Bilan de «règne»: les dix meilleures perles, et autres mensonges, de Tebboune

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Président des 50 promesses non tenues, Abdelmadjid Tebboune aura été, tout au long de son mandat, le roi de l’esbrouffe et des craques aussi mémorables les unes que les autres. Des projets les plus improbables présentés comme (presque) réalisés aux annonces les plus irréelles, le raïs algérien nous aura littéralement épatés. Et comme le ridicule ne tue pas, il y a de fortes chances que la performance continue. S’il est impossible d’être exhaustif compte tenu de la prolifique excellence du personnage en la matière, certaines sorties et autres déclarations sont déjà du domaine du culte. Les voici.

1- «Nous n’avons aucun problème avec le Maroc»

La phase est lâchée dès le début du «règne» d’Abdelmadjid Tebboune à la tête de la «nouvelle Algérie». «Nous n’avons aucun problème avec nos frères marocains» et «la sagesse a toujours prévalu» entre les deux pays. Samedi 4 juillet 2020, et devant les caméras de France 24, Tebboune en est certain. Les tensions entre le Maroc et l’Algérie? «Ça va s’arrêter», a-t-il assuré, souhaitant pour l’occasion «le plus grand bonheur et tout le développement au peuple marocain frère». L’histoire retiendra que les relations -interrompues unilatéralement par Alger- entre les deux pays n’auront jamais été aussi exécrables. Grâce à qui?

2- «L’Algérie produira 1,3 milliard de m3 d’eau potable par jour grâce au dessalement de l’eau de mer»

Celle-là est sans doute la meilleure. Mardi 19 décembre 2023, siège de l’ONU à New York. N’en croyant probablement pas ses yeux d’être présent dans la majestueuse enceinte -même si la salle était quasi-vide-, le président algérien s’est senti inspiré. Un peu trop. Alors que les pénuries d’eau sont la règle à Alger et Oran, pour ne citer que les plus grandes villes, lui, il y va. Il ose, avec emphase. «D’ici la fin de l’année 2024», soit vers la fin de son premier mandat présidentiel, «l’Algérie produira 1,3 milliard de mètres cubes d’eau potable par jour grâce au dessalement de l’eau de mer». Rien que cela! Cela vient confirmer une précédente annonce, faite le 5 août de la même année aux médias algériens, dans laquelle Tebboune parlait de 1,4 milliard de m3 d’eau potable produite par jour. Qui peut le plus peut le moins…

Problème: le volume est tout simplement impossible à atteindre. Calculette en main, 1,3 milliard de m3 par jour -chiffre onusien-, c’est 474,5 milliards de m3 par an, soit trois fois la mer Morte, 4 fois le lac du Nicaragua et l’équivalent du lac de Khövsgöl, le plus profond lac de Mongolie. Il y a mieux. Par son annonce, le président algérien affirmait pouvoir produire plus de 11 fois la production mondiale d’eau dessalée. À fin 2024, et si tout se passe bien. Depuis, l’engagement est passé à la trappe et, de la grandeur de l’Algérie, on ne retiendra que les chiffres fantaisistes.

3- Céréales: l’Algérie va nourrir le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et toute l’Afrique

Mercredi 30 mars 2022, Alger. C’est à un vrai cours magistral de science-fiction qu’a eu droit le secrétaire d’État américain Antony Blinken, quand il a été reçu à la Mouradia par Abdelmadjid Tebboune. Lors de la rencontre, ce dernier a affirmé, sans ciller, que l’Algérie a les capacités pour nourrir l’ensemble du continent africain. Les Algériens, qui se réveillent aux aurores et font d’interminables queues dans l’objectif improbable d’acheter un sachet de lait ou un sac de semoule, ont dû apprécier.

«Avec un pays très vaste, nous pouvons aider l’Afrique en termes de fourniture de céréales. On peut le faire. Il est techniquement faisable d’atteindre une production de 30 millions de tonnes. Nous avons besoin de 9 millions de tonnes et pouvons exporter 21 millions de tonnes vers le Maroc, la Tunisie et l’Égypte sans aucun problème», a-t-il précisé dans déclarations reprises intégralement par le Département d’État US. En attendant, l’Algérie est l’un des plus grands importateurs de céréales au monde. Conflit Russie-Ukraine oblige, le pays n’arrive même plus à s’approvisionner actuellement. Moins d’un mois d’ailleurs après sa sortie devant le secrétaire d’État américain, le 23 avril 2023, Tebboune a assuré que son ambition se limitait… à réduire les importations algériennes pour les ramener à une fourchette annuelle se situant entre 2 et 2,5 millions de tonnes, lesquelles lui évitent la famine.

