Il est probable que, dans l’histoire du Moyen-Orient, on n’ait jamais vu autant d’églises mises en chantier en même temps que cette année en Égypte. Les coptes s’en réjouissent, mais la stabilité de leur pays demeure fragile !
Avec plus de 50 millions de tonnes coulées chaque année, le pays des Pharaons se place au 5e rang mondial des fabricants de béton. Derrière l’Inde ou la Chine, mais devant le Brésil et le Japon, qui sont bien plus peuplés. Le pays doit cette performance à une croissance démographique continue et au retour de la stabilité politique. Chaque année, deux millions d’Égyptiens naissent, qu’il faut loger. Le gouvernement lance parallèlement aux chantiers d’habitations de gigantesques projets d’aménagements du territoire.
Dirigeants-bâtisseurs
Les constructions grandioses relèvent de la tradition des grands dirigeants du pays des pyramides. Nasser avait fait bâtir le barrage éponyme, ouvrage gigantesque qui eut l’inconvénient d’anéantir les crues fertilisantes du Nil, mais permit d’étendre la surface agricole du pays. Sadate avait inauguré une ville en plein désert, la Cité du 6 octobre, rapidement renommée « Sadate city ». Après lui, Moubarak avait lancé le coûteux canal de Tochka, qui ambitionnait d’employer les eaux accumulées par le barrage Nasser pour verdir le désert.
L’éphémère Mohammed Morsi n’eut quant à lui pas le temps de se lancer dans de vastes chantiers, mais son successeur le président Fattah Al-Sissi se livra au contraire à une débauche de constructions, dès son arrivée au pouvoir en 2013. Il fit élargir le canal de Suez en 2015 : une nouvelle voie l’a doublé sur 35 km et un autre tronçon de 37 km a été élargi et approfondi. Officiellement, ces travaux, qui ont coûté plus de 8 milliards de dollars, devraient être rentabilisés par l’augmentation des recettes fiscales du canal. Mais d’autres entreprises tout aussi titanesques paraissent plus hasardeuses. En particulier la construction de la Nouvelle Capitale, dans le désert, à 35 km du Caire.
Sur le modèle des nouvelles cités de la Péninsule arabique, c’est une ville qui sort du sable du désert avec tout le clinquant que les pétrodollars peuvent offrir. Au milieu des gratte-ciels et des résidences à l’américaine, un immeuble en forme d’obélisque devrait culminer à plus de mille mètres d’altitude ! À côté de ces projets clinquants, qui dépendent d’investissements étrangers, l’État égyptien est en prise avec l’invraisemblable sac de nœuds de l’urbanisation égyptienne.
En particulier au Caire. Malgré la présence d’un système de métro, les transports reposent principalement sur un réseau routier en déshérence… L’exemple de la voie rapide du pont Teraet Al-Zomordémontre le degré de folie architecturale auquel le gouvernement peut aboutir dans sa recherche de solutions à la congestion de la ville. Il s’agit d’une voie rapide construite au-dessus d’un boulevard et qui s’étend jusqu’à toucher les balcons des immeubles alentour.
Les églises sortent de terre
Les chrétiens ne sont pas oubliés par la fièvre constructrice égyptienne et mettent en chantier des centaines d’églises. Jusqu’à la présidence d’Al-Sissi, ils rencontraient de grandes difficultés à bâtir des lieux de culte. Mais le gouvernement de ce dernier a considérablement simplifié les démarches nécessaires. Pour Mgr Ibrahim Sidrak, patriarche d’Alexandrie et primat des coptes catholiques, il existe une exception égyptienne. Son pays est le seul du Moyen-Orient où la liberté religieuse s’est améliorée lors de la dernière décennie : « Depuis une dizaine d’années, il y a un vrai progrès pour notre communauté.
Nos églises sont reconnues par l’État et il y a bien moins d’actes de violence contre nous qu’auparavant. » Cette prospérité repose sur un régime dont la stabilité est menacée. Certes, le Maréchal Al-Sissi a été triomphalement réélu en décembre 2023, mais la situation économique du pays est préoccupante. Plus gros importateur de blé au monde, il dépendait en 2022 à 80% de l’Ukraine et de la Russie pour cette denrée essentielle. À présent, le prix des matières premières explose en même temps que la dette extérieure. L’Égypte est désormais le deuxième pays le plus à risque de faire défaut de sa dette, juste derrière l’Ukraine en guerre, selon l’agence Moody’s.
Sylvain Dorient