
Face aux tensions croissantes et aux défis économiques persistants, l’idée d’un gouvernement d’union nationale refait surface comme une solution politique pour stabiliser la République Démocratique du Congo.
Cette approche, qui consiste à intégrer différentes forces politiques au sein d’un même exécutif, suscite toutefois un débat intéressant. Représente-t-elle une réelle opportunité pour résoudre la crise ou une manœuvre dilatoire risquant de perpétuer les blocages institutionnels ?
Un historique marqué par des coalitions fragiles
Depuis l’indépendance en 1960, la RDC a expérimenté plusieurs gouvernements d’union nationale ou de coalition, généralement formés en réponse à des crises majeures. L’un des premiers exemples remonte au gouvernement de Patrice Emery Lumumba, qui réunissait des figures comme Antoine Gizenga, Joseph Okito Shinga et Pierre Mulele. Toutefois, les profondes divergences politiques, exacerbées par des ingérences étrangères, conduisirent à sa chute rapide et à l’assassinat de Lumumba en janvier 1961.
Dans la foulée, Antoine Gizenga tenta de structurer un gouvernement parallèle à Stanleyville (actuelle Kisangani), se positionnant comme l’héritier politique de Lumumba. Soutenu par l’Union Soviétique et certains pays du bloc de l’Est, son gouvernement contestait la légitimité du pouvoir central de Joseph Kasa-Vubu à Léopoldville (Kinshasa). Mais, isolé sur le plan diplomatique et militaire, il fit face à une pression nationale et internationale croissante, le contraignant à se soumettre à Kasa-Vubu en août 1961.
Le gouvernement de réconciliation de Moïse Kapend Tshombe en 1964 fut une autre tentative de stabilisation nationale. Alors que le pays faisait face à une rébellion maoïste menée à l’Est par Laurent-Désiré Kabila et son Parti de la Révolution Populaire (PRP), Tshombe parvint à rétablir un semblant d’ordre grâce à un compromis avec Kasa-Vubu. Ce fragile équilibre fut rompu en 1965 lorsque Mobutu prit le pouvoir par un coup d’État.
Ce schéma de coalitions temporaires se répète ensuite sous Mobutu dans les années 1990, lorsque la Conférence Nationale Souveraine (CNS) déboucha sur un gouvernement de transition incluant des figures emblématiques de l’Opposition, dont Étienne Tshisekedi. Toutefois, la manipulation du processus par le clan Mobutu conduisit à un nouvel échec, renforçant la méfiance envers les gouvernements dits d’union nationale.
Le gouvernement de transition « 1+4 » (2003-2006) constitue peut-être l’exemple le plus structuré de coalition en RDC. Issu de l’Accord de Sun City, il intégrait les principaux belligérants sous la direction de Joseph Kabila, avec quatre vice-présidents issus de factions rivales. Bien que cette transition ait permis l’organisation des élections de 2006, elle a aussi illustré les limites de la cohabitation entre acteurs aux intérêts divergents.
L’histoire récente montre que la RDC n’a pas encore échappé à cette logique de coalition instable. Après les élections de 2018, Félix Tshisekedi accepta un gouvernement de coalition avec le Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, en raison de l’absence d’une majorité parlementaire.
Cette alliance, rapidement marquée par des tensions, explosa en 2020 lorsque Tshisekedi renversa la majorité parlementaire en sa faveur et lança l’Union Sacrée de la Nation, une nouvelle coalition destinée à marginaliser l’influence de Kabila.
Les défis des gouvernements d’union nationale
Si les gouvernements d’union nationale peuvent offrir un cadre de dialogue politique, réduire les tensions et renforcer la légitimité des institutions, l’expérience congolaise révèle qu’ils conduisent souvent à une paralysie décisionnelle, une dilution des responsabilités et une instrumentalisation du pouvoir par des élites préoccupées avant tout par la préservation de leurs intérêts.
Pour que ce « gouvernement d’union basé sur les compétences » soit réellement efficace en RDC, il devrait répondre à plusieurs impératifs : définir une feuille de route claire ou un contrat de performance avec des objectifs précis et mesurables, éviter une simple redistribution des postes ministériels sans redevabilité réelle et, surtout, garantir une gouvernance transparente avec un mécanisme efficace de surveillance citoyenne.
Une sélection rigoureuse des membres de ce gouvernement pourrait également constituer une alternative aux habitudes, en intégrant de véritables experts issus de ces mêmes partis politiques mais aussi des technocrates indépendants des jeux politiques traditionnels.
Ce modèle exigerait un calendrier spécifique pour la mise en œuvre de réformes institutionnelles et économiques clairement identifiées. Dans un pays où les crises sont cycliques, seule une vision à long terme, articulée autour de l’État de droit, de la transparence et du développement économique, pourra garantir une sortie durable de l’impasse actuelle.
Au-delà des coalitions, vers une refonte institutionnelle
La RDC ne peut se contenter d’alliances conjoncturelles pour surmonter ses défis. Des réformes institutionnelles profondes, incluant une possible révision de la Constitution, l’instauration d’une justice véritablement indépendante et une gouvernance fondée sur l’intérêt général, sont essentielles pour rompre avec les crises récurrentes.
Un gouvernement d’union nationale peut, certes constituer une étape stratégique, mais il ne saurait se substituer à une refonte en profondeur du système de gouvernance, qui demeure l’enjeu fondamental pour l’avenir du pays.
Pour garantir un avenir stable et prospère, la RDC doit faire preuve d’audace en matière d’innovation politique et institutionnelle, tout en évitant les écueils des coalitions précaires et des compromis de circonstance.