4- Quand l’émir Abdelkader se voit offrir deux pistolets par George Washington… avec un siècle d’écart

Abdelmadjid Tebboune, c’est aussi des voyages gratuits dans l’espace et dans le temps. Dimanche 10 octobre 2021, et dans un laborieux argumentaire pour illustrer la profondeur des relations historiques entre les États-Unis d’Amérique et l’Algérie, le président algérien a cru bon d’affirmer, lors d’une interview diffusée par la chaîne publique, que l’émir Abdelkader, grand héros de la résistance algérienne contre le colonialisme français, a reçu un prestigieux cadeau, composé de deux pistolets, de la part de l’un des pères fondateurs de la nation américaine, Georges Washington, le premier président des États-Unis d’Amérique. Or, George Washington est né le 22 février 1732, et mort le 14 décembre 1799. L’émir Abdelkader est, lui, né en septembre 1808 et décédé le 26 mai 1883 à Damas. Il n’y a donc aucune chance que les deux personnalités se soient rencontrées. Du moins ici-bas. De là à échanger des amabilités et autres gifts, ce n’est certainement pas sur cette Terre évanescente ni dans notre dimension spatiotemporelle que cela a dû se produire.

5- Nicolas II et Alexandre II, c’est kif-kif

Lors d’une visite d’État de trois jours à Moscou, au cours de laquelle il a rencontré le président russe Vladimir Poutine, le 15 juin 2023, Abdelmadjid Tebboune a gratifié le monde d’une bourde monumentale, démontrant une nouvelle fois sa maîtrise très relative de la chose historique.

Lors d’une conférence de presse conjointe avec son hôte, devant un parterre de journalistes et de représentants gouvernementaux des deux pays, le président algérien s’est essayé à une leçon d’histoire, rappelant qu’«à l’époque des tsars», le même émir Abdelkader s’était vu remettre la médaille de l’Ordre de l’Aigle blanc par Nicolas II. Or, ce dernier n’avait pas encore entamé son règne (de 1894 à 1917) quand Abdelkader était déjà décédé, en 1883. Et s’il entendait les divagations de Tebboune, il exécuterait probablement quelques moulinets dans sa tombe. Pourtant, il suffisait de bien écouter Vladimir Poutine ce jour-là, pour comprendre que l’initiative venait d’Alexandre II.

6- L’Espagne a proposé le Sahara à l’Algérie

Lors de son passage le 22 mars 2023 sur la chaîne qatarie Al Jazeera, face à sa compatriote Khadija Bengana, Abdelmadjid Tebboune a affirmé, sans s’émouvoir, que l’ex-maître de l’Espagne Francisco Franco avait proposé, en 1964, à l’Algérie de lui céder le Sahara occidental.

Un échantillon des nombreuses balivernes, contrevérités et approximations que le président algérien a assénées au cours des 26 minutes qu’a duré son interview. Et une pure inspiration du moment. Jamais aucun historien, ni en Algérie ni ailleurs, n’a entendu dire que l’ex-caudillo espagnol avait proposé le rattachement du Sahara atlantique à l’Algérie.

S’y ajoute sa déclaration que «les frontières -entre le Maroc et l’Algérie- sont fermées depuis 43 ans». Or les frontières terrestres maroco-algériennes ont été fermées en 1994, et non en 1980. Tebboune voulait expliquer ainsi que le Maroc et l’Algérie n’ont jamais connu de bonnes relations «depuis leur indépendance».

7- Argent sale récupéré: 20, 22, 30 milliards de dollars… qui dit mieux?

Les montants annoncés sont énormes, ils n’en sont pas moins fournis à la louche. Il s’agit de sommes d’argent et de biens mal acquis, appartenant aux anciens dirigeants et ex-hommes d’affaires sous l’ère Bouteflika, que Abdelmadjid Tebboune a promis de récupérer. Au cours d’une interview accordée en décembre 2022 à des journalistes algériens, le locataire du palais d’El Mouradia indiquait ainsi qu’à cette date, l’État avait récupéré l’équivalent de 20 milliards de dollars.

Cinq mois plus tard, en mai 2023, il avançait le chiffre de 22 milliards de dollars récupérés. Enfin, lors du discours prononcé en décembre 2023 devant les deux chambres du Parlement, Abdelmadjid Tebboune annonçait la récupération de l’équivalent de 30 milliards de dollars.

Comment ce montant est-il passé en l’espace d’une année de 20 à 30 milliards de dollars? Est-ce donc cela que l’inflation à l’algérienne? Et comment le pouvoir actuel a-t-il procédé pour rapatrier l’argent? Et où se trouve aujourd’hui cet argent? Mystère.

