La gestion politique d’un programme de gouvernement : Les ministres, les partis et la rationalité programmatique   (Extrait du livre La Gestion Politique du Programme de Gouvernement. Tome II, US-AFRICA LEADERSHIP AND GOVERNMENT ACADEMY ‘USALGA’, 2017)

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Le leader politique élu président de la République, désigné premier ministre, élu gouverneur, ou nommé ministre, est appelé à faire très attention aux facteurs inhibiteurs d’une intelligente et innovante conception d’un programme de gouvernement au plan national ou provincial. Il est important de souligner que de tous ces facteurs qui minent l’élaboration ingénieuse et non techno-mécanique ou folklorique, d’un programme de gouvernement en amont, l’intensité des pressions politiques dans la distribution des postes de l’État est l’un des plus déroutants. Ces pressions sont tellement intenses qu’elles désorientent souvent le leader politique gouvernant. Parfois, elles sont assorties de menaces à peine voilées. Il arrive même que les politiciens qui exercent ces pressions sur le leader politique gouvernant entré en fonction insistent sur le fait que la nomination de tel acteur politique à la tête de tel ou tel autre service de sécurité lui assurera la protection ou non. C’est surtout en ce qui concerne les nominations dans la police, les services de renseignements et l’armée que les pressions portent des risques sécuritaires. Les groupes tribaux peuvent argumenter qu’il est stratégique de confier la défense nationale à tel général, ou le service de renseignements à tel ancien colonel de sa tribu ou de sa région pour être sûr de sa sécurité. Il est périlleux de nommer des personnes aux fonctions publiques dans la précipitation sans avoir à l’esprit la rationalité du programme de gouvernement. Comme examiné dans le septième chapitre, la sécurité est une dimension vitale de la responsabilité gouvernementale. Dans la précipitation et sous la pression, on peut placer aux fonctions stratégiques des individus qui vont plomber la performance du gouvernement ou le déstabiliser.

Dans le climat politique qui suit la mise en place du gouvernement, le leader politique gouvernant qui n’est pas conscient de ses responsabilités, risque de concentrer toute son attention et ses ressources intellectuelles aux pressions politiciennes. Inéluctablement, il va négliger la conception du programme de gouvernement en confiant toute la responsabilité de sa conception aux conseillers et autres techniciens. Lorsque l’élaboration est terminée, on lui présente un document fini dont « il prend connaissance » de manière lapidaire. Ensuite, les députés de la majorité ayant déjà été «travaillés et motivés », voire certains menacés par les chefs des partis, posent des questions lapidaires. La validation du programme à l’Assemblée nationale ou à l’Assemblée provinciale apparaît donc comme une simple formalité.

Cette pratique porte un danger extrêmement grave. En effet, le programme n’ayant pas ses racines dans l’esprit et la conscience du leader politique, ses logiques et son exécution souffriront de certains aléas. Il est probable que le leader politique n’ait pas de la passion dans l’exécution d’un programme qui n’émane pas de son intellect. L’absence de volonté et d’énergie mentale dans la motivation et la mobilisation des collaborateurs et des citoyens, dans l’exécution du programme, est souvent remarquable dans ce cas de figure.

2.1. Le parti politique comme source des premiers référents d’un programme de gouvernement

Le caractère éminemment politique du programme de gouvernement a été abondamment souligné dans le chapitre précédent. Sur cette base, il est logique, voire indispensable, que son premier cadre référentiel, sa source d’orientation, pour la conception, l’exécution et surtout l’évaluation, soit le parti politique dont le leader politique gouvernant est cadre. L’une des causes essentielles de l’incapacité des gouvernements africains à impulser les mutations remarquables de leurs sociétés est que les programmes de gouvernement sont dépourvus des racines dans les partis. Pourtant, sur le plan politique et social, ce sont les partis qui sont les sources des projets de société. Et les projets de société, comme l’indique le nom, sont des modèles, des images, des maquettes conceptuelles de ce que la société est censée devenir !

Il convient d’observer, à ce sujet, que même dans les entités décentralisées comme les provinces, les régions, les villes, voire les communes et arrondissements, les partis y opérant peuvent, tout en se référant au macro-projet de société, avoir des sous-projets de société pour lesdites entités décentralisées. C’est-à-dire que les membres dudit parti dans l’entité décentralisée captent ses problèmes majeurs et proposent des solutions adéquates propres au contexte spécifique. De telle sorte que lorsque le parti remporte la majorité de sièges à l’Assemblée provinciale ou dans le Parlement de l’État fédéré, ou dans un conseil municipal, le leader élu gouverneur ou maire et son équipe exécutive puisent dans le sous-projet de société ou dans la vision provinciale dudit parti. Même dans le cas d’un gouvernement de coalition, le parti détenteur du plus grand nombre de sièges est celui dont les éléments du projet de société vont servir de cadre référentiel de base.

