Texte de la conférence de Ferhat Mehenni à Philadelphie : « La Kabylie en marche vers son indépendance »

Texte de la conférence de Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et du Gouvernement provisoire kabyle en exil (Anavad), animée ce samedi 06 mai 2023 dans la capitale de l’Etat américain de Pennsylvanie, Philadelphie :

La Kabylie en marche vers son indépendance

La longue marche de la Kabylie vers son indépendance a atteint son point de non-retour à la mise sur pied de l’Anavad, le 01/06/2010.

Entamée au lendemain de la bataille d’Icherriden (24/06/1857) à l’issue de laquelle la Kabylie a perdu sa cheffe de guerre ‘Fadma N Summer) et sa souveraineté, elle avait failli aboutir à l’insurrection de 1871, à l’appel du roi Mokrani et de son soutien Chikh Aheddad. La marche du peuple kabyle vers sa liberté s’était longtemps égarée dans des voies d’impasse : celle de l’indépendance de l’Algérie d’abord, puis celles des tenaces illusions de démocratiser celle-ci, de la berbériser, voire la kabyliser…

La Kabylie ne s’est réellement remise sur la bonne voie qu’à partir de la Déclaration du 05/06/2001. Cela va sûrement choquer quelques esprits figés et envasés dans des visions d’il y a au moins 40 ans, mais les faits sont têtus et notre conclusion sur ce passé récent mérite qu’elle soit rendue publique. Ni la guerre du FFS (1963-65), ni avril 1980, ni même le boycott scolaire (1994/95) n’avaient échappé à l’aliénante matrice idéologique du nationalisme algérien et du berbérisme des années 40 qui leur avait donné naissance et qui continuent de produire chez les élites politiques kabyles des mirages ravageurs, dévastateurs.

A partir de 2001, c’est le MAK qui, par petites touches successives, remet patiemment la Kabylie sur la route qui mène vers elle-même et vers sa propre liberté.

Une fois que l’Anavad a vu le jour, tout retour en arrière est exclu. Désormais, on ne peut qu’aller de l’avant. Tous ceux qui n’en avaient pas perçu la logique et la nécessité l’ont appris à leurs dépens. La période durant laquelle le MAK revendiquait une autonomie n’était qu’une parenthèse temporelle, un laps de temps qui va de la Kabylie égarée à celle de la Kabylie qui a retrouvé son chemin. Les revendications minimalistes et timorées, si généreuses puissent-elles paraître, sont reléguées au passé et décrochées de la locomotive de l’Histoire tandis que l’objectif stratégique d’indépendance par la voie pacifique est plébiscité.

Avec ses puissants symboles que sont l’hymne national et le drapeau kabyle, l’Imni (parlement), la carte d’identité et tant d’autres attributs de souveraineté dont elle s’est dotée, la Kabylie s’est définitivement engagée sur la voie de son indépendance. Mieux encore ! L’idée même d’indépendance de la Kabylie, ancrée au tréfonds de l’âme de chaque Kabyle, est de nature à rejeter éternellement l’intégration de la Kabylie dans une autre entité politique que la sienne propre.

Le décrochage de la Kabylie de l’attelage algérien est aujourd’hui consommé. Il est dû à la fois à son aspiration et à sa propre volonté à redevenir indépendante qu’à l’ensemble du traitement colonial et criminel que lui oppose l’Algérie depuis 1963.

Parmi les traits culturels majeurs qui caractérisent chaque Kabyle on trouve d’abord l’amour de la liberté, de l’indépendance de son peuple, de sa langue et de sa terre. Le peuple kabyle n’a jamais accepté d’être gouverné par des étrangers. Depuis la dernière guerre de Kabylie (1963-65), la première étant celle qui l’a opposée à la France (1954-62), les Kabyles n’ont jamais réellement considéré le gouvernement algérien comme étant le leur. Il leur est toujours étranger même si, souvent des Kabyles en ont fait partie, quelquefois même en tant que premiers ministres. Mais ce qu’il y a lieu de retenir, est que, dès qu’un Kabyle accepte d’être ministre algérien ou général, il est classé comme un renégat et rejeté par l’écrasante majorité des siens. La Kabylie aspire à son propre gouvernement et non à des strapontins octroyés par Alger à ceux des siens qui acceptent de collaborer avec l’ennemi.