8- L’Algérie va produire plus de phosphate que le Maroc

Jeudi 16 novembre 2023, devant les entrepreneurs algériens, le président Abdelmadjid Tebboune a, cette fois-ci, promis de hisser l’Algérie au rang de premier, deuxième ou troisième (sa langue ayant trébuché sur le podium) producteur de phosphate dans le monde et premier producteur, sans hésitation cette fois-ci, en Afrique. «Notre pays deviendra bientôt un puissant producteur de phosphate et se hissera au premier rang en Afrique, voire dans le monde où il est assuré d’occuper au moins la 2ème ou 3ème place», a-t-il lancé.

Comment l’Algérie, qui ne dispose que de 2 milliards de tonnes de réserves en roches phosphatées, dont la teneur en minerai ne dépasse pas les 10% (c’est-à-dire sans valeur), peut-elle concurrencer le Maroc, qui dispose de 50 milliards de tonnes de réserves en phosphate de très bonne qualité, dont la teneur en minerai tourne autour de 30%?

L’ambition du précédent exécutif algérien était de passer d’une production de quelques centaines de milliers de tonnes de phosphate à 10 millions de tonnes en 2022. Or, cette année-là, la production algérienne de phosphate a à peine frôlé le million de tonnes, soit dix fois moins que prévu… et 40 fois moins que la production marocaine.

9- Des zones de libre-échange au Maghreb et au Sahel, mais pour quoi faire?

Pour Abdelmadjid Tebboune, l’occasion était toute trouvée, le mardi 13 février 2024: la 41ème réunion du Comité directeur des chefs d’État et de gouvernement du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), censée être le principal cadre de développement du continent. Par visioconférence, le président algérien a annoncé, tenez-vous bien, l’ouverture dare-dare de zones de libre-échange (ZLE) entre l’Algérie et ses pays voisins (à l’exclusion du Maroc, bien sûr). «J’annonce à mes collègues présidents qu’en 2024, l’Algérie connaîtra la création de zones de libre-échange avec les pays frères, à commencer par la Mauritanie, puis les pays du Sahel, Mali et Niger, en plus de la Tunisie et de la Libye», nous apprenait un communiqué de la présidence algérienne.

Mais alors, quels préparatifs ont été menés? Rien. De là à adhérer, signer des deux mains et lancer ce vaste espace de commerce intracontinental… ce serait stupéfiant. Surtout, ce sera pour échanger quoi? Car la valeur actuelle des échanges commerciaux entre l’Algérie et tous les pays concernés est de l’ordre de 600 millions de dollars par an -essentiellement des hydrocarbures.

Ajoutez-y les projets annoncés tambour battant par l’Algérie, pour certains depuis les années 1970, et qui n’ont jamais dépassé l’état de maquette (route transsaharienne reliant six pays africains, le réseau coaxial transsaharien de fibre optique dans la région du Sahel, le gazoduc transsaharien entre le Nigeria et l’Algérie…), et vous aurez une idée précise quant au caractère farfelu d’une telle aventure.

10- L’élection présidentielle aura lieu «à temps»

Dans un exercice de style pour le moins indigne d’une agence officielle d’information, l’agence algérienne APS a livré, le 27 février dernier, une dépêche d’information qui fera date et qui porte manifestement la signature de la présidence. L’objet, et il fallait bien chercher pour le trouver: la date de l’élection présidentielle. «Les élections auront lieu en temps, tel que prévu par la Constitution et ce par respect pour la Constitution et pour le peuple algérien seul détenteur de la souveraineté», pouvait-on y lire, parmi bien des insultes à tous ceux qui en doutaient.

Sauf que. Alors que d’aucuns s’attendaient à un report de la présidentielle algérienne, initialement prévue en décembre 2024, un communiqué d’El Mouradia a annoncé, jeudi 21 mars, que cette élection est plutôt avancée de trois mois. Le collège électoral est convoqué au mois de juin prochain et la présidentielle aura lieu le 7 septembre suivant, soit plus de trois mois avant la fin légale du mandat d’Abdelmadjid Tebboune. Cette décision inattendue pose davantage de questions sur les raisons du non-respect de l’échéance électorale et met les feux des projecteurs sur un pays qui, visiblement, navigue à vue.

Sauf gigantesque surprise, Abdelmadjid Tebboune va rempiler pour un deuxième mandat de président, qui sera, à n’en pas douter, très riche en tebbounneries.

Par Tarik Qattab

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