La Mission d’observation électorale du Regard Citoyen aux élections générales du 20 décembre 2023 a présenté dernièrement sa déclaration préliminaire. Parlant du contexte politique, M. Paul Kabeya, Coordonnateur national a cité les faits qui ont déterminé le contexte politique congolais pendant le quinquennat du Président Felix Tshisekedi.
Il s’agit du rejet des résultats de la présidentielle de 2018 par Martin Fayulu Madidi et sa revendication d’obtenir la vérité des urnes ; La rupture de la coalition FCC-CACH ; La création de l’Union Sacrée de la Nation (USN) et la constitution d’une nouvelle majorité au parlement ; La révision de la Loi portant organisation et fonctionnement de la CENI ; La scission des confessions religieuses sur la désignation du Président de la CENI et sa contestation par une partie de l’opposition ; La révision de la Loi électorale ; Le refus du FCC de participer aussi bien à l’enrôlement des électeurs qu’aux présentes élections générales ; Le retrait du parti politique de Moïse Katumbi Chapwe, « Ensemble pour la République » de l’Union Sacrée de la Nation (USN) ; La persistance de l’insécurité, surtout par la résurgence du Mouvement M23, soutenu par le Rwanda.
La Rdc s’est même dotée d’un cadre juridique révisé, généralement conforme aux standards internationaux, mais dont la mise en œuvre demeure problématique. Des réformes électorales sont intervenues après les scrutins de 2018 et 2019, avec pour objectif notamment de corriger les faiblesses du cadre juridique en les conformant davantage aux normes internationales.
Comme principales innovations : Nouvelles mesures dans le processus de désignation des membres de la CENI, notamment par le déclenchement du processus de désignation par un procès-verbal de l’Assemblée Nationale ; La plénière est passée de 13 à 15 membres, avec deux membres supplémentaires pour le compte de la société civile ; L’introduction de nouvelles mesures de transparence, entre autres la publication des résultats désagrégés par bureau de vote sur le site web de la CENI et dans les CLCR ; L’instauration d’un seuil légal de recevabilité des candidatures à 60% des sièges en compétition ; L’exemption du paiement de caution pour les listes contenant 50% de candidatures de femmes par circonscription électorale.
De l’administration électorale
Disons que la CENI, institution d’appui à la démocratie d’après la Loi Organique No 13/012 du 19 avril 2013, a reçu mandat d’organiser les élections. Elle est dotée de l’autonomie administrative et financière. Le choix de son Président a divisé la composante Confessions religieuses qui en a la charge. Ce qui a entamé la confiance d’une partie de la classe politique et de l’opinion vis-à-vis de cette institution.
Malgré les difficultés rencontrées, la CENI a pu : Élaborer une cartographie électorale ; Constituer un fichier électoral par l’inscription et l’enrôlement des électeurs sur l’ensemble du territoire national, à l’exception des 3 territoires du Nord-Kivu : le Masisi, le Nyiragongo et le Rutshuru, principalement sous occupation rwandaise et du territoire de Kwamouth dans le Mai-Ndombe sous l’emprise de la menace de la milice Mobondo.
De l’enrôlement des électeurs
Soulignons que cette opération consistant en l’élaboration de la liste électorale s’est déroulée conformément au calendrier arrêté par la CENI. Cependant, il y a lieu de noter quelques écueils à savoir : La mauvaise formation des opérateurs de saisie, L’impression thermique utilisée par la CENI n’a pas été de bonne qualité, conséquence, un grand nombre de cartes d’électeurs sont devenues illisibles. L’absence d’affichage des listes albums des électeurs enrôlés ; L’insuffisance de sensibilisation de la population ; L’exigence de l’audit du fichier électoral par certaines parties prenantes ; Ce fichier comportant 43 955 181 électeurs enrôlés a été contesté par une partie de l’opposition et de la société civile qui ont jugé l’audit commandité par la CENI peu fiable et partisan.
Ajoutons que la gestion des candidatures a été inclusive et a abouti à un nombre de candidats en nette augmentation par rapport aux scrutins précédents. Plus de 100 000 candidats étaient en compétition pour 2 200 positions électives pour les 4 scrutins combinés. Les candidatures de la grande majorité des leaders de l’opposition ont été retenues.
En vue de se constituer le seuil de recevabilité des listes des candidatures tel qu’institué par la loi électorale, les partis et regroupements politiques ont aligné des candidatures fantaisistes, d’où la pléthore des candidatures observée qui risque d’ouvrir la voie aux contestations éventuelles.
Une campagne marquée par la violence sous toutes ses formes, la recrudescence de discours ethniques et la disparité des moyens entre les candidats
Les équipes de Regard Citoyen déployées dans toutes les provinces de la République ont observé un total de 382 événements de campagne électorale. Une suspicion d’utilisation de ressources publiques a été enregistrée dans 17% des événements de campagne observés, notamment par l’affichage de supports de campagne sur les édifices publics, et le recours à des propos haineux et incitatifs à la violence dans 15%.
