7 200 accréditations ont été accordées à des personnes affiliées au monde des énergies fossiles depuis la COP de 2003. De quoi étouffer les négociations, affirme Rachel Rose Jackson, de l’ONG Corporate Accountability.
Rachel Rose Jackson est directrice de recherche climat et politique internationale au sein de l’ONG Corporate Accountability, membre de la coalition « Kick Big Polluters Out » (« Mettez les gros pollueurs à la porte »), qui rassemble des dizaines d’organisations.
La COP28 débute le 30 novembre à Dubaï. Elle est présidée par Sultan Ahmed Al Jaber, PDG de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc. Ce choix a été très critiqué. Est-il fréquent que des lobbyistes des énergies fossiles soient partie prenante des négociations climatiques ?
Rachel Rose Jackson — Les discussions climatiques sont littéralement inondées par les lobbyistes des industries les plus polluantes, et ce depuis des années. À la COP27, à Charm el-Cheikh en Égypte, il y avait pas moins de 630 lobbyistes pour défendre les intérêts de l’industrie des énergies fossiles.
C’est une tendance de fond. Dans un rapport que la coalition Kick Big Polluters Out a publié le 21 novembre, nous avons épluché les listes officielles des participants aux COP de ces vingt dernières années. Résultat : depuis la COP9 de 2003, plus de 7 200 accréditations ont été accordées à des personnes affiliées au monde des énergies fossiles. 945 étaient directement destinées à des employés d’entreprises pétrogazières.
Ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Nous pourrions être loin du compte, car jusqu’à cette année, les participants n’étaient pas obligés de renseigner précisément leur affiliation avec l’entité grâce à laquelle ils demandaient une accréditation, ce qui rendait leur détection très compliquée. Et puis, la présence de lobbyistes aux COP ne se résume pas à l’industrie des énergies fossiles : ces évènements rassemblent aussi des acteurs de la finance, de l’agroalimentaire ou des transports, qui ne sont pas comptés dans notre rapport.
Pourquoi la présence massive de ces lobbyistes est-elle problématique ?
Le rapport de force est extrêmement déséquilibré. Pendant que les industries polluantes — qui sont la source même de la crise climatique — s’assoient à la table des négociations, les gouvernements rendent chaque fois plus difficile la participation de la société civile aux discussions : il est difficile d’obtenir des visas, les accès aux espaces et prises de décisions sont réduits.
Nous avons pourtant le besoin crucial d’une inclusion plus grande de la société civile dans les COP. Notamment les habitants de pays du Sud, en première ligne face aux conséquences du changement climatique, et ce alors que leur contribution est minime dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour elles, et pour nous, il est vital de tracer un chemin clair et juste vers la fin des énergies fossiles. À Dubaï, nous serons très attentifs à la place qui sera accordée à leur voix.
Au vu de leurs émissions, n’est-il pas nécessaire que, dans une certaine proportion, les acteurs des énergies fossiles restent autour de la table ?
Les géants pétrogaziers étaient au courant depuis plus de cinquante ans que leurs activités allaient causer des bouleversements climatiques majeurs, aux conséquences désastreuses. Pourtant, pour préserver leurs profits immédiats, ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour retarder et entraver toute action significative.
Alors certes, ces entreprises ont un rôle à jouer dans la résolution de la crise climatique : en mettant leurs activités en phase avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Mais elles ont prouvé qu’on ne pouvait pas leur faire confiance. Ce n’est pas à elles de fixer leurs règles dans l’élaboration des politiques climatiques. Leur présence étouffe l’action, nous devons protéger les COP de leur influence.
Elles ne doivent ni siéger à la table des négociations, ni même à proximité. Nous devons les mettre à la porte et les tenir clairement responsables des préjudices qu’elles causent sur nos vies et l’habitabilité de notre planète.