Ce billet est le troisième d’une série consacrée à la manière dont les pays peuvent progresser vers trois objectifs intrinsèquement liés : l’élimination de la pauvreté, la prospérité partagée et la préservation d’une planète vivable. Pour en savoir plus sur ce sujet, consultez le Rapport 2024 sur la pauvreté, la prospérité et la planète : « Les pistes d’action pour sortir de la polycrise » (a).
La Banque mondiale s’est dotée d’une vision plus large et renouvelée de sa mission : œuvrer pour un monde sans pauvreté sur une planète vivable. Conformément à cette nouvelle vision, elle a aussi élargi sa définition de la pauvreté afin de tenir compte de l’évolution des tendances démographiques dans le monde. Jusqu’à présent, la Banque mondiale se focalisait sur un seuil international de pauvreté fixé actuellement à 2,15 dollars par personne et par jour. Dans le cadre de la refonte de ses objectifs, elle va désormais suivre également l’évolution d’un seuil plus élevé, à 6,85 dollars, qui est en général celui fixé pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure — les deux seuils de pauvreté sont exprimés en parité de pouvoir d’achat (PPA) et en dollars constants de 2017 par personne et par jour.
Depuis l’instauration en 1990 d’un seuil international de pauvreté (fixé à 1 dollar par jour), la Banque mondiale a suivi l’évolution de l’extrême pauvreté à l’aide d’un indicateur de référence correspondant aux normes de pauvreté dans les pays les plus pauvres du monde. Le niveau de ce seuil a augmenté au fil des ans pour atteindre aujourd’hui 2,15 dollars (a), ce qui correspond à l’estimation du montant journalier minimum nécessaire pour permettre à un individu de subvenir à ses besoins élémentaires, à savoir se nourrir, se loger et se vêtir.
Au cours des dernières décennies, la structure de la population mondiale a considérablement changé. Entre 1990 et 2024, celle-ci a augmenté de 2,8 milliards d’habitants, soit une hausse de plus de 50 %, pour dépasser les 8 milliards (figure 1). En 1990, près de six personnes sur dix vivaient dans des pays à faible revenu (figure 1). Et ces pays abritaient aussi plus de 90 % (a) de la population en situation d’extrême pauvreté dans le monde. Il était donc tout à fait logique que la Banque fixe un seuil de pauvreté reflétant la réalité des pays les plus pauvres.
Or, aujourd’hui, les pays à revenu intermédiaire comptent plus des trois quarts de la population mondiale (figure 1). De nombreux pays, en particulier des pays très peuplés comme la Chine et l’Inde, sont passés du statut d’économie à faible revenu à celui de revenu intermédiaire (de la tranche inférieure ou supérieure). Et les pays à faible revenu ne représentent plus aujourd’hui que 9 % de la population mondiale. Le risque est donc d’utiliser un seuil trop bas pour rendre réellement compte de la pauvreté (a) dans les pays à revenu intermédiaire.
Graphique 1 : Évolution de la population par groupe de revenu depuis 1990
En raison de ces évolutions, la Banque mondiale présentera, dans le cadre de ses nouveaux indicateurs, une série supplémentaire de données phares sur la pauvreté correspondant au seuil de 6,85 dollars fixé pour les pays à revenu intermédiaire supérieur. Avec l’augmentation des niveaux de revenu, la définition des besoins fondamentaux s’étend au-delà de la nécessité de se nourrir, se loger et se vêtir, pour inclure également d’autres dimensions telles qu’une alimentation saine, des installations sanitaires correctes, une connectivité internet, l’accès à l’électricité ou encore l’éducation (voir ici [a] et ici [a]). Le seuil de 6,85 dollars est un seuil de pauvreté absolue qui rend compte de cette définition élargie et qui fournit un indicateur plus pertinent de la pauvreté dans un plus grand nombre de régions du monde. La figure 2 permet de mettre en évidence des variations importantes dans le profil régional de la pauvreté mondiale selon que l’on utilise le seuil de 2,15 ou 6,85 dollars. Par exemple, la proportion de la population pauvre mondiale vivant en Afrique subsaharienne diminue presque de moitié, pour passer de deux à un tiers environ, tandis qu’elle est multipliée par deux en Asie du Sud, pour passer de 21 à 42 %.
Figure 2 : Répartition régionale des pauvres dans le monde en 2024
La figure 3 illustre l’évolution de la répartition mondiale des revenus (ou des dépenses de consommation) au cours des dernières décennies. En 1990, environ un tiers de la population mondiale vivait avec moins de 2,15 dollars par jour, un autre tiers avec un revenu compris entre 2,15 et 6,85 dollars par jour, et le tiers restant avec plus de 6,85 dollars par jour. Des progrès considérables ont été réalisés depuis : aujourd’hui, environ la moitié de la population mondiale (56 %) vit avec plus de 6,85 dollars par jour, tandis que moins de 9 % des habitants disposent de moins de 2,15 dollars par jour. La part de la population mondiale située entre les seuils de 2,15 et 6,85 dollars est restée pratiquement inchangée (soit une proportion d’un tiers environ).
Figure 3 : Croissance des revenus depuis 1990
En chiffres absolus, le tableau est toutefois sensiblement différent. En raison de la croissance démographique, le nombre de personnes vivant avec moins de 6,85 dollars par jour dans le monde a à peine changé : elles étaient 3,7 milliards en 1990 et sont 3,5 milliards aujourd’hui. La réorientation de la Banque mondiale vers le seuil de 6,85 dollars recouvre par conséquent une immense population. Elle rend d’autant plus urgente la nécessité de lutter contre la pauvreté et de renforcer la résilience dans un monde davantage exposé aux risques climatiques et économiques qu’il y a quelques années encore.
Même si la Banque mondiale a étendu les limites de la pauvreté, l’élimination de l’extrême pauvreté reste au cœur de sa mission. La Banque est l’« organisme dépositaire » de la cible 1.1 des Objectifs de développement durable (ODD), qui vise à éradiquer l’extrême pauvreté dans le monde entier d’ici à 2030. À l’heure actuelle, les personnes en situation d’extrême pauvreté sont plus nombreuses dans les pays à revenu intermédiaire que dans ceux à faible revenu (a). C’est pourquoi le suivi de l’évolution de la pauvreté au seuil de 2,15 dollars, qui porte sur les privations les plus graves, reste pertinent tant pour les pays à faible revenu que pour ceux à revenu intermédiaire.
Les auteurs adressent leurs plus vifs remerciements au gouvernement britannique pour son soutien financier dans le cadre du programme de recherche « Data and Evidence for Tackling Extreme Poverty » (DEEP).
Samuel Kofi, Tetteh BaahHenry, Stemmler Maria, Eugenia Genoni et Christoph Lakner