y attendre, plusieurs leaders africains deviennent de fait redevables à la Chine et lui apportent donc leur soutien dans les institutions internationales tout en en leurs ouvrant leurs marchés intérieurs et l’accès à leurs matières premières. C’est probablement ce genre de deals gagnant-gagnant dont la Chine parle dans ses discours. On remarquera que les gagnants dont il est question sont souvent d’un côté le gouvernement chinois et de l’autre les élites corrompues au pouvoir, il est rarement question d’un quelconque gain (ou alors à la marge) pour les populations. On notera que, pourtant, la Chine évoque souvent sa non-ingérence dans la politique intérieure de ses partenaires… Les investissements et prêts chinois en Afrique restent donc clairement intéressés contrairement à ce que disent les discours officiels. Ainsi la Chine mise sur son passé non colonial en Afrique pour se différencier des puissances occidentales, mais exécute le même genre de politique que les puissances auxquelles elle prétend être une alternative.
Le deuxième exemple que nous proposons ici est celui de la ville fantôme de Kilamba Kiaxi en Angola. Le projet initial s’inscrit dans une démarche de reconstruction du pays suite à la guerre civile qui a déchiré le pays pendant des décennies et a aggravé une crise du logement déjà présente avant cela. Il est utile de rappeler que de nombreuses villes d’Afrique subsaharienne subissent une crise du logement importante, les investissements infrastructurels étant souvent insuffisants (pour diverses raisons), comparés à la croissance démographique très rapide du continent. L’exemple développé ici pourrait donc concerner d’autres pays/villes à l’avenir, d’où son intérêt. Kilamba Kiaxi est une ville satellite de la capitale construite entre 2008 à 2012 afin de contrer la crise du logement et de tenir la promesse du Président Dos Santos de créer un million de logements durant son mandat. 3,5 Milliards de dollars ont été déboursés par une banque chinoise possédée par l’État. Le remboursement se fait « en nature » contre un accès prioritaire aux ressources pétrolières du pays et des prix avantageux à la vente. En plus des conditions de travail très critiquées mises en place par l’entreprise chinoise embauchée pour sa construction, on peut émettre des réserves quant à l’utilité d’un tel projet à l’époque. S’il est indéniable que des logements supplémentaires sont nécessaires en Angola, il faut cependant remettre en question le fait que les appartements construits (qui devaient permettre de loger 500 000 personnes) étaient vendus si chers que seuls deux pour cent de la population pouvait s’en offrir un. De plus, le prix du pétrole ayant diminué dans les années qui ont suivi la construction, plusieurs observateurs craignent une dette qui pourrait devenir ingérable. S’il est vrai qu’après des débuts difficiles, il semble que grâce à des politiques incitatives, la ville soit désormais un peu plus peuplée, c’est encore une fois la logique sous-jacente qui pose problème. La population n’a quasiment pas été consultée, le projet est fortement inadapté, et la construction de cette ville flambant neuve s’est faite sans tenir compte de la soutenabilité du prêt contracté et promeut la logique extractiviste à cause du remboursement par les ressources.