À ce niveau, une attention particulière est accordée au parti politique comme creuset de formatage «gouvernologique» de ses membres et cadres, futurs leaders gouvernementaux. Ensuite, un accent sera mis sur l’idéologie comme prisme référentiel et sur le projet de société comme modèle d’inspiration du programme de gouvernement.

2.1.1. Le parti politique comme creuset de la formation gouvernologique

Il convient de souligner que le parti politique moderne est, de manière générale, un organe de recrutement et de formation du personnel politique de l’État (de la province ou de l’État fédéré). Ceci est d’autant plus vrai qu’en principe, les hommes et les femmes qui gèrent l’État, les régions, les provinces, et même les communes (arrondissements) proviennent généralement des partis politiques. Donc, il est à la fois logique et conforme aux principes des organisations sociopolitiques modernes que ces partis préparent leurs membres et surtout leurs cadres avec des connaissances et des éléments de la pratique du gouvernement (voire à l’opérationnalité efficiente au Parlement).

Dans le cadre de cette section, un accent particulier est placé sur l’ensemble de connaissances et d’informations que les cadres et membres des partis politiques sont censés acquérir sur le fonctionnement concret des institutions de l’État et sur les grands dossiers d’État ou de la province. Il s’agit, par exemple, des dossiers sur la construction des routes, la problématique de tel aéroport ou la construction de tel chemin de fer, le dossier épineux de telle concession minière, l’achat des hélicoptères de combat pour l’armée, etc. Dans les pays avancés, les partis politiques produisent des documents de réflexion et de position (policy papers) sur les grands dossiers de l’État, de la province, de la ville ou de la commune. Ce sont ces positions sur les grands problèmes assaillant la nation ou la province, qui définissent les choix des politiques publiques de différents partis politiques. Elles servent aussi des matières premières pour le programme de gouvernement. En Afrique australe, en particulier, les partis politiques tiennent des conférences annuelles sur les politiques publiques. Ces assises permettent de revoir les politiques existantes et aussi de concevoir les nouvelles positions sur les problèmes émergeants.

De même, ces éléments servent aussi de paramètres d’orientation dans l’exécution et l’évaluation du programme de gouvernement, comme on l’explicitera dans les chapitres y relatifs. Mais, il est nécessaire de relever déjà qu’autant le parti forme les cadres, autant les cadres qui sont au gouvernement informent et forment leurs camarades du parti. Un haut cadre du parti devenu gouverneur, par exemple, met en œuvre un programme et parvient à acquérir une certaine expérience. Celle-ci lui donne une nouvelle perspective sur les problèmes de la société. Il a donc le devoir de transférer ces connaissances à ses camarades au parti. Cela va constituer une richesse gouvernologique du parti. C’est pourquoi les partis politiques modernes ont des départements de la formation politique, de la recherche et des publications. Ils encouragent la réflexion et les analyses écrites de leurs membres sur les politiques publiques et les grands dossiers de l’État.

Les référents idéologiques, le projet de société et la vision du programme de gouvernement

Un politicien moderne a une souscription idéologique qui définit son identité politique. Elle détermine aussi son intellectualité. Il convient de noter, à cet égard, que l’idéologie dans la société contemporaine s’est en quelque sorte libérée de son ancien entendement dogmatique. Elle est devenue un système d’idées logiques (idéo-logiques) relatives à la conception de l’homme, du monde, de la société, de l’État/gouvernement, de l’économie, de l’armée, etc. L’idéologie est devenue en fait une grille interprétative des problèmes fondamentaux de la société et de ses solutions. Dans certains pays, l’idéologie au sens d’un système d’idées transcende les partis politiques ; elle est devenue l’instrument d’un mouvement intellectuel. À telle enseigne que même les académiciens, les pasteurs et les prêtres, les ingénieurs civils, les avocats, les officiers de l’armée, ont des persuasions idéologiques, sans nécessairement être membres des partis politiques. Ainsi l’identité idéologique détermine-t-elle les positions intellectuelles sur les problèmes concrets. À titre d’illustration, si un professeur d’université soutient l’homosexualité, on l’identifie comme étant un intellectuel de gauche (socialiste en France, libéral aux USA). Si un acteur est contre l’avortement, on l’identifie comme un artiste de la droite (conservateur aux USA et en Grande Bretagne).

