Accord UE-Rwanda sur les minerais critiques : selon le Prof R. Matamba J, le retard pris par les Occidentaux sur la Chine pousse à la signature des accords controversés (Moïse Musangana)

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Dans une conférence donnée le jeudi 29 février 2024 dans la Salle Dr Monekosso de l’UNIKIN (Université de Kinshasa), le Prof Raphaël Matamba Jibikila (Ingénieur civil des mines) a soutenu que les pays occidentaux, avec en première ligne les USA et l’UE (Union Européenne), sont dépendants de la Chine quant à l’approvisionnement des minerais réputés critiques et stratégiques dans le cadre de la transition énergétique. Voire aussi celle numérique. Ils se sont réveillés en retard, vers 2010 pour l’Europe, par exemple, qui a créé ERMA (Alliance Européenne des Matières Premières) alors que l’empire du milieu s’était lancé vingt ans auparavant dans la diversification et la sécurisation des sources d’approvisionnement en ces minerais, s’ancrant de ce fait dans de nombreux pays relativement à leur production et au contrôle des réserves mondiales. Il ne serait donc pas invraisemblable que, dans la quête du rattrapage du retard ainsi enregistré, l’UE en soit amenée à signer des accords du genre de celui controversé avec le Rwanda, ou pactiser avec le diable.

Le protocole d’entente UE-Rwanda sur les chaînes de valeurs durables sur les matières premières défraie la chronique aussi bien en RDC qu’en Europe. Et l’onde de choc continue à courir. Le président congolais Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo s’est levé pour dénoncer avec véhémence cet accord faisant du Rwanda producteur et exportateur des minerais dont son sous-sol ne regorge quasiment pas alors que tout le monde, en plus de différents rapports des Nations unies, est unanime à reconnaître que le pays de milles collines sert de plaque tournante de minerais pillés au Congo depuis plusieurs décennies. Le numéro un congolais n’a pas eu sa langue en poche devant la presse réunie ce 20 février au Studio Mama Angebi de la RTNC (Radiotélévision Nationale Congolaise) à Kinshasa. Et de déclarer que c’est comme si l’UE menait la guerre à la RDC par le Rwanda, soutien incontestable du M23, interposé. Pour rien au monde, ledit accord devait être combattu par des voies tant judiciaires que diplomatiques. Huit jours après, il a fait le déplacement de la Belgique, siège de l’UE, où il a conféré tour à tour avec le Premier ministre Alexander de Croo et le roi Philippe. Il a, de ce fait, sollicité des sanctions contre le président rwandais dont la propension à semer la désolation en RDC et à piller ses ressources est plus qu’évidente.

Le discours du président congolais n’a pas manqué de retentissement. Député fédéral belge, André Flahaut s’en est fait l’écho devant ses collègues. Il a interpellé en séance plénière Alexander de Croo sur l’agression de la RDC par le Rwanda et fait savoir qu’il faut passer maintenant des paroles aux actes ; le Congo étant victime d’agression comme la Palestine et l’Ukraine. Des sanctions doivent, outre le fait que le droit international impose aux Belges d’être des modèles pour sauver les populations congolaises, être ainsi prises à l’égard du Rwanda.

Un autre député, cette fois-là européen, le Français Thierry Mariani, est aussi sorti de sa réserve. Il a porté à la connaissance de ses collègues les sentiments qui dominent en RDC et dans de nombreux pays africains de la politique de double standard de l’UE. Et d’ajouter : «S’il faut se réjouir que nous débattions enfin de la situation à l’Est de la RDC, je ne peux pas oublier que nous le faisons après que la Commission européenne a annoncé il y a quelques jours la signature d’un partenariat honteux avec le Rwanda».

A la question de savoir d’où viennent les matières premières qui transitent par le Rwanda, M. Mariani répond : «De l’Est du Congo où ces ressources sont pillées et livrées à des mafias plus sanguinaires les unes que les autres». Et de s’étonner que quand il s’agit de s’acoquiner avec Kagame, tous les grands principes de l’UE cèdent. Pourtant, il viole militairement la souveraineté de la RDC sans aucune sanction européenne. Pire, alors que la milice M23 a perturbé les élections congolaises, c’est le gouvernement de Kinshasa qui recevait principalement les critiques de l’UE. Plus pénible aussi, au même moment, pendant que le peuple congolais se battait pour que les élections se déroulent, que faisait Mme Von Der Leyen ? Elle inaugurait une usine de vaccin BioNTech au Rwanda le 18 décembre 2023, soit deux jours avant les élections en RDC. La Commission européenne était donc bras dessus bras dessous avec le président rwandais dont l’ONU dénonce le soutien à sa milice criminelle. Cela a été évidemment ressenti comme une provocation méprisante par nos amis congolais. Enfin, le Français de se demander : «Alors qu’attendons-nous pour condamner le vrai responsable ? Qu’attendons-nous pour condamner le Rwanda ? Qu’attendons-nous pour sanctionner Paul Kagame? »

Les Congolais ne sont pas restés indifférents. Même les milieux universitaires sont montés au créneau. C’est le cas avec la conférence tenue ce jeudi 29 février dans la salle Dr Monekosso de l’UNIKIN archicomble à l’occasion à l’initiative du Recteur de l’UNIKIN, le Prof Jean-Marie Ntumba, par le Prof Raphaël Matamba Jibikila, enseignant à la faculté Pétrole, gaz et énergies renouvelables de la même université.  Avec comme thème «La RDC face aux enjeux de la transition énergétique : cas du secteur minier», cette conférence s’est voulue plus globale afin que le caractère politicien de la question ne l’emporte sur sa dimension scientifique.

