Voici pourquoi la finance inclusive doit être au cœur de la réponse climatique (Sophie Sirtaine)
À l’approche d’une semaine importante, celle de l’Assemblée générale des Nations Unies, et de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29), l’agenda climatique mondial est marqué par d’intenses discussions sur la question des financements. Toutefois, la question de savoir qui a accès à ces financements est quasiment absente du débat.
La nécessité de faire parvenir les financements à ceux qui sont les plus affectés par le changement climatique est pourtant largement admise. Elle est au cœur des discussions sur les pertes et préjudices (a), comme du discours prononcé par le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement. Il y a souligné qu’il était « honteux que les plus vulnérables […] luttent désespérément pour faire face à une crise climatique qu’ils n’ont pas contribué à créer » et affirmé que « le système financier mondial doit faire partie de la solution pour le climat ». Ce point a aussi été un élément clé des négociations lors des COP qui se sont succédé depuis la création du Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices, en 2013.
Le monde entier réclame haut et fort que davantage de fonds destinés à la lutte contre le changement climatique aident les pays à revenu faible et intermédiaire, qu’ils financent l’adaptation et qu’ils aillent directement à ceux qui en ont le plus besoin. Cependant, le monde est loin de la concrétisation de cette ambition. Si 4 800 milliards de dollars ont été consacrés à l’action climatique, 75 % de ce montant a été investi dans des pays à revenu élevé (a) et on estime que moins de 10 % est parvenu aux échelons locaux (a).
La solution serait pourtant à notre portée. Dans un récent rapport (a) du CGAP (a), nous démontrons que la finance inclusive peut être le moyen le plus efficace de distribuer les fonds climatiques au plus près des populations et de permettre une transition juste ainsi qu’une action climatique véritablement mondiale.
Les services financiers sont l’instrument essentiel de toute action climatique que quiconque souhaiterait entreprendre. Les produits d’épargne et de crédit permettent aux individus d’investir dans des technologies plus propres, d’adopter des pratiques plus durables et de construire des moyens de subsistance plus résilients. Les remises migratoires et les prestations versées par les pouvoirs publics sont indispensables pour aider les ménages à faire face aux chocs climatiques et à éviter des stratégies de survie néfastes. Les produits d’assurance améliorent la gestion des risques, débloquent des investissements dans les moyens de subsistance et aident les personnes touchées à reconstruire leur vie après une crise.
A contrario, sans accès à des services financiers, les personnes affectées par le changement climatique ne peuvent pas anticiper ou affronter les chocs et s’en relever, ni s’adapter pour renforcer leur résilience et améliorer leurs moyens de subsistance. Il est donc essentiel que ces services soient accessibles à tous ceux qui subissent les effets du climat, en particulier les personnes plus particulièrement vulnérables qui vivent dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Cette nécessité a été soulignée dans notre publication par le président de la Banque mondiale, Ajay Banga, et par Sa Majesté la reine Máxima des Pays-Bas, mandataire spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour le financement inclusif du développement. Ils ont ainsi déclaré que « la finance inclusive est un outil précieux et crucial pour faire en sorte que le financement de la lutte contre le changement climatique parvienne jusqu’aux plus vulnérables et leur donne les moyens d’agir […] et compte tenu de l’ampleur et de la fréquence croissantes des chocs climatiques, le moment est venu d’agir ensemble pour faire de la finance accessible à tous la pierre angulaire de la lutte contre le changement climatique ».
La finance inclusive est un système mature, à faible risque et à fort impact, dont les bailleurs de fonds pour le climat devraient tirer parti. C’est déjà un écosystème bien établi, qui transfère efficacement et en toute sécurité des flux importants provenant d’investisseurs à impact, de fonds intermédiaires et d’institutions de financement du développement vers les populations défavorisées par l’intermédiaire d’établissements financiers rigoureusement réglementés. Les prestataires de services financiers inclusifs entretiennent des relations avec les communautés à faible revenu, ils ont une connaissance approfondie des besoins des clients et savent comment y répondre grâce à des solutions financières adaptées. Ils disposent également de contrôles internes solides pour éviter une mauvaise affectation ou une mauvaise utilisation des fonds et sont strictement supervisés par les régulateurs bancaires. Cela leur permet de répartir les capitaux de manière efficace et efficiente, là où ils sont le plus nécessaires.
Cela fait des dizaines d’années que ces prestataires inclusifs accomplissent cette mission à grande échelle. La révolution de l’argent mobile en est un exemple : en 2012, il y avait 30 millions d’utilisateurs actifs de l’argent mobile dans le monde (a), mais aujourd’hui ce sont 1,8 milliard de comptes qui brassent 1 400 milliards de dollars par an (a). Et la plupart de ces comptes sont détenus par des utilisateurs à bas revenu et hors du système bancaire.
En outre, comme en témoignent de nombreuses évaluations, les prestataires de la finance inclusive ont fait la preuve de leur capacité à servir efficacement les bas revenus et à produire des résultats positifs. En revanche, actuellement, le déblocage du financement climatique destiné aux pays à revenu faible et intermédiaire est compliqué, avec des montants de transaction importants et des processus de décaissement interminables. Ainsi, le taux de décaissement de l’aide au développement liée à l’adaptation n’est que de 59 %, contre 91 % pour l’aide publique au développement en général (a). Le Fonds vert pour le climat et d’autres bailleurs de fonds sont régulièrement critiqués pour la lourdeur de leurs processus, qui prennent souvent cinq ans ou plus avant que l’argent soit versé.
Les prestataires de services financiers inclusifs ont un rôle primordial à jouer dans l’élargissement de la base de l’action climatique à chacun des huit milliards d’habitants de la planète. Ils offrent la solution la plus efficace pour convertir de gros montants de financement climatique en petites sommes qui arrivent directement aux ménages démunis, avec une évaluation des risques supplémentaires relativement limitée et des délais d’exécution rapides.
Enfin, la finance inclusive peut aussi contribuer à réduire le déficit de financements climatiques à l’échelle mondiale. Elle a fait ses preuves en matière de mobilisation de capitaux privés pour le développement, en transformant en 30 ans seulement un secteur autrefois piloté par des ONG et axé sur des subventions pour en faire aujourd’hui une industrie commerciale de grande envergure. Le montant total des prêts accordés par des prestataires de finance inclusive dans le monde excède à présent 180 milliards de dollars par an.
Il est temps que la finance inclusive soit au premier plan de l’agenda climatique. Dans le cadre des négociations mondiales sur le financement du climat, la question de savoir comment atteindre les personnes les plus affectées et renforcer leurs capacités doit être au centre des préoccupations. La finance inclusive est un moyen puissant de garantir que l’action climatique peut bénéficier à chaque habitant de notre planète en proie au réchauffement du climat.