La science de la lecture: Un apport crucial pour remédier aux lacunes scolaires dans les pays à revenu faible et intermédiaire

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L’apprentissage de la lecture est le plus important des acquis de l’école primaire. Savoir lire permet d’acquérir de nouvelles connaissances et d’autres compétences. C’est le socle sur lequel repose l’employabilité d’un individu, sa participation à la vie politique, sa santé et son bien-être tout au long de la vie. Il n’est donc pas surprenant que le quatrième des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies (« Éducation de qualité ») se fixe pour ambition de faire en sorte que tous les enfants acquièrent des apprentissages fondamentaux en lecture et en écriture.

De fait, quasiment tous les enfants peuvent apprendre à lire s’ils reçoivent un enseignement approprié et s’ils ont la possibilité de pratiquer la lecture. Or, malgré des taux élevés de scolarisation, près de 60 % des élèves des pays à revenu faible et intermédiaire sont incapables, à la fin de l’école primaire, de lire une histoire simple et adaptée à leur âge. Et, selon certaines estimations, ce pourcentage est encore plus élevé depuis la pandémie.

Ces données témoignent de l’immense échec des systèmes scolaires à travers le monde. Dans une étude publiée dans la revue Nature Human Behavior, nous nous interrogeons sur les raisons pour lesquelles tant d’enfants scolarisés ne parviennent pas à apprendre à lire. Nous cherchons en particulier à savoir si les élèves acquièrent, dans les premières années du primaire, les compétences de base qui sous-tendent la lecture.

Les apports issus de la psychologie — ce que l’on appelle souvent désormais la science de la lecture (a) — mettent en évidence une série de « sous-compétences » que l’enfant doit maîtriser avant d’être en mesure de lire et comprendre ce qu’il lit. Dans le cas des langues alphabétiques, ces sous-compétences commencent par la connaissance des noms et des sons des lettres de l’alphabet. Les enfants utilisent ensuite ces connaissances pour décoder des mots simples, c’est-à-dire déchiffrer des signes écrits, comme [chapeau], en sons : /ʃ/-/a/-/p/-/o/. Ils doivent pour cela apprendre la manière dont les lettres représentent la langue parlée. Sans quoi, ils ne verront dans ces symboles visuels que des lignes, des traits et des points arbitraires.

Nous avons rassemblé des données sur les sous-compétences de plus de 500 000 élèves de 48 pays au cours des trois premières années d’enseignement de la lecture. Nous avons utilisé pour cela une série d’évaluations de l’apprentissage de la lecture dans les petites classes (connue sous son acronyme en anglais EGRA), qui permet de concevoir des tests appropriés dans différentes langues et divers pays. Nous avons mesuré les notes obtenues à l’aune de critères permettant de déterminer si un élève possède les compétences nécessaires pour devenir un bon lecteur ou s’il a besoin d’un soutien supplémentaire.

Notre analyse révèle des lacunes dramatiques dans l’acquisition des sous-compétences les plus élémentaires, telles que la connaissance des noms et des sons des lettres. Seule une petite proportion des notes rassemblées dans notre échantillon satisfont aux critères minimaux pour un processus d’apprentissage de la lecture réussi, sachant en outre que les scores obtenus sont de plus en plus faibles au fur et à mesure des années d’enseignement. Ainsi, au bout de la troisième année, 96 % des notes évaluant la connaissance des sons des lettres se situaient en dessous d’un seuil de risque considéré comme sévère et nécessitant par conséquent une intervention intensive. Sans surprise, nous avons également constaté une corrélation forte et positive entre chacune des sous-compétences mesurées et la compréhension en lecture. Les élèves ne sont pas en mesure de donner du sens à un texte s’ils ne savent pas en quoi consistent les lettres ou ce qu’elles représentent.

Nos travaux montrent que la lenteur des progrès des élèves dans les pays en développement est telle qu’il leur sera quasiment impossible de savoir lire correctement un jour. Cet échec à faire acquérir des compétences fondamentales en lecture a des répercussions en chaîne sur les perspectives de ces enfants qui, à mesure qu’ils grandiront, auront besoin de savoir lire pour accéder aux études secondaires. Il réduit également plus généralement l’efficacité des investissements dans l’éducation, car les élèves ne sont pas en mesure d’en tirer profit.

Les conséquences des conclusions de notre étude plaident pour une action publique urgente. Jusqu’à présent, les cadres (a) régissant la manière dont les agences de développement internationales évaluent l’acquisition de la lecture dans les pays à revenu faible et intermédiaire sont axés sur la compréhension. Cette approche doit évoluer pour mettre l’accent sur le décodage, que les élèves devraient, dans l’idéal, maîtriser au milieu du primaire. En effet, les objectifs de compréhension énoncés dans ces cadres ne peuvent être atteints si les enfants ne sont pas capables de transformer des chaînes de lettres en mots.

La science de la lecture est la voie qui s’impose pour remédier à l’échec des politiques mis en évidence dans notre article. Cela fait plus de 30 ans à présent que la méthode syllabique (que l’on appelle aussi synthétique ou phonique) a fait la preuve de son efficacité à développer les compétences de décodage fondamentales qui sont à la base de l’apprentissage de la lecture. Cette méthode consiste en un programme structuré de leçons quotidiennes dispensées généralement durant les deux premières années de l’école primaire, et conçues pour enseigner explicitement aux élèves comment les lettres du système d’écriture correspondent aux sons de la langue. Nos résultats suggèrent pourtant que ce corpus d’éléments probants n’est pas exploité pour éclairer la pédagogie de la lecture dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Plus largement, nos conclusions viennent faire écho à la prise de conscience que scolarisation ne rime pas avec apprentissage. Les enfants de notre échantillon sont tous scolarisés, mais ils n’apprennent pas comme il le faudrait. Il est essentiel que la mise en œuvre d’un enseignement de la lecture fondé sur des données probantes s’accompagne d’évaluations régulières des compétences de décodage et de lecture des élèves. Nous ne devrions pas attendre jusqu’à la fin de l’école primaire pour découvrir que les élèves ne savent pas lire.

Les pays à revenu faible et intermédiaire consacrent en moyenne près de 4 % de leur PIB à l’éducation, et l’amélioration de la lecture est devenue un objectif majeur des agences de développement internationales. La lecture est l’apprentissage le plus indispensable à la réussite des élèves, et la réalisation de tous les ODD repose sur l’alphabétisation de la population. Dans notre étude, nous avons passé au crible l’échec des systèmes éducatifs des pays en développement à doter leurs élèves des compétences de base pour l’apprentissage de la lecture. Notre espoir est que les décideurs politiques agiront avec une urgence renouvelée pour concevoir et appliquer des méthodes d’enseignement éprouvées et efficaces.

Kathleen Rastle et Michael Crawford

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