Un incendie au Camp Kokolo  

Le camp militaire « Lieutenant-Colonel Kokolo » représente certainement la plus grande place militaire de la capitale congolaise.

Un incendie s’y est produit ce le samedi 22 juin 2024. Ce feu m’a plongé dans une sorte de mélancolie, m’a révolté et m’a inspiré ce petit texte de courroux.

Pour nous qui sommes nés et avons grandi dans cette mégalopole le camp Kokolo n’est pas seulement un lieu, mais tout un symbole. Cet endroit nous rappelle notre joyeuse enfance, notre insouciante jeunesse et comment nous vivions dans Lipopo-Kin la belle qui, croyez-moi n’a rien à avoir avec ce que nous voyons depuis quelques décennies.

Dans ma petite cervelle de nostalgique impénitent, le camp Kokolo était un lieu spécial ; il est certes toujours et encore l’habitat des militaires ; mais c’était surtout un lieu inspirant le respect, l’ordre et la discipline. A l’entrée du camp se trouvait toujours un soldat en faction, immobile, imperturbable, impeccablement vêtu, arme en bandoulière ; il imposait sans le moindre mot le respect absolu. Dans cet endroit tout était bien ordonné ; des arbres toujours de la même espèce, soigneusement taillés, longeaient des rues extrêmement propres donnant soit sur les villas cossues des officiers ou les maisonnettes bien rangées des soldats.

On y était accueilli par un silence apaisant que caressaient, de temps à autre, des légers crescendos flûtant des rossignols ou des doux chuchotements des moineaux multicolores. Quelques fois, des hululements des hiboux terrifiants pour les garnements que nous étions ; sortaient des cimes des immenses manguiers en direction desquels, malgré nos envies et nos audacieuses idioties, nous n’osions pas exercer nos talents de lanceurs de pierres. Qui pouvait oser perturber le calme et la sérénité de ce temple de la Force Publique ?

De ce lieu symbole de l’organisation et de l’ordre j’ai reçu ce samedi des images d’une tristesse inouïe. J’ai vu, comme chacun, une de ces maisons en briques cuites datant des années quarante du siècle passé prendre feu devant des badauds impuissants tournant en rond autour de cette vieille bâtisse qui se consumait sans qu’aucune réaction rationnelle ne vienne de nulle part.

Et moi, dans un confortable fauteuil, le téléphone à la main, les yeux rivés sur l’écran, oscillant entre honte et colère, la révolte a failli m’étouffer.

Comment expliquer ceci ? Pourquoi cette incapacité ? Les personnes présentes sur le lieu ne faisaient que se lamenter autour de la maison en feu, certains pleurant, d’autres vociférant. J’ai été stupéfait de constater que ce grand camp militaire ne dispose pas d’un véhicule anti-incendie capable d’intervenir rapidement dans pareilles situation. De la vidéo, on peut prendre conscience que quelques enfants risquaient encore leurs vies dans la maison en flammes, alors que des désœuvrés impuissants polémiquaient dehors sur la possibilité ou pas pour le feu d’atteindre le coin qui leur servait de refuge.

Apparemment, il n’y avait même pas, dans cet entourage, un marteau pour casser et élargir une fenêtre par laquelle sauver les enfants. Et nous avions vu à l’image le feu se rapprocher du dérisoire refuge des gamins. S’en sont-ils sortis vivants ?

Sommes-nous devenus si incapables pour avoir des réactions rationnelles afin de faire face au danger ? Je me rappelle, qu’enfants, nous recevions dans les organisations de la jeunesse (Scouts, Joc, Xavériens ou Croix rouge) des enseignements sur les bonnes réactions à mettre en œuvre en cas de danger.

Et même dans nos quartiers populaires, en cas de survenance de ce genre d’incidents malheureux, il y avait toujours un « grand » qui surgissait pour ordonnancer la lutte contre le danger en motivant les uns et organisant le secours aux infortunés.

Qu’est ce qui nous arrive ? Qu’est devenue notre société ? Devant un tel drame, nous n’avons pas vu émerger un quelconque leadership circonstanciel qui aurait pris les choses en mains pour tenter un sauvetage… même imparfait.

Comment expliquer cette situation, cette irresponsabilité ? Qui blâmer ? Est-il normal de vivre ce genre de drame comme des simples faits divers ?

Où se cachent nos philosophes  et sociologues pour analyser ce mal ? Où sont nos sociaux-psychologues pour proposer des remèdes.

Ces différentes tragédies viennent-elles nous révéler ce que nous sommes réellement ? Est-ce seulement un long moment de distraction, de perdition ?

Quelle que soit la direction que prendront nos réflexions, il s’impose que nous nous remettions véritablement en question. Il faut sortir de l’aveuglement et du refus du bon sens, de ce que nous qualifions de « logique ».

Ne voyons-nous pas que les sociétés empreintes de logique avancent plus que la nôtre ?

Merci

Jean-Pierre Kambila Kankwende