Tout en misant sur la Chine s’il veut se rapprocher de la Russie, Félix Tshisekedi ne doit pas quitter le Processus de Luanda !

Pour les uns, c’est une qualité, pour les autres plutôt un défaut. Il s’agit, on s’en doute, du fait que Félix Tshisekedi parle des choses de l’Etat plus avec son cœur qu’avec sa tête. Or, l’Etat ne se gère pas avec le sentiment (qui est nègre). Il s’administre avec la raison (qui est hellène), dixit Léopold Sedar Senghor. De son interview au journal français LE FIGARO parue le 2 mai 2024, les faiseurs d’opinion n’ont gardé que la menace de guerre. ” …une guerre est possible, je ne vous le cache pas”, a-t-il dit. Entre-temps, lors de leur rencontre à Paris le 6 mai 2024, Xi Jinping et Emmanuel Macron, chefs d’Etat des deux des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, n’ont retenu que deux guerres de haute intensité menaçant le monde : Ukraine (avec la Russie) et Gaza (avec Israël). Une façon de signifier aux Congolais que la guerre de l’Est est de basse intensité. C’est une évidence à intérioriser et qui doit dissuader Félix Tshisekedi d’entreprendre contre le Rwanda une guerre susceptible de ne pas laisser la RDC intacte. Et surtout d’ignorer la Chine dans toute manœuvre de rapprochement avec la Russie. Et comment !

En interne et en externe

Ils sont par millions au pays et à l’étranger, les Congolais qui poussent le Chef de l’Etat à quitter le Processus de Luanda que tous les pays membres du Conseil de sécurité considèrent pourtant comme la seule alternative valable qui puisse exister présentement. Ces compatriotes le font parce qu’ils constatent l’extension par le Rwanda de l’occupation des villes et localités congolaises dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, cela au moyen d’une agression que la communauté internationale reconnaît seulement au bout des lèvres.

Bien entendu, Kinshasa pose comme condition au dialogue le retrait des troupes d’occupation.

Ce qui surprend, c’est le fait que la poursuite de la conquête des territoires n’est pas une nouveauté au Congo, ni ailleurs.

En interne, les mouvements insurrectionnels Afdl, Rcd, Mlc, Rcd-Kml, Rcd-N, Cndp et M23 agissaient de la même manière sous Mobutu, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila. Tous les ex-chefs rebelles actifs actuels dans l’Union sacrée de la nation utilisaient cette tactique. On peut demander à Jean-Pierre Bemba et à Azarias Ruberwa ce que le Mlc et le Rcd avaient fait à Mzee L-D. Kabila le 11 juillet 1999, date de signature de l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka ! Ils lui avaient fait faux bond en boycottant la cérémonie de signature parce qu’ils tenaient, ce jour-là, à conquérir avec le concours des troupes ougandaises et rwandaises d’autres villes et localités sous contrôle de l’administration centrale.

En externe, les guerres de l’Ukraine et de Gaza sont en train de (nous) rappeler cette tactique : plus on étend l’espace, plus on se garantit la position de force dans les négociations à venir.

Conséquence : plus on fait traîner le Processus de Luanda, plus le Rwanda gagne du terrain, plus la RDC affaiblit sa position.

Erreur monumentale

Ceci dit, le Processus de Luanda ne doit pas être perçu uniquement sous l’angle des relations entre Kinshasa et Kigali. C’est une erreur monumentale.

L’Angola est le principal allié de la RDC au sein de la Cééac et de la Sadc. L’Angola a en partage avec la RDC une frontière commune de 2.500 km partant du Kongo Central au Haut Katanga en passant par le Grand-Bandundu, le Grand Kasaï et le Lualaba. Elle n’a pas son pareil parmi les 8 autres voisins de la RDC.

Depuis 1997, l’Angola est et reste le principal partenaire de la RDC en matière de sécurité en Afrique centrale et australe.

Dans la même optique, l’Angola a un avantage que la RDC n’a pas au sein du Conseil de sécurité de l’Onu : elle a consolidé ses relations avec ses alliés traditionnels (Russie et Chine) tout en les harmonisant avec ses alliés non-traditionnels (États-Unis, Grande-Bretagne et France).

