Par la voix de son ambassade à Alger, l’administration américaine a exprimé, dimanche 2 avril, son rejet de la cabale judiciaire contre les journalistes et militants politiques algériens, lancée depuis l’installation de l’actuel pouvoir politico-militaire dirigé par le duo Abdelmadjid Tebboune-Saïd Chengriha. Faut-il alors s’attendre à un rappel de l’ambassadeur d’Algérie aux Etats-Unis?
Une lourde condamnation a été prononcée, dimanche 2 avril à Alger, contre le patron de presse Ihsane El Kadi. En plus d’une peine de prison de cinq ans, dont trois fermes, ainsi qu’une amende de quelque 12 millions de dinars (900.000 dirhams), Interface Médias, société éditrice des médias qu’il dirige (Radio M et Maghreb Emergent), a été mise à mort suite à sa dissolution et la confiscation de tous ses équipements et biens.
Avec cette énième condamnation d’un journaliste, qui vient ainsi grossir les rangs de plusieurs centaines de détenus politiques, emprisonnés ces trois dernières années, la junte algérienne a clairement montré au monde qu’elle est déterminée à ne laisser d’autre choix aux voix dissonantes que la prison ou le silence imposé par la terreur.
En effet, pour avoir reçu 25.000 ou 27.000 livres sterling (341.800 dirhams) de la part de sa fille qui réside à Londres, Ihsane El Kadi a été condamné après avoir été accusé de tous les maux: «réception de fonds depuis l’étranger afin de faire de la propagande politique», «réception de fonds depuis l’étranger pour commettre des actes contre la sécurité de l’État et l’unité nationale», «publication de tracts de nature portant atteinte à l’intérêt national» et «collecte de fonds sans autorisation».
Quelques heures seulement après le prononcé du verdict contre le journaliste, c’est l’ambassade des Etats-Unis en Algérie qui a été parmi les premiers à réagir en dénonçant cette condamnation. Dans un tweet publié dimanche soir, elle écrit que «la liberté d’expression est un droit fondamental reconnu par l’ONU. L’administration Biden a et continuera d’indiquer clairement que la liberté de la presse et la liberté d’expression sont des priorités américaines dans le monde entier, y compris en Algérie.»
Une façon de rappeler sévèrement la junte algérienne à l’ordre. Le rappel à l’ordre est d’autant plus cinglant qu’il émane de quelques encablures des résidences des pontes du régime. Leurs oreilles ont dû siffler. «Cette condamnation s’est fondée sur un dossier qui se caractérise par une vacuité ahurissante», selon le communiqué de la famille d’Ihsane El Kadi, qui qualifie le régime algérien de «machine à broyer».
Cette réaction américaine va-t-elle pousser la junte algérienne à rappeler son ambassadeur à Washington, surtout que son tweet n’est pas sans rappeler les critiques acerbes proférées en octobre 2021 par le président français Emmanuel Macron, contre le «régime politico-militaire» algérien «fatigué» et «fragilisé» par le Hirak, conduisant à un premier rappel de l’ambassadeur algérien à Paris? Un deuxième rappel de l’ambassadeur algérien à Paris a eu lieu en février dernier suite à l’exfiltration vers la France de la journaliste franco-algérienne Amira Bouraoui, condamnée à une peine de prison et interdite de quitter le territoire algérien.
Mais il y a plus important: quand le président du gouvernement espagnol a reconnu que le plan d’autonomie présenté par le Maroc pour tourner la page du conflit du Sahara est la seule base de solution, le régime algérien a poussé des cris d’orfraie, alors que le sujet n’est pas supposé le concerner. Il a rappelé l’ambassadeur d’Algérie à Madrid en mars 2022. Plus d’un an après, le poste est toujours vacant. Pourtant l’Espagne n’a porté aucun jugement sur la politique ou les affaires algériennes, et elle a même livré à la vindicte de la junte deux opposants très actifs sur les réseaux sociaux, Mohamed Benhalima et Mohamed Abdellah.
On va voir si la gifle infligée à la junte à partir d’Alger va provoquer une réaction en cohérence avec les coups de menton de ces deux dernières années ou bien si les vieillards aux commandes vont faire la sourde oreille.
Selon des analystes algériens, Ihsane El Kadi a été envoyé en prison sur ordre du président algérien Abdelmadjid Tebboune lui-même. Ce dernier l’a d’ailleurs traité de «khabardji» (indic) lors de sa dernière sortie médiatique face à la presse locale, le 24 février. Une accusation qu’il a l’habitude de coller à tous les journalistes qui le critiquent, surtout qu’Ihsane El Kadi venait de lui contester toute habilitation à briguer un second mandat en 2024 et exiger du commandement de l’armée de chercher une autre monture, capable de manier les chiffres avec exactitude et de veiller à la véracité des faits rapportés.
D’ailleurs, Ihsane El Kadi, qui a toujours refusé de parler aux juges depuis son arrestation le 23 décembre dernier, s’est finalement exprimé lors du prononcé du verdict, se limitant à lancer une pique contre Tebboune. «J’ai rêvé d’avoir porté plainte contre le président de la République pour diffamation et avoir gagné mon procès» a été son dernier mot.
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