Le peuple kabyle a, donc, de tout temps, vécu en marge de l’Algérie. Il refuse de s’y intégrer tant qu’il n’est pas accepté et reconnu par elle comme tel. Or l’Algérie, héritière du jacobinisme et du colonialisme français, n’accepte en son sein que des « Algériens » et n’admettra jamais qu’il puisse exister sur son territoire un autre peuple que le « peuple algérien ». D’où l’impasse. La Kabylie lui tourne le dos depuis 60 ans et les généraux algériens, fous de rage, usent et abusent de violence contre une indomptable et altière Kabylie.

Le déni d’existence opposé par l’Algérie au peuple kabyle a ainsi engendré, chez celui-ci, le refus de se reconnaître en celle-là. Du coup, par défiance, l’attitude de la Kabylie s’est affinée et homogénéisée. Cela fait au moins 20 ans que la Kabylie rejette les élections algériennes. En l’espace de 18 mois, elle a boycotté les présidentielles du 12/12/2019, le référendum pour la révision constitutionnelle du 01/11/2020 et les législatives du 12806/2021. Symboliquement, et institutionnellement, plus rien ne la rattache donc à l’Algérie. Seule la répression, expression du terrorisme d’Etat, la maintient captive, dans les geôles de la violence colonialiste algérienne.

On peut même dire que l’histoire de l’Algérie dite « indépendante » se résume à la seule obsession chez ses dirigeants de broyer la Kabylie, de la réduire à néant, en effacer la mémoire à jamais ! Toutes les politiques d’arabisation menées jusqu’ici, d’interdiction d’expression, d’intensification de l’enseignement islamiste, de désinvestissement économique et de racket fiscal, de politique de la terre brûlée, d’interdiction de la langue kabyle à l’école et dans les médias, de falsification de l’Histoire, adossées au quadrillage militaire et au renforcement perpétuel des effectifs de la police et de la gendarmerie, plutôt que de parvenir aux résultats escomptés par Alger, n’ont fait, en réalité, que surligner chaque jour un peu plus le sentiment chez les Kabyles d’être un peuple colonisé et de susciter en eux indignation et sourde colère.*

60 ans d’assauts criminels censés détruire le peuple kabyle et le faire taire à jamais, se sont au contraire révélés tels de supers carburants qui accélèrent davantage la marche de la Kabylie vers son indépendance qu’ils ne la freinent. Leur bilan est trop lourd pour que l’Algérie puisse le passer en pertes et profits et faire comme si de rien n’était. Les 497 morts du FFS, les assassinats d’acteurs politiques kabyles, les 150 jeunes abattues avec des balles explosives au Printemps noir accompagnés de 6000 blessés dont 1200 handicapés à vie, les quelques 1600 Kabyles condamnés depuis deux ans pour leur amour de la liberté et de la Kabylie, ainsi que les 430 actuels prisonniers politiques sont loin de constituer des facteurs d’amnésie. Ils dressent plutôt, sur chacune des collines de la Kabylie des sirènes d’alarme contre l’oubli. En fin de compte, tant de crimes commis par l’Etat colonial algérien contre la Kabylie encouragent davantage la solidarité entre Kabyles qu’ils n’incitent à avoir peur ou à faire machine arrière. La corruption, le recrutement de renégats et les campagnes de diabolisation des Kabyles en général et de leurs activistes politiques en particulier, ne sont que vaines gesticulations qui ne peuvent en aucune façon arrêter le vent de la liberté soufflant sur la Kabylie. Tant de cas similaires à celui que nous vivons ont déjà consommé leur échec à vouloir intégrer par la force et la violence des peuples dans des entités dans lesquelles ils refusent d’entrer. Au contraire, ils sont là pour nous prouver que dès lors qu’un peuple est décidé à arracher son indépendance, rien ne peut l’en empêcher. Même soumis à l’enfer, ils finissent toujours par voir se lever sur eux le soleil de la liberté.

La haine et la violence de l’Algérie contre la Kabylie ne fait que renforcer l’aspiration du peuple kabyle pour son indépendance.

Le travail colossal fourni patiemment par le MAK durant ces 20 dernières années, consistant à rebâtir notre conscience nationale et à doter la Kabylie d’institutions pérennes, a fini par porter ses fruits en donnant une visibilité et une légitimité incontestables à la marche pacifique du peuple kabyle vers son indépendance. Il a rendu, de ce fait, tout retour en arrière impossible.

Philadelphia, le 06/05/2023

Par Ferhat MEHENNI

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