Un évêque libanais en Égypte
Mgr Georges Chihane a reçu la charge d’évêque maronite pour l’Égypte en 2012. Douze ans après, il conserve sa passion pour son pays d’adoption et partage les joies et peines d’un évêque expatrié dans ce pays qui accueille une forte minorité chrétienne.
Pourriez-vous expliquer comment un Libanais maronite comme vous se retrouve à exercer au Caire ?
Oh, vous savez, il y a des maronites partout ! Je suis né au Liban d’une famille pieuse. Mon père avait souhaité devenir prêtre – chez nous il existe des hommes mariés prêtres – je suppose que ce désir m’a aguillé vers ma vocation. J’ai été envoyé au Maroc, puis en Jordanie et enfin en Égypte, où j’ai été nommé évêque. En plus de la communauté copte orthodoxe, qui compte 15 millions de fidèles, 7 églises catholiques sont représentées ici, dont la mienne. Les chrétiens d’Orient, et en particulier les Libanais, émigrent beaucoup.
Est-ce un phénomène nouveau qui vous inquiète ?
Les Libanais voyagent, cela n’est pas nouveau. Mais ces dernières années, le Liban perd beaucoup de chrétiens. Je vois des familles qui partent, et même des gens âgés qui conseillent aux jeunes de ne pas rester dans ce pays qui compte pourtant tant pour nous ! C’est très préoccupant… Votre pays d’adoption, l’Égypte, est-il un refuge sûr pour les chrétiens d’Orient ? Les chrétiens se sentent en sécurité en Égypte. Ils savent qu’ils sont surveillés, mais les relations avec le régime sont bonnes et il y a eu peu d’attentats ces dernières années. C’est effectivement un refuge sur ce point de vue-là. Il y a d’ailleurs de nouveaux réfugiés qui arrivent en ce moment ; les Soudanais qui fuient la guerre civile et auquel notre Église vient en aide du mieux qu’elle le peut. Mais ceux qui le peuvent vont ailleurs, car la situation économique ici est très mauvaise.
Les Égyptiens subissent effectivement une inflation terrible, êtes-vous inquiet pour l’avenir ?
Oui, car on ne voit pas cette crise économique s’infléchir. Beaucoup de maronites qui vivent en Égypte ne s’en sortent qu’avec le soutien de la diaspora. Je vois des locaux avec des situations financières catastrophiques, le prix de la farine s’envole, les salaires stagnent… Nous accueillons ceux que nous pouvons. Nos églises, en particulier, sont toujours ouvertes et je dis bien qu’on peut m’appeler en cas d’urgence, même à minuit ! C’est ce qui fait la gloire d’un évêque, à mon avis, pas la mitre mais le service. En ce moment, l’une de nos missions prioritaires est l’accueil des Soudanais, notamment par le biais de Caritas. Plus globalement, je dirais que l’on attend surtout de nous de l’attention et de l’écoute.
Quelles sont vos relations avec les musulmans, qui composent la majorité de la population ?
Nous vivons côte à côte, il n’y a pas d’animosité, mais je regrette que le dialogue soit si inégal. Lors des réunions interreligieuses, je constate que nous connaissons la religion musulmane alors qu’eux ne savent, pour ainsi dire, rien du christianisme. J’ai l’impression qu’ils ont peur de l’étudier, comme s’ils risquaient de passer automatiquement pour de mauvais musulmans. Il faudrait que cette attitude de méfiance laisse la place à de la compréhension et de l’entente. L’un des moyens de le faire ce sont nos écoles chrétiennes. Les musulmans font la queue pour y aller ! Mais nous avons quelquefois des problèmes avec certains d’entre eux qui, une fois acceptés dans nos murs, veulent que l’on retire les croix qui sont au mur… Comme je vous le disais, ils ne savent presque rien de notre religion ! J’espère que cela changera à l’avenir.
Propos recueillis par Sylvain Dorient