Quant au projet de société, il est le document de base d’un parti politique. Il renferme la souscription aux valeurs et principes, précise l’identité idéologique, formule la thèse du parti sur les problèmes clés d’un pays. Bien plus, ce support propose une ambition générale à un pays ou une province dans chaque secteur, et projette les actions qu’il convient d’entreprendre pour réaliser ces ambitions. Même dans les pays où est pratiqué le régime présidentiel classique (Nigeria, Ghana, par exemple), c’est la vision du parti qui oriente les thèmes des campagnes électorales. Ses messages et promesses vont aussi orienter la composition du programme de gouvernement. Il est donc conforme à l’impératif politologique que le cadre qui a en charge un gouvernement se réfère à l’idéologie et au projet de société de son parti. Ce support offre des axes orientant la démarche de la composition du programme de gouvernement. Un double avantage y est attaché.

D’abord, sur le plan purement politologique, en exploitant le projet de société et en puisant dans l’idéologie du parti, le leader politique gouvernant élimine les tensions et contradictions qui peuvent émerger entre son action gouvernementale et sa famille politique. Sur ce même registre, une telle conformité porte des bénéfices électoraux pour le parti et ses membres. Elle assure la probabilité d’une longue emprise du parti sur le pouvoir.

Secundo, sur le plan technique, un tel recours à l’idéologie, au projet de société du parti, à ses documents de base ainsi qu’à sa banque des données, facilite la rédaction du programme de gouvernement. Dans certains partis politiques avancés comme l’ANC, le Chama cha Mapinduzi, et le SWAPO, par exemple, les axes stratégiques de gouvernement sont déjà conçus tant pour l’État que pour chaque province. Les organes attitrés y travaillent en permanence. Dans d’autres pays africains, c’est lorsqu’un candidat est élu président, nommé premier ministre ou élu gouverneur que des équipes sont montées de toutes pièces et les recherches commencent pour composer le programme de gouvernement, sans référents ou repères fondamentaux du parti. Pour éviter les aléas constatés dans la confection des programmes de gouvernement en l’absence des données préalables au niveau du parti, la prescription ci-après est importante.

Conseils pratiques :

 

Même avec des moyens modestes, les partis politiques peuvent mettre sur pied des systèmes de formation des membres sur la gouvernologie nationale ou provinciale, la connaissance des axes majeurs de l’idéologie et du projet de société ;

Les partis politiques peuvent créer des cellules de recherche et développement (R&D) capable de produire des textes valides sur les dossiers et problèmes clés de l’État ou des provinces, ainsi que la formation des membres sur le fonctionnement et les pratiques gouvernementales du pays ou de la province;

Les partis politiques peuvent également encourager les cadres opérant dans les institutions, et particulièrement au gouvernement, de partager leurs expériences avec leurs camarades et surtout avec les jeunes.

Ces conseils permettent aux partis politiques de jouer le rôle des organisations politiques modernes qui sont les foyers de formation politique et gouvernologique de leurs membres. De ce fait, ils contribuent, en amont, à la préparation et à l’équipement du personnel politique du pays ou de la province, aux fonctions gouvernementales. Beaucoup de problèmes que l’on observe en Afrique au plan gouvernemental et aussi les conflits que l’on déplore, sont souvent causés par des cadres non-formés sur le plan de la praxis gouvernementale. Ils sont hissés aux commandes de l’État et se débrouillent, ou se font manipuler par les fonctionnaires et experts des ministères. Ceux-ci, et on l’ignore souvent, connaissent mieux les manœuvres et stratagèmes des dossiers et projets des ministères, ainsi que les profits y attachés.

Lorsqu’un leader politique ignorant arrive à la tête d’un gouvernement ou d’un ministère, sans connaissances préalables (même élémentaires) des dossiers et des projets en cours ou en pipeline, et sans orientation politique de son parti pour ce secteur, il est vite récupéré et formaté par le carcan bureaucratique et technocratique pour d’autres agendas. Ceux-ci peuvent être contraires au bien-être de la population, voire aux orientations politiques de son parti.

Imhotep Kabasu Babu Katulondi.

Libre-penseur, écrivain, politologue et initiateur de l’AGORA DES GARDIENS INTELLECTUELS DE LA REPUBLIQUE « AGIR NEW CONGO »

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