Dimanche dernier, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a promulgué une loi portant modification du Code pénal dans le sens de l’aggravation des peines, visant particulièrement la liberté d’expression, plus que jamais restreinte. Entré en vigueur le lundi 6 mai, jour de sa publication au Journal officiel, le nouveau Code pénal rend toute personne active sur les réseaux sociaux, ainsi que tout gréviste dans les transports en commun, passibles de très lourdes peines de prison.
Le nouveau Code pénal algérien, modifié et complété par une série d’articles bis et autres interminables alinéas, est marqué par la mise en œuvre d’un nouvel arsenal tellement répressif que les infractions qu’il punit sont caractérisées, dans leur ensemble, par l’imprécision. Pire, les filtres et garde-fous que devaient constituer le Conseil d’État et le parlement bicaméral algériens, chargés de contrôler la constitutionnalité de ce texte et de proposer des amendements ou suppressions, avant de le laisser passer, ont été annihilés. Car comment expliquer qu’un texte aussi répressif puisse être adopté sans débat démocratique et passer comme une lettre à la poste, alors qu’il viole ouvertement la constitution du pays?
Jugeons-en sur pièce, en nous limitant au non fondé des peines les plus lourdes introduites par le nouveau Code pénal algérien. La palme de la main lourde est revenue au nouvel article 63 bis, qui dispose qu’«est coupable de trahison et est puni de la réclusion à perpétuité, tout Algérien qui divulgue des informations ou des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale et/ou à la défense nationale et/ou à l’économie nationale à travers les réseaux sociaux au profit d’un pays étranger ou de l’un de ses agents».
Il est de notoriété qu’en droit pénal, le législateur est tenu de définir en termes suffisamment clairs et précis les infractions ou crimes punis, en vue de parer au maximum à toute violation des libertés individuelles garanties par la Constitution. Or, les termes relatifs à «la sécurité nationale», «la défense nationale» et, pire, à «l’économie nationale» sont très vagues, ouvrant la voie à une répression aveugle en Algérie.
Ceci n’a pas empêché la reprise de cette même formulation imprécise et arbitraire par l’article 63 bis 1 qui ajoute qu’«est puni de la réclusion à temps de vingt (20) ans à trente (30) ans, quiconque divulgue des informations ou des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale et/ou à la défense nationale et/ou à l’économie nationale à travers les réseaux sociaux en vue de nuire aux intérêts de l’État algérien ou à la stabilité de ses institutions». La différence entre ces deux articles jumeaux, c’est que l’infraction de divulgation d’informations ou documents confidentiels est condamnable différemment, selon qu’elle est destinée à un pays étranger ou à la consommation locale.
Une épée de Damoclès
Les millions d’Algériens qui utilisent les réseaux sociaux ont désormais une épée de Damoclès au-dessus leur tête. À tout moment, le régime d’Alger peut estimer qu’une publication relative à un secteur économique est passible pour son auteur d’une peine de 20 à 30 ans de prison. C’est surréaliste, mais «au pays du monde à l’envers», selon l’expression des auteurs du «Mal algérien», rien n’étonne. Le tout est de savoir si on a encore affaire à un pays ou bien à conglomérat de gangs!
Ce qui est en revanche clair, c’est que ces lourdes peines dont sont assorties des infractions imprécises visent en particulier les activistes antisystèmes politico-militaire, qu’il s’agisse d’opposants politiques, de journalistes ou d’influenceurs actifs sur les réseaux sociaux.
Les activistes de la Toile peuvent également tomber sous le coup d’une peine de prison allant de 5 à 10 ans, assortie d’une amende pouvant atteindre 1 million de dinars, au cas où ils participent, en temps de paix, à une «entreprise de démoralisation de l’Armée nationale populaire ou des autres corps de sécurité ayant pour objet de nuire à la défense ou à la sécurité nationales» (article 75 nouveau). Encore une fois, quel magistrat, doublé d’un psychologue soit-il, peut déterminer avec exactitude ce que signifie concrètement une «démoralisation de l’armée en temps de paix»?
Finalement, on est à des années-lumière de ce qui était attendu d’un nouveau Code pénal, censé aller dans le sens d’avancées, comme cela est exigé par de nombreuses instances onusiennes des droits de l’Homme. Ces dernières ont récemment appelé le régime d’Alger à mettre ses lois en conformité avec le droit international et ont constamment dénoncé le caractère liberticide du Code pénal algérien.
Le 26 septembre 2023, Clément Voule, rapporteur de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, a déclaré devant la presse à Alger, à l’issue d’une mission de 10 jours sur place, que «le gouvernement doit s’attaquer au climat de peur provoqué par une série d’inculpations à l’encontre d’individus, d’associations, de syndicats et de partis politiques en vertu de lois excessivement restrictives, y compris une loi antiterroriste contraire aux obligations internationales de l’Algérie».
Le rapporteur onusien a ouvertement appelé à abroger l’article 87 bis du Code pénal qui a été, selon lui, amendé en juin 2021 en vue d’élargir la définition du terrorisme à des actes n’ayant rien à voir avec les acceptions que recouvre ce mot, devenu fourre-tout en Algérie.
Ces exigences ont été réitérées par Mary Lawlor, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, dans un communiqué publié début décembre 2023, suite à une visite officielle en Algérie. Selon elle, «il est regrettable de constater que les lois conçues pour lutter contre le terrorisme suscitent tant de terreur auprès des défenseurs des droits de l’homme en Algérie, en raison d’une définition trop large et excessivement vague de ce qui relève du terrorisme dans le Code pénal».
Ce article 87 bis, tant décrié, a non seulement été maintenu, mais il est devenu kilométrique suite à son extension à de nouveaux domaines, laissant entendre, entre autres, que s’opposer au système en place peut être considéré comme un acte terroriste, dont les auteurs seront inscrits sur la nouvelle «liste nationale des terroristes».
Des articles fourre-tout
Ainsi, selon l’article 87 bis, «est considérée comme acte terroriste… toute action ayant pour objet de:
– semer l’effroi au sein de la population et créer un climat d’insécurité, en portant atteinte moralement ou physiquement aux personnes ou en mettant en danger leur vie, leur liberté ou leur sécurité, ou en portant atteinte à leurs biens;
– entraver la circulation ou la liberté de mouvement sur les voies et occuper les places publiques par des attroupements;
– attenter aux symboles de la nation et de la république et profaner les sépultures;
– porter atteinte aux moyens de communication et de transport, aux propriétés publiques et privées, d’en prendre possession ou de les occuper indûment… Bientôt, même les grévistes dans les transports en commun seront considérés comme des terroristes en Algérie!
Le moment de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal semble avoir été délibérément choisi. En effet, ce texte très restrictif intervient à quatre mois pile de l’élection présidentielle anticipée du 7 septembre 2024. Or, les candidats aux présidentielles, qui ne se bousculent toujours pas au portillon, devront user de matériels électoraux en vue d’exposer leurs programmes, critiquer les politiques actuelles et passées…
Mais en auront-ils seulement le droit, puisque l’article 96 du nouveau Code pénal décrète que «…quiconque distribue, met en vente, expose au regard du public ou détient en vue de la distribution, de la vente ou de l’exposition, dans un but de propagande, des tracts, bulletins, papillons, vidéos ou enregistrements audio de nature à nuire à l’intérêt national, est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à cinq (5) ans et d’une amende de 100.000 à 500.000 dinars»?
Les candidates de l’opposition, Zoubida Assoul et sa consœur Louisa Hanoune, feraient bien de prendre au mot cet article avant de se lancer dans une course qui pourrait les conduire à la prison.
Par Mohammed Ould Boah