Dans les deux tiers des événements de campagne observés, la police était présente pour sécuriser l’événement, l’appréciation globale du comportement de la police est positif à 79%. Dans 38% des 382 événements de campagne électorale observés, les observateurs ont évalué qu’il existe une indication que les participants ont été payés, ont reçu des avantages ou ont été obligés d’assister au rassemblement.
Dans 32% des incidents observés la police n’était pas présente, et dans 44% des cas son comportement n’était pas adapté. Les observateurs ont reporté des cas de blessés et de personnes décédées directement ou indirectement liés aux évènements de campagne.
Durant la campagne électorale, il a été constaté une montée des tensions entre candidats d’une part et leurs militants de l’autre. Des actes de violence physique et verbale ainsi que les actes de vandalisme ont été perpétrés en toute impunité. A quelques jours de la fin de la campagne, le climat politique s’est davantage tendu.
En ce qui concerne la campagne présidentielle, le candidat le plus médiatisé est le président sortant Félix Tshisekedi qui obtient 51% de la couverture globale observée. Moise Katumbi reçoit 17%, suivi par Martin Fayulu (8%), Denis Mukwege (6%) et Adolphe Muzito (6%), tandis que les autres candidats à la présidence sont nettement moins présents.
La participation des femmes demeure toujours faible
Selon Paul Kabeya, il a été noté des mesures incitatives dans la loi électorale à son article 13 alinéa 4 qui prévoit l’exemption des frais de dépôt des candidatures aux listes présentant 50 % de candidatures des femmes dans une circonscription électorale. En dépit de ces mesures, la participation des femmes demeure toujours faible, faute de dispositions contraignantes.
Toutefois, il sied de relever qu’il y a 2 candidatures féminines à la présidentielle contre 1 en 2018 ; 17% des candidatures aux législatives nationales contre 11,48% en 2018 ; 28% aux législatives provinciales contre 11,68% en 2018 et 43% aux municipales.
Il ressort des constats sur terrain que faute des moyens financiers, les femmes candidates ont eu une faible visibilité durant la campagne électorale. En plus, plusieurs cas des violences contre les femmes impliquées dans les élections (candidates, électrices, agents CENI, témoins et observatrices) ont été déplorées, notamment, la destruction des affiches, l’agression physique et verbale, l’atteinte à la dignité et à l’intimité de certaines candidates sur les réseaux sociaux.
Jour du scrutin
La CENI, tenant à respecter son calendrier électoral, et malgré les défis logistiques rencontrés, a organisé les scrutins combinés à partir du 20 décembre 2023. Si l’atmosphère était généralement paisible aux environs de 6h du matin, des tensions sont apparues dans la matinée car seulement 31% des BVD étaient ouverts à l’heure légale. Ces retards étaient principalement dus à l’absence de matériel électoral et parfois à l’absence du personnel électoral.
Concernant les procédures d’ouverture, le nombre total des bulletins n’a été compté par tous et inscrit par le Secrétaire dans le procès-verbal avant le début des scrutins que dans 66% des cas. Dans les bureaux de vote observés par les équipes de la MOE pendant les opérations de vote, dans 21% des cas l’entrée a été refusée à certains électeurs sans base légale. Dans 13% des BVD observés, des personnes, sans carte d’électeur et qui n’avaient pas leur nom sur la liste électorale ont été autorisés à voter.
Des recommandations
Au regard de tout ce qui précède, la MOE Regard Citoyen recommande au Gouvernement, les cours et tribunaux d’assurer la sécurité des compétiteurs électoraux et de la population ; de veiller à la sécurisation des femmes candidates, observatrices, témoins et électrices pour prévenir les violences électorales basées sur le genre ; de diligenter des enquêtes afin d’établir les responsabilités et de punir sévèrement les auteurs des violences relevées pendant les scrutins à l’encontre des femmes.
A la CENI, de préserver l’intégrité des résultats sortis des urnes ; de publier, sur son site internet, les résultats bureau de vote par bureau de vote au plus tard le jour de la proclamation des résultats provisoires ; de privilégier la sensibilisation des femmes jeunes et personnes vivant avec handicap à chaque étape du cycle électoral pour une meilleure appropriation et préparation. – Aux candidats et à leurs partisans : de s’abstenir de tout triomphalisme ou de toute forme de provocation en cas de victoire ;
Aux candidats et aux partis politiques : de contester les résultats uniquement par la voie légale. Aux Électeurs et Électrices : d’attendre la Proclamation des Résultats Provisoires dans le calme. Au parlement, de rendre contraignant l’alignement des listes électorales paritaires lors de la révision de la loi électorale dans son article 13 ; de prendre une disposition qui rende la sensibilisation électorale obligatoire durant tout le cycle électoral.
Aux partis politiques, de disposer des politiques genre pour faciliter l’application de la parité dans leurs directoires; encadrer les femmes durant tout le cycle électorale ainsi que le financement de leurs candidatures.