
Côté cour, Bouchra Karboubi incarne l’autorité, cette femme en noir qui veille au respect des lois du beau jeu sur les terrains internationaux. Portée par une passion inébranlable, elle a tracé son chemin depuis son Maroc natal jusqu’aux plus grandes scènes du football mondial : des Jeux Olympiques à la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, en passant par la Coupe d’Afrique des Nations CAF TotalEnergies.
Côté jardin, c’est une femme épanouie, maman d’une petite fille de 7 ans, qui jongle avec brio entre ses responsabilités professionnelles et sa vie familiale. Loin du tumulte des stades, elle savoure les instants de complicité avec sa fille et ne rêve que d’un monde où les femmes arbitres auront pleinement leur place, sans préjugés ni obstacles.
Dans le cadre du mois dédié aux Droits des Femmes, Bouchra Karboubi revient sur les moments forts de sa carrière et l’évolution de l’arbitrage féminin en Afrique. De ses premiers pas sur les terrains du Maroc à son ascension vers les plus prestigieuses compétitions internationales, elle partage son parcours semé de défis, mais aussi de grandes victoires. Entre passion, persévérance et détermination, elle évoque les obstacles qu’elle a dû surmonter pour s’imposer dans un milieu historiquement masculin, ainsi que ses ambitions pour l’avenir. Rencontre avec une pionnière qui incarne l’excellence et l’engagement au service du football.
Cafonline.com : Vous êtes une figure emblématique de l’arbitrage africain. Qu’est-ce qui vous a motivée à embrasser cette carrière dans un domaine encore majoritairement masculin ?
Bouchra Karboubi : Ma relation avec le sport remonte à mon plus jeune âge. J’ai toujours été passionnée par le football, d’abord en tant que joueuse avant de devenir arbitre. Ce sport véhicule des valeurs et des principes forts, comme la justice, qui m’ont attirée vers l’arbitrage. Même si ce domaine était, ou reste encore, très masculin, j’ai voulu y trouver ma place et y contribuer.
Quels ont été les plus grands défis que vous avez rencontrés en tant qu’arbitre et que vous avez surmontés ?
Le premier défi a été d’obtenir l’acceptation de ma famille, qui est très conservatrice. Chez nous, il était impensable qu’une fille porte un short, joue au football ou devienne arbitre. Mes frères ont eu du mal à accepter mon choix, et cela a été une bataille difficile.
Ensuite, il y avait les mentalités et la culture de notre société. J’ai dû faire face aux préjugés et aux regards critiques.
En tant que femme mariée souhaitant fonder une famille, j’ai aussi rencontré des difficultés, notamment durant la grossesse et après l’accouchement, pour retrouver mes capacités physiques d’antan.
Enfin, concilier mon métier de policière, ma passion pour l’arbitrage et ma vie de famille n’a pas été simple. Mais, grâce à une bonne organisation et au soutien de mes proches, j’ai trouvé un équilibre.
Comment décrivez-vous l’évolution de l’arbitrage féminin en Afrique ces dernières années ?
L’arbitrage féminin africain progresse vers l’excellence. Nous, les arbitres féminines, sommes présentes à tous les niveaux de compétition, que ce soit en FIFA ou en CAF, et même dans les tournois masculins.
On nous retrouve à la CAN U-17, U-20, au CHAN, à la CAN senior, à la VAR, et sur le terrain. Ce progrès est le fruit d’un travail considérable du comité et de la direction d’arbitrage de la CAF, qui nous offre de plus en plus d’opportunités.
Quelle a été votre plus grande fierté en tant qu’arbitre ?
Honnêtement, je ne peux pas citer un seul match en particulier. Chaque étape de ma carrière a été marquante.
Au niveau national, ma plus grande fierté reste la finale de la Coupe du Trône masculine 2021/22 que j’ai eu l’honneur d’officier en tant que première femme marocaine, arabe et africaine à accomplir cet exploit.
Au niveau de la CAF, il y a notamment le match de la CAN que j’ai dirigé en Côte d’Ivoire entre le Nigeria et la Guinée-Bissau. Mais aussi, et surtout, la finale de la CAN, où j’ai été quatrième arbitre. Ce moment restera gravé dans mon histoire.
Sur la scène FIFA, mon plus grand accomplissement a été de participer à la Coupe du Monde en Australie et en Nouvelle-Zélande. Et bien sûr, les Jeux Olympiques, où j’ai eu la chance d’arbitrer une demi-finale des JO de Paris. Ce sont des matchs qui ont marqué mon parcours.
Quel souvenir gardez-vous de votre toute première grande compétition sur la scène internationale ?
Ma première compétition internationale, c’était la CAN féminine au Ghana, en 2018. Je garde un souvenir particulièrement fort d’un moment inattendu et émouvant.
Lors d’un entraînement, alors que nous étions concentrées sur nos exercices, j’ai tourné la tête et j’ai aperçu le président de notre fédération, M. Faouzi Lekjaa. Il était venu nous rendre visite sans prévenir. C’était une surprise totale ! Son soutien et ses encouragements ont été un moment fort pour moi. J’en avais les larmes aux yeux. Je ne pourrai jamais oublier cette journée.
Il y a de plus en plus d’arbitres féminines. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent suivre votre chemin ?
Je vais être brève : en plus de la volonté, du travail, des sacrifices et de l’humilité, il y a deux mots-clés que je répète toujours aux jeunes filles : continuité et persévérance.
Il faut garder espoir, travailler sans relâche et ne jamais abandonner. La réussite ne se construit pas du jour au lendemain, mais avec une détermination sans faille.
Vous avez été récompensée récemment du prix de la meilleure arbitre aux CAF Awards en décembre dernier. Quelle émotion cette distinction a-t-elle suscité en vous ? Et comment envisagez-vous l’avenir après une telle récompense ?
C’était un moment de grande joie et une immense fierté. Une reconnaissance qui restera gravée dans ma mémoire.
Pour moi, cette récompense est une source d’énergie positive et une motivation supplémentaire pour redoubler d’efforts. Je suis pleinement consciente que si atteindre le sommet est difficile, y rester l’est encore plus. Cette distinction m’incite à continuer à travailler dur pour maintenir ce niveau d’excellence.
Quels sont vos objectifs et vos ambitions pour les années à venir dans votre carrière d’arbitre ?
Je suis candidate pour la Coupe du Monde masculine 2026, et mon objectif est de pouvoir y participer en tant qu’arbitre et d’officier plusieurs rencontres.
Sur le volet féminin, je suis également candidate pour la Coupe du Monde féminine 2027 et j’aimerais énormément arbitrer la finale. Ce serait une consécration.
Mon ambition est d’honorer la confiance que la CAF nous accorde, de représenter dignement ma fédération, mon pays, ma confédération et de continuer à montrer que les femmes ont toute leur place dans l’arbitrage au plus haut niveau.