Mieux, c’est l’Angola qui a conseillé la RDC de se tourner vers la Chine en 2007 dans le cadre du contrat sino-congolais quand il s’est avéré que l’Occident n’était pas dans le schéma d’investir dans les infrastructures congolaises après les élections de 2006 pourtant financées par l’Union européenne !

Quitter le Processus de Luanda pour un autre est une bavure.

 

Et revoici le contrat sino-congolais

Or, comment la RDC a géré la crise surgie autour du contrat sino-congolais entre 2022 et 2023 ? Alors qu’elles auraient dû utiliser les canaux diplomatiques pour plus de discrétion et d’efficacité, les autorités congolaises ont été entraînées dans de la politisation et de la médiatisation visant à discréditer les Chinois dans l’opinion.

C’est vrai que le Président Félix Tshisekedi s’est rendu en Chine en 2023, ce qui a permis, laisse-t-on entendre, de “sauver” ce contrat devant rapporter USD 7 milliards à la RDC, montant à affecter seulement aux routes, et cela en raison de USD 324 millions, soit sur 21 ans.

Dans ce genre d’affaires, on a intérêt à retenir que le flegme britannique est un nain face à celui des Chinois.

Dans le contexte sécuritaire mondial actuel, la leçon à garder est que la Chine est le seul pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu à pouvoir plaider pour la RDC dans toute tentative de rapprochement avec la Russie qui, elle, est comme un chat échaudé au regard, notamment, de la manière dont le contrat sino-congolais a été géré.

La Chine, on le sait, fait preuve de fidélité à l’égard de la RDC depuis la normalisation des relations diplomatiques et de la coopération structurelle sous Mobutu en 1972. Pendant la période difficile (de 1990 à ce jour), elle n’a pas abandonné le peuple congolais. Lorsque la RDC a été placée sous embargo pour achat d’armes de guerre au cours de ces vingt dernières années, elle a continuellement plaidé pour la levée de cette décision inéquitable.

La fidélité dans les amitiés, c’est sa constante.

Dans cette logique, et aux côtés de la Russie, mieux que la Russie, la Chine continue de la manifester à l’égard de l’Angola (Afrique australe), du Congo-Brazzaville (Afrique centrale) et de la Tanzanie (Afrique Orientale), trois des 9 pays voisins qui ne sont pas dans le schéma de balkanisation de la RDC à partir de leurs territoires respectifs.

On ne sait alors pas trop pourquoi veut-on pousser la RDC à abandonner le Processus de Luanda pour susciter un ennemi de plus dans la sous-région et à la rapprocher de la Russie en ignorant la Chine.

Déjà, face à cet imbroglio, demander à Félix Tshisekedi de déclarer la guerre au Rwanda sans chercher à savoir ce qui va arriver dans le temps en cas de victoire ou de défaite est le pire des pièges qui puisse lui être tendu !

La guerre entre Etats a ceci de particulier qu’elle ne se termine jamais sur un match nul.

Que la RDC gagne ou échoue, le vrai enjeu sera la suite des évènements dans ses rapports avec la communauté internationale.

Et, dans celle-ci, deux voix comptent : la Chine d’abord, la Russie ensuite, deux alliés non-traditionnels puisque les alliés traditionnels que sont les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont vraisemblablement choisi le camp du Rwanda dans la gestion de la crise de l’Est de la RDC.

Au final, tout est dit dans le titre : persuader Félix Tshisekedi de miser sur Pékin dans toute tentative de se rapprocher de Moscou, mais surtout le dissuader de sortir du Processus de Luanda. Même en doutant de sa sincérité, nous avons au moins entendu Macron déclarer au Chef de l’État congolais : “Dabord, je voudrais défendre quand même le travail qui est fait par l’Angola et son président, parce que je peux toujours critiquer les processus, mais enfin, il a le mérite d’exister, et il n’y a pas beaucoup de concurrents”.

Omer Nsongo die Lema