L’enjeu majeur et prioritaire de la transition énergétique, a dit l’orateur, est le réchauffement climatique dont il faut préserver la planète. Cela en remplaçant progressivement des énergies fossiles, génératrices du principal gaz à effet de serre, le CO2, voire le nucléaire suite à la problématique de la gestion des déchets radioactifs, par un mix énergétique privilégiant les énergies renouvelables. Aux fins de ce mix, différents minéraux et métaux raffinés se sont révélés, de par les innovations technologiques, indispensables aux techniques bas-carbone. C’est notamment le cuivre, le cobalt, le nickel, le lithium et le germanium. Et pour la transition numérique, les minerais des 3 T (étain, tantale et le tungstène), par exemple, avec principalement le tantale, valent pour autant.

La transition énergétique ou numérique appelle donc à une consommation de plus en plus accrue des minéraux précités dont la liste n’est pas exhaustive. De la sorte, si on ne fait pas de découvertes de nouveaux gisements du cuivre, 90 % des réserves actuelles de ce minerai seraient épuisés à l’orée de 2050. S’imagine-t-on ce qui adviendrait, a dit un intervenant, à plusieurs secteurs industriels américains, bref l’économie américaine, si le tantale arrivait à manquer ? Voilà qui explique donc le développement des politiques publiques et des stratégies des Etats pour garantir et sécuriser à leur compte l’approvisionnement en ces matières premières réputées critiques ou stratégiques. Cinq critères valent, d’après le Prof Raphaël Matamba Jibikila, pour qu’elles soient qualifiées de critiques (utilisée dans un grand nombre de secteurs industriels, ce qui fait craindre la pénurie, être difficilement substituables à court terme, faire l’objet de plusieurs applications industrielles, être dotée d’une valeur économique) et elles deviennent stratégiques lorsque leurs réserve et production sont concentrées géographiquement.

Frileuse, la Chine ne s’était pas fait prier, à en croire le Prof R. Matamba J., de mettre en place une politique d’approvisionnement basée sur la diversification des sources sous-tendue, notamment, par le développement des partenariats et des IDE (Investissements Directs Etrangers). Ce qui lui a permis, en fin de compte, de s’ancrer dans de nombreux pays et de consolider sa part quant à la production desdites matières et de s’en adjuger le contrôle sur le plan mondial. Et lorsque, entre autres, l’UE s’éveille en 2010 pour créer ERMA (Alliance Européenne des Matières Premières), Pékin, lancé dans la course 20 ans plus tôt, avait déjà pris suffisamment une longueur d’avance aussi bien sur les Européens que les Américains, les contraignant ainsi à la dépendance vis-à-vis d’elle. En RDC qui détient, par exemple, 50 % des réserves mondiales en cobalt, c’est la Chine qui tient quasiment toute l’exploitation industrielle, laissant celle artisanale aux autres. Ceci expliquant cela, il n’est pas exclu que dans la quête de leur indépendance, l’UE soit amenée à signer des contrats controversés du genre de celui avec le Rwanda, voire chercher à pactiser avec le diable.

Le Rwanda possède oui ou non les minerais critiques concernés par son accord avec l’UE ? Le Prof R. Matamba J. ne s’est pas montré catégorique quant à ce. Mais, il pense qu’il aurait été de bon aloi pour cette communauté, respectueuse des droits de l’homme et disposant d’une administration outillée en matière de bonne gouvernance, de décliner en amont les données statistiques en termes aussi bien de réserves que de production pour lesdits minerais dans ce pays. De la sorte, l’on saurait la quantité de minerais réellement produite au Rwanda et celle qui transiterait par son territoire. Et d’évoquer une publication de l’Université du Rwanda datant de 1988 intitulée «L’activité minière au Rwanda. D’une exploitation marginale à l’effondrement» qui souligne que l’exploitation effective des ressources minières du Rwanda a débuté en 1930. Elle s’est poursuivie jusqu’à nos jours, mais les conditions géologiques et topographiques défavorables, la faiblesse des réserves et les difficultés de transport en ont rendu la rentabilité marginale. Jusqu’en 1988, son sous-sol n’avait vomi que 2,5 T d’or.

Également Coordonnateur de la CTCPM (Cellule Technique de Coordination de Planification Minière), un service spécialisé du Ministère congolais des Mines, le prof R. Matamba J. a émis le vœu de voir la RDC corser sa politique en matière de minerais critiques et stratégiques sur fond du code minier qui consacre déjà quelques substances minérales (cobalt, germanium et tantale) stratégiques. Il a formulé le souhait de voir cette liste allonger, car l’UE, par exemple, en compte une cinquantaine. Se félicitant de l’initiative prise par la RDC conjointement avec la Zambie pour la fabrication des batteries électriques, Il recommande la transformation locale des produits à l’effet, notamment, de donner la plus-value aux substances minérales stratégiques, de stimuler la production, d’assurer le transfert des technologies et de diversifier l’économie.

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