2012, Abigaël Vutu Matoko est âgée de 18 ans lorsqu’elle participe à l’édition provinciale du concours Miss Congo organisé par l’Office national du Tourisme. Elle brûle de son charme les planches du catwalk érigé dans un salon du plus grand palace de Matadi et obtient la première place du concours face à près d’une vingtaine de candidates.
Abigaël n’est pourtant pas familière des événements mondains de la ville portuaire où elle est née. Troisième d’une phratrie de cinq, elle a plutôt reçu une éducation rigoriste des parents très engagés dans la foi évangélique au sein de l’Eglise CHRISCO (Christ et Compagnons) située au quartier Ciné Palace. La rigueur paternelle est telle qu’elle ne peut même pas fréquenter les jeunes de son quartier dans la bouillonnante commune de Mvunzi où la famille est établie. C’est tout juste si elle fredonne, sans le vouloir, se souvient-elle, les mélodies tonitruantes de la rumba congolaise distillée par les baffles des nombreux bistrots des alentours. Ce paternel protecteur, qui élève ses cinq enfants dans une discipline de fer, est tôt emporté par une maladie.
Pour la famille, c’est une tragédie. La fille aînée fréquente la faculté de médecine à l’université, tandis que la jeune Abigaël, troisième dans l’ordre de naissance, finit à peine ses humanités de latin-philo au collège Notre-Dame de la sagesse. La famille est contrainte à une réorganisation des priorités. Les plus jeunes enfants doivent mettre entre parenthèses leur parcours à l’université pour laisser le peu de ressources familiales à leurs aînés. La mère est obligée d’investir les derniers sous des indemnités reçues de l’entreprise de son défunt mari dans une activité génératrice de revenus afin de soutenir la famille. Elle initie une gargote dans le quartier pour nouer les deux bouts du mois. Abigaël l’accompagne souvent et prend ainsi le goût à la cuisine et … aux affaires. Ses ambitions de poursuivre ses études supérieures la pressent également. La patience n’est pas sa qualité première.
Avec le résultat du concours Miss Congo, elle atterrit à Kinshasa, la capitale de la RDC, pour représenter sa province du Bas-Congo d’alors. Elle entre dans les méandres de l’élection de la reine de beauté au niveau national, mais c’est trop compliqué de nager dans les grandes eaux de Kin la belle. La beauté matadienne n’est ni première, ni deuxième ou même troisième du concours national. Elle ne se décourage pourtant pas et met à profit son séjour kinois pour prendre inscription à l’Université catholique du Congo. Elle apprend vite les secrets de gestion de la clientèle autant qu’elle se familiarise au même moment dans les arcanes des sciences de la communication. Elle n’ira cependant pas plus loin que le bout du premier cycle qu’elle termine avec satisfaction. L’appel du terrain étant plus insistant que les théories des auditoires.
Répondant à l’appel des fourneaux de sa plus tendre enfance, Abigaël retourne à Matadi pour lancer sa première entreprise. Entre-temps, elle s’unit en mariage à un avocat matadien. De cette union, deux petits bonshommes sont les fruits. Elle met également au monde un restaurant dont la spécialité est la production des gâteaux. C’est une grande première dans la ville portuaire, et le marché mord. Sa clientèle est d’abord constituée des proches dans un premier temps. Le bouche-à-oreille, le fameux téléphone arabe, fonctionne à merveille. A la vitesse grand v, sa réputation dépasse le seuil des familiers et pour conquérir toute la ville portuaire. C’est le début d’une grande aventure entrepreneuriale, mais dans l’informel à l’ombre de sa cuisine.
En 2021, lorsque le gouvernement congolais lance le concours des plans d’affaires dans le cadre du PADMPME, elle soumet son projet d’une pâtisserie moderne. Son but est de sortir son entreprise de la cuisine de son foyer pour imposer son enseigne sur la place publique. Elle est sélectionnée et entre en programme pour bénéficier des formations en entrepreneuriat notamment des cours de management, de marketing et d’autres modules de renforcement des capacités managériales comprenant également des sessions de coaching et de mentorat. Une subvention financière lui permet de sortir et de lancer une boutique sur la voie principale Kinshasa-Matadi.
C’est son entreprise de pâtisserie, « Aux délices de Gad-Eytan », (du nom de ses deux enfants), qui a officié au cocktail de l’atelier de restitution des résultats du Concours des plans d’affaires organisé par le PADMPME. Ce projet du gouvernement pour le soutien à l’entrepreneuriat productif et des services à valeur ajoutée vise à accroître la part des PME dans l’économie et à créer des opportunités d’emplois principalement pour les jeunes et les femmes. Jeune et femme, Abigaël est fière d’avoir été sélectionnée parmi les 960 jeunes entrepreneurs de Kinshasa, Goma, Lubumbashi et Matadi, sa ville. L’événement se passe dans le même palace, même salle que le concours de beauté, mais c’est désormais la planche de la pâtisserie qui l’impose dans le paysage. Le parcours est différent, mais toujours un rêve devenu réalité.
Source : padmpme.cd